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L’ARNAQUE SUPRÊME DE L’ÉGALITÉ DES NATIONS


Content :

L’arnaque suprême de l’égalité des nations
Hier
Aujourd’hui
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Sur le fil du temps

L’arnaque suprême de l’égalité des nations

L’argument de la guerre et de la paix, de l’agression et de la défense, est si prégnant qu’il mérite encore quelque insistance, malgré les rappels des doctrines marxistes et léninistes à l’aide desquels nous avons évoqué comment le « défensisme » et le « pacifisme » ont été reléguée parmi les rêveries idéalistes, dont le communisme critique est éloigné de mille lieues, et comment ils correspondent parfaitement aux moyens de bourrage de crâne employés par la conservation bourgeoise.

Le socialisme scientifique a eu, dès sa naissance, beaucoup à faire à l’encontre de deux « bobards » classiques de l’escroquerie idéologique et de propagande à l’échelle « intérieure », l’égalité de droit des individus, et à l’échelle « extérieure », l’égalité juridique des États, que la pensée bourgeoise fait passer pour des vérités « naturelles et éternelles » finalement réalisées par la civilisation moderne et la démocratie.

Pourtant, on ne peut lire aujourd’hui trois lignes dans des feuilles et des écrits à étiquette « socialiste », « communiste » et « marxiste », sans que l’on voie cités comme des dogmes indiscutables, ces bobards horripilants, qui suscitaient des vagues de tempête parmi les touffes de la barbe de papa Karl, stéréotypés sur les petits tableaux de nos sections socialistes étriquées et enfumées d’il y a quarante ans.

Si nous avions su qu’on en arriverait là, au lieu de cultiver le marxisme, nous nous serions depuis lors procurés un seau et une éponge, et nous aurions joint les deux bouts en cherchant à rendre service à Dame Bourgeoisie, une fois passées ses erreurs de jeunesse. Horizon de vie pas très sublime, mais toutefois moins écœurant que celui des actuels et des meilleurs chefs de la classe ouvrière.

Hier

La grande conquête du droit naturel, celle de l’égalité entre les hommes, s’est fait superbement et irrévocablement foutre de sa gueule quand Friedrich Engels, partant de l’œuvre balourde du savant Dühring, qui en construisait la doctrine sur le schéma de la « société » de deux hommes A et B (dans laquelle A est égal à B, et donc B est égal à A, pour arriver de proche en proche à X, à Z, et au citoyen souverain Tartempion), rédige un de ses inoubliables « abrégés » (1) historiques, où il décrit le devenir du critère et de la revendication égalitaires depuis le clan primitif jusqu’à la caste, à la classe, et au sein de ces groupes et formes concrètes. Engels rappelle en note que, la période capitaliste étant atteinte, « la déduction des idées modernes d’égalité à partir des conditions économiques de la société bourgeoise a été exposée pour la première fois par Marx dans ‹ Le Capital › ». Engels ne fait pas allusion ici à la critique philosophique et historique de l’égalitarisme bourgeois, déjà contenue dans le Manifeste, mais à la démonstration que l’exploitation économique des salariés repose sur le principe de l’« échange entre valeurs égales », pilier de la justice bourgeoise.

Le Capitalisme ne pouvait vaincre sans abolir les « privilèges de classe » féodaux. Ce postulat apparaît idéologiquement comme une conquête des droits de l’homme et de l’égalité. Et les prolétaires, ajoute Engels, prirent la bourgeoisie au mot, portèrent l’exigence d’égalité du domaine juridique au domaine économique et demandèrent l’abolition des classes. La revendication de l’égalité dans la bouche du prolétariat a ainsi une double signification : ou bien elle est la réaction spontanée contre le contraste criant entre riches et pauvres, entre dissipateurs et affamés, comme dans les premières révoltes paysannes, et elle trouve sa justification simplement comme expression de l’instinct révolutionnaire; ou bien, elle sert de moyen d’agitation pour soulever les ouvriers contre les capitalistes, « et, en ce cas, elle tient et elle tombe avec l’égalité bourgeoise elle-même ». Mais, « dans les deux cas, le contenu réel de la revendication prolétarienne d’égalité est la revendication de l’abolition des classes. Toute revendication d’égalité qui va au-delà tombe nécessairement dans l’absurde ».

« L’idée d’égalité, tant sous sa forme bourgeoise que sous sa forme prolétarienne, est elle-même un produit de l’histoire, dont la création suppose nécessairement des rapports historiques déterminés. Elle est donc tout ce qu’on voudra, sauf une vérité éternelle. Et si aujourd’hui, dans l’un ou l’autre sens, elle est chose qui va de soi pour le grand public, si, comme dit Marx, ‹ elle possède déjà la solidité d’un préjugé populaire ›, ce n’est pas là l’effet de sa vérité axiomatique, c’est l’effet de la diffusion universelle et de l’actualité persistante des idées du XVIIIe siècle ».

Mais à quoi d’autre ont-ils réduit aujourd’hui la propagande du « marxisme » ? Dans leurs cabinets de travail bien décorés, les dirigeants modernes, préparant de façon très subtile les campagnes d’agitation ou de parti, se demandent : qu’y a-t-il donc aujourd’hui qui « va de soi pour le grand public » ? Et c’est avec cette matière qu’ils remplissent les interviews à radiodiffuser de par le monde et les discours à dégurgiter de manière monotone dans les séances parlementaires ou dans les congrès provinciaux…

« Si donc M. Dühring peut faire opérer ses deux fameux bonshommes d’emblée sur le terrain de l’égalité, c’est que la chose paraît toute naturelle au préjugé populaire ». Et il ne peut en être autrement, lorsque quatre enfants de chœur voyageant à travers le monde sont à même d’agiter triomphalement des millions de signatures pour la Paix, la paix « concrète », la paix « tout court », la paix vêtue de blanc, au-delà de laquelle, sous laquelle il n’y a rien, et qui n’a que faire des caractéristiques économiques de la société où nous vivons, ou des conditions historiques déterminées; qui est l’une des nombreuses vérités éternelles, et qui, évitant les convulsions de l’histoire, vole dans le bec de la même colombe que celle de l’époque de l’arche de Noé…

Té, zuca ccà !, ont l’habitude de dire les Napolitains, le petit doigt levé, lorsqu’ils tombent sur ces naïvetés de nourrisson.

Est-il si difficile de faire comprendre ce qu’on martèle depuis un siècle ? Les socialistes ne sont pas ces chevaliers errants qui rêvent d’Égalité et de Justice abstraites, mais ce sont ceux qui se sont rendus compte qu’ils vivaient à l’époque où existaient les conditions pour l’abolition des classes, pour un type de production sociale sans division en classes. Chose qui ne porte pas sur l’égalité de M. A et de M. B, sur la possibilité que celui-là ne soit plus duc et celui-ci un vulgaire mécano, mais sur l’existence de machines, d’usines, de bateaux à moteur, sur le déroulement en série de conflits et de luttes pour le contrôle de la société et pour le pouvoir.

Il n’y a, selon nous, pas une virgule à changer dans la clarification d’Engels, depuis 1873 jusqu’à aujourd’hui, même si des kyrielles de professeurs, d’écrivains et de Dühring s’y sont relayés, vis-à-vis desquels nous ne sommes que de pauvres hommes partisans, et c’est tout; de même, un certain Lénine ne trouva pas une virgule à changer en 1920.

Reprenons la thèse sur la question nationale et coloniale du second Congrès de Moscou. Elle commence ainsi : « I. La position abstraite et formelle de la question de l’égalité – l’égalité des nationalités y étant incluse – est propre à la démocratie bourgeoise sous la forme de l’égalité des personnes, en général; la démocratie bourgeoise proclame l’égalité formelle ou juridique du prolétaire, de l’exploité avec le propriétaire et l’exploiteur, induisant ainsi les classes opprimées dans la plus profonde erreur. L’idée d’égalité, qui n’était que le reflet des rapports créés par la production pour le négoce, devient, entre les mains de la bourgeoisie, une arme contre l’abolition des classes, combattue désormais au nom de l’égalité absolue des personnalités humaines (formule sacramentelle, c’est nous qui insérons ceci, du super-bobard moderne, du mensonge numéro un, qui est commune à l’agitation des prêtres catholiques, des quakers dollarisés et des activistes roublisés) ». Lénine n’était pas quelqu’un à faire cadeau à ses adversaires d’une arme, même bénéficiant du « succès populaire » comme le mot magique de l’égalité, uniquement par luxe théorique. Il précise « Quant à la signification véritable de la revendication égalitaire, elle ne réside que dans la volonté d’abolir les classes ». Copié ! Copié sur Engels ! Lequel, à chaque passage, proteste : je ne fais que copier sur les manuscrits de Marx. Le marxiste n’invente jamais, il copie toujours. Désolé, la « dignité de la personne humaine » dut-elle en souffrir. Elle s’en remet amplement grâce aux éclairs de génie des colombophiles.

La thèse nationale de Lénine complète, dans une relation parfaitement rigoureuse, la thèse du premier Congrès sur « Démocratie bourgeoise et dictature prolétarienne » avec la démolition classique et fidèle au marxisme de la « démocratie en général », et de la démocratie comme cadre et limite de la lutte entre bourgeoisie et prolétariat. De même que, dans ces thèses-là, on détruit la possibilité d’une compétition à armes égales entre l’exploiteur et l’exploité dans les limites du droit et de l’État, on traite de la même façon dans ces thèses-ci « l’illusion petite-bourgeoise – que nous avons déjà mentionnée – quant à la possibilité d’un paisible voisinage et d’une égalité véritable des nations, sous le régime capitaliste ». Lénine discute ici de deux grands problèmes historiques : l’un est celui des rapports entre différentes « nationalités », de différente race, langue et culture, à l’intérieur d’un même État; l’autre est celui des rapports entre les différents États nationaux. Le premier problème était d’une grande actualité pour la Russie : dans son passage du tsarisme au soviétisme il y avait en effet dans l’État moscovite une centaine de peuples d’origines les plus diverses. Lénine analyse la solution fédéraliste comme une forme transitoire vers une égalité complète de traitement, qui ne sera réalisable que dans une économie devenue communiste et mondiale, et il rappelle la création des républiques autonomes des Bashkirs et des Tatares « qui n’avaient jamais eu auparavant d’État ». Il traite ensuite, dans ce document et dans bien d’autres, de la situation de l’époque dans les rapports entre les États du monde.

Il faut renverser la position bourgeoise sur ces deux points. La démocratie capitaliste affecte de croire au « principe éternel » de l’égalité juridique entre les nationalités d’un même État. Tous les citoyens subissent exactement la même loi, même s’ils sont de race et de langue différentes ou minoritaires. Ce n’est pas autre chose qu’un mensonge ! Faut-il rappeler le traitement infligé aux Juifs parmi mille exemples historiques; et le dernier exemple, celui du racisme d’État proclamé en Allemagne, ou le… tout dernier, celui de la destruction par les Anglais de barquées de chair humaine qui avaient en vue la côte de Palestine. Il suffit de penser à la manière avec laquelle la super-démocratie des États-Unis traite les Nègres, et à la sagesse juridique selon laquelle un Blanc qui viole une Noire accomplit un acte de mauvais goût, alors que le Noir va à la chaise électrique, même s’il n’y a pas de preuves formelles, comme c’est arrivé dernièrement.

Mais ce sont les rapports entre États qui nous intéressent ici. De même que le mensonge bourgeois réduit la question sociale au principe verbal de l’égalité des citoyens, de même les « démocrates bourgeois qui s’intitulent socialistes » – et, ajouterions-nous aujourd’hui, qui s’intitulent communistes – « restreignent l’internationalisme à la reconnaissance formelle du principe d’égalité des nations », mais « conservent intact l’égoïsme national ».

Le bobard de la coexistence pacifique entre les nations et du principe de l’égalité entre elles, qu’on fait passer peu à peu pour rien de moins qu’un principe léniniste-stalinien, ne pouvait en effet que conduire à la pleine reconnaissance de l’égoïsme national « sacré », et nous le voyons bien en Italie. Et, effectivement, voilà ce qui s’est dit à Milan le jour de Saint Joseph « Quand elle réclame une politique de paix, la classe ouvrière remplit une fonction nationale et défend les intérêts de tous les Italiens à quelque classe sociale qu’ils appartiennent ». Par Saint Joseph, Lénine le connaissait ce monde de pigeons !

Selon Lénine, que devaient faire les communistes contre ces deux mensonges, celui à usage interne et celui à usage international ? C’est la thèse II qui le dit : « La dissociation précise des intérêts des classes opprimées, des travailleurs, des exploités, par rapport à la conception générale des soi-disant intérêts nationaux, qui signifient en réalité ceux des classes dominantes » (attrape ça et tire toi). – « La division toute aussi nette et précise des nations opprimées, dépendantes, protégées, et oppressives et exploiteuses… (et la mise en évidence) de l’asservissement de l’immense majorité des populations du globe à une minorité de riches pays capitalistes ».

Ces données historiques ont-elles changé aujourd’hui ? Ne peut le dire que celui qui est aveugle et dollarisé au point de nier qu’à la tête de ces pays oppresseurs se dresse le Léviathan d’Amérique ! Et, par Saint Joseph du Kremlin, comment diable peut-on l’abattre avec la colombe et avec la paix ?

Le principe bourgeois de l’égalité des nations se fonde sur l’attribution aux États d’une « personnalité » juridique. On l’a donnée aux hommes, aux citoyens de chaque État, prétendant ainsi avoir fourni une couverture et une protection uniformes à l’homme concret A, et à l’homme concret B, peu importe si, sous ce manteau royal idéal, A a le ventre vide et B s’empiffre à n’en plus pouvoir. Nous, marxistes, considérons ce rapport comme la conséquence matérielle de l’existence d’une force physique : l’État, à savoir le sbire, les menottes, la prison, de loin supérieure à celle des individus A et B, et même des groupes rebelles. Cette force prépondérante parvient à faire marcher A, B, et le reste de l’alphabet, dans les rangs de sa discipline normative. Il y a des tables, des codes, des lois, des commandements et des règlements : tu ne voleras point, tu ne tueras point, tu ne troubleras point les intérêts de la classe dominante… La découverte géniale de l’époque capitaliste est que, en maîtrisant avec les mêmes lois formelles le comportement du troupeau qui va de A jusqu’à Z, et en écrivant derrière le juge : la loi est égale pour tous, elle s’assure les meilleures conditions pour qu’une bande d’affairistes exploite le travail et la misère de la masse.

La personne « juridique » représente la fiction de base du droit bourgeois. Elle n’a ni corps physique ni appareil digestif, elle n’a pas même d’esprit ou d’âme, et elle ne pourra donc se rendre à aucun titre à la vallée de Josaphat, mais elle se meut dans le réseau légal avec les mêmes protections que si elle était une lettre humaine de l’alphabet. Non seulement l’homme ne volera pas l’homme, mais il ne volera pas non plus la Firme, la Société, l’Administration, l’Entreprise, et autres malhonnêtetés, sinon il subira les mêmes sanctions qui « protègent » la « sainteté » des personnes physiques. Et nous avons alors pris connaissance de ce qu’est la « Personne juridique » et même, chapeau bas, la Personne Morale.

La baliverne numéro deux du démocratisme bourgeois qui prétend donner également la personnalité juridique aux États, souverains à l’intérieur, armés, et eux seuls autorisés à violer leurs propres « sujets », aux États dans leurs rapports entre eux; qui prétend faire agir entre ces monstres sans viscères et sans cœur une morale universelle, un droit naturel, donner une « constitution » et une « charte » à leur « communauté » planétaire, consiste dans la découverte, après celle des « droits de l’homme », de l’autre idiotie du « droit des peuples ».

Face à la thèse de l’égalité juridique des personnes humaines, notre critique tire au clair que celle-ci n’est pas une « vérité éternelle » mais l’expression historiquement contingente d’un rapport de classe; elle a dans l’histoire une application concrète, mais seulement aux fins d’une oppression sociale.

Face à la seconde, celle de l’égalité juridique des personnes étatiques, à savoir face au « principe de l’égalité des nations », non seulement on reprend l’analyse historique qui illustre les longues vicissitudes des rapports entre État et État – l’antiquité classique, rappelle Engels entre autres dans son abrégé, laissa en héritage la théorie de l’État mondial unique qui investissait de pouvoir les communautés inférieures, et qui fut suivie, avec la naissance du capitalisme, par la nouvelle théorie sur l’État national, autonome à mille pour mille – et on démontre comment ici aussi il s’agit de « vérités passagères », qui naissent et qui meurent, mais en plus on prouve, à partir du marxisme, que ce principe d’égalité entre États ne peut pas même être pratiquement érigé en fiction à l’époque bourgeoise.

Que l’unique loi entre les classes sociales soit la force brute, l’époque capitaliste a pu le cacher, dans le droit écrit. Mais que l’unique loi entre les États soit la force des armes, non seulement c’est vrai, mais ce n’est pas même dissimulable derrière une « charte mondiale ».

Pour cette fiction, c’est bien évident, il faut une « super-constitution », un « super-État », une « super-police » terrestre. Il faut écrire que chaque État-personne concourt et recourt, au même titre, à cet appareil. Eh bien, ce qu’à l’échelle intérieure, on ne peut pas faire mais qu’on peut écrire, à l’échelle mondiale, on ne peut ni le faire ni l’écrire.

Même Rousseau, le penseur de la révolution bourgeoise qui était, comme Marx le reconnaît, un puissant dialecticien dans certaines de ses œuvres, parla plus de « contrat social » que de « droit naturel ». Avant Marx, il sentit que le phénomène qui pousse à la formation des groupes humains organisés n’est pas une norme venant de l’extérieur, comme d’une volonté divine, pas plus que d’impératifs éthiques « inhérents » à tous les vivants, mais une convergence d’intérêts qui fait qu’on « stipule » de vivre d’une certaine manière, à partir du moment où chacun ne peut plus vivre tout seul dans sa caverne. Plutôt donc que d’un « droit des États », on pourrait parler d’un « contrat des États ». De même que les premiers troglodytes stipulèrent en tenant la massue dans leur poing velu, les États actuels contractent sur le tapis vert en tenant prêtes leurs armées de terre, de mer et de l’air.

C’est contre l’idéologie des tentatives fédéralistes, la Société des Nations de la première guerre, l’Organisation des Nations Unies de la seconde, que nous avons le plus souvent dirigé le bombardement des citations de Marx, de Lénine, du Komintern. Mais pour savoir qu’une morale des États n’est pas pensable, pas plus qu’une morale de la lutte politique des partis; pour se moquer des fameuses « règles communes du jeu », il n’est même pas besoin de Marx, il suffit de Croce. Les Turinois ont carrément oublié leur Croce.

Aujourd’hui

Le brigandage social, c.-à-d. le gangstérisme de l’exploitation capitaliste, l’extorsion de l’effort de celui qui travaille, sévit sous couvert de l’égalité juridique des citoyens. Le fait que certains organismes étatiques ultra- puissants et impériaux dominent et tyrannisent ceux qui sont plus faibles n’est même pas dissimulé par les statuts de l’O.N.U. Tous les « tours d’horizon » effectués par la Troisième Internationale de 1919 à 1926 reconnaissent ce fait, qui n’a plus la seule expression coloniale, à savoir d’une souveraineté officielle et légale de l’État dominant, mais l’expression de la sujétion des puissances mineures aux majeures, des petites aux « big », tant à la mode. Ce qu’explique la thèse de Lénine est très simple : il n’y a pas seulement des « parents pauvres » parmi les citoyens solennellement « égaux », mais aussi parmi les Nations et parmi les États, rendus égaux « en principe » par la doctrine… wilsonienne-stalinienne-trumanienne.

A l’ONU, tout État possède une voix, qu’il soit grand ou petit. On ne pouvait demander moins à la « démocratie en général ». Un vote plural ? Fi donc ! Dans le suffrage universel, chaque citoyen a une voix. Mais les personnes humaines pèsent à peu près le même poids de cinquante à cent kilos. Pour ce qui concerne les États, nous en avons de 220 millions de kilomètres carrés (l’Union Soviétique) et de 1,5 (un et demi Monaco). Il y aurait bien la Cité du Vatican qui descend au-dessous de l’unité 0,49, mais son royaume n’est pas de ce monde… Quelles banalités matérialistes ! Le pauvre citoyen des caricatures américaines, l’homme de la rue anonyme, qui paye des impôts et trime, plus ou moins, vote pour lui seul et ne déplace les majorités qu’en immenses troupeaux; le délinquant professionnel Costello déplace, à lui seul, celle du Congrès d’un parti à l’autre. Le système électoral fasciste corporatif, plus sincère, donnait à chaque employeur autant de voix que le nombre de ses employés : une expression moins fausse du véritable rapport des forces. Comment procéder dans les scrutins concernant les États-électeurs ?

Grâce à un accord entre les trois maîtres de la théorie de l’égalité, ils s’en sont sortis avec le droit de veto. Sur les questions vraiment importantes, l’État « poids lourd » peut s’opposer à une majorité numérique de nombreux petits États « poids plume ». Ce serait joli si l’on appliquait ce critère juridique aux personnes humaines : l’accusé se lève et dit : Monsieur le Président, j'exerce mon droit de veto et je décline votre condamnation courtoise à vingt ans de réclusion.

Partisans du droit naturel, philosophes encyclopédistes de la sainteté, de la dignité et de la personnalité, dénichez-moi l’affaire du « veto » parmi les « vérités éternelles » ! Le Seigneur en personne regarda tranquillement Caïphe, regarda tranquillement Pilate, et il ramassa sa croix. Il ne se crut pas investi du droit de « veto »; il n’avait pas fait une aussi longue carrière qu’un Acheson ou qu’un Gromyko.

Ce « contrat » entre les nations libres est un contrat que Costello et Lucky Luciano n’auraient pas même passé entre eux.

Et alors, à quoi bon un des auteurs de la théorie, Staline, vient nous rappeler la majorité automatique du « groupe agressif des Nations Unies » : dix États du Pacte Atlantique, vingt pays latino-américains ? La Chine a été déclarée agresseur, alors qu’elle n’a pas de voix (sa voix, c’est Tchang Kaï-chek qui l’a), et parce que son vote et celui de l’Inde (850 millions d’habitants) ne pèsent pas plus que celui de la République Dominicaine (deux millions).

De Gasperi se vante d’être atlantique non pas parce que son parti reflète des intérêts économiques qui s’engraissent de manière éhontée avec la protection américaine en désadministrant la province Italie, mais parce qu’il est en accord « avec la majorité légale aux Nations Unies », bien que là-bas la Cité du Vatican ne vote pas. Palmiro, ébranlé, répond bravo, mais la majorité n’est pas dupe puisqu’elle soutient des choses contraires aux principes-mêmes de l’organisation ! Magnifique. Ces super-politiciens sont, dans leurs disputes, au-dessous du célèbre « sieur Panera » : comment puis-je le toucher s’il n’arrête pas de bouger ? Aucune majorité n’évitera que la minorité affirme qu’elle a violé les principes communs : seule l’unanimité peut l’éviter ! Voilà ce qui advient à celui qui en arrive, comme Staline, à regretter la perte d’autorité « morale » des Nations Unies. Voilà les défaites politiques qui naissent de la renonciation à sa doctrine d’autrefois. Aucun des sophistes très habiles que le Kremlin met en circulation n’a pu dire : vous ne voulez pas admettre la Chine rouge, si vous conservez le siège à la Chine nationaliste, cela signifie que la première est un État extérieur au « contrat », extérieur à l’organisation; comment donc pouvez-vous dans votre sanhédrin introduire à charge la cause dont vous l’accusez ? Mais ayant admis dès le départ le « principe » stalinien de l’égalité éternelle entre toutes les nations, ils ont perdu jusqu’à la possibilité de contester que cette pratique détruit l’hypocrite canon de non-intervention internationale dans les affaires intérieures d’un État; qu’elle détruit surtout ce qu’Engels affirmait dialectiquement même pour le Prussien Bismarck, le droit à la révolution. Qu’on dresse la potence inter-étatique !

Si telle est bien la situation, quelle en est l’issue, de droit ou de fait ? En jouant avec une patience de mollusques sur « ce qui va de soi pour le grand public », qu’arriverez-vous à déplacer ? Une majorité légale lors des élections dans deux pays atlantiques, la France et l’Italie ? Improbable; de toutes façons, cela ne déplacera pas celle qu’a déjà calculée Staline pour le s Nations Unies. Comment donc pensez-vous arriver à détruire le contrôle Costello-Truman sur tout l’appareil juridique qui administre légalement la planète, et qui ne fut pas édifié malheureusement avec des traités de philosophie et avec des bavardages, mais avec des apports réels de force, depuis les exécutions des bolcheviks en 1935 jusqu’aux montagnes de morts de Stalingrad ? En jouant sur la définition imbécile de l’agresseur ?

C’est un fait, l’impérial-gangstérisme yankee ne se prépare à attaquer personne. Mais si l’on pouvait l’attaquer, et le foutre en l’air, ce serait une bonne chose ![1]

Notes :
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  1. Notes des traducteurs :
    Acheson : secrétaire d’État étasunien, principal responsable de la diplomatie des USA de 1949 à 1953.
    Té, zuca ccà ! : expression napolitaine que l’on pourrait traduire par « Tiens, suce ceci ».
    Le célèbre « sieur Panera » est un personnage du théâtre milanais de la fin du 19ème siècle.
    Le passage sur la question nationale et coloniale se trouve à la page 57 de « Manifestes, thèses et résolutions… »[⤒]


Source : « Battaglia Comunista » Nr. 7, 1951. Traduit dans Invariance, Septembre 1994. Traduction incertaine, se repporter à l’original.

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