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LES PARTIS OUVRIERS FACE À LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE


Content:

Les partis ouvriers face à la politique étrangère
Hier
Aujourd’hui
Notes
Source


Sur le fil du temps

Les partis ouvriers face à la politique étrangère

Hier

On avait l’habitude – avant l’autre guerre – de définir la position des partis ouvriers dans les rapports internationaux entre les États par la phrase: « Les socialistes ne font pas de politique étrangère ».

Inutile de dire combien cette expression était inadéquate. Son intention était de refléter la position théorique marxiste qui cherche la clef de l’histoire non plus dans les heurts entre rois, généraux et grands États mais dans les rapports économiques qui prennent leur source dans le champ de la production. Il est évident, au regard du simplisme de ce désintérêt, qu’il y a contradiction entre, d’une part, les analyses pénétrantes qu’ont faites Marx et Engels des désaccords et des conflits entre les différentes couches de la bourgeoisie surtout dans la période qui suivit celle de la guerre civile aiguë de 1848, ainsi que des guerres de remise en ordre nationale de 1859 et 1870, et d’autre part, l’insuffisance patente de l’attitude de la seconde Internationale sur les problèmes de l’impérialisme, devant les guerre coloniales et les conflits mondiaux, accompagnés de bouleversements grandiose et inattendus face auxquels les partis socialistes réagirent de manière maladroite et défaitiste.

Et si les éléments modérés du mouvement prolétarien se contentaient de cette norme négative commode, les éléments extrémistes, eux, tombaient dans un simplisme différent mais aussi ingénu en prêchant un antimilitarisme comme fin en soi et relié aux mystiques du syndicalisme sorélien. Hervé (qui est devenu ensuite, au moment de l’épreuve, encore plus patriotard et chauvin que les socialistes de droite) établissait comme programme, dans sa « Guerre Sociale »,[1] le refus individuel de la conscription – fait révolutionnaire bien sûr, mais non séparable de l’ensemble de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir – et voulait flanquer le drapeau tricolore dans le fumier

L’ensemble du problème fut redéfini de façon totalement différente dans la critique léniniste fondamentale des faits économiques caractéristique du capitalisme le plus récent ou bien dans celle de la trahison des chefs parlementaires et syndicaux du prolétariat des deux côtés du front de la guerre de 1914. Les inadéquations théoriques conduisent à des défaites tactiques irréparables, de toute façon, mieux vaut dire qu’on ne fait pas de politique étrangère que de prostituer la lutte des classes dans l’union sacrée et dans la défense de la patrie, mieux vaut l’hervéisme ingénu du drapeau bourgeois dans le fumier que les incroyables orgies d’uniformes de maréchaux et de généraux des tout récents traineurs de sabre rouges, des Balkans jusqu’en Chine.

Aujourd’hui

Si les vieux partis, abstentionnistes dans le domaine de la diplomatie mondiale et de la politique étrangère, firent faillite en 1914 avec la concorde nationale, les nouveaux, après avoir revendiqué une toute autre puissance d’analyse des problèmes historiques mondiaux réels, n’ont su, dans la nouvelle guerre, que s’abandonner à leur tour aux consignes de tel ou tel état-major militaire et parler aux masses de nation, de patrie, de guerre et d’armée populaire.

Après la seconde guerre mondiale, au moins 90 pour cent de leur attention et de leur travail politique portent sur le nouvel antagonisme, sur la nouvelle fracture surgis du sein de ce bloc sacré qui personnifiait la sauvegarde non seulement de la « liberté » et de la « démocratie » mais du prolétariat et du socialisme, de sorte que des millions et des millions de travailleurs furent envoyés à l’immolation dans la guerre officielle ou irrégulière contre le mythe de la barbarie fasciste.

Aujourd’hui, les deux groupes se querellent et, dans le cas où ils ne parviendraient pas à s’unir dans un compromis prolongé dont la classe ouvrière ferait tous les frais, ils se préparent à une campane idéologique où ils se jetteront mutuellement à la figure le crime de « fascisme », tout en goûtant d’avance avec sadisme le succès d’aligner pour la troisième fois sur les fronts d’une guerre encore plus féroce les masses prolétariennes, lesquelles n’en seront pas moins encadrées à cette fin d’un côté et de l’autre par leurs partis, communistes et socialistes en paroles seulement.

En Italie, les directions des partis qui se prétendent prolétariens ne s’agitent qu’en fonction des influences de politique étrangère; elles ne se battent sur les terrains journalistique, électoral, parlementaire et même sur celui des manifestations de rue que pour faire de la propagande en faveur de telle ou telle influence politique étrangère sur l’État pouilleux de la bourgeoisie italienne.

Les socialistes de droite sont engagés jusqu’au cou dans le travail pour les pactes économiques avec le capitalisme d’outre-Atlantique et appliquent le marxisme à la démonstration qu’il s’agit de faire de brillantes affaires en hypothéquant l’industrie, le commerce et l’agriculture italiens mais en ne fournissant aucune garantie d’ordre politique et militaire, comme si ce n’était pas la même chose et comme si les voyages pour prendre des ordres auprès de ministres et de chefs d’état-major ne comptaient pour rien.

Les socialistes pro-russes sont eux de vrais maîtres en matière de politique étrangère et les Nenni se vantent que, dans les ombres pas toujours propres de l’émigration et dans les finesses des jeux quadruples, ils ont mûri leur préparation à recueillir l’héritage des San Giuliano et des Sonnino.

Les communistes mettent au premier plan l’action de rupture, toujours plus malheureuse, de l’asservissement de notre pays à l’Amérique, postulat absurde au départ puisqu’eux-mêmes sont parvenus à l’influence politique et aux morceaux de pouvoir qu’ils avaient et ont sur le sillage des canons alliés et des dollars. Ils considèrent comme des questions très importantes le remplacement des Sforza ou des Marshall. Eux aussi s’adonnent à la diplomatie militante, fait très amusant, et l’on s’aperçoit qu’à l’instar de chaque soldat de Napoléon qui portait son bâton de maréchal dans sa giberne, les Reali, les Griechi et autres Scoccimani dissimulaient bicorne et épée dans leurs bas de chausse.

C’est vraiment le cas de dire « les partis ouvriers ne font pas de politique intérieure » Et en effet, sur toutes les questions d’économie et de politique intérieures, non seulement ils n’ont rien fait mais ils ne savent rien dire, si ce n’est la pratique, qui se voudrait géniale mais n’est que vomitive, des changements de cap grâce à des coups de théâtre et qui se produisent non pas tous les quarante ans mais tous les quarante jours, comme ceux qu’ils nous ont offerts sur les questions de la monarchie, de l’église, du système administratif et ainsi de suite jusqu’aux zéros absolus en matière de « réformes » agraires, industrielles et sociales.

Quant au problème programmatique central du pouvoir qu’ils rafraîchissent de temps en temps en accusant le gouvernement de De Gasperi d’être le comité d’affaires des capitalistes[2] (mais pour Marx c’était l’État !), leur rêve ne consiste qu’à faire partie de ce comité, d’occuper certaines de ses places et de participer à ses affaires; ainsi que les scelbistes,[3] ils recommenceront à faire les préfets, les « questori » et les fonctionnaires d’État et de Commissariat pour la nouvelle Italie, comme pour celle de Cavour, de Giolitti, de Mussolini, de Badoglio, de Bonomi, pour celle de toujours, à laquelle nous disions un jour ingénument: quelque soit ton engagement diplomatique et d’alliance militaire, au Ponant ou au Levant, notre travail est de te renverser cul par dessus tête.

Notes:
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  1. Notes du traducteur: Les trois expressions soulignées dans le texte de la première page de ce filo sont en français. [⤒]

  2. La citation exacte serait « des groupes les plus égoïstes du capitalisme industriel et agraire ». Il y en a, dans la belle Italie républicaine – on le voit –, certains qui sont altruistes et qui, peut-être, souscrivent à « l’Unità ». [⤒]

  3. Notes du traducteur: « Les scelbistes » à la dernière page Scelba fut ministre de l’intérieur démocrate-chrétien de 1947 à 1953 et de 1960 à 1962, et président du conseil en 1954-55. Durant son ministère à l’intérieur (c’est à cela que se réfère Bordiga) il fut particulièrement dur envers les manifestations ouvrières.
    Les scelbistes sont donc les fonctionnaires du ministère de l’intérieur italien de cette époque (1947-51). [⤒]


Source: « Battaglia Comunista », No. 2, 12-19 janvier 1949.

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