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LA GAUCHE COMMUNISTE SUR LE CHEMIN DE LA RÉVOLUTION



Content :

La gauche communiste sur le chemin de la révolution
I. Contre la social-démocratie réformiste et chauvine
Du principe à la méthode
Contre les équivoques et les pièges du réformisme : l’illusion électoraliste
A notre poste !
Ou élection ou révolution
II. Vers le parti communiste et l’Internationale révolutionnaire
Le deuxième congrès de l’Internationale Communiste
Discours sur les conditions d’admission à l’internationale Communiste
Discours du congrès de Livourne
Notes
Source


En mémoire d’Amadeo Bordiga

La gauche communiste sur le chemin de la révolution

Le communisme est une force sociale matérielle qui subjugué notre intelligence, capte nos sentiments, et réalise l’union de notre conscience et de notre raison. C’est une chaîne dont on ne peut nous délivrer sans nous briser le cœur. C’est un démon dont l’homme ne peut triompher qu’en se soumettant à lui. »

(K. Marx)

Jeunes prolétaires, nous ne vous donnerons ni une biographie synthétique d’Amadeo Bordiga, ni un florilège de « ses » œuvres complètes. Les chroniques des journaux comme il faut vous ont raconté le roman du « têtu napolitain », dans le style de la « Vie des hommes illustres » Il se trouvera sans doute un plumitif qui, pour gagner son pain, écrira sur lui un livre à la mode ou vous servira quelque interview radiophonique ou télévisée, utile jalon pour une carrière journalistique.

Les marxistes révolutionnaires n’ont besoin ni de célébrations ni d’oraisons funèbres. L’individu naît et meurt, il est transitoire seule l’espèce survit. La personne n’a pas d’histoire l’espèce en a une. C’est une histoire humaine, c’est l’histoire des classes, des luttes et des formes de classes. L’individu peut s’identifier à la classe, lorsque les instincts irrationnels et irrésistibles qui le déterminent le poussent sur l’avant-scène de l’histoire, et ceci tant que L’humanité vivra sa préhistoire classiste. Il est téléguidé. On lui demande seulement d’en avoir conscience, pour qu’il puisse fonctionner le mieux possible.

Les révolutions qui se sont succédé depuis le XIXe siècle ont été ou des révolutions bourgeoises, ou des révolutions doubles, c’est-à-dire bourgeoises en économie et prolétariennes en politique, avec une seule exception celle de la Commune de Paris de 1871. La Commune a éclaté sans laisser de noms illustres : elle a été massacrée avec ses soldats anonymes. On se souvient, au contraire, de ses sanguinaires fossoyeurs, les méprisables démocrates a la Thiers et les prétoriens a la Mac-Mahon. Le prolétariat n’a pas eu besoin de mythes personnels. Il a lutté et il est mort pour la Commune, un point ç'est tout !

La révolution de demain sera ainsi univoque, anonyme, elle n’aura qu’un seul chef, invincible, le parti marxiste révolutionnaire. Aux ennemis de célébrer leurs « grands hommes » tombés sur le champ de bataille, s’ils en ont le temps et la possibilité.

Le roman révolutionnaire est mort avec la victoire du contre-révolutionnaire Staline. Le communisme n’a plus besoin de langage romancé. Ce qu’il lui faut plutôt, c’est le langage des logarithmes et le péan de guerre.

Amadeo, et, avec lui, les générations passées des communistes révolutionnaires, ne sont pas morts. Leurs corps sont retournés à la terre dont ils étaient issus. Leur travail, la bataille de leurs jours, vivent, fondus dans la continuité du communisme, but auquel tend inconsciemment l’humanité laborieuse, déshéritée et Opprimée.

I. Contre la social-démocratie réformiste et chauvine

La manière dont a commencé notre « Storia della Sinistra Comunista » fait enrager les historiographes. Ils auraient voulu y voir décrire l’« homme » et les « hommes », et non des forces, des programmes, des partis.

La Gauche Communiste est une force, elle est le parti politique de la classe ouvrière. Elle n’a pas d’origine constitutionnelle et ne se caractérise pas par un statut juridique, mais par un combat historique qui reprend et continue la lutte marxiste contre le réformisme gradualiste et éducationniste et contre la démocratie dissimulant la fonction anti-prolétarien ne de l’État. Et ce combat est attesté aussi bien par « l’auto-défense » dans laquelle dès 1894 le socialiste Nicola Barbaro ose prôner devant ses juges la violence prolétarienne contre les troupes royales, agents de la répression bourgeoise, que par la polémique plus tardive des jeunes socialistes proclamant contre le parti « adulte » l’unité indissoluble de la pensée et de l’action et donnant ainsi au développement du parti ses premières bases programmatiques solides.

Le gigantesque travail de Marx ne consista pas seulement à révéler à la classe et à l’humanité les « éternels secrets » de l’histoire dissimulés sous les stratifications successives déposées par les différents modes de production, mais aussi et surtout à indiquer la méthode permettant d’arracher aux classes possédantes le pouvoir politique, instrument indispensable à toutes les classes dominantes pour maintenir leur hégémonie sur la société, et au prolétariat pour libérer tous les hommes de toute forme de pouvoir. Marx, lui aussi, fut une « sonde » perforant toutes les stratifications sociales pour ramener la « vérité » à la lumière, un compteur Geiger avant la lettre, signalant l’énergie vitale des classes, de signe positif comme de signe négatif.

L’immense effort fourni par Amadeo a exactement la même signification. Il se confond avec celui de toute la Gauche communiste et son activité infatigable coïncide en outre avec une montée de la révolution.

De même que dans leur aveuglement, les ennemis actuels de la révolution prennent notre parti pour une congrégation de trappistes impuissants enfermés dans leur « splendide isolement », l’abstentionnisme d’Amadeo passa pour du purisme théorique en 1918–19.

Mais l’histoire ne pardonne pas à ceux qui lui ont fait violence. En 1921, ce sont les abstentionnistes qui ont fondé le parti politique de classe, et ce sont les participationnistes qui s’étaient mis à sa remorque qui l’ont détruit et qui ont fini par rejoindre les serviteurs de Sa Majesté l’État capitaliste. Préférant démolir la forteresse ennemie de l’extérieur plutôt que d’introduire la lutte pour le pouvoir jusqu’au sein du Parlement et des institutions démocratiques, la Gauche renonça pourtant à son abstentionnisme pour faciliter la solution d’un autre problème, celui de la construction du Parti Communiste mondial, qui était alors plus urgent. Or aujourd’hui le pire obstacle à la renaissance du parti se trouve justement être le parlementarisme, le bourbier de l’électoralisme et la mystification démocratique. Ainsi la contre-révolution a prouvé que l’abstentionnisme était une question de principe alors qu’hier, face à la force dialectique d’un Lénine, il n’apparaissait encore que comme une thèse discutable.

On a dépeint la Gauche commue, une tendance dépourvue de tactique ou affligée de « rigidité » tactique, lui opposant le bolchevisme et sa prétendue « élasticité », son prétendu « réalisme » dans ce domaine. Admirons le « réalisme » de ces fanatiques de la tactique : leur action est devenue si « élastique » que le parti devant lequel le monde bourgeois tout entier trembla jadis a désormais perdu toute forme et tout contenu de classe.

Entré dans le parlement bourgeois, le parti d’hier a été broyé dans l’engrenage démocratique, arme de l’ennemi qu’il prétendait pouvoir utiliser à des fins prolétariennes. De tactique élastique en tactique molle, les partis ex-communistes ont occupé la place laissée vacante par les vieux partis social-démocrates, devenus de simples administrateurs de l’État bourgeois, sans que le réformisme redevienne pour autant historiquement possible. C’est ainsi que les « communistes » ne réussissent même plus à assurer ce développement des syndicats ouvriers qui fut la gloire et l’orgueil de la IIe Internationale, si ce n’est en les soumettant aux exigences conservatrices de l’État bourgeois. Le seul rôle historiquement utile qui leur reste serait de se démasquer devant la classe ouvrière en gérant l’État capitaliste.

Il n’est donc pas vrai que principes et moyens soient séparables, qu’on puisse choisir les seconds au hasard des « cas » des « circonstances », des « situations » en comptant sur les premiers comme sur des talismans pour conjurer le mauvais sort. Et la preuve en est qu’aujourd’hui, après une longue pratique du Parlement, antichambre du pouvoir bourgeois, les partis ex-communistes se sont débarrassés des principes comme d’une mortelle tunique de Nessus. Alors les principes ne sont plus que des étendards de parade destinés à éblouir. Etourdir, réduire les masses a l’impuissance, tandis que l’action se réduit à un battage assourdissant pour la conquête d’un « droit », d’un « avantage », d’une portion de « pouvoir » (fût-il limité à l’usine) qu’on dit « immédiate », mais qui s’éloigne au fur et à mesure qu’on s’en rapproche. Ce n’est pas pour rien que Lénine caractérisait l’opportunisme comme une « absence de principe » pour en stigmatiser non seulement le caractère anti-marxiste, mais l’impuissance.

Que dire alors de toutes ces idées de patrie, de nation, de peuple que les prétendus partis ouvriers ont effrontément empruntées au fascisme mussolinien pour en remplir leurs programmes, à une époque où le grand capital – les affaires avant tout ! – envoie au diable jusqu’à l’unité nationale et les droits de la race (voir la bourgeoisie allemande !) que dans ses révolutions démocratiques, puis ses guerres « défensives » ou « offensives », il avait appelé le prolétariat à défendre par les armes ? Tout ce qu’on peut en dire est que « les frontières sacrées de la patrie » n’ont jamais été que les étroites limites d’une petite propriété et d’une production étriquée que ces partis sont bien les seuls à défendre !

Pour le Communisme, l’idée que les principes et la tactique, le but et les moyens sont dialectiquement liés est un patrimoine inaliènable, et les textes suivants illustreront le fait qu’elle l’était déjà bien avant que les thèses connues sous le nom de « Thèses de Rome » (1922) aient, pour la première fois dans l’histoire du Parti de classe, traité systématiquement la question complexe de leurs rapports.

Du principe à la méthode

(« Avanti », 3 février 1913)

L’article suivant, paru dans l’« Avanti ! » (№ 34 du 3 février 1913), éclaire la polémique qui, avant la première guerre mondiale, opposa les révolutionnaires aux réformistes, même lorsqu’il s’agissait des meilleurs parmi ceux-ci, qui reconnaissaient que c’était une erreur de se borner à des objectifs trop modestes et à des expédients éphémères et contingents.

Une nouvelle fois, dans les colonnes de la « Critica sociale », Zibordi met en garde les socialistes contre le danger d’une politique « au jour le jour », qu on ne peut endiguer, dit-il, qu’en réaffirmant « la force et la solidité des principes et des idéaux ».

Nous comprenons et nous partageons les inquiétudes de Zibordi, et nous reprenons à notre compte ses conseils et ses avertissements. Et même, ce qui constitue la ligne de partage entre la fraction du parti victorieuse au congrès de Reggio, et les autres fractions, c’est justement le fait que la fraction intransigeante a toujours insisté sur la nécessité de mettre l’accent, devant le prolétariat comme devant l’opinion publique en général, sur le côté idéal, c’est-à-dire révolutionnaire, de la théorie et de la tactique socialistes. En bonne logique, la division en réformistes et en révolutionnaires ne devrait même pas exister chez des socialistes : il est absurde de supposer qu’un socialiste puisse ne pas être révolutionnaire, puisque être socialiste veut dire reconnaître implicitement que l’ordre social actuel doit subir une profonde révolution. Pourtant cette division existe et elle repose précisément sur la plus ou moins grande importance que l’on attribue à la réforme, qui est le moyen, ou à la révolution, qui est le but.

Néanmoins, chaque fois que les réformistes constatent et entreprennent de faire constater à d’autres la nécessité de mettre davantage en relief le côté idéaliste du socialisme, ils se hâtent de se démarquer des révolutionnaires et de leur « verbalisme stérile ». Où est donc la logique, où est la ligne de partage entre les révolutionnaires véritables, les révolutionnaires de fait, et les autres, les révolutionnaires de la phrase ? Le conflit, l’antagonisme entre le travail quotidien, pratique, et les aspirations idéales du prolétariat n’existe que dans l’imagination de ceux qui, se méprenant sur le mouvement socialiste ou le déformant, ont bien voulu le créer. Les révolutionnaires, c’est-à-dire ceux qui par l’étude ou même, parfois, du fait de leur tempérament, ont été portés à donner plus d’importance au but final qu’aux réformes, n’ont jamais négligé ni méprisé les conquêtes quotidiennes du prolétariat. Il est inutile de revenir sur ce qui a été écrit il y a quelques jours dans ces mêmes colonnes sur l’importance que les socialistes donnent, et doivent donner à toutes les manifestations de la lutte de classe du prolétariat, y compris bien entendu celles qui visent à des améliorations immédiates de la classe, c’est-à-dire celles qui servent à préparer la psychologie révolutionnaire des masses. Toutes les améliorations que le prolétariat conquiert dans les limites de la société capitaliste doivent servir à lui rendre plus sensible l’antagonisme de classe, à éveiller en lui une aspiration toujours plus consciente, une impulsion à transformer l’ordre social existant, en abolissant la propriété privée. Comme le dit le « Manifeste du Parti Communiste » : « Parfois les ouvriers triomphent, mais c’est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leur lutte est moins le succès immédiat que l’union grandissante des travailleurs ».

L’erreur fondamentale, impardonnable, des réformistes réside justement en ceci, qu’ils ont fait croire aux travailleurs que les améliorations si minimes, si limitées obtenues par eux représentaient quelque chose de stable, un acquis définitif, bref une fin et non pas un moyen.

Les expériences d’organisation socialiste et de classe faites en Italie se sont appuyées sur des couches sociales n’appartenant pas toutes au pur prolétariat et encore moins au prolétariat industriel, mais vivant dans des conditions économiques qui ont de toute évidence contribué à l’importance excessive qu’on a donnée à la propagande et l’organisation. Or si le prolétariat industriel est capable d’avoir une vision nette et précise des antagonismes de classe, d’embrasser par la pensée « les grands traits de l’histoire », le prolétariat agricole l’est beaucoup moins, et les artisans, les petits propriétaires, les petits-bourgeois ne le sont pas du tout, sauf exceptions individuelles. C’est pourquoi, malgré les tendances originelles de ses chefs, le mouvement socialiste italien a pris l’habitude de considérer les conquêtes immédiates comme son but et pourquoi elles ont peu à peu remplacé l’aspiration à une émancipation totale du joug capitaliste dans l’esprit et l’action de ses membres.

On pourrait peut-être objecter ici que, dans ces conditions, les réformistes ne pouvaient pas agir autrement, que donc le réformisme est né et s’est imposé par la force des choses, dont la tactique réformiste n’est que le reflet.

C’est précisément pour éviter cette objection, qui nous obligerait à revenir sur des choses déjà dites, que nous affirmons que le tort des réformistes consiste à avoir fait naître des illusions chez leurs partisans, organisés en syndicats ou dans les coopératives. A côté de la lutte, certes louable et nécessaire, pour des améliorations immédiates et pour la constitution de noyaux sociaux de résistance, de production ou de consommation, il fallait aussi entretenir en eux la conscience du caractère relatif de tout ce qu’ils pouvaient conquérir dans les limites imposées par l’économie bourgeoise, il fallait leur rappeler avec insistance les grandes difficultés, les multiples luttes, les conflits qui attendent la société avant que puisse être instauré un système social fondé sur l’égalité et la liberté. Il fallait leur faire comprendre que tout en défendant leurs intérêts et leurs idéaux de citoyens, ils devaient soutenir le prolétariat d’autres régions et d’autres pays dans son assaut contre la société bourgeoise. Il fallait profiter de chacune de leurs tentatives d’améliorer leur sort pour leur montrer comment, même quand ils l’avaient amélioré, ils demeuraient des esclaves, des déshérités, des objets de dérision et comment la société qui les présentait comme des « privilégiés » réservait à leurs enfants un avenir d’insécurité économique et d’humiliations politiques et sociales. Il fallait susciter et entretenir en eux le plus vif mécontentement, car ce mécontentement aurait créé ce sentiments de solidarité avec tous les exploités et tous les opprimés qui est le premier et le principal ressort de la pensée et de l’action socialistes. Les réformistes ne l’ont pas fait et non seulement ils ne l’ont pas fait avec les couches sociales qui sont les plus difficiles à convertir au socialisme, mais ils ont eu le tort d’appliquer les critères de la mesquine quiétude petite-bourgeoise même aux éléments révolutionnaires c’est-à-dire à l’organisation du prolétariat industriel. Ce n’est pas la méthode rigide de la lutte de classe qui a échoué, c’est la méthode même qui a été déformée. Voilà d’où vient le malaise des réformistes. Et ils ne pourront ni éliminer ni atténuer le mal qu’ils déplorent, car c’est un mal trop profondément enraciné.

Ce n’est pas en rappelant de temps à autre les socialistes à la fidélité aux principes, que l’on combat l’utilitarisme et encore moins qu’on l’extirpe, c’est en ne tolérant pas que l’utilitarisme puisse naître et se développer qu’on observe et qu’on inculque les principes.

Les intérêts du prolétariat coïncident avec l’altruisme le plus large et le plus élevé, parce qu’ils coïncident avec les intérêts de toute l’humanité, à l’exception des exploiteurs : faire jaillir la conscience de cette vérité de toutes les contingences de la vie sociale signifie rendre les masses révolutionnaires, c’est-à-dire animées de l’idéalisme le plus sain et le plus actif, de la volonté la plus ardente de transformer au plus tôt la société bourgeoise en société socialiste.

Pour cela, on n’a pas besoin de « s’élever dans les nuages des vaines idéologies verbales » il suffit de nourrir sa propre propagande et l’action des masses de la réalité des choses. Car c’est justement la réalité – les antagonismes de classes existants – qui rend les masses révolutionnaires.

Des réformistes ou des révolutionnaires, lesquels sont le plus souvent dans les « nuages » ? Lesquels sont les plus proches de la réalité ?

Contre les équivoques et les pièges du réformisme : l’illusion électoraliste

(« Il Soviet », № 8, 9 février 1919)

Il s’agit d’un des articles fondamentaux par lesquels le journal napolitain engage la lutte contre la participation du Parti aux élections.

L’antithèse entre la méthode social-démocrate et la méthode insurrectionnelle pour la conquête du pouvoir est définie avec la plus grande clarté. L’article retrace l’histoire du parlementarisme dans les partis traditionnels et les limites dans lesquelles il pouvait se justifier avant la guerre. Enfin il emprunte son jugement central à l’exemple de a victoire russe d’Octobre et de la dissolution de l’Assemblée constituante.

Pour conclure, l’article rappelle un point fondamental des thèses de la Gauche : la nécessité d’ôter au Groupe parlementaire toute faculté d’intervenir pour établir la ligne politique directrice du Parti. La dernière phrase donne clairement à entendre que si cette perspective mène à la scission, c’est précisément là ce que réclame la Gauche révolutionnaire.

Depuis de nombreuses années, et on peut même dire depuis qu’il s’est constitué en parti autonome, en se détachant des autres fractions démocratiques avec lesquelles il coexistait, le parti socialiste a mené son action politique suivant la théorie que le prolétariat conquerrait les pouvoirs publics grâce à l’action électorale.

Un calcul passablement puéril, qui a pourtant fasciné et qui fascine encore de nombreux camarades, faisait croire que le jour où on aurait obtenu un véritable suffrage universel, où tous auraient le droit de vote, les socialistes constitueraient fatalement la majorité dans les assemblées législatives.

Se trouvant donc en majorité, ces représentants ou députés socialistes, comme on voudra auraient ensuite tranquillement balayé les pouvoirs bourgeois au moyen d’une bonne petite loi, et, avec toutes les formalités légales requises, ils se seraient tranquillement emparés du pouvoir au nom du prolétariat. Ce mirage poussait à considérer et à exalter en toute bonne foi tout succès électoral, en particulier l’acquisition d’un nouveau siège au parlement, comme un nouveau pas vers le but, comme une nouvelle pierre ajoutée au grandiose édifice de la conquête des pouvoirs publics par le prolétariat.

Le décompte des voix obtenues aux élections facilitait à beaucoup de socialistes l’ingrat métier de prophète et leur permettait de fixer la date précise d’échéance de la traite que la bourgeoisie aurait à payer au prolétariat; il leur suffisait d’apprendre qu’il y avait à la chambre un Cabrini, un Bissolati, un Turati ou un Ciccotti de plus, pour s’imaginer que le grand événement, l’entrée en scène du prolétariat en vrai maître du monde était désormais plus proche, curieuse illusion alors très répandue.

Pauvre révolution prolétarienne en pantoufles et en bonnet de nuit, avec un brin de rhumatismes et quelques dents en moins !

La pratique infligeait continuellement d’incroyable désillusions aux tenants de telles croyances. Malgré le dangereux levain révolutionnaire qui menaçait d’en faire éclater la croûte, le régime bourgeois ne souffrait guère, et même, il se renforçait. Dans l’ambiance bourgeoise du parlement, les bouillants révolutionnaires s’apprivoisaient, se laissaient domestiquer : en peu de temps, l’un d’eux devenait réformiste, le second réactionnaire, le troisième ministre et ainsi de suite.

Le pauvre prolétariat, ou du moins sa partie la plus consciente, a dû finalement comprendre qu’une fois qu’il aurait péniblement réussi, dans un pays donné, à atteindre le chiffre fatidique, à envoyer au parlement la moitié de ses membres plus un, tous défenseurs fidèles et authentiques de ses intérêts, il se retrouverait finalement Gros-jean comme devant, et que ces formidables révolutionnaires seraient tout au plus capables de lui offrir une république ultra-bourgeoise à l’américaine ou du type de celle d’Ebert, qui fonde sa précaire force de résistance sur l’assassinat.

Et il ne pourrait pas en être autrement.

Il est absolument paradoxal de croire que les formes politiques actuelles, qui furent créées par la bourgeoisie pour sa propre domination de classe, puissent devenir des organes répondant à une fonction absolument opposée.

Si, lorsqu’elle abattit l’ancien régime, la bourgeoisie dut créer de nouvelles formes d’État, à plus forte raison le prolétariat devra-t-il en faire autant.

Bien plus profonde est la transformation sociale produite par la conquête du pouvoir par le prolétariat, qui, abolissant la propriété privée, détruit automatiquement et nécessairement la classe bourgeoise qui est précisément constituée des propriétaires privés des moyens de production.

Pour réglementer, organiser, discipliner les nouveaux rapports sociaux, fondés non plus sur le droit de propriété privée, mais sur l’association des travailleurs, il faudra nécessairement de nouvelles institutions, adaptées à ces fonctions si profondément différentes de celles qui sont les piliers de l’État bourgeois.

Si l’immaturité politique, l’héritage des idées démocratiques qui s 'étaient infiltrées dans la pensée de certains socialistes, et surtout le manque de pouvoir réel ont permis à des conceptions aussi erronées de se former et de s’accréditer, aujourd’hui la grande expérience des faits devrait servir à tous de leçon.

En Russie, la dictature du prolétariat s’affirme et triomphe en abattant tous les organes bourgeois et en empêchant qu’il s’en recrée de

nouveaux par le biais du mécanisme électoral bourgeois. En Russie, les bolchéviks ont d’abord combattu l’Assemblée constituante, résultat du suffrage universel, au moyen de la propagande, puis ils l’ont supprimée par la force. En Allemagne, ce sont les spartakistes qui luttent contre la Constituante voulue par les social-bourgeois Ebert et Scheidemann. Les maximalistes italiens, eux, doivent s’élever contre les propositions de Constituante formulées par la Confédération du Travail et appuyées par certains députés socialistes. C’est bien autre chose qu’une question théorique; lorsque le pouvoir réel manque, la théorie est le guide de l’action.

La campagne électorale approche.

Le parti socialiste doit décider s’il faut y participer, et sur quel programme.

Le prolétariat ne doit pas être trompé et endormi par la lutte électorale; il doit se convaincre de la totale inefficacité, du point de vue révolutionnaire, des conquêtes de sièges au parlement et il doit savoir quelle est la voie à suivre et dans quel sens il peut diriger utilement son effort. Et au cas où il lui faudrait avoir des députés socialistes, il devra une bonne fois établir les limites de leur action et de leurs pouvoirs au sein du parti lui-même.

Le parti n’a pas d’autres organes que les assemblées qui délibèrent et la direction qui exécute et qui rend compte chaque année de ses actes.

Pour le parti, le groupe parlementaire n’existe pas en tant que tel, c’est-à-dire en tant que groupe, car, dans le parti, la qualité de député n’existe pas. C’est une qualité parfaitement bourgeoise, on l’obtient grâce aux voix d’électeurs qui n’appartiennent pas au parti, elle a une fonction qui est étrangère ou parti, et destinée à disparaître dès que le parti sera parvenu à réaliser son programme maximum de conquête du pouvoir.

La Direction du parti doit faire face à ses responsabilités, en puisant son énergie dans la confiance du parti, en exécutant les décisions du parti, en en interprétant fidèlement l’esprit, et même parfois dans certains cas en le consultant par referendum.

Il est inadmissible que devant des décisions qui engagent l’action du parti, la Direction s’adresse au groupe parlementaire pour avoir son avis. Elle lui reconnaît ainsi implicitement un pouvoir qu’il n’a pas, une fonction totalement inexistante.

Il est absolument indispensable de réglementer dès maintenant ces rapports, surtout après le dernier ordre du jour que Turati a présenté à ce même groupe et qui est absolument contraire aux directives clairement exprimées par la grande majorité du parti.

Et si la réglementation de ces rapports devait provoquer de nouvelles scissions, tant mieux !

A notre poste !

(« Avanti », 16 août 1914)

Il est inutile de souligner la portée de cet article, qui suit de peu le déclenchement de la première guerre mondiale et qui montre comment la Gauche italienne eut dès le début une position identique à celle de Lénine sur les causes de la guerre et condamna autant que lui toute attitude de « défense de la patrie ». Le commentaire ajouté par la rédaction du journal (et que l’on peut lire dans notre « Storia della Sinistra communista », pp. 242–243) est tortueux et ambigu, puisque tout en feignant d’appuyer article, il accorde un large crédit aux thèses contre lesquelles il était dirigé, introduisant une distinction entre positions logiques et positions historiques, qui caractérise bien l’opportunisme de tous les temps que nous allons constamment retrouver sur notre chemin et qui est un signe infaillible que le Rubicon va bientôt être franchi.

On nous objectera que la jeune Gauche désavoua immédiatement Mussolini, qu’elle avait jusque là considéré comme son chef, lorsqu’il passa au nationalisme et prôna l’intervention de l’Italie dans la guerre. En réalité, cette « réaction immédiate » n’a été historiquement que trop tardive si l’on songe que la volte-face de Mussolini n’était pas sans précédents dans le Parti. Cela prouve qu’il existait au sein de celui-ci un vieil opportunisme avec lequel l’ancienne « gauche intransigeante » n’avait pas su rompre en raison du prestige de certains chefs traditionnels, nouvelle preuve du rôle néfaste de l’admiration pour les grands hommes !

Puisque nous, socialistes italiens, nous sommes trouvés, à l’éclatement de la guerre européenne, dans la situation plus ou moins transitoire de spectateurs, l’appréciation que nous pouvons donner aujourd’hui des événements, même au travers des nouvelles tronquées et tendancieuses que nous en avons, peut sans aucun doute nous guider dans l’action d’aujourd’hui et de demain contre la guerre, même si la discussion sur ce qui s’est passé dans les autres pays a actuellement un certain air d’académisme.

Dans l’aspiration commune à une neutralité de l’Italie, se sont glissés dans notre mouvement certains courants dangereux qui pourraient le compromettre. De nombreux camarades expriment et répandent dans les meetings et dans la presse un sentiment de vive sympathie pour la Triple Entente, non seulement en justifiant, mais en exaltant l’attitude des socialistes français, jusqu’à prétendre que les socialistes italiens devraient voler au secours de la France. De là à soutenir que l’Italie ne doit pas sortir de la neutralité en faveur de l’Autriche et de l’Allemagne, mais qu’elle pourrait le faire en faveur de la France, il n’y a qu’un pas. Une telle attitude ne répond pas au principe socialiste en théorie, et en pratique, elle ne sert qu’à faire le jeu du gouvernement et de la bourgeoisie italienne qui brûle d’intervenir dans le conflit. Voyons-en les raisons.

On dit que face à des événements aussi gigantesques que ceux auxquels nous assistons et qui renversent de façon imprévue toutes les valeurs politiques et sociales, il faut sortir des schémas et se débarrasser des « formules » pour s’inspirer d’un critère de réalité dans le choix d’une position. Reléguant ainsi dans l’arrière-boutique des affirmations platoniques l’anti-militarisme et l’internationalisme socialistes – que les événements se chargeraient de mettre sinon à la retraite, du moins en attente – il faut, dit-on, se rendre compte que ce qui est en jeu en cette heure historique, ce sont les conquêtes sociales de la liberté et de la démocratie que l’on croyait assurées pour toujours et qui sont menacées par la victoire du militarisme austro-allemand, qui aurait l’intention de répéter l’époque historique des invasions barbares, et qui a brutalement attaqué les nations les plus libérales, les plus civilisées, les plus pacifiques.

Quant ou socialisme, on y repenserait « après le cataclysme »; pour le moment, il faut défendre la cause de la civilisation, en s’opposant à la dévastation de la France et de ses alliés par les Teutons.

Penser ainsi nous dit-on, cela signifie sortir courageusement des « formules ». Mais ces formules étaient pourtant bien utiles en « temps de paix », comme canevas pour les déclamations de meetings et comme condiment des exhibitions électorales; et personne n’avertissait les naïfs auditeurs qu’on s’en débarrasserait au moment critique. Alors les « schémas » étaient des convictions inébranlables, des idéaux auxquels on aurait sacrifié jusqu’à sa vie, des reconstructions fidèles de la réalité sociale inspirées par une foi qui ne devait jamais se démentir. Pour la vérité, pour la sincérité, pour l’honnêteté du socialisme, ceux qui considéraient cela comme un schéma vide, comme un jeu de formules commodes, n’auraient pas dû attendre pour le jeter au feu la sinistre épreuve que nous traversons.

Sans fermer les yeux sur ce qui se passe pour cultiver des illusions dans a solitude abstraite de la conscience, nous, socialistes, pouvons et devons soutenir que le socialisme n’est pas mort et que nous continuerons à agir directement et fermement dans la situation actuelle, en nous inspirant des directives que nous avons toujours suivies jusqu’ici.

Ceux qui croient sortir de nos vieilles formules ne s’aperçoivent pas qu’ils ne font que retomber dans des formules qui ne sont pas les nôtres et accepter des directives qu’ils ont toujours dénoncées comme fausses. C’est un phénomène qui se produit dans les grands moments historiques : les partis retournent en arrière et s’appuient sur des principes moins avancés. Au cours de la révolution italienne, les révolutionnaires républicains ont fait la monarchie. En 1871 les internationalistes français ont sauvé la nation. C’est le signe de l’immaturité des partis de l’avenir. Peut-être alors le socialisme manque-t-il encore de maturité et ses forces se replieront-elles pour défendre les principes, pour nous dépassés en théorie, de la démocratie et des nationalités ? C’est possible. En Italie cependant, on peut agir en socialistes encore aujourd’hui. Demain, peut-être chacun ira-t-il choisir un autre poste selon son instinct. Mais aujourd’hui nous avons encore une bataille à livrer; et il ne faut pas la compromettre, il ne faut pas la salir. Le parti socialiste peut – peut-être – éviter que le massacre ne s’étende aux travailleurs italiens, que plusieurs centaines de milliers d’êtres humains ne viennent grossir le nombre de ceux qui massacrent et se font massacrer pour des intérêts qui ne sont pas les leurs. Restons donc sur le solide terrain du socialisme, qui ne cède pas encore sous nos pieds.

C’est donc une erreur de s’abandonner au sentimentalisme francophile, qui ne correspond nullement aux dernières exigences du moment présent, mais au vieux bagage scolastique de la démocratie italienne. Conservons notre plate-forme. Si le nationalisme se renie lui-même au point de faire les yeux doux à l’Autriche, si les démocrates sont devenus lâches au point de commander au peuple de se taire et de suivre aveuglément le gouvernement, ce n’est pas une raison pour que nous, nous devions oublier le socialisme et courir remplir les vides laissés par les patriotes et les démocrates professionnels.

Nous devons donc et nous pouvons rester à notre poste, contre toutes les guerres, pour la défense du prolétariat qui a tout à y perdre, rien à y gagner, rien à conserver.

Depuis que l’homme a la faculté de penser avant d’agir, le sophiste qui sommeille dans tout être pensant a toujours eu recours aux distinctions pour éviter de tenir ses engagements, pour échapper aux conséquences concrètes de ses affirmations abstraites. C’est ainsi qu’aujourd’hui on nous assène à nouveau la distinction entre guerre offensive et guerre défensive, entre l’invasion de la patrie d’autrui et la défense du territoire national. Et les anti-patriotes d’hier écrivent une lettre qui réduit à néant dix volumes, mille discours, mille articles, et courent à la frontière. La politique socialiste est-elle donc, elle aussi, le culte des beaux gestes plutôt que des véritables sacrifices ? La France a été agressée, et elle se défend contre le danger allemand. Mais avez-vous lu les déclarations du député allemand Haase au Reichstag ? L’Allemagne se défend contre le danger russe. Toutes les patries sont en danger, du moment qu elles se ruent les unes sur les autres. En réalité il se passe ceci : dans chaque pays, la classe dominante réussit à faire croire au prolétariat qu’elle est animée de sentiments pacifiques, et qu’elle a été entraînée dans la guerre pour défendre la patrie et ses intérêts suprêmes tandis qu en réalité la bourgeoisie de tous les pays est également responsable de l’éclatement du conflit, ou plutôt, c’est le système capitaliste qui, du fait des exigences de l’expansion économique, a engendré la course aux armements et la paix armée, qui s’écroule aujourd’hui pour céder la place à cette crise effroyable.

En effet, la thèse selon laquelle c’est le militarisme austro-allemand qui a préparé et voulu la guerre est purement formelle et scolastique. Il est également superficiel de rattacher le caractère militariste des deux empires à des traditions de l’époque féodale, dépassées par l’histoire moderne. Les grands armements de l’Allemagne correspondent au développement de son industrie et aux exigences ultramodernes de son commerce arrivée aux premières places dans le monde capitaliste pour la qualité et l’intensité de sa production, et n ayant pas, comme l’Angleterre et la France, de vastes empires coloniaux, l’Allemagne moderne, qui a réalisé son unité nationale bien longtemps après ses rivales, s’est lancée par nécessité dans une préparation militaire susceptible de lui assurer une bonne position dans le monde. Ecrasée il y a un siècle par la domination napoléonienne justement parce que le militarisme moderne, issu de la France démocratique, était beaucoup plus fort que toutes les vieilles armées réunies des barons allemands, l’Allemagne bourgeoise s’est relevée en se libérant des survivances médiévales de l’impérialisme autrichien et en se lançant dans la voie de l’impérialisme capitaliste moderne, et je dirais même démocratique. En 1866, le patriotisme italien ne dépeignait pas le militarisme allemand sous des couleurs aussi sombres et il ne traitait pas de descendants d’Attila ceux qui avaient épargné à l’Italie les conséquences des raclées reçues à Lissa et à Custoza.

D’autre part, les États modernes tendent au militarisme non seulement pour se disputer l’hégémonie commerciale, mais aussi pour des raisons de politique intérieure qui sont directement opposées aux intérêts de la classe ouvrière et à ses aspirations au socialisme. Que ce soit l’une ou l’autre des bourgeoisies nationales qui ait la suprématie est une chose qui n’intéresse guère le prolétariat, qui passe et repasse les frontières nationales à un rythme toujours accru, selon les exigences du marché du travail.

Qu’on ne nous accuse donc pas de dogmatisme si, devant le drame gigantesque qui se joue sur la scène de la conventionnelle politique extérieure, nous remontons aux conflits intérieurs et de classe, et si nous ne croyons pas que la guerre soit l’effet du caprice de François-Joseph ou de la fantaisie de Guillaume II.

L’Autriche bourgeoise marchait à grands pas vers une décomposition due non seulement à l’action du prolétariat, mais également et peut-être davantage encore aux haines nationales qui la déchiraient. C’est pour des raisons de conservation de l’État qu’elle a attaqué la Serbie. Il serait stupide de penser qu’un État accepte passivement sa propre dissolution sans se servir des forces armées dont il dispose directement. L’Autriche pouvait penser qu’en exaltant le sentiment national, une guerre ferait passer au second plan les luttes intestines et lui rendrait une certaine cohésion. Cela a déchaîné l’incendie en Europe. Etant donné le système des alliances en vigueur, l’Allemagne devait entrer en conflit avec les trois colosses qui l’entourent : dès lors la conflagration était inévitable. A quoi bon discuter pour établir qui a lancé la première pierre ? Il est vrai que l’on fait remonter la responsabilité du système des alliances au prince de Bismarck mais, pour notre part, si nous ne croyons guère à l’influence des vivants sur les événements, nous croyons moins encore à celle des morts.

Mais pour appuyer la thèse de l’agression allemande, on dit que la neutralité du Luxembourg et de la Belgique a été violée, que les règles du droit international ont été bafouées. Naïveté ou ironie ? Que peut bien valoir un droit qu’aucune autorité ne peut garantir, au milieu du déchaînement sauvage de la férocité humaine dans une guerre sans précédent ?

L’état-major français aurait-il eu scrupule à violer la neutralité suisse, si cela avait répondu à ses plans ?

Quelle comédie jouent les gouvernements ! Après avoir préparé la guerre de toutes les manières, par la course aux armements, par l’excitation des rivalités nationales, par des tromperies diplomatiques réciproques, par l’espionnage, par la corruption, ils se revêtent aujourd’hui de probité candide et demandent au prolétariat de courir aux armes parce que d’autres ont violé le « droit des peuples » en les attaquant par traîtrise.

• • •

On a également recours à un autre argument fameux celui de la démocratie en péril. On déclare que la victoire allemande serait un « retour à la barbarie » parce que la civilisation moderne est née en France. Faut-il démontrer longuement que cette thèse est vide et spécifiquement anti-socialiste ? Nous n’admettons pas la notion de civilisation au sens d’un rayonnement progressif d’idées, de conceptions, de tendances. Laissons cette conception aux anticléricaux dans la fleur de leur innocence. Dans le développement historique, nous voyons une suite de dominations de classe, due à une succession de formes sociales qui se présente non comme une évolution pacifique, mais comme une série de crises successives. Les saturnales militaires auxquelles l’Europe se livre aujourd’hui ne sont-elles pas une de ces grandes crises ? Qu’il an sorte la « civilisation », ou la « barbarie », cela ne dépend pas de la victoire des uns ou des autres, mais des conséquences de la crise sur les rapports des classes sociale entre elles et sur l’économie mondiale. D’ailleurs, la civilisation allemande a-t-elle quelque chose à envier à la civilisation française ? Vraiment, il faut sortir de ces formules empruntées à l’interprétation la plus vulgaire des faits ! L’industrie, le commerce, la culture de l’Allemagne interdisent ces comparaisons stupides avec les hordes barbares. Le militarisme allemand n’est pas une survivance d’autres époques, mais un phénomène très moderne, comme nous nous sommes efforcés de le démontrer. Si nous allons vers la barbarie militaire, c’est parce que toute la civilisation bourgeoise – et démocratique – s’efforce de surmonter ses contradictions profondes au moyen de cette solution, qui nous apparaît aujourd’hui faussement comme une marche en arrière de l’histoire… Et d’ailleurs, la France démocratique n’est-elle pas l’alliée de la Russie tsariste ?

Mais il faut nous arrêter et conclure. Notre conclusion sera, comme le dit fort bien Giovanni Zibordi dans son magnifique article, que les principes théoriques du socialisme ne nous entraînent nullement an dehors de la réalité. La guerre contre l’Autriche est dans l’air. La bourgeoisie italienne la désire, l’encourage, elle voudrait prendre les armes, c’est-à-dire les faire prendre aux prolétaires, aux côtés de la Triple Entente. Cette tendance couve dans l’ombre. Elle éclatera au grand jour si le gouvernement décide de faire la guerre à l’Allemagne, et nous assisterons peut-étre alors à des scènes semblables à celles de septembre 1911[1], surtout si nous nous laissons désorienter par le sentimentalisme francophile.

Ne faisons-nous pas le jeu de Salandra en criant « Vive la France » pour conjurer la guerre contre elle ?

Le gouvernement pourrait bien se sentir les mains libres, inventer une provocation allemande, brandir le chiffon tricolore de la patrie en danger et nous entraîner à la guerre sur la frontière orientale.

Demain, une fois l’état de siège instauré, nous verrons répandre par le monde cet autre mensonge officiel qu’en Italie non plus, il n’y a plus de partis, mais seulement l’unanimité belliciste.

A notre poste, donc, pour le socialisme !

Ou élection ou révolution

(« Il Soviet », № 27, 29 juin 1919)

Cet article met bien en lumière le sens de la bataille qui sera livrée au Congrès de Bologne pour affirmer l’incompatibilité entre adhésion au programme historique de la dictature prolétarienne et l’électoralisme parlementaire.

Les développements historiques postérieurs expliqueront le fait que les opportunistes de tous bords invoquent aujourd’hui encore, à savoir l’acceptation de la méthode parlementaire par Lénine et par le IIe Congrès de l’Linternationale Communiste, en un sens diamétralement opposé toutefois à celui qui triompha en 1919 et qui sévit plus encore actuellement.

Tandis que l’attention de nombreux camarades commence malheureusement à se polariser sur les prochaines batailles électorales, l’influence du courant opposé à la participation aux élections s’élargit dans les rangs du Parti, et les uns comme les autres insistent sur la nécessité du Congrès National.

Cependant la Direction ne se prononce pas, et tandis que les élections approchent, elle diffère la convocation du Congrès.

Nous voulons attirer l’attention sur ce qu’entre autres choses intéressantes, le camarade Lénine écrit, dans une lettre aux travailleurs d’Europe, publiée par la « Riscossa » de Trieste : « Il y a aujourd’hui des hommes comme Maclean, Debs, Serrati, Lazzari, etc., qui comprennent qu’il faut en finir avec le parlementarisme bourgeois… (censure de Trieste). »

Après cette considération, qui découle logiquement de l’adhésion de notre parti à la IIIe Internationale, Lénine écrit :
« Même dans la république la plus démocratique, le parlement bourgeois n’est rien d’autre qu’une machine d’oppression contre des millions d’ouvriers contraints de voter les lois que d’autres font à leurs dépens. Le socialisme a admis les luttes parlementaires à seule fin d’utiliser la tribune du Parlement dans des buts de propagande tant que la lutte devra nécessairement se dérouler à l’intérieur de l’ordre bourgeois. »

Ici aussi le texte est coupé par la censure. Mais, ajoutons-nous, la lutte du prolétariat est internationale et sa tactique, comme le dit clairement le programme de Moscou accepté par notre direction, est internationalement uniforme. Il existe déjà trois républiques communistes, nous sommes donc en plein dans le cours historique de la révolution, et la période où la lutte se déroulait à l’intérieur de l’ordre bourgeois est finie.

Appeler encore le prolétariat aux urnes équivaut tout simplement à déclarer qu’il n’y a aucun espoir de réaliser ses aspirations révolutionnaires et que la lutte devra nécessairement se dérouler à l’intérieur de l’ordre bourgeois.

C’est donc le programme de la dictature prolétarienne et l’adhésion à la IIIe Internationale que la Direction du parti a reniés lorsqu’elle a décidé de participer aux élections. Comment ne pas voir cette funeste contradiction ? Comment ne pas comprendre que dire aujourd’hui au prolétariat « Aux urnes » signifie l’inviter à se détourner de tout effort révolutionnaire pour conquérir le pouvoir ?

Nous, nous crions de toutes nos forces « Le Congrès ! le Congrès ! »

Il n’est pas possible de continuer ainsi. Et au moment où la bourgeoisie se prépare à juguler les républiques soviétiques, tombent les illusions de certains de nos camarades, pourtant révolutionnaires convaincus, mais qui aiment trop la facilité et qui, jugeant stériles les discussions programmatiques et théoriques (horreur), s’en tirent en disant « De toutes façons, aux élections on n’y arrivera pas ! »

Camarades « praticiens », on y arrivera aux élections ! Et tandis que le sacrifice et l’honneur de sauver la révolution reviendront tout entiers aux prolétaires russes et hongrois qui versent leur sang sans regret, en nous faisant confiance, nous, nous enverrons au banquet parlementaire de Montecitorio une centaine de héros de la pacifique joute électorale en oubliant allègrement toute dignité et toute foi dans ces orgies de bulletins.

Réussirons-nous à conjurer ce danger ?

II. Vers le parti communiste et l’Internationale révolutionnaire

Je crois que la prochaine Internationale – losque les livres de Marx auront exercé leur influence pendant quelques années – sera purement communiste et propagera directement nos principes.

(Lettre d’Engels à Sorge, du 12 septembre 1874).

Le XVIe Congrès du Parti Socialiste Italien, tenu à Bologne du 5 au 8 octobre 1919, fut le prologue de la scission de Livourne en janvier 1921. Le Congrès de Bologne est déterminant, car il voit la Gauche Communiste parfaitement alignée sur les questions fondamentales soulevées et résolues par la victoire de la révolution d’Octobre, entre autres la question capitale de la séparation entre réformisme et communisme, et donc de l’expulsion des membres opposés à la conquête violente du pouvoir et de la création d’un parti communiste opposé à l’ancien parti socialiste.

Dans son rapport sur l’ä« Orientation et les moyens d’action du Parti face à la situation nationale et internationale actuelle », Amadeo a défini les caractéristiques non d’une fraction ou d’un groupe « gauchiste », mais d’une méthode, la méthode communiste marxiste, violemment et irréductiblement opposée à la méthode social-démocrate, et conforme, comme Amadeo le soulignait, au programme de la IIIe Internationale.

« Nous soutenons que c’est du programme de la Troisième Internationale Communiste de Moscou que dérive sans aucun doute possible la méthode qui consiste à rassembler toutes les énergies du Parti pour la conquête révolutionnaire du pouvoir, en abandonnant une fois pour toutes la méthode social-démocrate et chauvine de la Deuxième Internationale, qui consiste à entrer dans les institutions représentatives de la bourgeoisie, pour quelque raison que ce soit ».

Il rappelait donc avec insistance les points fondamentaux de la doctrine et de l’action et il réfutait les accusations habituelles de la droite et du centre.

« Nous avons été mal compris, camarades : beaucoup ont parlé d’anarchisme, de syndicalisme. Nous sommes au contraire – et nous tenons à l’être – des socialistes marxistes; nous tenons à démontrer que notre attitude présente correspond absolument aux bases fondamentales de la doctrine du parti, établie par le classique Manifeste du Parti communiste de 1848.
Aujourd’hui que nous assistons à un processus effectif de réalisation socialiste, nous voyons que celui-ci coïncide parfaitement avec les prévisions du ‹ Manifeste › et nous constatons que la voie suivie par la classe des travailleurs en lutte pour leur émancipation et pour la réalisation du communisme est précisément celle que Marx et Engels et leurs partisans avaient alors tracée. »

Nous voilà loin de la « victoire sur ‹ le Capital › », qui selon Gramsci constituait la définition de la révolution d’Octobre ! C’est dans ce même rapport que se trouve par avance condamné le vulgaire mensonge des « voies nationales », du « socialisme dans un seul pays » non de manière prophétique, comme le croient les plumitifs en pensant au « grand homme », mais de manière toute naturelle, comme il convient à un marxiste :

« Nous affirmons au contraire que le bolchevisme n’est pas autre chose que la doctrine que nous avons suivie depuis toujours, même avant la révolution russe, et c’est pourquoi nous refusons l’épithète de plagiaires du phénomène russe. Car si nos glorieux camarades de Russie nous ont distancés de beaucoup dans la réalisation, si leur victoire est beaucoup plus belle et plus haute que notre effort quotidien encore loin du succès, il n’empêche que notre ligne politique a été et est telle que, si nous faisions la révolution, si la conquête du pouvoir par le prolétariat avait déjà pu se produire en Italie, indépendamment de ce qu’eux ont fait, le Parti socialiste Italien aurait lui aussi suivi les mêmes méthodes et employé les mêmes modes d’action que le bolchevisme en Russie. Les nouvelles que nous recevions de la grandiose lutte du prolétariat russe ne nous faisaient pas, contrairement à certains, considérer celle-ci comme une voie nouvelle, mais venaient confirmer toutes nos idées, corroborer toute notre ligne, ratifier toute la position polémique que nous avions prise dans tant de congrès et tant de discussions à l’égard de l’interprétation réformiste du socialisme. Et elles ruinaient l’interprétation que l’aile réformiste de notre Parti et d’autres partis socialistes avait donnée du développement historique des rapports politiques, des rapports des classes en Italie ou ailleurs, de même qu’elles ruinaient toute l’interprétation réformiste du grandiose phénomène de la guerre… La révolution russe est venue ratifier la méthode que nous défendions, et quant aux révolutions vaincues, comme la révolution allemande, elles ont démontré que quand elle est à court, quand elle a perdu tous ses arguments de congrès et de propagande, quand elle n’a plus d’autre moyen pour dissuader la masse du prolétariat de se jeter dans la lutte suprême, la fraction réformiste passe souvent avec armes et bagages à la contre-révolution. »

Et on en vient au point crucial (qui n’est pas un point de doctrine, ni d’idéologie, la révolution n’étant pas un fait de pensée), à la délimitation décisive dont dépend le côté de la barricade que le Parti entend choisir :
« Le geste des communistes russes contient au contraire la partie la plus haute, la plus belle, la plus passionnante de notre programme. Quand il s’agira demain de faire la même chose, non pour singer la Russie, mais parce que c’est l’unique voie que l’histoire laisse ouverte à l’émancipation prolétarienne, quand nous en serons à ce tournant de l’histoire, une fraction du Parti se retournera contre nous au nom des théories bourgeoises dont nous avons parlé, et ce sera un immense inconvénient pour notre cause, pour la bataille que le prolétariat aura dû engager. »

Le rapporteur continue en proposant l’alternative aux autres fractions du parti. qui au congrès se cachaient derrière des dissertations et des subtilités de doctrine :
« Nous faisons appel à la loyauté des camarades réformistes, nous leur demandons de ne pas fuir cette discussion sous le prétexte qu’une semblable situation n’est pas envisagée dans l’avenir immédiat et que nous avons autre chose à penser; en effet, qu’elle soit proche ou lointaine, cette situation est décisive pour le sort du prolétariat dans ce moment tragique, et donc bien au-dessus des perspectives de n’importe quelle campagne électorale. C’est pourquoi nous demandons à la fraction qui n’est ni maximaliste ni communiste au sens de notre programme de parti, de se déclarer et de discuter avec nous pour décider si notre parti accepte d’adopter cette méthode, à savoir la conquête révolutionnaire du pouvoir, L’insurrection et la dictature du prolétariat. »

Il continuait par cet avertissement, que les « maximalistes électoralistes » ou centristes – ceux du « marais » –, considérèrent comme une offense, mais qui fut tragiquement justifié par la suite :
« Demain, devant la bataille imminente entre le prolétariat et ses exploiteurs, nous nous séparerons nettement en deux camps, en deux écoles socialistes, car l’académie sera devenue la réalité, et les discours seront devenus des coups de fusil. Pensez, camarades maximalistes électoralistes, à la responsabilité que vous prendrez en jetant un pont entre les deux méthodes et en créant la synthèse des deux tendances qui représentent nettement deux conceptions opposées ! »

Le prétendu parti de « type nouveau » de Gramsci et Togliatti, comme le dit l’hagiographie officielle, naquit précisément sur la base de cette « synthèse », comme réaction à l’« académisme », au « dogmatisme » de la Gauche, et il est tombé plus bas que la fameuse « droite » socialiste, puisqu’il est allé jusqu’a renier les principes élémentaires du marxisme. Autant valait qu’ils restent dans l’égout de la social-démocratie, en laissant à la bourgeoisie la charge d’écraser la révolution, d’en massacrer les soldats, et de retarder l’échéance d’un nouvel assaut révolutionnaire.

Le sort était jeté, le défi était lancé par la minorité communiste révolutionnaire :
« Nous voulons donc non seulement affirmer la nouvelle méthode, mais exclure l’ancienne. Nous voulons revenir à l’interprétation marxiste authentique. On a dît avec raison que notre programme ne contient pas de choses nouvelles… Nous ne soutenons pas des choses nouvelles, mais nous voulons le retour au socialisme marxiste classique, que cértains ont cru bon de transformer en une méthode égalitaire et évolutionniste d’émancipation prolétarienne. Nous voulons affirmer la divergence de ces deux voies historiques… : abandonner la méthode de la conquête social-démocrate pour aller au devant de la lutte révolutionnaire et de la conquête révolutionnaire du pouvoir. Dans cette méthode, il y a la violence… La violence est chez tous et partout… Nous ne voulons pas la violence pour la violence, ni l’insurrection pour l’insurrection. Il est juste de peser si c’est ou non le moment de déclencher l’attaque révolutionnaire. Mais il y a dans l’histoire des moments décisifs où la solution de ce problème s’impose, comme elle s’est imposée à d’autres mouvements… Et nous disons (et voilà pourquoi la question de l’unité du Parti se pose) : qu’en sera-t-il de l’ensemble du Parti quand ce moment décisif sera venu ? Car tous seront pour la violence, mais tous ne seront pas du même côté. Voilà le problème qui se posera au Parti Socialiste Italien; et puisqu’on a fait plusieurs fois allusion à la Hongrie communiste, glorieusement tombée, et qu’on a plusieurs fois fait allusion à l’échec d’autres mouvements, comme le mouvement bavarois, et qu’on en a envisagé diverses raisons d’une grande valeur politique, je vous rappelle qu’on a peut-être oublié le fait le plus important, à savoir que les gouvernements communistes de Bavière et de Hongrie comprenaient des représentants du parti social-démocrate. Or ces éléments du gouvernement bavarois penchaient toujours en faveur du gouvernement majoritaire de Berlin et ce sont eux qui ont causé la faiblesse de la révolution communiste en Bavière. Qui en réalité était de mèche avec les Alliés pour la restauration en Hongrie ? Ce sont les social-démocrates, qui avaient formé le premier gouvernement, qui, malgré le traité de Versailles fut contraint par a force à céder la place au Gouvernement de l’archiduc. Celui-ci fut imposé par les baïonnettes roumaines que la France démocratique, l’Angleterre démocratique et la démocratique Amérique s’efforcèrent d’arrêter, parce qu’il leur suffisait d’avoir remplacé le régime communiste par la domination de la social-démocratie. Telle est la situation.
Or, dans Sa grande logique, Lénine (qui donc a dit ici que Lénine était illogique, comme on l’avait dit jadis de KarI Marx ?) avait justement fait les plus expresses réserves dans un télégramme d’avertissement sur la fusion du nouveau gouvernement hongrois qui annonçait celle des communistes et des sociaux-démocrates.
Voilà quelle a été malheureusement la cause principale, que le Congrès a oubliée ou presque, de l’échec hongrois : c’est qu’on n’a pas mis nettement en lumière, au moment où il le fallait, la méthode qui constitue le patrimoine de la Troisième Internationale, à savoir la séparation absolue des deux tendances entre lesquelles il ne peut y avoir aucune collaboration. Au moment décisif de son histoire, la bourgeoisie ne se défend pas au moyen de partis bourgeois. Dans la bataille suprême contre la révolution qui avance, elle se défend au moyen des champions de la méthode social-démocrate. C’est ce problème que nous posons au Congrès. Que s’est-il passé en Russie ? La révolution russe a été l’œuvre du prolétariat. Mais elle a eu lieu lorsque le prolétariat a pu se regrouper autour d’une méthode précise, exclusive, nette et sûre. Et ce n’était même pas la méthode d’un parti, mais d’une fraction qui, grâce à sa ligne d’une intransigeance de fer, réussit à réunir un tel concours de forces, de volontés, autour des points fondamentaux de son programme. C’est justement cette fraction qui était la dépositaire d’un programme et d’une conception des événements historiques coïncidant avec la réalité; toutes les autres forces tombèrent devant elle; la vérité du programme des bolcheviks fut bientôt reconnue, et les foules accoururent se ranger autour de leur drapeau.
Voilà pourquoi nous réclamons l’exclusive. Voilà pourquoi notre motion contient une déclaration dictée à Moscou par Lénine, qui affirme qu’on ne peut tolérer dans le Parti Socialiste et Communiste (car ce n’est pas une question de noms, mais de faits) la présence d’éléments qui croient encore à l’efficacité de la méthode social-démocrate et qui refusent la violence, non en théorie, mais dans son application au moment historique où le prolétariat arrache le pouvoir politique des mains de la bourgeoisie. Si on n’établit pas aujourd’hui cette incompatibilité, il en résultera nécessairement entre nous une situation terrible ou moment de l’action. »

En dehors de la Gauche, aucun groupe ou fraction ne comprit l’importance historique de cette « exclusive », de « cette incompatibilité », de l’« intransigeance » recommandée par Lénine, non par goût esthétique, mais parce que c’était une exigence de la future victoire révolutionnaire. Mais en Occident la question était encore plus délicate – à supposer qu’on puisse établir des degrés dans l’orthodoxie – qu’en Russie et que dans les pays « arriérés ». Le problème de l’abstentionnisme, en effet, n’était pas posé par la Gauche en termes moraux il ne s’agissait pas de trouver un bouclier protecteur contre la dépravation des arrivistes impatients de se faire une place au soleil de l’État bourgeois, mais elle dénonçait une donnée réelle qui échappa à Lénine lui-même, à savoir que dans les pays industrialisés la démocratie constitue la forme la plus sournoise et aussi la plus coriace de défense du régime capitaliste, ce qui imposait catégoriquement au prolétariat et avant tout à son parti politique, de la repousser et de la combattre par tous les moyens.

Le prolétariat pouvait, sur le papier, utiliser la méthode démocratique, mais à la condition absolue que le parti possédât une structure programmatique inébranlable, ainsi qu’une autonomie d’organisation et une indépendance tactique. Mais ces conditions n’étaient réunies, dans aucun parti socialiste et le parti socialiste italien n’apparaissait ni n’était en définitive un parti unique, mais une organisation comprenant au moins trois partis, représentés respectivement par la droite social-démocrate, par le centre maximaliste et opportuniste et par la gauche révolutionnaire. Postuler, dans ces conditions, la « manœuvre parlementaire-révolutionnaire », commue Lénine lui-même le désirait, aurait signifié (et cela s’avéra par la suite) au minimum un poids inutile four la révolution, et au maximum sa défaite. C’est ce qui arriva ponctuellement et de façon tragique comme en témoignent les défaites de la révolution en Allemagne, en Hongrie, en Bavière, citées dans le discours, ainsi que la défaite de la révolution en Italie, lucidement prophétisée à la fin du rapport de Bologne :
« Notre conclusion sera celle-ci : la fraction qui sortira victorieuse de ce Congrès sera une grande fraction électoraliste qui conduira le Parti à la bataille parlementaire imminente. A présent, camarades, il est tard et je ne veux pas vous ennuyer; dans sa majorité, le Parti veut aller à cette bataille, et il ira. Nous sommes fermement persuadés que cette bataille le mettra dans une situation d’infériorité face aux exigences de l’action révolutionnaire, face à notre adhésion à la Troisième Internationale. Pour une fois, nous jouons les prophètes (et nous espérons être de mauvais prophètes), en prévoyant que ces forces, qui marcheront à l’épreuve électorale dans l’unité, devront demain se scinder sur un autre terrain. Eh bien, quand éclatera la crise que notre profession de foi théorique n’a pas réussi à précipiter, nous espérons qu’au moins ce vœu se réalisera qu’elle ne se mette pas en travers de la lutte suprême du prolétariat, qu’elle ne mette pas en travers des voies grandioses de la révolution sociale. »

Livourne fut l’épilogue de la crise du vieux parti, dont la putréfaction continuait à infecter, pour diverses raisons, jusqu’au nouveau parti qui était issu du congrès de Livourne et avait triomphé de la droite et des opportunistes du centre. L’histoire avait donc également exclu le « parlementarisme révolutionnaire », qu’embrassèrent aussitôt les éléments seulement à demi-conscients qui, à Livourne, s’étaient joints aux marxistes révolutionnaires, et qui constituèrent ainsi la dernière ramification du cordon ombilical à travers lequel devait passer le poison social-démocrate.

Le deuxième congrès de l’Internationale Communiste

Au congrès de Bologne, déjà, la Gauche avait affronté les problèmes essentiels du parti en insistant sur les aspect internationaux du conflit qui avait mûri au sein du parti socialiste.

Dès janvier 1920, et même dès la parution du premier numéro du « Soviet » organe de la fraction communiste, la Gauche s’empressa d’informer Lénine, le parti bolchevique et l’Internationale, formellement constituée depuis peu de ses positions et de son activité pour arracher le parti socialiste [de] ses entraves social-démocrates. Mais, commue on l’apprit par la suite, rien ou presque rien n’arriva sur la table de travail de Lénine, ni la lettre d’information du 11 novembre 1919, ni celle du 11 janvier 1920. Cette dernière rappelait pourtant avec force les raisons historiques de l’abstentionnisme :

« La tactique suivie par les camarades russes, et qui a consisté à participer aux élections à la Constituante, quitte à la dissoudre ensuite par la force, n’a pas représenté une condition défavorable pour leur victoire, mais elle serait dangereuse dans des pays où le système parlementaire est non pas récent, mais solidement établi depuis longtemps et enraciné dans la conscience et dans les habitudes du prolétariat lui-même… Nous sommes toutefois pour la participation aux élections chaque fois qu’il s’agit d’organismes représentatifs de la classe ouvrière, et que seuls les travailleurs y participent. Le travail nécessaire pour disposer les masses à l’abolition du système de représentation démocratique apparaît et est chez nous beaucoup plus vaste et fondamental qu’en Russie et peut-être même qu’en Allemagne. C’est la nécessité d’intensifier au maximum cette propagande tendant à discréditer l’institution parlementaire et à éliminer sa néfaste influence contre-révolutionnaire qui nous a amenés à adopter la tactique abstentionniste. A l’activité électorale, nous opposons la conquête violente du pouvoir politique par le prolétariat : notre abstentionnisme ne vient donc pas de ce que nous nierions la nécessité d’un gouvernement prolétarien centralisé (mensonge répandu tout exprès afin de faire passer les communistes d’Italie pour des anarchistes). Nous sommes mêmes opposés à la collaboration avec les anarchistes et les syndicalistes dans le mouvement ouvrier, parce qu’ils n’acceptent pas ces critères de propagande et d’action.
Les élections générales du 16 novembre, pourtant situées par le PS. dans le cadre d’une plate-forme maximaliste, ont prouvé une fois de plus que l’action électorale exclut et fait oublier toute autre activité illégale. En Italie, le problème n’est pas de réunir action légale et action illégale, comme Lénine le conseille aux camarades allemands, mais de commencer à diminuer l’activité légale pour commencer l’activité illégale, qui est totalement inexistante. Le nouveau groupe parlementaire a entrepris une œuvre social-démocrate et minimaliste en présentant des interpellations, en préparant des projets de lois, etc.
Pour conclure cet exposé, nous vous déclarons que, si jusqu’ici nous sommes restés dans le PS. et avons appliqué sa tactique avec discipline, il est probable que sous peu et peut-être même avant les élections municipales de juillet, notre fraction se séparera du Parti qui veut conserver en son sein de nombreux anticommunistes, pour constituer le Parti Communiste, dont le premier acte sera d’envoyer son adhésion à l’internationale Communiste. »

Cette courte lettre contenait toutes les bases d’adhésion au bolchevisme, revendiquées dès le congrès de Bologne, et même avant. À Moscou, au deuxième congrès de la IIIe Internationale, ces bases seront non seulement rappelées par la Fraction Communiste dans le discours sur la « question Parlementaire », mais traduites en thèses dans les célèbres « 21 conditions d’adhésion », commentées par un autre important discours sur les « conditions d’admission », prononcé a la sixième séance, le 29 juillet.

A cinquante ans de distance, ce discours, ou plutôt les questions qu’il traite, prennent un relief beaucoup plus accusé. Il mérite en particulier d’être rappelé pour la dureté des points 15, 19 et 20, exigés par la Gauche et dirigés contre les sociaux-démocrates et contre tous ceux qui ne voulaient accepter les thèses de l’Internationale qu’ « avec des réserves ». Mais si ces thèses, qui montre l’interdépendance des principes et des buts de la révolution, n’ont rien perdu de leur valeur programmatique, ce qui prend aujourd’hui le plus d’importance, ce sont certains points qui devaient d’ailleurs se concrétiser quelques années plus tard. Le premier concerne le « langage dépassé » des « réformes ». Le régime capitaliste n’est plus capable de faire des réformes, et parler de « réformistes » et de « réformisme », après Octobre, c’est-à-dire après l’ouverture de « l’ère de la révolution prolétarienne », comme disait Lénine, signifie se placer en dehors de la réalité et s’installer dans le camp de la petite-bourgeoisie, lâche et contre-révolutionnaire. Même les « catholiques de gauche » (?!), aujourd’hui, semblent comprendre cette lapalissade. Ou ne peut donc pas plus concevoir l’antiréformisme que l’antiparlementarisme comme une simple manœuvre « tactique » quoique le philistin socialiste d’hier, et le « communiste » national d’aujourd’hui leur refusent une valeur absolue et ne les acceptent que temporairement et localement. (Les voilà, les prédécesseurs du « socialisme dans un Seul pays » et des « voies nationales », au socialisme !). Il en va de même pour la dictature du prolétariat qu’ils ne discutent pas pour la Russie de 1917, mais prétendent… inapplicable aux autres nations, tout comme en cette année décisive une fut l’année 1919, alors que les faits ont prouvé sa nécessité historique. Réformisme et parlementarisme ont été chassés, refusés ou, si on veut, « rejetés » du corps de la société capitaliste, parce que ce sont des formes qui ne sont plus compatibles avec le processus « révolutionnaire » qui affecte les structures économiques capitalistes. Les survivances actuelles sont de pures apparences. dissimulant le processus de décomposition anarchique et incontrôlable de l’économie et de la société.

Le second point est centré sur l’évidente et formidable nécessité d’en arriver au Parti Communiste Mondial, unitaire et homogène dans son organisation comme dans sa doctrine. Le programme ne se discute pas, on ne l’accepte pas « à la majorité des voix », ni partiellement, il est « commun à tous », « à prendre ou à laisser ! » Quel choc, pour ceux qui étaient allés à Moscou pour « marchander » avec l’Internationale, et comme c’était le cas justement du Parti socialiste italien, pour la faire chanter en lui offrant l’adhésion de la C.G.I., à l’internationale Syndicale Rouge ! Mais quel choc plus terrible et plus funeste encore, quelques années plus tard à peine, lorsque l’oubli de cette « intransigeance » provoqua l’écrasement du prolétariat révolutionnaire, justifiant du même coup la supposition évoquée à la fin du discours :
« Au nom de la Gauche du Parti socialiste italien, je déclare que nous nous engageons à combattre et à chasser les opportunistes en Italie. Mais nous ne voudrions pas que, chassés par nous, ils puissent pénétrer dans la Troisième Internationale par un autre chemin. Nous vous disons ceci : après avoir travaillé avec vous, nous voulons, rentrés dans notre pays, former un front international compact contre les social-traîtres, contre les saboteurs de la révolution communiste. »

Sans intransigeance, comment pouvait-on en arriver à un parti unitaire ? C’était impossible, car ce ne sont ni les statuts ni les mesures disciplinaires qui peuvent garantir l’unité, mais l’acceptation volontaire du programme pris en bloc. Et, aujourd’hui, en pleine contre-révolution mondiale, comment l’indispensable organisation révolutionnaire, le parti politique de classe pourrait-il bien renaître sans avoir restauré au préalable le programme marxiste ?

Entre autres leçons. la contre-révolution a gravé celle-ci clans notre mémoire, après l’avoir inscrite dans notre chair en lettres de feu : les défaites sur le terrain de la lutte des classes constituent les prémisses des victoires futures, alors que quand elle est vaincue sur le terrain du réformisme, du parlementarisme, dus fronts uniques avec les traîtres, de la méthode social-démocrate, la Révolution et le Parti ne peuvent renaître que sur le terrain opposé de l’anti-réformisme, de l’antiparlementarisme, de l’anti-frontisme, de l’antidémocratisme, c’est-à-dire sur le terrain du marxisme révolutionnaire.

Discours sur les conditions d’admission à l’internationale Communiste

Je voudrais vous soumettre quelques observations, que je propose d’utiliser en guise d’introduction aux thèses présentées par la commission, et je vous proposerai également d’y ajouter une condition concrète. Le texte déclare : « Les partis qui conservent encore les anciens programmes social-démocrates ont pour devoir de les réviser sans retard et d’élaborer un nouveau programme communiste adapté aux conditions spéciales de leur pays et conçu dans l’esprit de l’Internationale Communiste. Il est de règle que les programmes des partis affiliés à l’Internationale Communiste soient confirmés par le Congrès international ou par le Comité exécutif. Au cas où ce dernier refuserait sa sanction à un parti, celui-ci aurait le droit d’en appeler au Congrès de l’Internationale Communiste ».

Or ce congrès a une importance exceptionnelle il doit défendre et consolider les principes immuables de l’Internationale Communiste. Lorsqu’en avril 1917 le camarade Lénine rentra en Russie et présenta une ébauche du nouveau programme du Parti Communiste, il parla également de la reconstruction de l’Internationale, et dit que ce travail devait reposer sur des bases inébranlables; il fallait écarter aussi bien les social-patriotes que les social-démocrates, ces partisans de la IIe Internationale qui jugent possible d’émanciper le prolétariat sans pousser la lutte des classes jusqu’à la lutte armée et qui n’estiment pas nécessaire d’établir la dictature du prolétariat.

La victoire de la révolution en Russie nous a ramenés au marxisme. Le mouvement révolutionnaire qui s’est sauvé tandis que la IIe Internationale s’écroulait a fait connaître son programme et le travail déjà effectué depuis lors a permis de constituer officiellement une nouvelle organisation internationale. Or je pense que dans la situation actuelle, qui n’a rien de fortuit, mais se trouve déterminée par le cours même de l’histoire, nous courons le danger de voir s’introduire de nouveau parmi nous des éléments appartenant à l’une des catégories que nous avions tenues à l’écart jusqu’ici. Lorsque le mot d’ordre « tout le pouvoir aux soviets » eut été lancé dans le prolétariat russe et international, une fois la guerre terminée, on a vu grandir à nouveau la vague de la révolution et le prolétariat du monde entier s’est mis en marche. Dans tous les pays, dans tous les partis socialistes, une sélection naturelle s’est opérée : des partis communistes sont nés et ont engagé la lutte révolutionnaire contre la bourgeoisie.

La période suivante a été une période de trêve, parce que la révolution avait été écrasée en Allemagne et en Hongrie.

La guerre est maintenant finie depuis longtemps. Le problème de la guerre et de la défense nationale n’a plus, en ce moment, d’intérêt immédiat. Il est bien facile, aujourd’hui, de dire qu’en cas de guerre, on ne retombera plus dans les vieilles erreurs, c’est-à-dire dans l’union sacrée et la défense nationale. La révolution est encore loin, diront les centristes, elle n’est pas un problème immédiat. Et ils acceptent les thèses de lIinternationale Communiste : le pouvoir des soviets, la dictature du prolétariat, la terreur rouge.

L’Internationale Communiste ne peut pas accélérer le cours de l’histoire. Elle ne peut pas « créer » la révolution, ni la susciter par la force, elle ne peut qu’y préparer le prolétariat. Mais notre mouvement a le devoir de ne pas perdre de vue les leçons que la guerre et la révolution russe nous ont données. A mon avis, nous devons leur prêter la plus grande attention.

Les éléments de droite acceptent nos thèses, mais de manière insuffisante, avec des réserves. Nous, communistes, nous devons exiger que cette acceptation soit totale et sans réserves tant dans le domaine de la théorie que dans celui de l’action.

La première application de la méthode et de la théorie marxistes, nous l’avons vue en Russie, c’est-à-dire dans un pays où le degré de développement des classes n’était pas encore très élevé. Pour cette raison même, cette méthode doit être appliquée avec plus de clarté et de cohérence encore en Europe occidentale, où le capitalisme est beaucoup plus développé.

On a parlé ici d’une ligne de partage nette entre les réformistes et les révolutionnaires. C’est un langage dépassé. Il ne peut plus y avoir de réformistes, car la crise bourgeoise exclut tout travail de réforme. Les socialistes de droite le savent fort bien, quand ils se déclarent pour une crise de l’ordre social et se proclament « révolutionnaires », mais espèrent que la forme et le caractère de cette lutte ne seront pas les mêmes qu’en Russie. Pour ma part, camarades, je pense que l’Internationale Communiste doit proclamer avec ténacité et de la manière la plus inflexible son caractère politique révolutionnaire.

Nous devons dresser devant les réformistes des barrières infranchissables. Nous devons contraindre ces partis à une déclaration de principe sans équivoque. Il faudrait que tous les Partis communistes du monde aient un programme commun mais à l’heure actuelle ce n’est malheureusement pas possible. L’Internationale ne possède aucun moyen pratique de s’assurer que ces gens-là suivront à l’avenir le programme communiste. Toutefois, je propose la condition suivante :

Lorsqu’il est dit, à la thèse 15 : « Les partis qui conservent encore les anciens programmes social-démocrates ont le devoir de les réviser sans retard, et d’élaborer un nouveau programme communiste adapté aux conditions spéciales de leur pays et conçu dans l’esprit de l’Internationale Communiste », après les mots « les réviser », il faudrait supprimer la phrase « et élaborer un nouveau programme communiste adapté aux conditions spéciales de leur pays et conçu dans l’esprit de l’Internationale Communiste », et la remplacer par « et élaborer un programme dans lequel les principes de l’Internationale Communiste soient fixés d’une manière non équivoque et entièrement conforme aux résolutions des congrès internationaux. La minorité du parti, qui se déclare contre ce programme doit, pour cette raison, être exclue de l’organisation du parti. Les partis qui ont modifié leur programme et adhéré à l’Internationale, mais n’ont pas rempli cette condition doivent convoquer immédiatement un congrès extraordinaire pour s’y conformer ».

La question de la minorité de droite, sur laquelle les représentants du parti socialiste français ne se sont pas prononcés (ils n’ont pas dit qu’ils chasseraient de leurs rangs les Renaudel et autres), doit être posée de manière claire et explicite. Tous ceux qui votent contre le nouveau programme doivent sortir du parti. A l’égard du programme, il n’existe pas de discipline : ou on l’accepte, ou on ne l’accepte pas, et dans ce dernier cas, on quitte le parti.

Le programme est une chose qui nous est commune à tous, ce n’est pas la chose d’une majorité de camarades du parti. C’est une condition préjudicielle qui est imposée aux partis qui désirent être admis dans l’Internationale Communiste. C’est seulement aujourd’hui qu’on a enfin établi qu’il y a une différence entre le désir d’adhérer à l’Internationale et le fait d’être admis par elle.

Je pense qu’après le Congrès, il faut laisser au Comité exécutif un certain temps pour veiller à ce que toutes les obligations imposées aux partis de l’Internationale Communiste soient bien observées. Après cette période, que l’on pourrait appeler une période d’organisation, il faudra fermer la porte, et il ne doit plus y avoir d’autre possibilité d’admission que l’adhésion individuelle au parti communiste du pays considéré.

Je propose que la motion du camarade Lénine, qui a été retirée, soit proposée de nouveau : c’est-à-dire que dans les partis qui demandent à être admis dans l’Internationale, il y ait un certain nombre de communistes qui prennent la direction des organes de parti. Et je préfèrerais, quant à moi, que ceux-ci soient entièrement composés de communistes. L’opportunisme doit être combattu partout. Mais nous nous rendrons cette tâche extrêmement difficile si, au moment même où des mesures sont prises pour épurer l’internationale Communiste, nous ouvrons la porte à ceux qui sont restés dehors.

Au nom de la gauche du Parti socialiste italien, je déclare que nous nous engageons à combattre et à chasser les opportunistes en Italie. Mais nous ne voudrions pas que, chassés par nous, ils puissent pénétrer dans la Troisième Internationale par un autre chemin.

Nous vous disons ceci après avoir travaillé avec vous, nous voulons, rentrés dans notre pays, former un front international compact contre les social-traîtres, contre les saboteurs de la révolution communiste.

Les prévisions de la lettre du 11 janvier ne se vérifièrent pas : les élections municipales de juillet 1920 s’achevèrent Sans que la Gauche sortît du vieux parti socialiste. Les modérateurs habituels, inventeurs imaginatifs d’un « ordre nouveau »[2] pleuraient après « unité » du parti et ne se décidaient pas à faire le pas décisif, considérant la scission comme un malheur, et non pas comme une nécessité pour arriver à la constitution du Parti communiste.

Bon gré, mal gré, ils suivirent la Gauche abstentionniste à Livourne, ou plutôt se traînèrent derrière elle, mais lorsqu’ils retournèrent à leurs origines douteuses, repassant le Rubicon qu’ils avaient traversé à contrecœur, ils osèrent pretendre qu’ils s’étaient finalement « libérés de l’intolérable dictature de fer d’Amadeo ». S’ils s’étaient effectivement pliés, dans leur ineptie et leur débilité, ce n’était pourtant pas à la volonté d’un homme, mais à ce que cet homme représentait, à la méthode révolutionnaire qui caractérisait la Gauche communiste, laquelle ne se perdait pas, pour sa part, en vaines rêveries sur un « ordre nouveau ».

Au congrès de Livourne, Amadeo fit dans son discours une analyse précise des raisons imposant la scission, et il démasqua en particulier le fameux centrisme maximaliste qui couvrait par son verbalisme « communiste » et par ses poses révolutionnaires l’absence totale de sens révolutionnaire de la droite social-démocrate, et qui, de ce fait, constituait le pire danger, parce que le plus insidieux, un danger qu’il fallait absolument écarter du parti.

La Gauche mit le centrisme au pied du mur, et il capitula devant ses attaques. Il aurait été souhaitable que les fractions communistes des autres partis socialistes d’Europe en fassent autant et que l’Internationale elle-même agisse toujours de même. Cela aurait empêché les demi-révolutionnaires de jamais relever la tête et la Gauche internationale de se laisser submerger par la vague stalinienne. Comme Amadeo l’indiquait en commençant son discours par la « question parlementaire », les problèmes débattus avaient une portée « générale », « internationale » et intéressaient tout le mouvement communiste. Non seulement le prolétariat de l’Occident industrialisé avait failli à sa tâche révolutionnaire, mais il avait davantage encore manqué à son devoir de soutenir la révolution russe et d’en combattre les ennemis, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

La véritable alliée de la contre-révolution fut le retour de l’infection social-démocrate, mais les porteurs du germe fatal furent plutôt les centristes qui avaient répandu la maladie du démocratisme au sein du parti communiste lui-même que les sociaux-démocrates proprement dits. Voilà pourquoi l’intransigeance était une nécessité éminemment pratique, concrète, réelle. La façon dont l’ennemi de classe va répandre son venin dans le corps vigoureux et jeune de la classe prolétarienne est bien claire : déshonorée par sou social-patriotisme, la droite social-démocrate s’écarte et elle abandonne le parti au centre maximaliste qui « accepte » tout, meme la prise violente du pouvoir et la dictature prolétarienne, mais pas en Italie, et pas pour le présent : qui adhère à l’Internationale Communiste, mais « à certaines conditions », et qui crie : « Vive Lénine ! » uniquement parce qu’il n’est pas italien, mais russe. tout comme Cachin rend hommage à la révolution d’Octobre uniquement parce qu’elle n’a pas éclaté à Paris. mais à Pétersbourg, et une foule d’autres tristes personnages sautent de même facilement la barrière qui sépare le communisme du social-démocratisme pour des raisons analogues. Démasqué par la Gauche, le centrisme éclate, se divise, se déguise en « tacticisme » et entre dans le nouveau parti. Il se dissimule dans les replis du « situationnisme » et, le moment venu, il se porte au secours des « camarades » encore prisonniers du nouveau parti socialiste, les « terzinternationalistes », réclame avec une ardeur croissante de nouveaux blocs que, dans son simplisme, la direction de l’Internationale couvre de son autorité. Le centrisme s’attache à elle comme le lierre pour mieux l’étouffer, et le jour viendra où il réussira à éliminer non seulement la tactique léniniènne, mais jusqu’aux principes indérogeables de la conquête violente du pouvoir, de la dictature et du socialisme. Les centristes du parti communiste ont ainsi osé ce que les centristes du parti socialiste n’avaient pas osé. Ils réalisent ce que la droite complotait. Ils expulsent la gauche au lieu d’être expulsés par elle, et ce faisant, ils détruisent le parti qu’elle avait été la seule à vouloir, à vouloir de toutes ses forces.

Discours du congrès de Livourne

Camarades, la fraction communiste, au nom de laquelle je parle, a déjà eu l’occasion d’exposer amplement les éléments de jugement et les arguments sur lesquels se fonde notre attitude : dans les discussions qui ont précédé le Congrès, dans le rapport écrit que nous vous avons distribué, dans le discours de Terracini qui a élucidé les thèses fondamentales que nous vous proposons dans notre résolution.

Notre point de vue, résumé d’abord dans un manifeste – programme, puis dans la motion adoptée au Congrès d’Imola, est connu depuis longtemps de l’ensemble du Parti. Au point où en est la discussion, camarades, mon rôle n’est pas de reprendre tout le problème, et cela ne serait d’ailleurs pas possible. A cette tribune, le voudrais plutôt rappeler quelle est la valeur et la signification de ce Congrès du point de vue du conflit politique qui oppose le communisme et la tendance de droite dans le mouvement prolétarien international.

Permettez-moi donc de rappeler brièvement certains faits que nous devons avoir à l’esprit pour cette analyse et qui remontent à des expériences mémorables dont notre fraction a déjà eu l’occasion de parler amplement dans les documents que je vous rappelais. Mon but n’est pas de vous présenter ici une critique complète de la dégénérescence du mouvement prolétarien et socialiste dans la IIe Internationale, mais c’est pourtant bien de là qu’il faut partir.

Dans les dernières décades précédant la guerre de 14, le mouvement socialiste avait dans sa grande majorité pris ce caractère que vous connaissez bien, et qui l’avait amené à déformer et à abandonner la doctrine fondamentale du marxisme et la pratique révolutionnaire découlait de cette doctrine. Ce n’est certes pas le hasard, ni le caprice ou la vanité des hommes qui ont déterminé une telle orientation, mais les caractères mêmes du déroulement du capitalisme. Même au sein de l’ancienne Internationale, la gauche communiste a toujours défendu l’ensemble du bagage théorique que nous possédons et qui part de l’œuvre critique fondamentale de Marx et d’Engels. C’est la conception du développement révolutionnaire merveilleusement résumé dans le « Manifeste du Parti communiste » qui nous amène à prévoir la fin du monde capitaliste. Mais cette prévision de la manière dont la société capitaliste disparaîtra de l’histoire de l’humanité, cette prévision présentée historiquement, politiquement, dans le « Manifeste du Parti communiste », et analysée en détail dans le « Capital », n’était en aucun cas un schéma simple et aride pouvant se réaliser et se dérouler dans l’immédiat, sans autre forme de procès.

Certes, dans l’analyse que nous, marxistes, en faisions, le capitalisme apparaissait destiné à succomber; du fait du développement de certaines contradictions profondes, il apparaissait destiné à ne plus pouvoir représenter, au-delà d’un certain stade, un système de production profitable à l’humanité. Mais en même temps, le capitalisme et la société bourgeoise élaboraient en leur sein des éléments de conservation, des facteurs contrebalançant les facteurs de crise, des anti-corps comme tout organisme en secrète pour combattre les toxines.

Or c’est précisément la fonction que le mouvement prolétarien de la Iie Internationale a peu à peu assumée au lieu de représenter le facteur décisif du renversement du capitalisme. Dans la lutte suprême entre la classe patronale et les forces productives, qui auraient dû se révolter contre l’engrenage des rapports de production entre producteurs et bourgeois, du fait de la complication croissante de la phase capitaliste de l’évolution du monde bourgeois, le mouvement prolétarien fut peu à peu transformé en un facteur d’équilibre et de conservation du régime bourgeois. Ce mouvement ayant abandonné dans le domaine théorique la critique fondamentale des idéologies démocratiques-bourgeoises et petites-bourgeoises, qui est le point de départ du marxisme, il ne pouvait plus surgir d’antithèse entre le prolétariat, porteur d’idéologies nouvelles, de forces nouvelles, de systèmes nouveaux, d’institutions nouvelles, et tout le mécanisme démocratique propre au système capitaliste. Cette antithèse révolutionnaire fondamentale fut remplacée par une convergence, une collaboration entre le principe idéologique et le système représentatif de la démocratie bourgeoise d’une part et de l’autre la fonction du mouvement prolétarien, entendue non plus comme la marche résolue de la classe vers son destin, mais comme l’ensemble des tentatives de groupes, de sous-groupes et de catégories restreints pour obtenir des avantages limités.

Or le grand intérêt de classe du prolétariat ne peut pas, ne doit pas, ne réussira jamais à se réaliser dans le cadre du système politique actuel. Le but suprême de toute la classe prolétarienne dans son ensemble ne peut être atteint qu’en balayant les institutions politiques sur lesquelles se fonde le pouvoir du capitalisme mais une possibilité de conciliation existe au niveau des intérêts immédiats, contingents de groupes ou de catégories, grâce aux satisfactions, fussent-elles illusoires, que l’on peut atteindre au moyen du mécanisme démocratique, du droit de suffrage, de tous les droits que la constitution bourgeoise reconnaît aux masses prolétariennes.

En jouant ce rôle, camarades, le socialisme de la IIe Internationale était devenu un mouvement syndical coopératif pour la défense des intérêts immédiats de groupes d’ouvriers, auquel se rattachait parfaitement un mouvement purement électoraliste, purement social-démocrate de conquête de mandats électoraux au Parlement afin de prolonger la vie de la bourgeoisie aux côtés de la classe destinée à la combattre et à l’abattre, le prolétariat.

En limitant l’ascension vertigineuse du profit capitaliste, en servant à tempérer la soif de gain de la classe bourgeoise, ce mouvement a historiquement contrebalancé le processus de concentration des capitaux, d’accroissement de la misère, d’exaspération des rapports capitalistes. Il a contrebalancé ce processus sans pouvoir l’éliminer définitivement, permettant ainsi à la société bourgeoise de trouver l’équilibre jusque dans sa contradiction intime grâce à ce rôle joué par le mouvement prolétarien, par la majeure partie du mouvement socialiste de la IIe Internationale, qui avait réduit les vieilles perspectives révolutionnaires à n’être plus qu’un froid tableau sur lequel on jetait de temps en temps un coup d’œil et qu’on appelait le programme maximum. En revanche, elle consacrait toute son activité à la rédaction et la réalisation d’un programme minimum qui ne représentait rien d’autre qu’une série d’échelons que le prolétariat était censé gravir l’un après l’autre. Eh bien, l’histoire a démontré la fausseté de cette doctrine et de cette théorie du mouvement révisionniste. La conception pessimiste, catastrophique, révolutionnaire du marxisme affirmait qu’il était impossible de sortir pacifiquement du mécanisme de la société actuelle, impossible d’éviter que la contradiction du capitalisme conduise à la bataille révolutionnaire suprême entre les classes. La IIe Internationale révisa cette prévision historique, prétendant au contraire que le monde capitaliste se modifierait graduellement, lentement, mais sûrement grâce aux doses de socialisme peu à peu injectées dans ses différentes structures, et, sans avoir besoin de cette lutte suprême, de ce conflit, de cette catastrophe, se transformerait insensiblement en société socialiste, c’est-à-dire en société fondée sur la socialisation des moyens de production et d’échange

Eh bien, je ne vous démontrerai pas longuement comment la guerre a fait justice de cette doctrine. Je ne fais pas une conférence de propagande et je ne peux pas m'attarder à démontrer que la guerre justement, c’est-à-dire la crise suprême, l’ultime phase de l’impérialisme capitaliste, ne fait pas autre chose que confirmer les caractéristiques de la crise finale du régime bourgeois définies dans la doctrine de Marx. Avec la guerre, le mouvement se vit donc arracher par l’histoire la possibilité de réaliser son programme. Quel fut son rôle dans une situation de ce genre ? Eh bien, cette situation – qui d’ailleurs, comme nous le verrons, se répète ensuite dans l’épisode de l’après-guerre – nous confirme, nous fait comprendre que notre doctrine, notre méthode critique n’est pas le fait de la volonté des hommes que ce n’est pas la conscience, ou la pensée, qui dirige l’histoire, mais des forces plus complexes et plus profondes Il ne fallait donc pas s’attendre à ce que ces révisionnistes, qui avaient exclu la possibilité d’un assaut révolutionnaire du prolétariat contre la bourgeoisie, qui avaient caressé l’illusion d’une révolution pacifique et graduelle du monde capitaliste, n’excluant pas seulement la guerre de classe, mais même la guerre entre États capitalistes, se dédisent. Malgré l’avertissement lancé par le dernier congrès de la IIe Internationale, il n’était pas possible que tous ces gens disent : nous nous sommes trompés nos théories étaient fausses et nous sommes prêts à faire machine arrière. Il faut revenir à la vieille méthode révolutionnaire; il faut donc refuser de suivre la bourgeoisie dans la guerre, et il faut au contraire accepter les armes qu’elle tend aux prolétaires pour les utiliser dans la lutte révolutionnaire.

Cela n’était pas possible : c’est pourquoi également, quand nous parlons du phénomène que je suis en train de vous exposer, même si nous l’appelons, faute d’un terme meilleur qui existe peut-être en quelque autre longue, phénomène d’opportunisme, nous ne voulons pas donner une définition d’ordre éthique et individuel : nous voulons parler d’un phénomène plus fort que la volonté de ceux qui dirigeaient le mouvement prolétarien à la veille de la guerre. La politique syndicale d’une part, la politique parlementaire de l’autre, étaient les deux ressorts d’une machine qui, étant agencée exclusivement pour accorder au prolétariat de petites satisfactions et de petites améliorations, les mettait en contact, en discussion, en transaction permanentes avec la bourgeoisie, les conduisait continuellement à des accords syndicaux qui les poussait de plus en plus à la collaboration politique, au possibilisme et à l’entente avec l’adversaire jusque dans l’administration de la chose publique et l’intervention dans les mécanismes du pouvoir en tant que représentants du prolétariat. Voilà pourquoi il n’a pas été possible, en 1914, d’arrêter cette machine que le prolétariat alimentait de ses efforts, de ses économies, de ses sacrifices, de son action, et parfois même de son sang, puisque cette époque a aussi connu des épisode violents de lutte de classe. Elle continua à tourner, et ses dirigeants continuèrent à persévérer dans la même méthode, puisqu’ils ne pouvaient plus en modifier le cours fatal.

Ce mécanisme avait perdu tout but et toute justification théorique, mais il ne pouvait ni s’arrêter de tourner ni changer de structure. Comme il servait à l’équilibre de la bourgeoisie, son but – la collaboration – disparut en même temps que la possibilité même du réformisme; mais le fait de la collaboration, supérieur à la volonté de quiconque, resta et c’est ainsi que le Parti socialiste et les Organisations prolétariennes de la majeure partie du globe devinrent les meilleurs instruments que le capitalisme ait pu imaginer et désirer pour conduire sans résistance les foules prolétariennes au sacrifice de la guerre nationale.

J'ai voulu rappeler tout ceci, uniquement pour établir les caractères de ce phénomène que j'ai accepté d’appeler « opportunisme ». Celui-ci ne pouvait se proposer d’atteindre des buts que toute son histoire avait rejetés, et il ne pouvait rien faire d’autre que persévérer dans son ancienne praxis, dans son ancienne méthode, et devenir un élément de défense de la classe bourgeoise contre la classe prolétarienne.

Sans poursuivre cette analyse dans tous ses détails, nous retrouvons le même phénomène dans la situation d’après-guerre. Graziadei et Terracini vous ont dit comment les communistes interprètent la situation de l’après-guerre. Quelle est la thèse fondamentale de la IIIe Internationale ?

La thèse fondamentale est celle-ci : la situation héritée de la guerre des États bourgeois doit être transformée en guerre révolutionnaire entre les classes dans le monde entier. Eh bien, camarades, au lendemain de la guerre, les vestiges de la vieille erreur déterminèrent une situation analogue. En effet que voyons-nous ? D’un côté les communistes marxistes affirment qu’il faut orienter le mouvement prolétarien vers ce programme maximum qui apparaît enfin au premier plan de l’histoire, qui est enfin tangible, qui est enfin réalisé dans certains pays, c’est-à-dire vers ce résultat suprême et unique, la conquête du pouvoir politique, point de départ de la révolution prolétarienne. Mais tandis qu’à gauche le marxisme communiste affirme par sa pensée et par son action cette vérité, la vieille erreur, la vieille méthode persistent encore dans le monde entier, dans tous les pays; on affirme encore que, malgré la terrible catastrophe de la guerre et bien que celle-ci ait condamné et déshonoré pour toujours le mécanisme social-démocrate capitaliste, nous avons encore devant nous, comme autrefois, une période d’évolution graduelle, de conquêtes successives, de résultats partiels, et on refuse encore la tactique qui, retournant enfin aux sources du marxisme révolutionnaire, dit au prolétariat qu’il ne doit lutter que pour la conquête du pouvoir, et que ce n’est qu’en se servant de cette lutte pour briser l’appareil d’État bourgeois, sa police, son armée, ses Parlements, qu’il pourra créer le nouvel appareil d’État, l’appareil des Conseils prolétariens. En effet c’est seulement de cette manière qu’on peut forger un instrument capable d’intervenir dans les rapports de production capitalistes et de les transformer pour supprimer l’exploitation des travailleurs et l’écart entre les classes.

Face à cette thèse, le mensonge révisionniste subsiste, avec toutes ses équivoques. Oui, camarades, le phénomène se répète. Ce phénomène s’est répété en Russie, de manière évidente, devant une situation révolutionnaire qui s’était présentée dans ce pays plus tôt qu’ailleurs, et si c’était le moment de discuter de ceci en détail, il faudrait évoquer bien des phases de l’histoire qu’a vécue le prolétariat d’Occident !

Donc, camarades, quand se pose le problème de savoir « comment le prolétariat doit liquider l’héritage de la guerre », la position révisionniste pouvait effectivement se défendre en Russie avec plus de raisons qu’ailleurs, parce que la Russie était l’unique pays où l’on pouvait défendre la forme démocratique de la révolution d’un point de vue socialiste, ne serait-ce qu’en raison du fait qu’il fallait laisser quelque temps en vigueur une constitution politique de nature parlementaire et démocratique. Or c’est là, c’est-à-dire dans le pays où la conquête totale, la conquête « maxima », avait le moins de chances de se produire, qu’elle s’est produite en dépit des conditions locales et sous l’effet d’une condition universelle, la situation historique créée par la guerre ayant placé le prolétariat russe devant le problème de la réalisation « maxima », de la conquête du pouvoir, de la destruction de ces institutions démocratiques qui venaient de naître. Alors, là aussi, là surtout, le mouvement prolétarien s’est scindé; là aussi il y a eu des partisans de la social-démocratie et du réformisme, des chefs politiques du prolétariat, qui ont dit « Non, ce n’est pas la perspective juste, ce n’est pas l’avenir. Le prolétariat russe ne peut aller jusqu’à cette conquête totale »… Et ce fut la gauche de la Russie bolchevique qui établit avec la plus grande clarté la thèse suivante : il ne suffit pas de déplorer la guerre comme on pouvait autrefois déplorer les iniquités du capitalisme : il faut lancer aux masses le mot d’ordre de transformation de la guerre nationale des États en guerre civile du prolétariat.

En Russie, camarades, c’est donc un phénomène parfaitement et absolument analogue à celui du réformisme social-démocrate qui s’est produit avec le menchévisme, au moment suprême où, s’appuyant sur la nouvelle institution des Soviets, le prolétariat s’est emparé des armes en possession de l’armée et de la marine et s’est lancé dans la bataille suprême pour le pouvoir. A ce moment, en effet, le menchevisme ne dit pas : « Mes théories se révèlent fausses, ce que je croyais impossible en Russie aujourd’hui est en passe de se réaliser, puisque le prolétariat est déjà debout, enflammé par le mot d’ordre de conquête du pouvoir ». S’il ne dit pas cela, c’est que de telles conversions ne sont pas possibles, qu’il avait entre les mains une structure, une machine qui devait continuer à tourner comme par le passé, fonctionnant aux côtés de Kerenski et de Martov, et continuant dans sa pratique de collaboration avec la bourgeoisie. Et quand Lénine se dressa contre Kerenski, les menchéviks n’eurent pas à choisir : ils passèrent dans le camp de Kerenski, ils firent cause commune avec la bourgeoisie contre la révolution.

Je passerai sur les constatations analogues que l’on peut faire à propos des autres révolutions communistes qui n’ont pas triomphé, comme la révolution russe, mais échoué. Je dirai simplement que ces expériences d’ordre historique sont surtout confirmées par les révolutions qui se sont arrêtées à la phase social-démocrate dirigée par les réformistes. Eux aussi, en effet, sont pour la prise du pouvoir, mais ils veulent y aller sans l’assaut violent prévu contre les institutions actuelles et donc sans aucune force qui leur permette, comme premier acte du remplacement de la bourgeoisie par le prolétariat, ne se saisir de ce mécanisme juridique, militaire et policier, de le balayer et de le briser en mille morceaux, comme un instrument qui a fait son temps dans l’histoire et doit céder la place à une autre institution.

Ils ne veulent pas croire cela possible. Ils ne croient pas que le prolétariat ne peut gérer le pouvoir qu’après avoir brisé la machine gérée par ses oppresseurs ils croient qu’il peut utiliser les instruments mêmes qu’il trouve sur son chemin quand il attaque les privilèges de la minorité bourgeoise.

Je disais que nous avons vu des Gouvernements social-démocrates. Il ne s’agit pas seulement de Gouvernements de collaboration avec les Partis bourgeois, mais même de Gouvernements fondés sur des Parlements socialistes à l’unanimité moins une ou deux voix, comme en Ukraine et en Géorgie et comme, de manière moins évidente, dans d’autres pays. On a vu ainsi sur la plus large échelle la faillite de la social-démocratie, puisque ces pays n’ont pas réalisé ce que, malgré cent obstacles, la dictature du prolétariat a réalisé en Russie, en fondant sa politique économique sur de pures bases marxistes, contre tous les mensonges bourgeois; non seulement ils n’ont même pas réalisé leur thèse historique, que Terracini a bien exposée tout à l’heure, mais ils n’ont même pas pu démontrer leur thèse qui prétend que le prolétariat peut aller au pouvoir par des voies démocratiques en évitant la dictature et la violence, en évitant de violer la liberté d’opinion et d’agitation, puisque leurs Gouvernements ont eu besoin d’utiliser la dictature, la violence, et de supprimer la liberté d’autrui. Mais comment cela s’est-il vérifié ? Tandis que dans la dictature des Soviets, la classe qui subit la dictature, qui subit même les horreurs de la terreur rouge et est considérée comme l’ennemie de la cause prolétarienne, c’est la classe des exploiteurs, privée de ses droits et de ses privilèges d’autrefois, qui cherche à attenter aux conquêtes de la révolution; dans ces pays, au contraire, on exerce la dictature, on exerce la violence, on applique la terreur, mais contre les prolétaires, contre les communistes.

Voilà donc, camarades, l’alternative que l’histoire nous présente aujourd’hui : dictature bourgeoise ou dictature du prolétariat. Mais c’est ici qu’intervient l’école intermédiaire, qui dit aux prolétaires « En avant ! », mais sans dictature et sans violence. Son rôle, qui est déterminé dans l’histoire au-delà de la volonté et de la conscience, c’est d’être la dernière gérante de la dictature bourgeoise contre la révolution prolétarienne. C’est pourquoi, plutôt que de comparer les cas qui se sont présentés, nous nous sommes efforcés, camarades, d’établir quels sont les signes annonciateurs de ce danger toujours présent dans les rangs du mouvement prolétarien. Nous nous sommes efforcés de dégager les caractères du mouvement social-démocrate parce qu’à un moment où, comme aujourd’hui, un nouvel instrument de lutte politique et d’émancipation du prolétariat se reconstitue, grâce à la valeur des socialistes formés par la guerre et par la révolution russe, grâce à l’initiative du grand parti marxiste de Russie, il faut que ce soit sur des bases exactement opposées à celles de la social-démocratie. Il faut bannir tout risque que cet instrument devienne à son tour un mécanisme de conservation et d’équilibre capitalistes au lieu d’être l’arme bien trempée qui, empoignée par le géant prolétarien, servira à abattre les dernières résistances du monde actuel.

Voilà, camarades, le problème qui s’est posé à l’internationale Communiste : au moment où les vieux Partis de la IIe Internationale se désagrègent et se trouvent dans l’impossibilité de reprendre leur rôle d’avant la guerre parce qu’ils se sont déshonorés devant la grande masse prolétarienne de manière trop scandaleuse, voilà que certains de ces Partis s’efforcent d’entrer dans la IIIe Internationale et qu’au début de l’année dernière, dans de nombreux Congrès, on a vu des Partis fondamentalement social-démocrates abandonner la IIe Internationale en se réservant d’entrer dans la IIIe.

Alors, camarades, devant ce problème essentiel, le Comité exécutif de l’internationale Communiste a convoqué le Congrès de Moscou. Il s’agissait de reconnaître le danger, d’en dégager les caractères, de définir les moyens de s’en défendre, c’est-à-dire à la fois de faire le diagnostic et de trouver le remède à cette maladie opportuniste qui menace d’infecter le puissant mouvement prolétarien, qui menace de pénétrer jusque dans les rangs de la nouvelle Internationale qui est en train de se constituer. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la pensée communiste combat le révisionnisme et nous disposons d’un matériel critique qui remonte à l’avant-guerre, à l’époque des célèbres polémiques entre la gauche révolutionnaire et la droite réformiste, et dont nous avons tiré les premiers éléments permettant d’identifier le danger réformiste.

Le Congrès fournira encore d’autres éléments pour l’expérience internationale de cette lutte, aussi me limiterai-je à rappeler les arguments caractéristiques de l’opportunisme, pour voir où il se trouve en Italie, s’il y existe encore, comment il faut faire pour en débarrasser notre mouvement, quel avertissement constituera le résultat de ce Congrès, et quelle en sera la conséquence pour le mouvement communiste international.

Je vous disais que le mouvement révisionniste était caractérisé par ces pratiques purement corporatistes en économie, purement électorales en politique sur lesquelles il est inutile d’insister davantage mais il était également caractérisé par certaines thèses favorites. Au fond, il avait à l’égard de l’idéologie, de la doctrine, de la théorie, une attitude démagogique se résumant dans la formule : « nous voulons agir et non pas faire de la théorie » qui a souvent provoqué les applaudissements de prolétaires sincèrement révolutionnaires, alors qu’ils auraient pu éviter le piège dissimulé dans ce facile effet oratoire s’ils s’étaient souvenus des indications de la doctrine marxiste. Malheureusement, le révisionnisme s’était bel et bien fait sa place dans la pensée marxiste des révolutionnaires destructeurs, il avait acquis tous les caractères de l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise, c’est-à-dire, grâce à certains arguments spécifiques et à d’étranges contradictions entre ses thèses d’aujourd’hui et celles d’hier, cette élasticité et cette désinvolture avec lesquelles il évoluait au travers des situations, en finissant toujours par élaborer sans le savoir les réponses les moins révolutionnaires.

Un argument caractéristique ? Je n’en rappellerai que quelques-uns, ne serait-ce que pour ne pas vous ennuyer. La manière dont le réformisme envisage le problème de la révolution. Même à la veille de la guerre, à un moment où le problème n’était pas à l’ordre du jour de l’histoire, où il ne se trouvait pas devant nous, nous avons parlé de programme révolutionnaire et de tendance révolutionnaire, et cela parce que nous disions : Certes, il n’est pas possible de faire la révolution aujourd’hui, les conditions, le rapport de forces favorable au prolétariat qui pourrait permettre cette lutte suprême, ne sont pas réunies, mais il faut pourtant faire de la propagande dans le prolétariat pour montrer la nécessité de cette révolution, il faut lui dire que dans chaque épisode, dans chaque lutte, il ne résoud rien définitivement, mais il acquiert une expérience de plus, que le mécanisme social actuel ne lui offre aucune lueur d’espoir

pour l’avenir, qu’il faut le briser et le détruire, pour fixer son regard en plein ciel. Le réformisme au contraire a toujours éludé cette question, et c’est une vieille polémique de nos Congrès. Il l’a éludée en disant : Du moment que la révolution n’est pas possible, pourquoi détruire ? « Nous sommes, disent-ils, des réalisateurs, des gens pratiques, nous voulons dire aux masses ce qu’elles peuvent faire aujourd’hui, et non ce qu’elles pourraient faire demain ». C’est avec ce sophisme consistant à tout ramener aux conditions contingentes que l’on combattait notre thèse intransigeante. Car on disait « Pourquoi dites-vous qu’il ne faut pas conclure d’alliances électorales, qu’il ne faut pas faire de collaboration de classe ? Aujourd’hui il ne faut pas les faire, mais demain la situation aura changé. Elle sera différente qui peut savoir ce qu’elle sera » Le réformisme n’avait donc aucune vision historique. Il avait seulement abandonné la vieille vision, schématique, mais puissamment révolutionnaire, du programme tracé par le marxisme. Il avait inscrit sur sa bannière la fameuse formule de Bernstein : « Le but n’est rien, le mouvement est tout ». C’est dans la pratique quotidienne, disait-il, qu’on peut conquérir quelque chose, qu’on peut faire des grèves et des élections. Tout cela est une fin en soi et il n’est pas nécessaire d’avoir d’outres buts, le prolétariat n’en a que faire.

Curieusement, camarades, il y a un autre problème sur lequel on se trompe complètement : c’est quand on nous appelle volontaristes. Mais c’est vous qui êtes des volontaristes, vous qui nous avez accusés de tomber dans un déterminisme excessif, tournant au fatalisme, quand nous affirmions que l’action du moment n’était rien et que tout devait être rapporté au but lointain, à ce moment de la négation prévu par le matérialisme historique, tandis que vous conduisiez le prolétariat vers une transformation superficielle, dans le cadre de la société actuelle, et non vers la transformation effective des rapports existants.

Il y a eu deux révisions volontaristes, l’une réformiste, l’autre syndicaliste, du déterminisme marxiste, qui postulaient un faux rapport entre la loi historique et la volonté humaine, mais elles ont été l’une et l’autre contre nous. Tandis que la gauche marxiste affirmait dès cette époque qu’il fallait habituer le prolétariat à regarder loin devant lui, parce que la situation historique ne lui donnait pas la possibilité d’agir. L’obstacle majeur à la réalisation de la révolution prolétarienne ne vient pas du manque de volonté d’action du prolétariat, mais de son manque de bagage doctrinal, de méthode critique; tandis que nous affirmons au contraire qu’aujourd’hui, dans cet après-guerre, la volonté du prolétariat coïncide avec l’acte suprême par lequel il doit dépasser la structure du monde capitaliste.

On dit qu’il n’est pas vrai que la situation soit révolutionnaire. Ici aussi les arguments du révisionnisme sont intéressants. Très intéressants. Elles n’est pas révolutionnaire parce que l’économie capitaliste est au bord de la ruine. Mais dans votre éventail de formules marxistes, vous ne pouvez pas avoir oublié l’affirmation suivante lorsqu’une société nouvelle naît, cela signifie que toutes les conditions de son existence ont mûri au sein de l’ancienne société, et le prolétariat pourra entreprendre la révolution qui conduit au communisme précisément lorsque la forme économique et historique du monde bourgeois aura terminé son évolution. Eh bien, c’est curieux, mais pour le réformisme, on était loin de cette situation en 1914 parce que l’économie capitaliste était trop florissante, trop généreuse, qu’elle laissait tomber quelques miettes de son banquet sur les foules prolétariennes, et maintenant qu’on a les conditions inverses maintenant que le mécanisme capitaliste ne marche plus et provoque la faim, la misère et la souffrance du prolétariat du monde entier, on vient nous dire que la machine est trop délabrée pour qu’on puisse s’en emparer. Sans doctrine, sans idée, n’affrontant au jour le jour que des situations contingentes, les révîsionn~st~s sont devenus experts dans l’art qui consiste à toujours dire non au prolétariat en lui faisant toujours les réponses les plus susceptibles de dissiper en lui toute volonté et toute énergie révolutionnaires.

Dans la question de l’internationalisme également, les différents pays ont complètement renié les thèses marxistes. Vous vous rappelez que pendant la guerre, nous nous opposions à la formule « ni adhérer à la guerre, ni la saboter », et que nous étions au contraire pour la formule des bolcheviks, le sabotage de la guerre bourgeoise ? Quand en 1917 et 1918 certains mouvements prolétariens faisaient entrevoir la possibilité de la transformer en un assaut contre l’État bourgeois, vous vous souvenez de l’objection de notre droite socialiste ? Oui à la révolution, mais dans tous les pays en même temps, sinon on fait le jeu d’une bourgeoisie contre les autres. Aujourd’hui au contraire, alors que la révolution est commencée et que le prolétariat russe est debout depuis trois ans et se défend seul, alors que la révolution est menacée, nous devrions attendre parce que contrairement à ce qui s’est produit là-bas, ici les conditions ne seraient pas encore mûres.

Et j’en viens à l’argument principal, qui est justement celui de la différence des conditions nationales. Aucun d’entre nous ne soutient que la révolution pourrait se faire au même instant dans tous les pays. Mais venons-en à la questions des différences nationales, dont Marx a affirmé l’existence et que nous, ses très modestes disciples de la IIIe Internationale, nous n’avons aucune intention de nier. Le IIe Congrès de la Troisième Internationale connaissait parfaitement l’existence de ce problème des différences nationales, mais il n’en a pas conclu pour autant à l’autonomie absolue des Partis nationaux. Il a admis une certaine autonomie. Vous avez cité même cela. C’est vrai. Mais voyons comment les résolutions du IIe Congrès de Moscou s’appliquent à ce problème de la direction d’ensemble de l’action internationale prolétarienne et des exigences diverses que l’action peut présenter dans tel ou tel pays.

Le Congrès de Moscou nous a donné deux sortes de thèses des thèses sur les conditions d’admission, qui doivent justement garantir qu’aucun Parti opportuniste non communiste n’entrera dans la IIIe Internationale, et des thèses sur les tâches principales de l’Internationale Communiste. Dans ces dernières – il en existe une série pour chaque pays – sont examinées les différentes conditions des divers pays. C’est dans les premières que les communistes, non seulement de Russie, mais de tous les pays, ont voulu écrire, ont écrit, d’une manière qui n’est peut-être pas parfaite – selon moi elle n’est pas parfaite parce qu’ils auraient dû être encore plus sévères – ce qu’il y avait d’international dans le processus d’organisation du nouveau mouvement, ce qui doit partout différencier les forces qui adhèrent à la plate-forme du communisme marxiste de celles qui restent, de façon plus ou moins déguisée, sur le terrain de la vieille social-démocratie et de la IIe Internationale.

Eh bien nous affirmons que l’assemblée internationale suprême a non seulement le droit d’établir les formules qui s’appliquent et doivent s’appliquer à tous les pays sans exception, mais également celui de s’occuper de la situation d’un seul pays l’internationale peut donc dire qu’elle pense que, par exemple, en Angleterre on doit agir, de telle ou telle façon. Ceci posé, il est inexact de dire que les conditions particulières des différents pays n’ont pas été prises en considération. Aucun d’entre nous n’a jamais affirmé que la même tactique exactement doive s’appliquer à tous les pays du globe. Il y a une série de conditions qui ne sont pas des conditions tactiques, mais des conditions d’organisation : ce sont les conditions d’admission, qui servent tant à diriger l’action des Partis, qu’à rassembler dons chaque pays où il y a des communistes des groupes appartenant à la tendance historique marxiste, pour les admettre au sein de la IIIe Internationale, en harmonie avec ses doctrines, avec ses méthodes et avec ses buts. Mais, comme je le disais, le Congrès a également examiné les diverses conditions où se trouvent les différents pays et tout comme pour l’Angleterre, il a reconnu la nécessité d’adapter les thèses; tout en respectant les décisions du IIe Congrès de la IIIe Internationale, il s’est occupé spécialement de l’Italie. La l6e thèse sur les conditions d’admission, toux en n’excluant pas que les 21 conditions soient appliquées intégralement en Italie comme partout ailleurs (en effet dans aucune thèse particulière et nationale vous ne trouverez quelque chose qui contredise les 21 conditions, car si une telle contradiction avait été constaté, il aurait fallu effacer cette thèse parce qu’elle n’aurait pas été adéquate) permet que ces conditions soient appliquées selon les exigences de tel ou tel Parti, sans pourtant les supprimer pour aucun parti. Voilà donc le mécanisme logique selon lequel le IIe Congrès a délibéré voilà les bases sur lesquelles est fondée cette organisation internationale à laquelle nous ne pouvons nous soustraire, et voilà comment le problème ces différentes conditions et de l’autonomie se pose du point de vue de l’organisation et de la tactique communistes.

Mais il y a un autre argument intéressant, un argument de caractère sentimental, par lequel on s’oppose à l’acceptation des 21 conditions. Partout, s’est formé un courant qui dit : Nous les acceptons; mais dans notre pays nous ne pouvons pas les appliquer, parce qu’il y a des conditions spéciales. Ceci a été affirmé en Italie, en France, en Suisse, en Allemagne, en Angleterre. Si on acceptait ce principe, les 21 conditions ne seraient appliquées dans aucun pays au monde.

On dit encore Les 21 conditions correspondent aux conditions de la Russie. Ce n’est pas vrai. Elles mettent à profit l’expérience russe et je ne crois pas qu’il y ait ici quelqu’un d’assez aveugle pour nier la valeur de l’expérience russe pour juger des questions de la lutte prolétarienne internationale, quitte à l’accepter ou a ne pas l’accepter. Mais les 21 conditions ne s’appliquent pas à la Russie. La Russie est l’unique pays où elles ne s’appliquent pas, parce que là-bas le danger de l’opportunisme est vaincu

Si vous lisez n’importe laquelle de ces 21 conditions, vous vous apercevrez tout de suite qu’aucune, ou presque, ne peut s’appliquer au Parti communiste russe. Quand on dit par exemple qu’il faut faire de l’action illégale, ce n’est pas pour la Russie qu’on le dit, puisque là-bas ce qui existe, c’est la légalité prolétarienne et soviétiste et l’action illégale n’est plus nécessaire. Quand on dit qu’il faut combattre les bund réformistes, syndicaux, ce n’est pas pour la Russie qu’on le dit. Quand ont dit qu’il faut entrer dans les Parlements (même si nous devons y aller la corde au cou) ce n’est pas pour la Russie qu’on le dit, puisque là-bas il n’y a plus de Parlement, de même que j'espère qu’avant les prochaines élections, il n’en existera plus ici non plus.

Vous voyez donc que les 21 conditions ne correspondent pas aux circonstance particulières de la Russie.

Mais il y a un autre argument, lui aussi assez symptomatique. Les défaitistes de la révolution russe, ceux qui ont combattu contre les phalanges rouges du prolétariat dans les armées de la réaction, ceux qui ont été pour le moins complices de toutes les tentatives faites pour juguler la République prolétarienne, les Martov, les Tchernov et autres scélérats du même acabit, font le tour des Congrès des Partis prolétariens du monde entier et vont raconter partout que l’Internationale communiste veut y appliquer de force les méthodes qui ont été appliquées en Russie. Mais où cela est-il dit ? Et qui plus est, les gens qui prétendent cela sont précisément ceux qui en Russie aussi se sont opposés à ces méthodes et ont combattu la dictature du prolétariat et le principe soviétiste.

Vous voyez donc que cet argument de la différence des conditions n’est qu’un des nombreux sophismes qu’on fabrique pour conclure oui à la révolution, oui à la dictature, oui à tout ce que vous voulez, mais pas maintenant, pas ici, demain, ailleurs.

Voyons donc à présent comment, devant ce processus général, s’est comporté le Parti socialiste italien. Le processus de dépassement – il était naturel qu’on en vienne là – des anciennes structures, de l’ancien mécanisme, des anciens systèmes qui dans les autres pays s’est manifesté par l’éclatement des Partis au moment même de la guerre, par leur adhésion explicite à la cause bourgeoise, s’est présenté en Italie dans des conditions différentes. Voyons comment ces conditions différentes pourraient bien expliquer les conclusions différentes et les expériences particulières que la situation italienne et la naissance d’un mouvement communiste en Italie devaient créer au sein de l’Internationale dans son entier. Voyons si ces conditions particulières amènent à conclure, comme vous l’affirmez, que le Parti socialiste italien est le seul Parti socialiste ou monde qui aura traversé la guerre, et qui ira vers la révolution en gardant sa structure intacte, ou s’il faut malheureusement en tirer la conclusion opposée, à savoir qu’ici la crise sera plus profonde et plus dure.

Or, si à la veille de la guerre notre Parti avait déjà fait d’importantes expériences théoriques et tactiques (que je place même au-dessus de son opposition à la guerre) c’est parce que dans notre Parti avait commencé un débat entre la gauche marxiste et la trahison social-démocrate, dans lequel le problème ne fut pas posé exactement de la même façon qu’au sein du Parti social-démocrate russe du point de vue théorique, parce que nous n’avions pas connu de situation révolutionnaire comme celle de 1905 en Russie, mais dans lequel on avait commencé à démolir le piège démocratique, à attaquer l’idéologie petite-bourgeoise qui avait endormi le prolétariat en portant à son apogée en Italie l’activité électorale et syndicale.

En effet, au moment où le réformisme sembla triompher, en 1910–1911, il se fondait sur ces deux caractéristiques universelles l’action parlementaire possibiliste et l’action corporatiste minimaliste des organisations, des syndicats et des coopératives prolétariennes. Eh bien, nous avons réussi à écrire quelques thèses de caractère marxiste contre ces erreurs mais avons-nous eu le temps, avant la guerre, de vaincre cette structure et ce mécanisme ? Non. Nous avons triomphé aux Congrès, nous avons condamné la collaboration électorale, nous avons désavoué ceux qui voulaient adopter les conclusions possibilistes, nous avons exclu les francs-maçons, nous avons déclaré que nous voulions revenir au programme maximum qui constitue la base du marxisme révolutionnaire, mais nous n’avons pas eu le temps de traduire ces affirmations dans la pratique quotidienne du Parti; en effet, si la situation en Italie avait mûri plus vite, parce qu’une étincelle de la guerre européenne y avait brûlé deux ans plus tôt, avec la guerre de Libye, et si cette situation nous avait logiquement amenés à cette critique qui aujourd’hui s’élargit et se complète, cela ne suffisait encore pas : les conditions qui partout ailleurs dans le monde ont depuis inexorablement posé le problème sous un nouvel éclairage historique n’existaient pas encore, et si dans la situation presque normale de l’avant-guerre, la solution tactique pouvait encore sembler suffisante même à une pensée marxiste, la crise inexorable dans laquelle la crise a précipité le monde exige de toute évidence une solution plus complète.

Je ne veux pas rappeler ici ce qui a déjà été fort bien dit et qu’on peut trouver dans notre rapport sur les caractéristiques de l’entrée en guerre de l’Italie, sur l’opposition plus ou moins grande qu’elle a suscitée, etc…, mais vous voyez que notre Parti (je le dis, je l’affirme) est entré dans la guerre avec son ancienne structure, son ancien mécanisme et ses anciennes méthodes parlementaires et syndicales. Certes, dès avant la guerre, nous avions entrepris de les corriger et de nous emparer de la direction du parti, mais ce n’était encore que le début du travail de chaque jour, de chaque heure qui, même pendant la guerre, aurait été nécessaire pour briser l’influence sournoise du vieux Parti qui continuait à tendre les pièges habituels du réformisme et qui était dominante dans le groupe parlementaire et les syndicats.

Ainsi, la guerre a surpris le Parti qui n’avait pas encore achevé cette tâche et ne pouvait l’avoir achevée. C’est au lendemain de la guerre que cela aurait dû se produire, comme cela s’est produit dans d’autres pays lors de la première rupture entre les partisans et les adversaires de la guerre, rupture qui nulle part n’a malheureusement été définitive, parce que parmi les adversaires de la guerre, il a encore fallu distinguer (distinction pas seulement théorique, mais historique, et valable pour tout le monde contemporain) entre ceux qui ont été contre la guerre uniquement parce qu’ils auraient souhaité qu’il n’y ait pas de guerre, parce qu’ils ont déploré ce phénomène qui bouleversait tous leurs vieux schémas réformistes, pacifistes, chrétiens, humanitaires, et ceux qui ont été contre la guerre parce qu’ils pensaient que l’heure de la guerre des classes, de la violence revendicatrice était venue… C’est la troisième fois que je suis obligé de répéter ces mots, et si vous continuez toujours à applaudir, nous sommes frais !

Même parmi les adversaires de la guerre, il y a donc eu cette seconde rupture. En Italie, je l’accorde, la première n’a pas été nécessaire, mais la seconde ne s’est pas produite. Au lendemain de la guerre, le Parti s’est retrouvé dans une situation présentant des caractéristiques révolutionnaires qui l’a réveillé, mais qui n’était certes pas celle du mouvement socialiste russe ou allemand. Il est sûr et certain que, de tous les pays vainqueurs, l’Italie est celui qui est sorti de la guerre dans la situation la plus tendue et économiquement la plus critique, mois d’autre part, le problème de la conquête du pouvoir par le prolétariat, qui aurait inévitablement amené l’éclatement de l’ancien Parti, n’est pas apparu immédiatement. Il n’est apparu que comme un reflet de cette révision universelle des valeurs socialistes qui a résulté de la révolution de Russie et des autres pays.

Or il faut malheureusement constater qu’au lendemain de la guerre, l’ancien parti a repris sa fonction : il a changé de formule, il a changé de programme, il a continué à être dirigé par des hommes de gauche, il a même applaudi la révolution et les méthodes qui avaient fait leurs preuves dans la révolution russe, la dictature du prolétariat, le système soviétique. Pourtant, ce qui lui importait le plus à lui dont le mécanisme avait tourné pendant tant d’années et qui n’attendait que la fin de la guerre pour recommencer à tourner de la même façon, c’était de reconstituer ses rouages dans l’organisation économique, dans les Comités électoraux, de fermer la parenthèse ouverte par la crise historique pour se remettre à tisser la même sempiternelle toile. S’il s’est servi de son opposition à la guerre, ce ne fut donc pas pour accomplir une révision impitoyable des valeurs qu’il a toujours défendues, pour regarder l’avenir en face, changer radicalement d’orientation et s’engager dans une voie nouvelle, mais simplement pour se faire élire lorsque le moment de la grande foire électorale serait venu.

Sur ce point, camarades, nous nous sommes peut-être trompés[3] : l’avenir le dira; mais nous avons été opposés à cette expérience électorale de l’après-guerre, parce que nous prévoyions qu’elle jouerait le rôle d’une soupape de sûreté qui permettrait à la bourgeoisie de disperser et dissiper les énergies révolutionnaires bouillonnant au sein de sa société. Le fait est que, grâce à ce processus, le Parti socialiste italien reste aujourd’hui ce qu’il était à la veille de la guerre le meilleur Parti de la IIe Internationale, mais pas encore un Parti de la IIIe Internationale. Il n’est donc pas encore mûr pour suivre la ligne révolutionnaire qui, selon notre doctrine communiste et selon l’expérience historique du monde entier, peut seule conduire le prolétariat à l’insurrection et à la victoire.

Une voix : On vous verra à l’œuvre !

Bordiga : J'y viendrai tout à l’heure. Pour l’instant, nous disons que précisément parce qu’il a écrit avant la guerre des pages véritablement marxistes, notre Parti devait nécessairement et en dépit de toutes les difficultés parvenir dans un de ses courants de gauche aux mêmes conclusions révolutionnaires que d’autres partis, et se montrer capable de les élaborer en Italie tout comme elles l’ont été ou sont en train de l’être ailleurs. Ce ne sont pas un avertissement, et encore moins des ordres venant de l’extérieur qui nous tracent notre voie, ce sont nos propres précédents, notre propre expérience qui nous soutiennent et nous conduisent à nos conclusions. Il faut comprendre que si à la veille de la guerre il était marxiste et révolutionnaire de prôner l’intransigeance et de refuser tout bloc électoral, tant aux élections politiques qu’aux élections administratives, de refuser toute collaboration, toute franc-maçonnerie, aujourd’hui intransigeance signifie quelque chose de plus. Si hier collaboration de classes voulait dire des ministres socialistes dans un Ministère monarchiste, aujourd’hui collaboration de classes veut dire ou contraire un Ministère socialiste se superposant à la structure étatique de l’oppression bourgeoise.

Si hier être intransigeant signifiait expulser ceux qui voulaient participer au Gouvernement et revêtir la livrée des serviteurs de la monarchie, aujourd’hui être intransigeant signifie se débarrasser de quiconque ne comprend pas que la lutte doit être dirigée contre les institutions politiques bourgeoises, que la lutte doit viser à la conquête révolutionnaire de tout le pouvoir par le prolétariat, tout comme dans les prévisions et la doctrine de Marx.

C’est dans ce sens, camarades, que le Parti doit aller. Vous me direz c’est ce qu’il a fait à Bologne en acceptant le programme maximaliste, en adhérant à la IIIe Internationale, en inscrivant ses thèses sur les cartes de ses membres. Oui, mais par la suite, nous avons connu une période aujourd’hui exploitée par ceux qui, à Bologne, se sont déclarés pour le programme maximaliste par discipline et qui, triomphant après coup de la majorité d’alors (qui n’est plus celle d’aujourd’hui), proclament que son programme maximaliste a fait faillite. Vous voyez la discipline qu’on peut attendre d’eux c’est la discipline de gens qui contresignent un programme et qui se taisent en attendant qu’il échoue.

Vous nous dites – c’est une objection que je ramasse en passant – qu’en Italie, l’application de expérience communiste serait déplacée, que notre idolâtrie de la violence qui s’est produite ailleurs, dans d’autres climats, sous d’autres cieux, est une conséquence de la mentalité de guerre, qu’il y a parmi nous des socialistes de guerre. Eh bien camarades, sans vouloir faire de comparaisons, je vous rappelle qu’il y a parmi nous des vieux et des jeunes qui face à la guerre se sont montrés égaux à eux-mêmes, qui ont éventé sans hésitation le piège du social-chauvinisme, et que, s’ils n’étaient tombés dans la guerre elle-même, s’ils n’avaient été sacrifiés à la cause bourgeoise, beaucoup de ces jeunes seraient encore aujourd’hui parmi nous. Je revendique tout ce qui nous rattache au passé de ce parti, aux militants qui nous ont formés, même s’ils sont aujourd’hui de l’autre bord. Mais tout en revendiquant tout cela, je veux aussi vous dire qu’il faut considérer objectivement ce phénomène du socialiste de guerre, que, pour ma part, je mets en parallèle avec celui du socialiste de la parenthèse de guerre, du socialiste qui na pas proféré d’hérésies social-patriotiques pour la bonne raison qu’il s’est tu, du socialiste qui ne soufflait mot lorsqu’au lieu d’être deux cent cinquante mille comme aujourd’hui, nous n’étions encore que vingt-mille inscrits et pratiquement quelques centaines de militants, mais qui, une fois la tempête passée, est allé courir les réunions électorales en se vantant d’« avoir été contre la guerre »

Plusieurs voix : Il y en a aussi parmi vous !

Bordiga : Oui, camarades, il y en a peut-être aussi parmi nous de ces socialistes de la parenthèse de guerre, je ne l’exclus pas, je ne le discute pas, je ne suis pas en train de confronter deux tendances, mais deux états d’esprit et deux genèses de l’attitude révolutionnaire, et je dis que moi qui n’ai jamais été un socialiste de guerre, je préfère ces jeunes camarades qui, parce qu’ils ont fait l’expérience de l’infamie capitaliste, parce qu’ils ont été envoyés au massacre fratricide sur les fronts de la guerre bourgeoise, sont revenus avec une foi nouvelle, la foi dans la guerre pour la révolution…

Mais fermons aussi cette parenthèse. Au cours de ce Congrès, on a déjà fait l’analyse d’une certaine tendance, et le camarade Terracini l’a faite avec des arguments assez convaincants pour que je n’ai pas à y revenir. Il vous a démontré avec une évidence écrasante que le danger social-démocrate est représenté par la Droite du Parti. Je peux aller plus loin, en toute sincérité je dois aller plus loin.

Si l’orateur du Centre n’a pas réfuté la démonstration de Terracini c’est justement parce qu’il n’était peut-être pas possible de la réfuter. Sans vouloir mettre en doute l’honnêteté et la conscience de qui que ce soit, que faut-il en conclure ? Que le danger qui plane sur la IIIe Internationale, et qui, ailleurs, est représenté par la Droite, est ici, dans ce Congrès, représenté par la tendance du Centre. Tous les arguments dont celle-ci use et qu’elle a présentés à cette tribune le prouvent à l’évidence, et c’est pourquoi je demande à les analyser. rapidement, à les discuter ici avant de conclure, en dehors de toute question de personnes, sur le seul terrain des idées.

Les orateurs du Centre ont développé leur pensée tout à l’heure, mais qu’ont-ils dit, pour l’essentiel ? Ils ont dit, par exemple, qu’ils étaient pour la dictature, pour la violence, Ils l’avaient déjà dit à Bologne, mais alors leur adhésion était inconditionnelle, pleine d’enthousiasme, ils semblaient même réclamer une dose supplémentaire de dictature, une dose supplémentaire de violence. Aujourd’hui au contraire, l’orateur centriste qui a plaidé pour l’unité a louvoyé entre les arguments opposés exactement de la même façon que l’orateur de la Droite à Bologne. Il s’est dit d’accord avec la dictature, mais seulement dans tel sens, avec telle signification, avec telle ou telle réserve; d’accord avec la violence, mais seulement jusqu’à un certain point, à telle condition.

Je ne veux pas discuter de la question en elle-même, et c’est pourquoi je vous demande pourquoi cette inquiétude ? Où est le danger ? Croyez-vous vraiment que notre prolétariat soit enclin à peser un peu trop sur son adversaire de classe, craignez-vous, en somme, que cette masse ouvrière n’en vienne à opprimer un peu trop cet adversaire qui aujourd’hui la piétine ? Bien sûr, ce n’est pas vous qui nous donnerez la raison et l’explication de cette inquiétude qui vous amène à atténuer nos thèses de Bologne, mais moi, je vous les donne, et j'affirme qu’elle vient de votre besoin de vous rapprocher de l’extrême droite qu’à Bologne, vous avez combattu avec nous.

Mais alors l’essentiel de votre argumentation tombe complètement.

Je ne veux pas parler ici de la notion de discipline, que vous avancez à nouveau et qui à Bologne a effectivement obtenu l’accord de la majorité du Parti. J'estime, nous estimons, pour les raisons données tout à l’heure, que les expériences faites depuis suffisent à condamner la discipline telle que vous l’entendez, et qui consiste à donner un programme révolutionnaire à un appareil de Parti non révolutionnaire et à doter d’un drapeau révolutionnaire une armée qui ne l’est pas. Mais alors, lorsque vous raillez la nullité et la stérilité de l’idéologie révolutionnaire, lorsque vous vous réjouissez parce que vous avez cru constater un échec de la méthode révolutionnaire, ce que vous raillez, ce que vous condamnez ce n’est pas notre méthode, c’est en réalité la vôtre, qui est parfaitement opposée à tout ce que nous soutenons. Pourquoi ? Parce que les échecs du maximalisme italien ne sont pas les échecs du maximalisme en soi, mais de votre maximalisme, de ce maximalisme qui a refusé de se séparer des représentants du courant de Droite !

Terracini a critiqué tout à l’heure un argument caractéristique du rapport de la tendance unitaire et de ses raisonnements, mais il y en a encore un autre, et c’est celui de la convergence entre le parti et le mouvement syndical. En écoutant l’orateur de la tendance unitaire, j'ai eu l’impression d’être à nouveau en 1912 ou en 1914 et d’entendre Treves et Modigliani répéter à cette tribune les vieilles convictions social-démocrate qu’ils défendaient honnêtement dans nos discussions d’alors et selon lesquelles le Parti aurait dû s’identifier avec la lourde machine des organisations économiques du prolétariat. Ce n’est pas tout, car la motion proposée par l’autre tendance, et qui a été autorisée à figurer dans le texte qui sera soumis au Congrès, n’est pas claire du tout. Elle revendique la subordination du syndical au politique. Fort bien, mais comment cette subordination sera-t-elle assurée ? Si nous avons bien compris, en s’arrangeant pour que tous les responsables syndicaux soient inscrits au Parti. Toute la question est de savoir qui en décidera. Si le syndicat recevait jamais le droit de délivrer la carte du Parti politique à tous ses membres, il deviendrait le maître absolu du Parti, comme il a tenté de le faire pendant la guerre quand il a proposé que le mouvement soit dirigé par des comités paritaires du Parti et de sa propre organisation. La motion ne tranche pas cette question parce que son idée centrale est la suivante, avec une autre qu’on nous permettra d’aborder tout à l’heure nous sommes pour la sélection dans le parti, mais nous ne voulons y travailler que quand les conditions seront mûres. Vous ne voyez donc pas qu’au sens marxiste, la tâche du Parti est précisément de se préparer à l’avance pour le moment du conflit, d’organiser à l’avance des troupes autour de son drapeau et d’y admettre exclusivement ceux dont on est sûr qu’ils prendront la bonne voie au moment crucial ?

J'en viens maintenant à l’idée d’unité, dans laquelle se dessinent la nouvelle formule, la nouvelle thèse, le nouveau processus révolutionnaire qui devraient selon vous se réaliser en Italie en dépit du schéma marxiste, en dépit des thèses de la IIIe Internationale. On dit en effet que le prolétariat italien ira à la Révolution avec le Parti tel qu’il est, avec toutes ses conquêtes, avec tous les bastions dont nous nous sommes emparés, c’est-à-dire la Ligue des Coopératives, les élus des municipalités, des Provinces et du Parlement, cor tout cela constituerait déjà un appareil de pouvoir aux mains de la classe ouvrière. Voilà une thèse qui définit clairement le courant que la IIIe Internationale ne veut justement pas avoir dans ses rangs, car cette thèse est parfaitement réformiste. Nous affirmons au contraire, d’accord avec la tactique de Moscou, que ces bastions, ces Municipalités, ces sièges de députés, ces Coopératives, ces Ligues peuvent être les bastions de la révolution, mais qu’ils ne le sont pas par nature, qu’ils ne le seront que s’ils se trouvent dans les mains d’un Parti prolétarien aux mains d’un Parti qui n’approuverait pas la rupture décisive avec le passé qui s’est manifestée par la constitution de la IIIe Internationale, ces bastions seraient au contraire autant de points d’appui de la contre révolution.

La plupart du temps, ils ne représentent rien, mais il est bien plus probable qu’ils remplissent la deuxième fonction que la première, et qu’ils incitent à renier le socialisme plutôt qu’à s’élever à son niveau. La question étant précisément de savoir si ces organismes que le Parti possède sont ou non utilisables pour la Révolution, il ne faut pas commencer par affirmer que tout est déjà entre nos mains, alors que ces organismes sont en fait disparates et qu’il en est de bien éloignés du but que nous poursuivons. Vous, vous prétendez que tout cela est utilisable pour la révolution. Pourquoi ? Parce que, dites-vous et c’est là une affirmation vraiment bizarre, tout cela constitue un appareil de pouvoir aux mains du Parti. Dans ce cas, le Parti socialiste italien serait un État dans l’État, une institution opposée aux institutions bourgeoises, et du même coup, il constituerait une exception vraiment extraordinaire à l’alternative posée par l’Histoire : « tout le pouvoir à la bourgeoisie ou tout le pouvoir au prolétariat. »

Quant à nous, nous sommes non seulement d’accord avec la tactique de Moscou contre cette hérésie, mais d’accord avec Marx qui disait que les organisations du prolétariat ne sont pas pour lui un patrimoine, puisqu’il reste l’éternel déshérité tant que le pouvoir bourgeois subsiste, mais seulement des jalons de la lutte par laquelle il se trempe pour la future bataille révolutionnaire, dans laquelle il n’a rien à perdre que ses chaînes, et un monde à gagner.

Toutes ces organisations, ces structures passent souvent pour constituer en elles-mêmes des forteresses prolétariennes. En réalité, elles constituent des chaînes ténues, mais extrêmement résistantes~ que le prolétariat doit briser pour pouvoir partir à la conquête de ce monde nouveau. Si le communisme a remplacé la vieille thèse social-démocrate par une thèse nouvelle, c’est pour cette raison, camarades. Mais il nous faut voir les conséquences qui en découlent. A Moscou, nous avons proposé un amendement aux conditions d’admission à la IIIe Internationale qui est devenu le 21e point de celles-ci. Cet amendement disait qu’aucun Parti de la IIe Internationale ne peut entrer dans la IIIe sans avoir au préalable expulsé les minorités social-démocrates, ce qui, dans la rédaction définitive, a été exprimé sous une forme qui peux sembler plus individuelle, puisqu’elle dit que tous ceux qui rejettent par principe les conditions d’admission à l’Internationale et ses thèses devront être exclus du Parti, y compris ceux qui ont été délégués au Congrès de Moscou. Les noms de Longuet, de Kautsky, de Turati ont été expressément cités. Eh bien, ces directives ont joué le rôle d’un catalyseur dans le processus de formation du Parti communiste, soudant en un tout les communistes du monde entier qui jusque là ne constituaient encore que des noyaux isolés. Mais on a aussi ajouté que tous ceux qui, tout en se sentant proches de la tradition social-démocrate et de la Seconde Internationale, étaient prêts à adhérer à la Troisième, à s’intégrer loyalement et réellement à elle, étaient les bienvenus. C’est pourquoi au congrès de Halle, le camarade Zinoviev, constatant que le Parti allemand comprenait en réalité deux partis, dont l’un s’alignait par principe sur la Troisième Internationale et l’autre sur la Seconde, a dit que ce fait confirmait la thèse soutenue à Moscou par celui qui vous parle ici. Eh bien, camarades, je crois qu’on peut tirer la même conclusion du présent Congrès, où nous nous rallions à une théorie beaucoup plus profonde que celle qui a été inscrite dans les conditions d’admission de Moscou et même dans la motion des communistes italiens, ce que nous ne faisons certainement par plaisir, mais par nécessité. Notre attitue constitue un avertissement qui est le suivant en Italie où la guerre n’a pas détruit aussi impitoyablement qu’ailleurs la vieille structure existant en 1914, parce que le pays était beaucoup plus à gauche, plus riche d’affirmations révolutionnaires, le courant opposé à la IIIe Internationale accepte inconditionnellement les affirmations théoriques du communisme et aussi, du moins en parole, les conditions d’admission fixées au Congrès de Moscou. En Italie, nous sommes dans une situation intéressante, et voilà pourquoi ce courant juge qu’il faut accepter les 21 points. Mais il les accepte de façon à pouvoir choisir d’en être la victime ou l’exécuteur. Naturellement, il est d’emblée du côté des exécuteurs, il accepte les 21 points pour qu’ils ne fassent aucune victime, mais le résultat est alors qu’ils restent aussi sans effet puisque leur but étaient précisément d’écarter du mouvement communiste international les éléments indésirables, et donc de lui fournir une base d’organisation.

Les 21 points condensent toute une expérience historique qui n’est pas seulement celle des Russes, celle des étrangers, mais aussi la nôtre et nous la tirons de toutes les luttes passées. Et alors, nous nous disons qu’il ne suffit pas d’accepter les 21 points, qu’il faut quelque chose de plus, qui est de les mettre en pratique, et l’unique façon de le faire se trouve dans notre motion il suffît d’exclure la fraction conciliatrice[4]. Si ce Congrès devait aboutir à un autre résultat, le fait serait d’une telle gravité historique qu’il serait mesquin et stupide d’en rejeter la faute sur l’incapacité ou la mauvaise volonté de qui que ce soit. Il comporterait un enseignement plus profond, quoique plus douloureux, non, seulement pour nous, mais pour tous les partis de l’Internationale, à savoir que le nouveau Parti, le parti communiste, doit naître de l’expérience que chaque pays a le devoir et le droit d’apporter en contribution à l’élaboration de la doctrine, de la méthode et de l’action communistes internationales, et et non pas de l’obéissance à une décision imposée. C’est ainsi que nous comprenons les rapports qui doivent exister entre nous et l’Internationale, entre nous et les dirigeants de Moscou et qui sont justement ceux d’une collaboration venant de toutes les cellules où il y a un exploité luttant contre l’exploiteur et se résumant dans les directives suprêmes données par les grands congrès de l’Internationale communiste.

Camarades, vous allez objecter « Vous vous en irez, mais nous en avons vu d’autres, les syndicalistes, les anarchistes aussi sont partis… Vous vous en irez comme tant d’autres ». Remettons les pronoms à leur place et vous vous calmerez. Vous nous traitez de « Sécessionnistes », vous nous dites « Vous vous en irez et vous finirez comme les autres, parce que c’est le vieux parti socialiste traditionnel qui a toujours tenu bien haut le drapeau de la lutte de classe et qui, après chaque conflit de tendances, est toujours resté à l’avant-garde de l’action du prolétariat italien. Vous, vous n’êtes que des petits groupes de rêveurs, d’enragés ou de maniaques de la violence qui, en vous en allant, vous condamnerez au même sort que les autres… » Si la scission a lieu, eh bien, camarades, nous affirmons qu’il y a deux choses qui la distingueront de toutes celles qui se sont produites jusqu’ici. Il y a d’abord le fait que nous revendiquons la communauté de principes, la continuité historique qui nous lient à la Gauche marxiste qui a glorieusement combattu les réformistes du Parti socialiste italien et qui l’a fait plus tôt que dans d’autres pays. Nul ne vous empêche de réfuter ces arguments de doctrine et de méthode, si vous le pouvez. Nous, nous défendons les enseignements, qui nous viennent d’hommes avec lesquels nous avons fait nos premières armes, mais qui ne sont plus avec nous aujourd’hui. Si nous devons partir, camarades, nous emporterons avec nous l’honneur de votre passé..

Il y a ensuite un second fait, camarades. Je remercie le congrès de m'avoir laissé exprimer toutes mes idées, mêmes sévères, alors que j'ai peut-être moi-même interrompu les autres. Mais je dois évoquer ce second fait qui prouve que nous ne pouvons pas finir comme tous les dissidents passés du parti, car j'espère que tous ceux qui ont fait cette prévision l’on faite avec douleur; ce n’est pas là de ma part un argument démagogique, car, me semble-t-il, je ne parle pas comme on a coutume de parler quand on veut ramasser les voix des hésitants. Ce fait, c’est que nous sommes avec la IIIe International. La IIIe Internationale n’est pas aussi parfaite qu’on le dit. On peut critiquer ses Comités, ses Congrès, parce qu’on peut trouver partout des faiblesses et des misères. Mais quelles que soient les critiques de détail qu’on puisse faire, camarades, il n’en reste pas moins que la IIIe Internationale est une organisation formidable, un résultat colossal de l’Histoire, qui fait trembler toutes les forces du passé parce qu’elle les condamne à une défaite totale. Admettons même qu’on y trouve de l’autoritarisme, que son fonctionnement technique soit défectueux, ses exécutants trop peu nombreux croyez-vous vraiment que ces petites choses enlèvent de sa valeur à ce fait historique grandiose ? La IIIe Internationale ne s’est pas contentée de revendiquer cette vague socialisation des moyens de production et d’échange dont même les renégats d’Amsterdam sont partisans : elle a appelé le prolétariat de tous les pays à s’unir pour faire sa révolution, pour instaurer sa dictature. Ces formules qui, alors, ont semblé froidement théoriques aux oreilles distraites sont au contraire la base d’une doctrine qui depuis a été répandue dans tous les pays par une

poignée de convaincus. Les prolétaires, les travailleurs de toutes races et de toutes couleurs qui s’organisent sur cette base ne le font pas sans mille erreurs, mais l’idée qui les guide nous prouve qu’il s’agit d’une construction définitive de l’histoire. Ce qu’ils constituent, c’est une machine de guerre, une armée de la révolution mondiale. Devant un phénomène historique aussi grandiose, les petites erreurs de détail ne peuvent faire reculer que des adversaires de principe. Seuls des adversaires de principe peuvent hésiter quand il s’agit soit d’être avec la IIIe Internationale, c’est-à-dire d’entrer dans la IIIe Internationale comme la IIIe Internationale le veut, soit de se retirer, de s’éloigner, de rester hélas étranger à ce grand mouvement de pensée et de critique, de discussion et d’action, de sacrifice et de lutte.

Camarades, ces deux faits nous assurent, sauf erreur de notre part, que nous ne manquerons pas notre but.

Vous vous demandez ce que nous avons l’intention de faire. Nous l’avons dit. Pour la doctrine, pour la méthode, pour la tactique, pour l’action, notre pensée est celle des thèses de Moscou. Chacun d’entre nous peut être en désaccord avec certaines de leurs indications, mais nous les appliquerons tous unanimement, car nous pensons que la discipline internationale est une condition indispensable de la victoire prolétarienne. Nous pouvons avoir des faiblesses, des incapacités, des lacunes il peut y avoir entre nous des dissensions, Gramsci peut faire fausse route, il peut défendre une thèse erronée alors que la mienne est juste, mais tous nous luttons également pour le but ultime, tous nous faisons cet effort qui constitue un programme, une méthode. Nous savons que nous sommes une force collective qui ne disparaîtra pas comme un petit groupe de déserteurs nous sommes au contraire le noyau autour duquel la grande armée de la révolution prolétarienne mondiale se rassemblera demain.

Vous nous demandez ce que nous comptons faire parce que vous prévoyez que nous échouerons. Vous le prévoyez, mais vous ne pouvez pas le souhaiter. Le seul souhait possible (bien que nous soyons peut-être assemblés ici pour la dernière fois, j'espère qu’il existe encore ce minimum d’accord entre nous), c’est celui que nous formons, camarades : c’est de consacrer toutes nos forces, toute notre activité à surmonter les innombrables difficultés qui s’opposeront à la réalisation de notre tâche c’est d’être tous ensemble pour combattre les adversaires de la révolution, sans exclure aucun moyen, de nous retrouver dans les épreuves qui nous attendent et dans la lutte finale qui nous conduira à la République des Soviets d’Italie[5].

(à suivre)

Notes :
[prev.] [content] [end]

  1. Allusion à l’adhésion de plusieurs leaders socialistes (Bissolati, Bonomi, etc…) ou anarcho-syndicalistes (Arturo Labriola) à l’expédition coloniale de Libye. [⤒]

  2. Il s’agit de la fraction de l’« Ordine nuovo » de Gramsci et Togliatti. [⤒]

  3. Sur ce point. c’est-à-dire sur la nécessite d’une tactique abstentionniste – et non pas, de toute évidence sur les mobiles de la social-démocratie. Nous nous sommes peut-être trompés, est une concession à Lénine et à l’internationale Communiste qui préconisaient non pas l’abstention, mais le parlementarisme révolutionnaire. La régression historique du mouvement communiste au démocratisme le plus vulgaire en théorie et le plus conservateur en pratique quelques années après le discours de Bordiga à Livourne prouve au contraire (est-il besoin de le dire ?) que les abstentionnistes italiens n’avaient eu que trop raison ! [⤒]

  4. Le texte dit textuellement « de concentration socialiste » il s’agît du courant du centre qui refusait de rompre avec la droite du P.S.I. [⤒]

  5. Ce souhait n’est évidemment pas une prévision, mais un défi aux Sociaux-démocrates et aux maximalistes du Centre. On pouvait souhaiter l’union dans l’action de toutes les forces se réclamant du Socialisme, mais an ne pouvait pas la prévoir, ou plutôt on pouvait prévoir à coup sûr que face aux épreuves et bien avant la lutte finale, les adversaires de la gauche communiste se joindraient à tous les autres adversaires de la révolution. [⤒]


Source : « Programme Communiste », numéro 50, octobre 1970 – Mars 1971

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