BIGC - Bibliothèque Internationale de la Gauche Communiste
[home] [content] [end] [search] [print]


LE XXIe CONGRÈS DU PARTI « COMMUNISTE » RUSSE


Content :

Le XXIe congrès du parti « communiste » russe
Source


Éditorial de « Programme Communiste » № 7

Le XXIe congrès du parti « communiste » russe

Le faible courant marxiste et internationaliste d’aujourd’hui n’a pu survivre à une débâcle sans précédent du mouvement politique du prolétariat que par une lutte acharnée contre le révisionnisme auquel Staline a attache pour toujours son nom. Et cette lutte, il l’a conduite dans des conditions rendues tragiques par le fanatisme contre-révolutionnaire sans exemple que la nouvelle révision avait développé dans les masses qui reconnaissaient celui-ci pour chef.

Parmi les camarades qui étaient déjà – et encore sur la brèche en 1928, l’année du VIe Congrès de l’Internationale Communiste et de la grande catastrophe (la victoire de la théorie du « socialisme dans un seul pays », avec toutes ses conséquences politiques dissolvantes), combien sont morts avant d’avoir seulement put entrevoir la fin de la sinistre influence du « communisme russe » d’après Lénine sur le mouvement prolétarien international ? A ceux qui ont survécu, aux militants des générations, nouvelles qu’ils ont formés. l’Histoire devait par contre réserver, vingt-huit ans plus tard, la joie indicible de voir s’ouvrir la phase ultime du cycle de dégénérescence de ce « communisme ».

Au XXe Congrès du Parti Communiste russe (de Congrès internationaux, il ne reste même plus le souvenir !) on s’aperçut, grâce au stupéfiant reniement de Staline, qu’une nouvelle génération politique régnait désormais à Moscou, (ou que la direction du Parti s’adressait à une nouvelle génération), qui ne se sentait plus reliée à Octobre par aucun lien, fût-il celui de la contre-révolution; d’une génération qui, au lieu d’abdiquer devant la bourgeoisie mondiale comme l’avait fait celle de Staline, se plaçait d’emblée sur le même terrain, pour la bonne raison qu’elle n’avait jamais eu l’occasion historique de la trouver contre soi en tant que classe; bref, d’une génération devenue politiquement mûre après la liquidation de la révolution prolétarienne en Russie, c’est-à-dire dans la période d’édification capitaliste : « le terrible Staline, plaida Khrouchtchev, empêchait l’affranchissement viril de ses disciples à l’âge convenable ! »

Etant donné les conditions toutes prosaïques et, pour tout dire, bourgeoises de sa formation, cette nouvelle levée ne pouvait pas faire son entrée sur la scène politique sans de gigantesques balourdises; ou alors, il lui aurait fallu renoncer à théoriser son propre petit entendement des choses, et continuer à répéter docilement les leçons de ses aînés, appelés aujourd’hui le « groupe anti-parti ». Mais cela même était bien au-dessus de ses forces !

En retard de la tradition stalinienne elle-même (amalgame combien balourd pourtant !), comment qualifier autrement les innovations des disciples tardivement émancipés de Staline ? Les purs staliniens en curent le souffle coupé, et le diable sait pourtant par quoi ils étaient déjà passé ! Quant aux révolutionnaires, quelle ne fut pas leur jubilation aux exploits de ces vieux enfants terribles qui, tout en s’accrochant à la définition de la société russe comme communiste, proclamaient tout de go ne pas comprendre pourquoi Staline avait été si cruel; pourquoi il parlait d’aggravation de la « lutte des classes en socialisme » (tiens, ils n’avaient connu le prolétariat russe qu’écrasé, eux !); pourquoi les guerres impérialistes seraient inévitables; pourquoi le socialisme ne pourrait pas coexister en bon voisin avec le capitalisme; pourquoi il ne pourrait pas l’emporter à la suite d’un choix pacifique (l’idée de l’emporter sur quelque chose dans le domaine social n’étant pas d’eux, qui réduisent tout à des « différences d’opinion »); pourquoi la voie russe de 1917 devrait s’imposer à tous les pays, et pourquoi la voie parlementaire ne vaudrait pas elle aussi; pourquoi la révolution ne pourrait pas être pacifique – et la paix de classe révolutionnaire ? Bref, une kyrielle de questions telles que le marxiste le moins frivole sent l’irrésistible envie de crier : « tais-toi, gros âne ! » à celui qui les pose et qui est en effet plus âne que Staline de toute la longueur qui sépare le parvenu de la contre-révolution du contre-révolutionnaire en armes !

Les rares militants de la IIIe Internationale restés fidèles au marxisme et à la cause prolétarienne se sont souvent plaints qu’en trente ans la contre-révolution ait eu tout loisir de beaucoup rassoter leurs cadets, c’est-à-dire nous. Le XXe Congrès est venu prouver qu’elle avait rassoté bien davantage encore les contre-révolutionnaires eux-mêmes ! De leur cause ou de la nôtre, laquelle y trouvera finalement son compte, c’est bien clair !

La balourdise krouchtchevienne même en matière de contre-révolution donnait donc les meilleurs espoirs pour le XXIe Congrès, et ces espoirs n’ont pas été déçus. Mais on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’Histoire nous apportât tous les trois ans des satisfactions nouvelles aussi colossales que celles de 1956 : n’avait-il pas fallu trente ans d’embourgeoisement de la révolution, puis de la contre-révolution elle-même pour nous les préparer ? Ce Congrès « extraordinaire » n’eut donc rien que de très ordinaire politiquement, venant de la première génération sous-stalinienne. Le langage reste le même, et il continue à présenter les mêmes avantages par rapport à celui de l’ère précédente : il fait davantage plaisir aux bourgeois, et par conséquent dégoûte considérablement plus les ouvriers tentés de se rebeller contre le capitalisme.

Tout représentant d’une révolution capitaliste qu’il était, le « Moustachu » pouvait encore faire figure de chef pour des millions de travailleurs; et, dans un certain sens, grâce à ce fait, Khrouchtchev, ce n’est plus qu’un homme d’État qui, à la façon moderne, bavarde inconsidérément de socialisme. Voyez le XXIe Congrès !

• • •

Fini, le temps des discussions « théoriques » qui, au XIXe Congrès avaient révélé si crûment et le reniement complet de l’économie marxiste par le stalinisme et la « survivance » de la capitaliste loi de la valeur dans le prétendu « socialisme » russe. Cette fois, c’est le pur empirisme qui triomphe. Il est plus révélateur encore tant par le mépris qu’il témoigne à l’égard de l’aspect doctrinal que par le tableau qu’il brosse de la réalité « soviétique » de 1959.

L’État de l’Union soviétique est défini par Khrouchtchev comme un « puissant État socialiste industriel et kolkhozien ». Cela coïncide fort bien avec notre définition marxiste de l’économie sociale russe : industrialisme d’État – agriculture coopérative. Quant à la dynamique de cette économie, tout le bilan tracé par le Grand Secrétaire des dernières réalisations; tous les plans d’avenir qu’il expose confirment de même notre thèse : exaltation de la production industrielle et étiolement de la production agricole; et, à l’intérieur de la première, exaltation de la production du secteur I de Marx (moyens de production) aux dépens du secteur II (objets de consommation). Or cela, c’est la dynamique même du capitalisme. Quand Khrouchtchev s’est laissé aller jusqu’à s’écrier : « Vous voyez, dès que nous avons commencé à parler de l’industrie lourde, le soleil s’est mis à briller avec éclat ! Que les journalistes étrangers en témoignent ! », il a imprudemment témoigné lui-même du fait qu’en U.R.S.S., l’impétueuse avance du Capital est capable de s’annexer jusqu’au lyrisme !

Mais restons-en aux chiffres prosaïques. En 1958, les « capitaux investis » (le terme lui est venu tout naturellement !) « dans l’industrie ont représenté une somme supérieure à celle de toutes les années des premier et deuxième plans quinquennaux (1928–1937) ». Cela n’infirme pas la thèse marxiste (le taux d’augmentation annuelle diminue) puisque les valeurs absolues qui correspondent à ces taux décroissants sont croissantes, elles, partout et toujours. Et cela prouve une chose : le but de l’État « socialiste industriel », du faux Parti communiste, c’est bien l’accumulation du capital.

Comment cela s’exprime-t-il pour l’avenir ? « On envisage d’augmenter d’ici 1965 d’environ 80 % le volume global de la production industrielle par rapport à 1958. » Preuve de la prééminence capitaliste du secteur I sur le secteur II : l’augmentation sera respectivement de 85 à 88 % pour les moyens de production, mais de 62 à 65 % seulement pour les biens de consommation. Qu’ou nous épargne le détail des chiffres pour les différentes industries du secteur I : nous ne sommes pas de ceux qui repèrent le socialisme à sa forte odeur de pétrole; ou le mesurent en mètres cubes de hauts fourneaux, ou le pèsent en tonnes d’acier ! Mais qu’on nous permette d’ajouter que la dépression de la production d’objets de consommation relativement à l’industrie lourde verra ses effets sociaux aggravés par une répartition dont Khrouchtchev n’a pas cherché à cacher le caractère de classe : « salaire stabilisé », dont salariat ! Et il n’a pas été question de renverser le rapport qui s’exprime clairement dans cet aveu : « en 1958, par rapport à 1940, les revenus réels des ouvriers et des employés ont presque doublé, tandis que les revenus réels par travailleur dans la paysannerie ont augmenté de plus de deux fois ». La raison en est claire : c’est le fondement matériel de l’alliance entre État industrialiste et paysannerie coopérative contre le prolétariat !

Lorsque nous disons que la répartition aggrave le traitement du prolétariat qui dérive du mode de production lui-même, nous ne nous arrêtons pas seulement au rapport entre secteur I et secteur II de la production industrielle qui trahit nettement en U.R.S.S. l’existence du capitalisme. La vision marxiste s’élargit jusqu’au rapport entre industrie et agriculture. Or, pour l’agriculture, les chiffres de Khrouchtchev se font soudain beaucoup plus rares ! « Dans le passé… état grave de l’agriculture, à cette époque… dizaines de millions d’hectares de nouvelles terres défrichées à l’appel du Comité Central » : le ton devient nettement embarrassé. Tout ce que le discours nous apprend de précis est que, désormais, on préférera l’intensification de la production dans les terres déjà exploitées à l’extension de la colonisation intérieure : en dépit des fanfaronnades cela sonne comme un aveu d’échec ! Les raisons de cet échec résultent clairement de toute l’attitude de l’État soviétique à l’égard de la question agraire, telle que Khrouchtchev nous la décrit ! En cinq ans, avoue-t-il, les capitaux investis par l’État dans l’agriculture ont atteint près de 100 milliards de roubles. Le chiffre était destiné à impressionner. mais raisonnons ! Cela fait 20 milliards par an; contre combien à l’industrie ? eh bien si l’on prend le chiffre global des investissements que Khrouchtchev cite pour 1958 : 235 milliards, on voit que la sollicitude de l’État « socialiste-industriel » pour l’agriculture (c’est-à-dire pour le pain et le bifteck du prolétaire, sinon pour les agriculteurs) n’atteignait même pas les 10 % de sa passion industrialiste ! Indice chiffré d’anti-socialisme, après lequel les envolées lyriques sur la planète artificielle que « porte dans les espaces infinis de l’univers une flamme aux armoiries de l’Union soviétiques » laissent froid : ô Chevalier de la Triste Figure !

Le même déséquilibre se retrouve sur la « carte économique des régions orientales » que Khrouchtchev a dessinée devant ses auditeurs, anticipant sur des transformations qu’il reste au plan septennal à réaliser. Au-delà des Monts Oural, dans la région la plus froide, la plus désolée, la plus inhumaine, ce curieux « socialisme » a l’intention d’implanter toute mine armée industrielle, si l’on juge par les pourcentages considérables de la production globale qu’elle devrait fournir en 1965 : la moitié du charbon; les 48 % de l’acier; les 88 % de l’aluminium, etc., etc. L’objection est grave. Serait-ce pour la prévenir que le secrétairissime s’est mis à bavarder « d’automatisation complète de toutes les branches de l’économie nationale »… pour l’avenir ? Ou bien le « citoyen » qu’on nous dit prendre tant à cœur l’« édification du communisme » dans la Russie d’Europe se met-il à douter quand on l’envoie dans la vallée de l’Ienisseï ?

Quoi qu’il en soit, Khrouchtchev passe rapidement sur la « création d’une base céréalière à l’Est » : la solution à laquelle on se tiendra, répétons-le, est en effet « d’étendre la capacité de production des terres cultivées de l’Ouest ». Ils vont se nourrir de boîtes de conserves, à l’américaine, les pionniers de la future Grande Industrie Socialiste de Sibérie (pour laquelle le soleil ne luira guère…) ?

La politique marxiste dans la question agraire se résume tout entière dans la formule : suppression de l’opposition entre la ville et la campagne, au sens économique, social et partant culturel.

Celle de l’État industriel non-socialiste, elle, se résume dans le vœu absurde de Khrouchtchev : « Il faut accroître considérablement la production globale tout en diminuant considérablement les dépenses de main-d’œuvre et de capitaux ». Éternelles « quadratures du cercle » des chefs de gouvernement qui s’adressent par-dessus leur parti… au corps électoral !

L’État industrialiste suit la logique économique du capitalisme en laissant l’agriculture trottiner tandis que l’industrie galope. Mais – seconde de nos thèses – c’est parce qu’il en suit aussi la logique politique en abandonnant les campagnes à… l’« initiative privée ». Quand Lénine disait que si la révolution prolétarienne de Russie ne s’étendrait pas à l’Europe, elle serait étranglée par la pieuvre petite-bourgeoise des campagnes, il prévoyait… l’ère krouchtchevienne ! Au XXIe Congrès, la démission de l’État industrialiste face à la pieuvre petite-bourgeoise kolkhozienne.

Sa tâche à l’égard des kolkhozes ? Les aider à… « dresser des plans ». Quelle « intervention despotique dans le corps de la vieille économie » ! (« Manifeste communiste »). On a avoué que le « principe de l’intéressement matériel de tous les travailleurs des campagnes à l’accroissement de la productivité avait été rétabli ». En termes marxistes, cela signifie remise complète du profit d’entreprise au kolkhoze, c’est-à-dire libération du capitalisme à la campagne. Il parait que le Parti a fourni « un grand travail politique et d’organisation » pour ce brillant résultat. Nous qui croyions, avec Lénine, que tout le « Grand travail » (la lutte !) serait au contraire d’amener les paysans à travailler suivant un plan et un règlement communs avec les ouvriers au sein d’une économie où le profit aurait cessé d’être le but : ânes que nous étions !

Enfin, pour couronner le tout : « On envisage de traiter une partie importante des matières premières agricoles en dehors des entreprises de l’État. Pour cela, il faudrait que les kolkhozes, les sovkhozes et les coopératives de consommation développent la construction d’entreprises pour… » (suit toute une énumération de menues industries alimentaires, de la boulangerie et la charcuterie à l’industrie des conserves de légumes et de fruits). Ainsi, non content de remettre en propriété aux kolkhozes les machines agricoles des S.M.T., l’État industrialiste les incite à étendre leur initiative privée à l’industrie alimentaire ! Et il s’abandonne à des rêves à la Perrette pour le compte du kolkhozien : « La production marchande et les revenus des kolkhozes augmentant, il faut s’orienter plus résolument vers la mise en commun des moyens financiers de plusieurs kolkhozes pour bâtir des usines de conserves etc., etc., plus grandes et mieux équipées ». Pour quand la United Fruit Comp. kolkhozienne russe ? Et comment les théoriciens de « l’économie bureaucratique intégrée » ont-ils pris la nouvelle ?

« Dans notre pays – a avoué imprudemment Khrouchtchev – les accumulations intérieures (c’est-à-dire par entreprises – N.D.R.) sont la source des accumulations pour la reproduction élargie » (c’est-à-dire du financement d’État du plan).

Dans son pays ! M. MacMillan qui l’a si chaudement félicité d’avoir « des lumières de tout » ne s’est pas avisé de ce trait « d’ignorance » dans tout capitalisme le profit d’entreprise est le principe des principes, sur lequel repose le despotisme de fabrique. Ce que beaucoup de gens ignorent, par contre, c’est que le principe n’avait rien perdu de sa rigueur sous l’État « socialiste industriel ». En voulant insinuer que « son pays » avait un régime spécial, M. Khrouchtchev les aura au contraire détrompés !

« Aujourd’hui, au moment où chaque pour cent de réduction des frais de production s’exprime par un chiffre colossal, qui dépasse actuellement 12 milliards de roubles » (plus que l’investissement annuel dans l’agriculture ! Et puisqu’on ne prévoit pas de l’augmenter, personne ne pourra prétendre que ces économies visent.., l’amélioration de l’élément-base du standard de vie ouvrier : l’alimentation !) « et qui équivaudra à 21 milliards de roubles par an à la fin du septennat, la lutte pour la réduction des prix de revient, pour l’application d’un régime d’économies, acquiert une importance particulièrement grande ». Les armes de cette lutte ? L’augmentation de la responsabilité des dirigeants ! Le renforcement de l’autonomie financière des entreprises industrielles ! Tout y est : non seulement le principe capitaliste, mais jusqu’aux formes classiques du capitalisme !

• • •

Tout cela n’a pas empêché le désinvolte Nikita de proclamer l’ouverture d’une « phase historique nouvelle » en U.R.S.S. : celle de l’édification intense de la société communiste. Pauvre Staline ! A côté des héros de la nouvelle génération, il n’aurait donc été qu’un édificateur mou et lent du communisme ? Beau communisme qui a encore, de l’aveu même des congressistes, à se poser des problèmes tels que la lutte contre la faim, contre le taudis, contre l’alcoolisme, contre la dépravation de la jeunesse et l’assujettissement de la femme au déprimant artisanat familial ! Beau communisme qui ne promet aux ouvriers le raccourcissement de la journée de travail que pour exiger avec plus de force l’intensification de la production horaire. Inutile de s’y arrêter : ce ne sont là que les effets sociaux inévitables de la dynamique capitaliste à laquelle, nous l’avons vu, l’économie et la société russes obéissent tout comme le reste du monde civilisé. Si donc le communisme dort encore dans les entrailles de l’avenir, il faut reconnaître à la distinction que Khrouchtchev établit implicitement entre l’ère stalinienne et la sienne une certaine justification historique : aujourd’hui que chaque pourcentage d’augmentation de la production correspond à des valeurs croissantes, la marche du Capital se fait toujours plus impétueuse. Celle-ci s’est partout et toujours accompagnée d’une augmentation du « bien-être du peuple », dans le strict sens d’une consommation historiquement croissante de marchandises; « le pays » de M. Khrouchtchev ne fait pas en ceci exception, et il n’y a pas à déranger le Communisme pour expliquer ni ce fait, ni celui que ce « bien-être » est posé comme le but par le parti gouvernemental russe; que prétendent d’autre les apologistes de « l’american way of life » ? et les économistes yankee du Welfare ? Et le fait que les Russes prennent la très capitaliste Amérique pour modèle de toutes leurs réalisations à venir ne prouve-t-il pas déjà, à lui seul, que l’idéal est le même ?

Cette marche impétueuse du Capital dans l’U.R.S.S. d’après-guerre a commencé par balayer tout ce qui restait de réminiscences marxistes dans les formulations du Parti : or sans elles, quelle apparence de justification reste-t-il à sa prétention de gérer une économie socialiste et, pis, à guider le mouvement prolétarien mondial ? Suffit-il de s’accrocher à la dernière : l’existence du socialisme en Russie, pour masquer l’œuvre destructrice de l’Histoire elle-même à l’égard de toutes les autres ?

La politique définie au XXIe Congrès, qui réaffirme avec plus de netteté encore les principes posés il y a trois ans au scandaleux XXe Congrès, se résume toute en un mot : DEMISSION !

Démission devant le principal bastion de la conservation bourgeoise : les U.S.A. : « Si vous y tenez, nous vous reconnaîtrons comme les vainqueurs de la guerre froide, muais mettez-y fin ! » Aveu fatal, mais prière combien vaine !

Démission devant la seconde grande force du camp de l’opportunisme ouvrier : la social-démocratie, dont la majorité a été proclamée « saine » et avec laquelle les Partis communistes furent invités à instaurer une table ronde permanente !

Démission, oui ! Mais puisque le progrès capitaliste n’est pas harmonieuse augmentation du « bien-être du peuple », mais exaspération des contradictions de classe, des antagonismes entre les États, elle ne peut pas signifier abandon de la cause de l’« État industriel et kolkhozien » face à celle des États rivaux, et encore moins face au prolétariat révolutionnaire ! Cette cause, en dépit du pacifisme affiché, la génération post-stalinienne la défend en construisant des fusées et des bombes qu’elle déroberait plus facilement aux regards des espions étrangers qu’à ceux de la critique marxiste ! Contre le prolétariat, elle la défendra, le moment venu, par tous les moyens de répression d’un État moderne déjà appliqués à la révolte hongroise !

La démission concerne exclusivement le rôle de force particulière de l’opportunisme contre-révolutionnaire que le stalinisme a joué pendant trente ans avec tant d’efficacité. C’est « l’édification intense » du capitalisme en Russie qui l’a arrachée à nos ennemis, aux ennemis du prolétariat. Qu’ils fondent sur ses chiffres de production leur bilan de victoire ! C’est sur cette démission que nous, marxistes, nous fondons le nôtre ! Cela fait plus de trente ans que nous l’attendions avec confiance. Elle est venue, sonnant l’heure de la reconstitution du Parti mondial du véritable Communisme !

Ce n’est que là où le travail salarié forme la base de la production marchande que celle-ci non seulement s’impose à la société, mais fait, pour la première fois, jouer tous ses ressorts. Prétendre que l’intervention du travail salarié la fausse revient à dire que, pour rester pure, la production marchande doit s’abstenir de se développer. A mesure qu’elle se métamorphose en production capitaliste, ses lois de propriété se changent nécessairement en lois de l’appropriation capitalistes. Quelle illusion donc que celle de certaines écoles socialistes qui s’imaginent pouvoir briser le régime du capital en lui appliquant les lois éternelles de la production marchande.

(K. Marx, « Le Capital ». Livre I. Tome III. Page 27. Éditions Sociales.)


Source : « Programme communiste », No 7, Avril-Juni 1959

Le titre original de ce texte est que : « Éditorial ».

[top] [home] [mail] [search]