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PETITE CHRONIQUE DE LA GRANDEUR FRANÇAISE


Content :

Petite chronique de la grandeur française
« Le Salut »
Notes
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Petite chronique de la grandeur française

« Le Salut »

La base de la propagande stalinienne réside dans l’essai d’identifier l’intérêt du prolétariat à l’intérêt national. Ce qui correspond, pratiquement, à faire passer au premier plan la lutte pour la grandeur française, et à laisser dans l’ombre l’amélioration des conditions de vie des travailleurs puisque la révolution est un terme qui n’est même plus employé dans la rhétorique stalinienne. Sur ce terrain, on le sait, ils ont rencontré un concurrent sérieux : De Gaulle. Dans un précédent article[1] nous avons vu comment les Staliniens voyaient la grandeur et comment ils avaient combattu pour elle, et nous mettions en évidence que le parti de la vraie grandeur c’était en réalité le leur. Ceci, De Gaulle, leur soi-disant vieil ennemi, le confirme dans le troisième tome de ses mémoires intitulé « Le Salut » :
« Assurément jour après jour, les communistes prodigueront les surenchères et les invectives. Cependant ils n’essaieront aucun mouvement insurrectionnel. Bien mieux, tant que je gouvernerai, il n’y aura pas une seule grève. Il est vrai que le parti ne ménagera rien pour diriger la conjoncture politique, syndicale et électorale, et dominer les autres formations en exploitant leur secret désir d’amener De Gaulle au départ et le complexe d’infériorité que leur inspire leur propre inconsistance. Mais dès lors qu’au lieu de la révolution des communistes prennent pour but la prépondérance dans un régime parlementaire la société court moins de risques. »

C’est ici que l’histoire réelle prend le dessus sur l’histoire mythologique. Selon cette dernière il y a une France éternelle dont la grandeur passée doit se prolonger de nos jours; le personnage qui doit assurer sa pérennité c’est Charles De Gaulle qui se transforme ainsi en être mythologique. Mais notre historien, qui est en même temps la Créature choisie par le destin, est obligé de venir parfois sur le terrain de la réalité pour donner vie à son mythe pour expliquer sa propre force, il doit dévoiler quels furent, en fait. les véritables artisans du salut de la France : les Staliniens. En effet, cette restauration ne pouvait être que celle du pouvoir et de la prospérité du capital. Elle n’était donc possible qu’à la condition que toute force révolutionnaire fut dissoute ou décomposée et qu’il n’existât pas de parti prolétarien dont le rôle est précisément la destruction de l’État bourgeois. Corrélativement il était nécessaire que le prolétariat fut totalement désarmé et contraint d’accepter les sacrifices qu’exigeait la remise en marche de la machine économique. Les staliniens se chargèrent de cette double tâche comportant l’extinction de leurs derniers principes de lutte sociale et la propagande « reconstructive » auprès des ouvriers, c’est-à-dire leur propre exhortation à la productivité accrue. Il est clair que De Gaulle avait bien vu tout cela :
« Quant à Thorez, tout en s’efforçant d’avancer les affaires du communisme, il va rendre en plusieurs occasions service à l’intérêt public. Dès le lendemain de son retour en France il aide à mettre fin aux dernières séquelles des ‹ milices patriotiques › que certains parmi les siens s’obstinent à maintenir dans une nouvelle clandestinité. Dans la mesure où le lui permet la sombre et dure rigidité de son parti il s’oppose aux tentatives d’empiétement des comités de libération et aux actes de violence auxquels cherchent à se livrer des équipes surexcitées. A ceux – nombreux – des ouvriers, en particulier des mineurs, qui écoutent ses harangues, il ne cesse de donner pour consigne de travailler et de produire coûte que coûte. »

Le prolétariat désarmé et acceptant l’effort de production le salut de la France était assuré : sa majesté Capital le reconnaît et l’en remercie. Il remercie le parti communiste français d’être allé au-delà de la trahison des socialistes de 1914 qui pensaient que la lutte de classe devait s’arrêter durant la guerre mais qu’elle devait reprendre une fois celle-ci finie. Avec les staliniens elle devait disparaître complètement.

Etait-ce simplement par tactique politique, se demande De Gaulle. La question le préoccupe peu. Ce qui l’intéresse c’est « que la France soit servie ». Nous non plus cela ne nous intéresse pas et nous n’avons jamais cru au soi-disant machiavélisme des staliniens qui auraient eu deux tactiques, une apparente et une cachée : nous avons toujours reconnu le machiavélisme de leur trahison, leur caractère de renégats falsifiant toutes les thèses marxistes pour justifier leurs pires pirouettes; nous n’avons jamais cru à leurs déguisements révolutionnaires mais nous avons toujours senti sous leurs plus beaux atours les réformistes et les traîtres. Que nous importe leurs subtilités dialectiques, leurs connaissances des données de la réalité mouvante, ce qui nous intéresse c’est qu’ils ont totalement abandonné la lutte pour l’émancipation du prolétariat et donc de la société humaine et qu’ils sont devenus les valets de « Sa Grandeur ».

Général nous voilà...

La période dont il s’est agi précédemment était celle du déguisement. Elle correspondait à la guerre froide. Notre époque de détente généralisée a d’autres impératifs. Les staliniens accomplissent un strip-tease politique de haute tenue, et, ils le font en disant à tous les badauds démocratiques : nous ne sommes pas ceux que vous croyez, nous ne sommes pas contre la nation mais nous sommes les seuls patriotes; nous ne luttons pas pour la révolution, mais pour l’amélioration du régime actuel; nous ne voulons pas imposer la dictature de notre parti mais une collaboration avec tous les partis; nous ne luttons pas pour le communisme mondial mais pour un socialisme français.

Comme la plus belle fille du monde, le plus grand parti de France ne peut donner que ce qu’il a. Il a tout rejeté; il s’est tellement réduit à peu de chose qu’il ne peut plus donner que sa caution démocratique : son adoration devant la férule du grand capital. Le parti n’a plus aucun désir puisque son plus cher désir va être réalisé : celui de la grandeur française. Dans ce cas, il n’est plus nécessaire d’aller à l’encontre du pouvoir :
« Sans doute, maintenant, il existe un pouvoir légitime, puisque nous avons dit nous-mêmes que nous tiendrons compte de la constitution » (Thorez. « Discours au comité central de Montreuil ». « Humanité » du 6–2–1960).
De ce fait, il n’est plus nécessaire de revendiquer la formation d’une assemblée constituante pour réorganiser la forme de gouvernement mais il faut une nouvelle assemblée nationale :
« Seule l’élection d’une nouvelle assemblée nationale, à la proportionnelle, et représentant vraiment les différents courants politiques existant dans le pays, pourra fournir un appui populaire pour l’application d’une politique de paix en Algérie. » (Waldeck Rochet. « Rapport au comité central ». « Humanité » du 3–2–60).

Les staliniens accordent donc leur appui à la politique gaulliste; ils lui apportent la caution de gauche sans laquelle aucun programme fasciste n’est réalisable. Bien entendu cela se fait au nom de la démocratie :
« L’union de toutes les forces démocratiques c’est une idée qui nous est familière » (Thorez, ouvrage cité).
Il faut même aller solliciter les bourgeois :
« D’ailleurs : qu’on y réfléchisse : où seraient les possibilités de large rassemblement autour de notre programme de rénovation et de restauration de la démocratie, si nous n’avions pas la certitude d’amener aux côtés de la classe ouvrière les classes moyennes, essentiellement la paysannerie, mais aussi certaines couches de la bourgeoisie ? Quand nous mettons l’accent maintenant sur les nationalisations, quand nous montrons aux artisans et aux petits industriels que nous voulons les défendre contre les empiétements des monopoles, cela signifie bien que nous envisageons une base de rapprochement avec une couche de la bourgeoisie; et si nous le faisons, c’est parce que nous savons que, dans cette couche de la bourgeoisie, il y a une autre façon de se représenter la conduite du pays, il y a encore des conceptions démocratiques. » (Thorez, ouvrage cité.)

Nos communistes entrent en compétition avec le mouvement de De Gaulle pour avoir la direction des classes moyennes. Mais cette perspective n’a rien de commun avec celle que proposèrent leurs prédécesseurs de l’Internationale communiste et qui fut d’ailleurs une énorme faute politique : utiliser le mouvement de mécontentement de ces classes contre le grand capital pour essayer d’abattre le pouvoir bourgeois. Non, aujourd’hui, on veut défendre ces classes contre la dictature du capital. Autrement dit, les staliniens veulent faire tourner à 1’envers la roue de l’histoire. Mais que propose-t-on a ces couches intermédiaires sinon, encore et toujours, de la grandeur française ? Or, sur ce terrain, elles seront toujours battues puisque cette politique passe actuellement par une concentration de l’économie et une prolétarisation des masses paysannes : le grand capital ne badine pas lorsque ses intérêts sont en jeu : « Messieurs, dans les questions d’argent plus de plaisanterie ».

Cette tentative d’élargir, à tout prix, le front, vient du fait que la politique des staliniens rencontre de moins en moins d’écho chez les ouvriers. On l’a bien vu à l’époque du 13 mai où les travailleurs refusèrent de défendre le parlement et la démocratie. Lors des événements d’Alger les staliniens arrivèrent tout juste à mettre sur pied, avec l’aide d’autres organisations, une grève d’une heure qu’ils veulent présenter comme une action extraordinaire :
« La grande grève du 1e février est encore présente dans toutes les mémoires » (« Humanité » du 12–2–1960).

Ne pouvant pas mobiliser les ouvriers ils essayent de trouver un public qui soit plus réceptif, d’où la recherche effrénée des dialogues avec toutes les autres organisations, d’où le désir de s’unir de plus en plus à toute la masse démocratique.

Mais cela n’est pas suffisant. Il faut une idéologie à cette masse, c’est pourquoi il faut faire revivre l’esprit de la résistance, l’esprit de l’union sacrée :
« Ceux qui se sont dits ‹ gaullistes › pas seulement hier, et avant-hier, mais pendant la guerre, dans la clandestinité et dans la Résistance, ont partagé de dures épreuves avec les nôtres. Ils se sont battus, ils ont souffert avec les communistes dans la bataille contre les hitlériens et leurs complices, ils ont vu, comme les communistes, tomber les meilleurs des leurs.
Comment ne leur dirions-nous pas : Vous vouliez alors, comme nous, faire surgir au lendemain de la Libération une France forte, une France vraiment indépendante. Vous avez adhéré comme nous au programme du Conseil National de la Résistance qui contenait toute une série de mesures de caractère progressif, tant sur le plan social que sur le plan purement politique. Après la libération nous avons un certain temps continué à travailler ensemble pour le bien de notre pays. »

« Puis la division est venus; nous pourrions en évoquer les causes » (quels regrets, quelle nostalgie ! quand nous étions au pouvoir tout allait bien, et maintenant… N.d.R) « Mais ce qu’il nous faut surtout constater c’est que cette division n’a servi que les ennemis de la France et de la République. » (il y a gaullistes et gaullistes et les vrais… c’est nous. N.d.R.) « Elle a favorise la réapparition des munichois et des vichyssistes. Elle a permis la renaissance de l’activité des groupements fascistes. »
« Le résultat le plus récent de cette division, ce fut l’émeute fasciste d’Algérie, avec tout le mal fait à notre pays. »
Voilà où a conduit la politique qui consistait à rejeter les communistes en dehors de la nation. Si ces derniers ne sont pas écoutés, il ne restera plus à Thorez qu’à trouver un Colombey-les-deux-Eglises
« Maintenant, nous nous sommes retrouvés dans la bataille contre les émeutiers. Il faut continuer à se serrer les coudes, à travailler ensemble. Il faut faire la paix en Algérie, puisque vous savez que cette guerre bouche l’avenir de notre pays. Il faut, dans l’esprit du programme de la Résistance, restaurer et rénover la démocratie. Il faut donner à la France le gouvernement fort (c’est nous qui soulignons N.d.R.) qu’elle n’a pas et qu’elle n’aura pas tant que subsisteront les conditions actuelles. »

Belle conclusion qui se termine par une apologie de l’État; n’est-ce pas là du fascisme ? Mais les staliniens sèment pour d’autres. Il en fut d’ailleurs toujours ainsi, et, nous pouvons leur crier, en paraphrasant Marx : « Vous avez semé la réaction au profit de la démocratie, vous la récolterez au profit du fascisme et du pouvoir fort ». Leur attitude devant la farce d’Alger en est le dernier exemple. Ils ont soutenu le gouvernement pour qu’il les délivre des factieux; le pouvoir fort a sauvé la démocratie : il faut donc soutenir celui qui les a sauvés. Mais ils ne voudraient plus semer pour d’autres; ils voudraient faire partie intégrante du pouvoir fort. D’où cette perspective :
« il faut songer à recruter de nouveaux combattants au parti, à faire des milliers d’adhésions. » (Waldeck Rochet. Ouvrage cité.)

« Jamais les conditions n’ont été aussi favorables qu’aujourd’hui… » c’est-à-dire, jamais le parti n’était allé aussi bas dans le reniement.

« Il faut ouvrir largement les portes du Parti aux travailleurs et aux antifascistes qui, dans la dernière période, ont lutté à ses côtés » (Waldeck Rochet.)

Pour que tout le monde puisse venir il faut que le parti soit le plus accueillant possible. Il faudra donc minimaliser le programme afin de le rendre acceptable par tous; il faut simplifier la théorie afin qu’elle soit compréhensible à tout un chacun, rapprocher le but à atteindre afin que tous puissent l’envisager. Ainsi ce culte de la masse culmine dans celui de la grandeur de la nation. La grandeur de celle-ci ne peut résider qu’en la bassesse et la stupidité de celle-là, parce qu’opprimée, exploitée et réduite à croire au monde mythique et contradictoire qu’on lui propose. Ce culte de la masse aboutit à celui des divinités bourgeoises : Liberté, Egalité, Thorez, qui ont perdu toute réalité pour la bourgeoisie; les staliniens s’étant faits les champions d’une cause perdue. Ils sont de plus en plus rejetés en dehors du mouvement historique, c’est pourquoi ils ressassent de plus en plus les pensées les plus dépassées. N’étant plus capables d’avoir une vision (même réformiste), n’ayant plus aucun lien avec le passé du prolétariat dont ils ont profané la tradition historique et dont ils déforment à longueur de journée la théorie, ils doivent quitter les habits révolutionnaires dont ils s’étaient parés pour faire croire à leur réalité. Ils ne pensent plus qu’à une seule chose : se fondre dans la masse démocratique. Nous faisons partie nous aussi, disent-ils, du stupide troupeau démocratique et, en démocrates que nous respectons, nous adorons la force, le pouvoir qui nous frappe; nous ne voulons pas être privés de notre culte, nous voulons au milieu de tous nos amis naturels, bourgeois et petits bourgeois, pouvoir crier nous aussi : Général nous voilà…

Notes :
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  1. « La grandeur et son parti ». « Programme communiste », № 9, octobre 1959. [⤒]


Source : « Programme Communiste », № 11, avril-juin 1960

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