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LA COMMUNE A ÉTÉ GRANDE
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Content:

La Commune a été grande par ce qu'elle a été contrainte d'être non par ce que ses artisans ont voulu qu'elle soit
Trois interprétations petites-bourgeoises de la commune
Les limites de l'assaut au ciel
L'absence du parti
Les aspects contradictoires du blanquisme
Réactions désespérées contre l'impuissance démocratique
La condamnation a la défense passive
La révolution est inséparable de la dictature du parti et de la terreur rouge
Dans quel sens la commune est immortelle
Notes
Source


La Commune a été grande par ce qu'elle a été contrainte d'être non par ce que ses artisans ont voulu qu'elle soit
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Dans un sens, nous sommes bien heureux de constater qu'à part les deux manifestations que l'on sait, les commentateurs et maîtres des cérémonies de l'opinion publique ont presque mis une sourdine à la célébration du centenaire de la Commune. Cela nous a évité d'assister une fois de plus à la comédie hypocrite des renégats qui sont les héritiers des, bourreaux des Communards et de leurs complices, de Thiers à Louis Blanc, c'est-à-dire de les voir plaindre à l'unanimité et éventuellement exalter les martyrs de 1871 en tant que victimes, en tant que vaincus, justement au nom des voleurs qui ont été la cause de leur écrasante défaite.

Il ne faudrait d'ailleurs pas croire que ce demi silence soit dû au caractère explosif de l'histoire de la Commune ou à la difficulté intrinsèque de dissimuler à l'aide de tours de passe-passe à la Kautsky l'analyse éclatante que Karl Marx en a donné dans «La Guerre Civile en France». En réalité, il est imputable à la prostration du prolétariat et à son total abandon des mots d'ordre de classes les plus élémentaires, situation qui épargne à l'opportunisme d'aujourd'hui la peine de déformer artificieusement les traditions et les souvenirs collectifs de la classe ouvrière en «développant créativement» les thèses révolutionnaires originales, C'est-à-dire en les transformant en un inoffensif radotage maximalo-centriste ou en un plaidoyer réformiste. Pour le moment (à l'échelle de l'histoire, il ne s'agit vraiment que d'un moment) le prolétariat est sourd à ce que la Commune a représenté dans la tradition de la lutte révolutionnaire, sourd aux principes programmatiques confirmés par cette expérience: le terme même de «dictature du prolétariat» lui étant actuellement inintelligible, les renégats n'ont pas besoin d'orchestrer une grande compagne visant à démontrer que cette dictature et ses manifestations historiques résulteront du développement organique de la démocratie, de la forme parlementaire à la forme conseilliste, ou de la forme représentative à la forme directe, comme le rêvent toujours les petits-bourgeois «extrémistes», vermine brandissant pour l'occasion le drapeau du spontanéisme ou de l'ouvriérisme.

Bien entendu, dans ces milieux de petits-bourgeois «extrémistes» secoués par les premiers frissons avant-coureurs d'une crise économique d'ampleur mondiale, les divers groupuscules immédiatistes et anarchisants qui constituent ce que l'on appelle le «gauchisme» présentent clairement ces deux déviations et continuent en cela une tradition bien enracinée de la classique «contestation» petite-bourgeoise qui a constitué une des pires faiblesses du mouvement communard - une faiblesse dont la Commune est morte; c'est justement pour cela que cette «contestation» prétend maintenant - comme elle a toujours prétendu, incarner la tradition de la Commune, être dépositaire de sa mission historique et exprimer totalement se signification. Belle raison, en vérité!

Nous nous conformons à l'examen de Marx que les bolcheviks firent totalement leur. En d'autres termes, pour nous, l'histoire véritable de la Commune, ce n'est ni chez Lissagaray, ni chez aucune autre mémorialiste ou historien postérieur qu'on la trouve, mais dans l'Adresse de la Ire Internationale sur «La Guerre Civile en France» ainsi que dans «L'État et la Révolution» et «Le renégat Kautsky» de Lénine et dans «Terrorisme et Communisme» et «Les Enseignements de la Commune de Paris» de Trotsky. Par conséquent, ces déformations ne nous intéressent que dans la mesure où elles réapparaîtront nécessairement lors de la crise prévisible de l'économie mondiale et de la reprise de la lutte de classe qui en sera la conséquence (mais une conséquence nullement mécanique) et qui, à plus ou moins longue échéance, verra l'avant-garde prolétarienne se polariser autour du Parti Communiste International; surtout, elles ne nous intéressent que dans la mesure où elles constituent l'envers de cette «leçon de la contre-révolution» que le marxisme a tirée une fois pour toutes de cette expérience de défaite que fut la Commune, avec tant d'outres expériences, toutes de défaite jusqu'à aujourd'hui.

Le marxisme est une science expérimentale, non un empirisme vide de pensée, contingentiste et agnostique. En tant que tel, il a étudié les contre-révolutions comme autant de cas particuliers d'expérimentation «in vivo» (semaines sanglantes de mai 1871 à Paris et de janvier 1919 à Berlin) du processus de constitution du prolétariat en classe dominante. Pour présenter la question d'une façon simple mais non simpliste nous devons nous rappeler qu'on peut connaître la fonction d'un organe soit en l'observent au travail (et c'est là le cas de l'État-Commune, «Gemeinwesen» ébauché à Paris au printemps de 1871) soit, plus souvent encore, en considérant les effets de l'absence de cet organe. Dans la Commune, justement, les conséquences catastrophiques de l'absence de Parti et de Dictature de Parti, non seulement pour la constitution du prolétariat en classe dominante, mais même simplement pour son action en tant que classe apparaissent avec une évidence éclatante. Sans aucun doute, c'est là le nœud de toutes nos observations sur la Commune, le point focal, pour nous misérables «dogmatiques» et «talmudistes», du renversement de la praxis, c'est-à-dire de l'action révolutionnaire tout court, la pierre de touche de toute la conception matérialiste-dialectique que le marxisme a de l'histoire et donc aussi la pierre d'achoppement de toutes les espèces de contrefaçons opportunistes de l'histoire. En d'autres termes, c'est le point central d'où se déduit toute la gamme des attitudes tactiques possibles. Il est donc inutile d'insister sur le fait qu'en mettant la question centrale à la place qui lui est due, nous nous trouvons en compagnie de Lénine et Trotsky, tandis que ceux qui préfèrent tirer d'autres bilans de la Commune peuvent choisir, s'ils ne se réclament pas ouvertement de Thiers, entre Mazzini et Bakounine.

Trois interprétations petites-bourgeoises de la commune
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Loin de nous l'idée de faire une bibliographie abrégée de la question: ce que nous voulons, c'est souligner quelques aspects qui contribueront à mettre en relief les conclusions, tirées par Marx lui-même de l'expérience de la Commune, aspects qui ont échappé - et pour cause - à l'attention des écrivains prostitués qui voudraient se faire passer pour les vestales de l'historiographie «impartiale». Donc, sans tomber dans des citations et des références livresques, nous distinguerons les trois interprétations fondamentales que les historiens ont données de la Commune, ou plutôt les trois grandes attitudes qu'ils ont prises face elle.

Malgré des oppositions formelles, chacune de ces grandes attitudes présente des points de contact avec les deux autres, si bien qu'il s'est trouvé des courants d'idéologies différentes, quoique toutes petites-bourgeoises, pour tomber d'accord sur l'une ou l'autre d'entre elles. Nous laisserons de côté l'attitude d'hostilité ouverte envers la Commune qui est le propre des partisans de Versailles, mais que nombre de grands bourgeois éclairés d'aujourd'hui trouvent plus intelligent de cacher derrière une «sympathie» de type petit-bourgeois plus apte que la haine à duper les prolétaires.

Il faut bien admettre que, ces types d'interprétation petite-bourgeoise reposent sur plusieurs aspects réels de la Commune, malheureusement détachés de leur contexte et du mouvement historique auquel ils appartiennent par une opération «critique» de nature foncièrement idéaliste puisqu'elle se refuse à considérer d'une façon réaliste ce que la Commune a pu et dû être, pour la juger uniquement sur ce que quelques uns de ses membres ont voulu qu'elle soit.

La première d'entre elles présente la Commune comme la dernière révolution populaire, du type des révolutions du «sot» dix-neuvième siècle, et notamment de Quarante-Huit, comme si Juin 1848 n'avait pas déjà été la révolution honnie du prolétariat, la «laide» révolution des blousiers, opposée aux révolutions démocratiques, victor-hugoliennes de toutes les classes du «Peuple» en tant que bloc de forces sociales antagonistes. Pour elle, la Commune est en somme la dernière insurrection violente parce que la dernière insurrection «barricadière», comme si la seule forme possible de la violence insurrectionnelle était la barricade des révolutions démocratiques derrière laquelle la «foule des citoyens» attend la dissolution spontanée de l'ennemi, des «sbires du tyran»; comme si la révolution prolétarienne ne devait pas avoir sa Garde et son Armée rouges, comme si elle ne devait pas prendre militairement le pouvoir et étendre la guerre civile contre la bourgeoisie à l'échelle non seulement nationale, mais internationale! En réalité, les barricades qui avaient réussi en février 1848 s'étaient déjà montrées non seulement inutiles, mais nocives dès juin 1848; dans la Commune, elles ont joué le rôle d'une dangereuse illusion, presque tous pensant: «On n'osera pas...», ce qui démontra «a contrario» la nécessité pour la révolution purement prolétarienne d'une attaque centralisée, chose d'autant plus évidente qu'au début la Commune jouissait d'une réelle supériorité militaire, bien que le mouvement n'ait pas été déclenché dans des conditions générales favorables.

La seconde attitude consiste à présenter la Commune comme un fait national-démocratique, républicain-patriotique, continuation logique de la défense nationale contre les «barbares» prussiens et en outre berceau de la République «de tout le monde,», de la République libérée des hypothèques royalistes et féodales. C'est l'interprétation adoptée par le P.C.F. et les staliniens en général qui, avec leur habituelle impudence, ne manquent pas une occasion d'en faire une anticipation de la... Résistance, du maquis contre les «Boches» et les collabos, grâce au précédent des francs-tireurs.

La troisième interprétation considérant comme exemplaires les aspects démocrato-libertaires de la Commune la présente comme un modèle de révolution fédéraliste et de démocratie directe qui n'aurait échoué qu'à cause des tentatives, d'ailleurs vaines, de lui donner une direction dictatoriale. Il va de soi que sur cette position convergent non seulement les anarchistes et les sociaux-démocrates, mais aussi les déstalinisateurs officiels. Quant à la conception stupide et pré-sorélienne de la Commune comme «Révolution latine» (1) opposée ou schématisme hégélo-teutonique de Marx, elle annonce évidemment les théories des «voies nationales» au socialisme.

De toute façon, on pourrait dégager de la Commune, de façon aussi abstraite qu'arbitraire, toute une série de «significations». y compris celle d'une tentative de conciliation des classes!

Tout cela, à notre avis, ne touche pas le problème véritable: ce que la Commune a été par la force des choses et indépendamment de la pensée de ses représentants. De même que, loin d'être fortuite, sa direction fut exactement ce que les circonstances lui permettaient d'être, les déficiences de cette direction ne peuvent pas être conçues comme de simples accidents n'affectant pas l'épanouissement du mouvement et dont on pourrait faire abstraction pour rendre hommage à la spontanéité conçue de façon mécaniste. En effet, dire qu'une direction adéquate a fait défaut revient à dire qu'a manqué l'actualisation et la poursuite consciente de la tâche historique du prolétariat et donc qu'a manqué une praxis révolutionnaire pleinement développée, c'est-à-dire parvenue à la connaissance et à l'emploi des moyens adéquats pour atteindre des buts clairement définis («sans théorie révolutionnaire, pas d'action révolutionnaire»).

Les limites de l'assaut au ciel
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Il y a donc eu dans la Commune une différence entre la charge et la force potentielles du mouvement d'une part et sa manifestation de l'autre. Révolution sans aucun doute prolétarienne en soi, la Commune n'a pas pu l'être en soi et pour soi à cause du manque nullement occasionnel d'un appareil capable de recueillir, de concentrer l'impulsion objective reçue. C'est ici le lieu de rappeler l'image de Trotsky dans la préface de son «Histoire de la Révolution russe»:

«Sans une organisation dirigeante, l'énergie des masses se volatiliserait comme la vapeur quand elle n'est pas renfermée dans un cylindre à piston; cependant le mouvement dépend de la vapeur, non du cylindre ou du piston

Naturellement, «le cylindre à piston», c'est le Parti, qui ne crée pas mais dirige la révolution, et qui n'est pas non plus lui-même créé, ni en tant que programme (parti historique) résultant de la manifestation des contradictions irrémédiables de la société bourgeoise, ni en tant qu'organisme constitué d'un ensemble de cadres qui va former l'état-major de l'armée prolétarienne (parti formel) résultant d'une exaspération des conflits sociaux qui, par un passage de la quantité à la qualité, détruit dans une avant-garde de la classe ouvrière l'influence de l'idéologie et de la classe dominantes, et les tendances centrifuges, particularistes et locales.

Ce manque de clarté programmatique de la Commune est très bien démontré par le fait qu'elle a adopté un ensemble de formules héritées du passé et allant du souvenir des communes médiévales à la Commune à majorité hébertiste de Quatre-vingt-treize. Il ne devrait pas être nécessaire de rappeler que, selon Marx (cf. «Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte», ch. 1), la prémisse pour que la révolution sociale prenne conscience de son contenu propre et s'oriente en conséquence est justement le rejet de telles réminiscences et la formulation de la mission historique propre au prolétariat, qui n'est plus ni un instrument parlant (vocale instrumentum) comme les esclaves, ni un ordre, ni une plèbe, mais une classe tout à fait particulière, puisque par son auto-suppression, elle supprime tout le mécanisme de la société divisée en classes; une classe qui n'a que faire de «cahiers de doléances», qui n'a pas de «droits» méconnus à faire reconnaître, car son unique revendication en tant que classe historique est la suppression de la situation non pas juridique, mais effective que lui impose la mercantilisation de la société et en premier lieu de la force de travail.

Il est important de souligner ici que l'attachement superstitieux aux formes passées, expression de l'impuissance à concevoir le dépassement et donc l'abolition (Aufhebung) dialectique des rapports capitalistes, ainsi que les conditions plus ou moins métahistoriques de la société des producteurs-propriétaires, caractérisent la direction de la Commune toute entière. C'est ce qui explique le jugement draconien de Lénine en 1905, selon lequel la Commune fut «un gouvernement petit-bourgeois révolutionnaire», ce qui indique que la participation de membres ouvriers à ce gouvernement n'y a pas introduit d'élément prolétarien sur le plan politique, les mesures prises restant de caractère petit-bourgeois comme leur origine les y condamnait. Pour illustrer ce fait, il suffit ici d'un seul exemple, celui de la politique des Internationaux (membres français de la Première Internationale) à l'égard de la Banque de France que Francis Jourde et Charles Besley (2) protégèrent, tandis que le groupe blanquiste de l'ex-Préfecture dirigé par Rigault cherchait à s'en emparer, fût-ce par un coup de main, intention rendue vaine par l'attitude des organes «responsables» de la Commune occupés par les proudhoniens.

Le 18 mars 1908, Lénine résumait dans un discours tenu à Genève les principaux points de la critique marxiste de la Commune en observant:

«L'idée de patriotisme (qui) remonte à la grande Révolution du XVIIIme siècle s'empara de l'esprit des socialistes de la Commune et Blanqui, par exemple, révolutionnaire incontestable et adepte fervent du socialisme, ne trouva pour son journal de titre mieux approprié que ce cri bourgeois: «La Patrie en danger»!
La réunion de ces deux objectifs contradictoires - patriotisme et socialisme - constitua l'erreur fatale des socialistes français. Dans le Manifeste de l'Internationale de septembre 1870, Marx mettait déjà en garde le prolétariat français contre un engouement pour le mensonge nationaliste...
Dans la Commune, deux fautes anéantirent les fruits d'une brillante victoire. Le prolétariat s'arrêta à mi-chemin: au lieu de procéder à «l'expropriation des expropriateurs», il se laissa entraîner par des rêves sur l'établissement d'une justice suprême dans le pays, unifiée par une tâche nationale commune; des institutions comme les banques par exemple ne furent pas saisies, la théorie proudhonienne de l' «échange équitable» régnant encore parmi les socialistes. La deuxième faute fut la trop grande magnanimité du prolétariat; au lieu d'exterminer, comme il aurait dû le faire, ses ennemis, il chercha à exercer une influence morale sur eux, il négligea l'importance des actions purement militaires dans la guerre civile et au lieu de couronner Sa victoire à Paris par une offensive résolue sur Versailles, il temporisa et donna au gouvernement de Versailles le temps de rassembler les forces réactionnaires et de se préparer à la sanglante semaine de Mai

Une analyse sommaire des forces composant la direction communarde nous aide à comprendre les représentations idéologiques du mouvement auxquelles nous avons déjà fait allusion et à démontrer jusqu'à quel point l'insuffisance de la direction équivalait à un hiatus entre la poussée objective et la maturité subjective. Comme le disait Rosa Luxembourg dans sa polémique contre Bernstein, en tant que classe en soi, agglomération d'individus prolétariens, le prolétariat n'est jamais mûr pour la révolution, et c'est la crise qui l'oriente vers son guide et son cerveau, le Parti. Dans la Commune, nous voyons au contraire une révolution «acéphale» dont les réalisations ne correspondent qu'en infime partie à la pression du mouvement réel, ce qui n'exclut bien entendu pas leur importance, qui est proportionnée à l'importance même de ce mouvement: mais si on la confronte avec la tâche historique à réaliser «l'assaut au ciel» pour reprendre l'expression de Karl Marx cette importance et cette grandeur deviennent dialectiquement misère.

Bien sûr, la composante patriotique et nationaliste joua un rôle considérable dans la Commune, dont la naissance même prématurée et hors de propos, selon le jugement bien connu de Marx s'inscrivait dans l'ensemble des tentatives de «radicalisation» du gouvernement qui remplaça ce «gouvernement de trahison» qui «aurait dû» défendre la France de l'avance prussienne. Tout le monde sait que, dans son journal, Blanqui lui-même avait sombré non seulement dans le patriotisme, mais dans le chauvinisme et le racisme, puisqu'il y décrivait les Allemands comme des «pithécanthropes» sortis de forêts noires plongées dans d'éternelles ténèbres médiévales, chose vraiment indigne de sa plume, mais malheureusement plus qu'explicable. Ce nationalisme n'était pas, d'autre part, une attitude transitoire, car l'illusion réactionnaire qui devait atteindre son sommet dans la formule de la «révolution latine» et dans la conviction que la tâche la plus urgente était d'en préserver le foyer - la France - est bien caractéristique de la pensée de Blanqui, et ses polémiques contre Mazzini sont presque exclusivement axées sur ce leitmotive (3).

Il en est résulté un absurde mariage des blanquistes et des jacobins radicaux dans la majorité communarde, avec pour résultat pratique le blocage de toutes les mesures caractéristiques des blanquistes, et de ce fait, la renonciation par le blanquisme lui-même - sauf cas isolés, à une action autonome. D'autre part, on ne peut pas passer sous silence le fait incontestable et illustré par de nombreux faits que les attitudes chauvines et les penchants à l'Union sacrée étaient très répandus et presque généraux au sein de la section française de la Première Internationale. On connaît bien l'attitude patriotique de cette section de l'internationale face à la guerre franco-prussienne, qui contraste avec l'internationalisme fermement et rigoureusement observé par la section allemande dirigée paf Bebel et par le vieux Liebknecht. Cette attitude chauvine de ligues de métier particulières adhérant à l'Internationale allait jusqu'à la provocation xénophobe, à l'invitation faite aux patrons locaux (4) à persécuter les prolétaires «étrangers» et notamment allemands, en tant qu' «espions de l'ennemi». une espèce d' «A chacun son Boche» avant la lettre (5).

On pourrait objecter, avec l'exemple de Jules Vallès et de son journal, que les éléments les plus proudhonisants ne tombèrent pas dans cette attitude chauvine, du fait qu'ils étaient en général hostiles au problème des nationalités (ce qui, comme Lénine devait le démontrer à Luxembourg, n'est en soi nullement révolutionnaire en tout temps et en tout lieu), malgré l'attitude à l'occasion raciste de Proudhon qui voulait résoudre la question juive à la Eichmann. Il ne faut pas oublier qu'ils substituaient au patriotisme le fédéralisme localiste, étant adversaires de la guerre entre Etats dans la mesure même où ils l'étaient de la révolution, c'est-à-dire de la guerre civile.

Employant presque les mêmes mots que Proudhon qui prônait la «combinaison économique» à la place de la Révolution, l'«Independant Labour Party» opportuniste (futur pilier du Bureau de Londres) sera fustigé par Lénine en octobre 1916 pour avoir écrit:
«
Nous n'approuvons aucune insurrection armée, de même que nous n'approuvons aucune forme de militarisme et de guerre».
Et ce que Lénine lui répliquait est entièrement valable contre les proudhoniens:

«Est-il nécessaire de démontrer que de pareils «anti-militaristes» de pareils partisans du désarmement, non plus dans un petit pays, mais dans une grande puissance, sont les opportunistes les plus dangereux? Et pourtant, théoriquement, ils ont tout à fait raison quand ils considèrent l'insurrection armée comme «une des formes» du militarisme et de la guerre» (Contre le Courant).

Ainsi, si les blanquistes firent un front unique de fait avec des radicaux petits-bourgeois aux délires montagnards incapables d'une quelconque perspective historique, la section française de la Première Internationale constituait elle-même un front unique de divers courants, avec prédominance de tendances petites-bourgeoises comme le proudhonisme et quelques nuances bakouninistes (Eugène Varlin) dans la perspective utopique de la collaboration de classe qui était impliquée dans la pacifique «combinaison économique» des mutualistes ou coopérativistes.

En tout cas, la conciliation nationale était présupposée par toutes les tendances de la direction communarde, et non seulement par des proudhoniens à la Jourde-Beslay, ou bien par des bavards «jacobins» à la Pyat et Miot, mais même par un des blanquistes «de gauche» les meilleurs et les plus clairvoyants, Théophile Ferré, qui dans ses déclarations par ailleurs très courageuses et dignes au procès reconnaissait dans la Commune une tentative légalitaire de réorganisation nationale que les «réactionnaires» de Versailles avaient refusée, contraignant ainsi les Communards à la résistance.

En effet, ce fut Versailles elle-même (et notamment sa gauche dirigée par ce même Louis Blanc qui, longtemps après le massacre des Communards, demandera l'amnistie pour les rescapés) qui «tua la conciliation», pour employer l'expression de Vermesch. Ce fut elle qui démontra, avec l'appui complaisant de Bismarck, que les prolétaires n'ont pas de patrie; que les bourgeoisies, jusqu'alors rivales pour l'accaparement des marchés, ne connaissent plus d'ennemis nationaux face au prolétariat insurgé, mais se fédèrent en une unique Internationale capitaliste; que la «démocratie avancée» des Louis Blanc et épigones rivalise avec n'importe quel Deuxième Empire (nous pourrions dire para-fasciste par avance) dans la répression de ce mouvement ouvrier qui sort de l'ornière, c'est-à-dire qui dépasse les limites de ce que la bourgeoisie elle-même peut et doit donner pour conserver son pouvoir de classe. Bref, c'est elle qui confirma que «ceux qui font les révolutions à demi creusent leur propre fosse», comme Saint-Just s'en était aperçu, avec une intuition valable non seulement pour la révolution bourgeoise, mais plus encore pour la révolution prolétarienne.

Sans doute, cette orientation petite-bourgeoise de la direction communarde avait-elle une base sociale bien définie, ce qui est aussi vrai pour la minorité soi-disant «socialiste» que pour la majorité «jacobine». Mais il serait tout à fait faux de conclure, comme par exemple, l'anecdotiste Rougerie, que tous les Communards étaient des petits-bourgeois révolutionnaires, voire des sans-culottes plutôt que des insurgés prolétariens: pour ces historiens-là, la violence et la terreur sont toujours du «jacobinisme», comme si, comme l'a prétendu Kautsky, imité par ces Messieurs même lorsqu'ils l'ignorent, le caractère prédominant du révolutionnaire prolétarien était la faiblesse contre-révolutionnaire, c'est-à-dire... le girondinisme appliqué à la classe ouvrière!

En réalité, ce fut le poids de la petite bourgeoisie qui l'emporta sur la poussée ouvrière justement du fait du manque de préparation révolutionnaire de cette dernière, ce qui se produisit (il paraît même banal de l'ajouter) dans nombre d'autres révolutions et contre-révolutions, même là où le prolétariat avait atteint avec l'industrialisation le plus grand développement «sociologique», l'exemple classique restant toujours l'Allemagne d'il y a un demi-siècle. D'ailleurs, il faut rappeler aux historiens que Marx ne craignait pas de parler de la possibilité et de la nécessité d'une politique autonome de la classe prolétarienne même au cours de la première phase de la révolution double, comme on peut le lire dans la fameuse «Adresse du Comité Central de la Ligue des Communistes» de mars 1850. Et l'Allemagne de 1848 était évidemment passablement moins «industrialisée» que la France au sortir du Deuxième Empire, avec la permission des sociologues!

Dans la «Gazette Ouvrière», n° 4-5 du 15 avril 1911, Lénine établissait la façon correcte de poser la question:

«Il faut au moins deux conditions pour qu'une révolution sociale puisse triompher, à savoir, le niveau élevé des forces productives et la préparation du prolétariat. Ces deux conditions étaient absentes en 1871. Le capitalisme français était encore peu développé, la France était encore un pays en majeure partie petit-bourgeois (d'artisans, paysans, petites gens d'affaires, etc.). D'ailleurs la masse ouvrière n'avait pas une idée claire de ses buts et des moyens pour les atteindre, elle n'était ni préparée ni exercée. Il n'existait ni de bonne organisation politique du, prolétariat, ni de larges syndicats ou de grandes coopératives...»

L'absence du parti
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Ne pouvant pas s'exprimer politiquement faute d'un parti ayant un programme effectivement communiste, la classe ouvrière française ne put pas davantage se dégager de la praxis petite-bourgeoise et en conséquence elle joua en maintes occasions décisives un rôle purement suiviste. Toutefois, s'il y a eu un manque de maturité du prolétariat, cela n'a pas été en raison de sa composition brute et statistique, mais en raison de l'absence de direction, fait qui ne saurait être mécaniquement expliqué par le degré de développement économique de la France de l'époque. L'abîme qui, même dans les conditions d'un développement international du capitalisme, peut exister entre le mouvement spontané des masses ouvrières et le degré de développement du parti révolutionnaire a été trop bien illustré par la Russie et l'Allemagne de notre siècle pour qu'on tombe dans cette erreur. On pourrait ajouter qu'il l'a été également par l'Angleterre du siècle dernier, et il ne sera pas inutile de rappeler aussi aux tenants de la sociologie néocomtienne d'aujourd'hui que le Parti Communiste - évidemment international - du Manifeste a commencé à se constituer parmi des exilés allemands qui étaient pour la plupart artisans de leur état!

Faisant abstraction pour le moment des impulsions de la «base» ouvrière, il faut dire quelque chose de la seule expression politique «socialisme et révolutionnaire» qui se soit manifestée, avec - il est vrai - de multiples incertitudes, parmi les différents courants de la Commune: le blanquisme. De Bernstein à aujourd'hui, l'opportunisme de gauche comme de droite s'est toujours déchaîné contre le blanquisme, ou plutôt contre ce qui, dans le blanquisme, a justifié le jugement fameux de Marx:

«... le prolétariat se groupe de plus en plus autour du socialisme révolutionnaire, c'est-à-dire du communisme, pour qui la bourgeoisie elle même a inventé le nom de Blanqui. Ce socialisme, c'est la déclaration de la révolution permanente, la dictature de classe du prolétariat en tant que transition nécessaire pour l'abolition des différences de classe en général, pour l'abolition de tous les rapports de production sur lesquels celle-ci reposent, pour l'abolition de toutes les relations sociales qui correspondent à ces rapports de production, pour le bouleversement de toutes les idées qui jaillissent de ces relations sociales.» («Luttes de classes en France», cahier III°, mars 1850).

Marx, de même que Lénine, a été accusé de blanquisme parce qu'il a revendiqué la dictature révolutionnaire du prolétariat, parce qu'il a souligné la nécessité d'étudier et de préparer l'insurrection, parce qu'il a parlé d'elle comme d'un «art» qui ne peut pas être abandonné à l'initiative et à la «créativité» tant vantée des masses, mais qui au contraire présuppose l'organisation préalable et la direction de cette force.

Kautsky, qui avait beaucoup de sympathie pour l'anti-terrorisme des proudhoniens, mais qui n'en était pas à une contradiction près, ayant accusé les bolcheviks de... proudhonisme à cause de leur prétendu «utopisme», Trotsky lui répliquait dans «Terrorisme et Communisme»:

«Avec bien plus de fondement, Kautsky pourrait nous comparer aux adversaires des proudhoniens, à savoir les blanquistes, qui comprenaient la prémisse nécessaire du pouvoir révolutionnaire et ne subordonnaient pas superstitieusement la conquête de ce pouvoir aux caractéristiques formelles de la démocratie. Toutefois, pour donner sa signification exacte à cette comparaison entre communistes et blanquistes, il faut ajouter que nous, nous avions à notre disposition, avec les Conseils des ouvriers et soldats, une organisation subversive dont les blanquistes ne pouvaient pas même rêver; avec notre Parti, nous avions et avons une organisation irremplaçable de direction politique, avec un programme achevé de révolution sociale; et avec les syndicats nous avons un appareil puissant de transformation sociale véritable, qui suit dans son ensemble le drapeau du communisme et soutient le pouvoir soviétique.»

Pour voir à quel point le fondateur de l'Armée rouge était d'accord avec Lénine pour considérer que le «péché originel» de la Commune résidait dans cette absence de parti prolétarien révolutionnaire, il suffit de relire «Les leçons de la Commune» qu'il écrivit en février 1921, une année après «Terrorisme et Communisme», devant lesquelles les philistins «éclairés» et «informés» d'aujourd'hui qui voudraient bien que cette arme fût définitivement abandonnée pourront ricaner autant qu'ils le voudront. Qu'on nous permette une longue citation:

«Le parti ouvrier - le vrai - n'est pas une machine à manœuvres parlementaires, c'est l'expérience accumulée et organisée du prolétariat. C'est seulement à l'aide du parti qui s'appuie sur toute l'histoire du passé, qui prévoit théoriquement les voies du développement, toutes ses étapes, et en extrait la formule de l'action nécessaire que le prolétariat se libère de la nécessité de recommencer toujours son histoire, ses hésitations, son manque de décision, ses erreurs.
Le prolétariat de Paris n'avait pas un tel parti. Les socialistes bourgeois dont fourmillait la Commune levaient les yeux ou ciel, attendaient un miracle ou bien une parole prophétique, hésitaient, et -pendant ce temps-là, les masses tâtonnaient, perdaient la tête à cause de l'indécision des uns et de la fantaisie des autres. Le résultat fut que la révolution éclata au milieu d'elles: trop tard, Paris était encerclé. Six mois s'écoulèrent avant que le prolétariat eût rétabli dans sac mémoire les leçons des révolutions passées... des trahisons réitérées de la démocratie, et s'emparât du pouvoir.
Si le 18 mars, le pouvoir se trouve entre les moins du prolétariat de Paris, ce ne fut pas qu'il s'en fût emparé consciemment, mais parce que ses ennemis avaient quitté Paris. Ce fut alors que le prolétariat devint maître de la situation, mais il ne le comprit que le lendemain. La Révolution tomba sur lui sans qu'il s'y attendît.
Ce premier succès fut une nouvelle source de passivité. En ce moment on aurait pu écraser la bande gouvernementale presque sans effusion de sang. A Paris, on aurait pu faire prisonniers tous les ministres avec Thiers en tête. Personne n'aurait levé la main pour les défendre. On ne l'a pas fait. Il n'y avait pas d'organisation de parti centralisée ayant une vue d'ensemble sur les choses et des organes spéciaux pour réaliser ses décisions.
Les débris de l'infanterie ne voulaient pas reculer sur Versailles. S'il y avait eu à Paris un centre dirigeant de parti, il aurait incorporé dans les armées en retraite... quelques centaines ou quelques dizaines d'ouvriers en leur donnant les directives... de profiter du premier moment psychologique favorable pour libérer les soldats des officiers et les ramener à Paris pour s'unir avec le peuple. Cela pouvait être facilement réalisé, de l'aveu même des partisans de Thiers. Personne n'y pense... de telles décisions ne peuvent être prises que par un parti... qui attend une révolution, s'y prépare, ne perd pas la tête, par un parti qui est habitué à avoir une vue d'ensemble et n'a pas peur d'agir.
Et précisément, le prolétariat français n'avait pas de parti d'action.
Le Comité central de la Garde nationale est en fait un Conseil de Députés des ouvriers armés et de la petite-bourgeoisie... Le Comité central de la Garde nationale avait besoin d'être dirigé... Au moyen des Conseils de députés - dans le cas donné c'étaient des organes de la Garde nationale - le parti aurait pu être en contact continuel avec les masses... donner chaque jour un mot d'ordre qui, par des militants du parti, aurait pénétré dans les masses, unissant leur pensée et leur volonté.
A peine le Gouvernement eût-il reculé sur Versailles que... le Comité central imagina des élections «légales» à la Commune et entre en pourparlers avec les maires de Paris pour se couvrir à droite par la «légalité». Si l'on avait préparé en même temps une violente attaque contre Versailles (ces) pourparlers... auraient été une ruse de guerre... justifiée, mais en réalité (ils) n'étaient menés que pour échapper par un miracle quelconque à la lutte. Les radicaux petits-bourgeois et les socialistes idéalistes… respectant la légalité... espéraient du fond de leurs âmes que Thiers s'arrêterait respectueusement devant le Paris révolutionnaire aussitôt que ce dernier se couvrirait de la Commune «légale».
La passivité et l'indécision furent dans ce cas appuyées par le principe sacré de la fédération et de l'autonomie. Paris, voyez-vous, n'est qu'une commune parmi beaucoup d'autres... Paris ne veut rien imposer à personne; il ne lutte pas pour la dictature si ce n'est pour la «dictature de l'exemple».

En somme, ce ne fut qu'une tentative pour remplacer la révolution prolétarienne par une réforme petite-bourgeoise: l'autonomie communale. La vraie tâche révolutionnaire consistait à assurer au prolétariat le Pouvoir dans tout le pays... et pour atteindre ce but, il fallait sans perdre de temps vaincre Versailles et envoyer par toute la France des organisateurs, des agitateurs, de la force armée... Au lieu de cette politique d'offensive et d'agression qui pouvait seule sauver la situation, les dirigeants de Paris essuyèrent de s'enfermer dans leur autonomie communale: ils n'attaqueront pas les autres si les autres ne les attaquent pas; chaque ville a son droit sacré de self-government. Ce bavardage idéaliste... couvrait en réalité la lâcheté devant l'action révolutionnaire... Sous forme de «lutte contre le centralisme despotique» et contre la discipline «étouffante» se livre une lutte pour la propre conservation des divers groupes et sous-groupes de la classe ouvrière, pour leurs petits intérêts, avec leurs... oracles locaux. La classe ouvrière toute entière... peut agir avec méthode et fermeté, sans rester en arrière des événements et en dirigeant chaque fois ses coups mortels contre les parties faibles de ses ennemis, à condition qu'à sa tête au-dessus des arrondissements, des sections, des groupes, se trouve un appareil centralisé et lié par une discipline de fer.»

Les aspects contradictoires du blanquisme
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Le blanquisme ne pouvait pas constituer un parti véritable, avant garde et guide de la classe, dans la mesure où il restait un courant volontariste qui croyait possible de prendre le pouvoir dons n'importe quelle situation objective grâce à l'initiative audacieuse d'un groupe de conspirateurs, et dans la mesure aussi où il n'avait pas de programme historique dont il aurait pu déduire sa tactique, bien que sur la trace de Saint-Simon, L. A. Blanqui fût personnellement arrivé à la conception du «dépérissement» et de l'extinction de l'État et du remplacement du gouvernement des hommes par l' «administration des choses». Sa Vision de la dictature du prolétariat restait donc tout à fait formelle parce que dépourvue de tout contenu politique et économique défini, et de ce fait déracinée de son terrain de classe qui, dans une révolution victorieuse, apparaît dans le fait que c'est le parti prolétarien qui prend le pouvoir.

Dans la vision marxiste, le parti prolétarien exerce la dictature pur la terreur que ses armes inspirent à ses adversaires, selon l'expression magnifique d'Engels («De l'Autorité», 1874) qui reprochait à la Commune de ne pas s'en être suffisamment servie. Ce parti exprime le programme de classe et s'appuie sur la force de, l'avant-garde prolétarienne de façon à pouvoir réprimer non seulement les autres classes, mais même les couches arriérées de la classe ouvrière elle-même. Au lieu de cela, dans le blanquisme, le parti était privé de base de classe dons la mesure même où il était privé de programme, si bien que sa conception d'un pouvoir de parti se réduisait à celle du pouvoir d'une secte de conspirateurs. Voilà pourquoi Engels a pu écrire les lignes suivantes, sur lesquelles on a fait un contre-sens complet quand, plus tard, on a voulu leur donner une signification «anti-substitutionniste», comme si la dictature du prolétariat ne devait pas, pour mériter ce titre, être exercée par un organe dirigeant s'identifiant avec le parti, seule force consciente de l'avenir de la classe et capable de la guider dans le sens de sa mission historique, c'est-à-dire dans le sens de ce qu'elle est historiquement contrainte de faire en conformité avec sa fonction dans la société:

«Du fait que Blanqui conçoit toute révolution comme le coup de main d'une petite minorité révolutionnaire, il s'ensuit la nécessité d'une dictature sur le reste, dictature qui n'est bien entendu pas celle de toute la classe révolutionnaire, du prolétariat, mais du nombre restreint des auteurs du coup de main, déjà préalablement organisés sous la dictature d'un seul ou de plusieurs individus» (Engels, «Programme des Communards blanquistes réfugiés», Der Volksstaat, no 73, 26 juin 1874).

N'ayant pas de base de classe dans le prolétariat faute d'un programme et d'une stratégie adéquats, les blanquistes étaient obligés de la chercher dans une masse indifférenciée de «citoyens» dont la caractéristique commune se réduisait très platement à être de «bons républicains». Le sens véritable de la critique d'Engels est donc le reproche d'interclassisme et en aucune façon de «substitutionnisme»: l'histoire, y compris celle de la Commune, a confirmé le diagnostic.

Lorsque dans la préface à l'adresse sur «La Guerre civile en France» et dans d'autres textes, Engels impute aux blanquistes les fautes politiques de la Commune, ce n'est pas du tout, comme certains historiens l'ont cru, parce qu'il s'imaginait que la majorité de la Commune était formée de blanquistes; c'est parce qu'étant les seuls capables de comprendre la nécessité de certaines mesures révolutionnaires essentielles, ils empêchèrent par avance qu'elles fussent appliquées en faisant bloc avec la majorité radicale-jacobine conciliatrice. A ce propos, il n'est pas inutile de souligner que Marx, qui avait compris l'inopportunité stratégique d'un mouvement isolé comme celui de la Commune (6), tout en prêchant la nécessité d'aller jusqu'au bout une fois le mouvement engagé, distinguait très nettement entre la conciliation démocratique qui ne pouvait que préluder à la défaite prolétarienne, d'une part, et, de l'autre, le compromis tactique dont il parle dans sa lettre du 22 février 1881 à Domela Nieuwenhuis en disant qu'il «était alors le seul but qu'on pouvait atteindre» et qui supposait ou contraire la conquête de positions de force, comme par exemple «l'appropriation de la Banque de France», acte «déjà suffisant pour en finir une bonne fois avec l'arrogance des gens de Versailles». L'attitude de conciliation empêche au contraire le compromis et déchaîne un conflit dans lequel les prolétaires se retrouvèrent sans direction véritable. La modération qui trouva un alibi dans l'appui des blanquistes et des Internationaux fut donc fatale même aux seules fins immédiates et rendit impossible toute retraite stratégique après avoir exclu la possibilité de contraindre la bourgeoisie à pactiser en prenant des otages et, en premier lieu, celui constitué par la Banque de France.

Les blanquistes ne furent même pas capables de se désolidariser d'un Félix Pyat dont l'attitude de conciliation et, objectivement, de trahison, même en ce qui concerne la conduite purement militaire du conflit, avait pourtant été dénoncée plusieurs fois par les militants de base dans nombre d'interventions publiées, par exemple, dans «Le Père Duchesne».

Certes la minorité libertaire d'inspiration proudhonienne était politiquement étrangère à la révolution, autant et même plus que les radicaux jacobins, car tout aussi petite-bourgeoise qu'eux, elle était certainement beaucoup plus pacifiste et localiste; le poids politique de cette minorité contribua beaucoup à la faillite de la direction de la Commune en faisant pencher la balance du côté de la démocratie, mais contrairement à ce qui est le cas pour les blanquistes, on ne peut pas dire que les libertaires aient failli à leur propre programme, leur attitude étant parfaitement conforme à ce dernier. Ce sont au contraire les blanquistes qui avaient proposé les revendications que l'on trouve dans l' «Adresse» de Marx: emploi rationnel du Comité central avant de perdre du temps en élections communales, marche sur Versailles, confiscation de l'argent déposé dans les banques, contrôle de la presse, contre-espionnage effectif, application de la loi sur les otages, bref la Terreur comme Trotsky lui-même l'a reconnu dons un passage systématiquement dénaturé par des traducteurs infidèles:

«Les mesures de la préfecture de police dirigée par Raoul Rigault avaient un caractère terroriste par excellence, bien qu'elles n'aient pas toujours été appropriées au but visé».

L'inadéquation, c'est-à-dire l'insuffisance de ces mesures a été due exclusivement au caractère démocratique de la Commune, c'est-à-dire au fait que sa majorité a saboté ces directives qui émanaient d'une minorité, non seulement au sein de la direction communale, mais au sein du blanquisme lui-même, car le centralisme blanquiste n'étant pas, un centralisme organique (la dictature d'un programme), l'absence physique du «Vieux» avait provoqué une confusion navrante jusque parmi ses disciples.

Réactions désespérées contre l'impuissance démocratique
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Il suffit de rappeler quelques séances de la Commune qui montrent clairement que seuls quelques blanquistes cherchèrent à s'opposer à l'incroyable impuissance démocratique, aux fleuves de miel dans lesquels s'enfonçait la Commune face à une contre-révolution impitoyable dont les premières initiatives auraient dû faire voir, même à des aveugles, qu'elle préparait minutieusement le massacre final.

Le 24 avril, Rigault déclare:
«
Hier, en mon absence, vous avez déclaré que tous les membres de la commune auraient le droit de rendre visite à tous les détenus. En accord avec le Comité de contrôle que vous m'avez adjoint, je vous demande de revenir sur l vote d'hier, au moins en ce qui concerne les individus au secret. Si vous mainteniez votre vote, je serais forcé de donner ma démission, et je ne pense pas qu'un autre pourrait dans ces conditions accepter une telle responsabilité... Quand on n'a pas vu le dossier d'un homme emprisonné, on peut se laisser attendrir par ses paroles, par des questions de famille, d'humanité, et l'aider à communiquer avec l'extérieur».
Esprit de 1793? Qu'on se rappelle l'attitude de Lénine à l'égard de Gorki et de Lounatscharsky, qu'on relise «Leur morale et la nôtre» de Trotsky!

Rigault se méfiait à juste titre des «révolutionnaires» qui siégeaient à la Commune et dont le doyen était le proudhonien Beslay et il prouva le 5 mai qu'il y avait dans la Commune des agents provocateurs tels que le soi-disant Blanchet, moine défroqué:
«
Vous vous rappelez qu'il a été convenu que quand on aurait procédé à l'arrestation d'un collègue, on ferait un rapport à la Commune; je le fais aujourd'hui, non pas dons les quarante-huit heures, mais dans les deux heures

Le 17 moi, Rigault s'écrie de même: «Je suis d'avis de répondre aux assassinats des Versaillais de la façon la plus énergique, en frappant les coupables et non les premiers venus... Et je place sur la même ligne les hommes qui sont d'accord avec Versailles et les complices de Bonaparte... Il faut que vos jurés soient un véritable tribunal révolutionnaire».

Dans toutes ces occasions, les autres Communards accusèrent Rigault de «bonapartisme», de «despotisme», et l'historien Lissagaray qui sympathisait avec eux a le toupet de reprocher à l'incommode Procureur de la Commune «le peu d'efficacité de ses mesures» et de l'accuser d'avoir plus persécuté les vieux instruments de «Napoléon le Petit» que les espions véritables: calomniez, il en restera toujours quelque chose et les autres «historiens» n'ont pas manqué de répéter Lissagaray sur ce points!

Malgré l'opposition qui rendit vaines la plupart de leurs initiatives, Rigault et Ferré ont en réalité prouvé qu'ils savaient frapper au but, comme le prouvent l'exécution de G. Chaudey, exécuteur testamentaire de Proudhon, participant de congrès démocratiques internationaux et responsable du massacre du 22 janvier devant l'Hôtel de Ville, bref, véritable prototype de «démocrate avancé» avant la lettre, et celle de l'archevêque gallican Darboy, libéral, adversaire du dogme de l'infaillibilité pontificale, donc véritable «curé progressiste», sinon «prêtre ouvrier», qu'avec beaucoup de clairvoyance politique Thiers avait refusé d'échanger avec la «tête» dont la Commune manquait, Blanqui «le reclus».

L'attitude prise par les blanquistes les plus conséquents à propos du Comité de Salut Public (7) est également très significative. Dans sa déclaration de vote, Rigault dit
«
espérer que le Comité de Salut Public sera en 1871 ce que l'on croit généralement, mais à tort, qu'il a été en 1793»,
à savoir l'organe de la terreur rouge du prolétariat
(8). Rigault ne faisait pas allusion à la tradition hébertiste (illustrée par l'ouvrage de G. Tridon qui appartenait à la minorité), mais plutôt à la possibilité existant en 1871, étant donné le contenu nouveau de la révolution à l'ordre du jour (la révolution prolétarienne et non plus bourgeoise), de faire autre chose de l'organe central du pouvoir qu'un écho réthorique du révolutionnarisme petit-bourgeois (que malheureusement il fut). La minorité, elle, critiquait le principe même de la dictature et du centralisme, comme émanation du «principe d'autorité» détesté, ce qui justifie entièrement la critique d'Engels dans l' «Almanach républicain» de 1874 (9) et la critique du «Père Duchesne» du 18 mai reprenant les arguments développés par Vaillant dans sa déclaration de vote du 1er mai, peut-être la plus claire et la plus nette de toutes:

«Je ne partage pas l'illusion de l'assemblée qui croit avoir fondé un comité politique directeur, un comité de salut public, alors qu'elle ne fait que renouveler avec une étiquette nouvelle sa commission exécutive des premiers jours. Si l'assemblée voulait avoir un réel comité exécutif, pouvant vraiment prendre la direction de la situation, parer aux éventualités politiques, elle devrait commencer par se réformer elle-même, cesser d'être un petit parlement bavard, détruisant le lendemain aux hasards de sa fantaisie ce qu'il a créé la veille et se jetant au travers de toutes les décisions de sa commission exécutive. La Commune ne devrait être qu'une assemblée de commissions se réunissant pour discuter les résolutions, les rapports présentés par chacune d'elles, écoutant le rapport politique de son comité exécutif, et jugeant si ce comité remplit son devoir, s'il sait donner l'unité d'impulsion, de direction, s'il a l'énergie, la capacité nécessaires pour le bien de la Commune. Au Comité exécutif seraient renvoyées les affaires politiques, aux commissions diverses toutes les affaires de leur ressort, et les séances se passeraient sans incidents inutiles, à prendre des résolutions et non plus à discourir. Pour un comité exécutif de cet ordre, et seul vraiment digne de porter le titre de Salut Public, qui n'a d'ailleurs pas d'importance et qui a le désavantage d'être une répétition, le voterai oui sans phrases. En un mot, il faut organiser la Commune et son action; faire de l'action, de la Révolution et non de l'agitation, du pastiche».

Avec Trinquet, Ranvier, Ferré, Rigault et quelques autres comme Duval, l'ouvrier-général, membre de l'internationale, ce fut bien pratiquement une avant-garde du blanquisme qui s'opposa aux caprices libertaires dont elle décelait très bien le caractère opportuniste («il faut guillotiner ce tas de Girondins», se serait exclamé Rigault) et qui se heurta de ce fait au légalitarisme palabreur et inconcluant et à l'attentisme conciliateur de la majorité qui ne comprenait pas les tâches que la Commune avait été contrainte par la force des choses et tout à fait contre le gré de ses membres à prendre sur elle. Face à l'anarcho-démocratisme vomissant sa rage contre les partisans de la dictature révolutionnaire et de la terreur de classe, la position de Karl Marx est sans équivoque, et on la trouve exprimée dans sa polémique contre «La Révolution sociale» dirigée par Mme André Léo, femme de Benoît Malon, anarcho-réformiste, dont il cite la déclaration au Congrès de la Paix de Lausanne:
«
Raoul Rigault et Ferré, qui furent tous deux des protagonistes funestes de la Commune et qui, jusqu'à l'exécution des otages (10) n'avaient jamais cessé, toujours en vain, d'invoquer des mesures sanglantes» et à laquelle il répond: «Dès son premier numéro, la «Révolution sociale» se hâte de se mettre au niveau du «Figaro», du «Gaulois», de «Paris-Journal» et des autres feuilles immondes dont elle reprend à son compte toutes les louches attaques contre le Conseil Général»,
soulignant que cette flatterie à l'égard du pacifisme démocratique et interclassiste par la dénigration des martyrs de la révolution avait été faite
«
au moment même où Ferré attendait dans sa prison l'heure d'être acheminé vers le poteau de Satory».

L'opposition de la majorité et de la minorité (unanimes sur ce point) à l'activité des blanquistes les plus décidés empêcha alors l'utilisation de forces précieuses comme celles de Duval, de Dombrovsky (qui sera suspecté à tort et ira volontairement à la mort pour se laver du soupçon de trahison), de Wroblewsky, tous chefs militaires de valeur, et surtout de Rossel, véritable spécialiste militaire qui, malheureusement, fut un adversaire acharné des blanquistes, seules forces capables d'employer ses qualités stratégiques, et qui s'opposa même à une «dictature militaire» sous le contrôle du Comité de Salut Public dont il connaissait aussi bien que les meilleurs blanquistes l'inaptitude et l'hétérogénéité.

La condamnation a la défense passive
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Du fait de l'absence d'une stratégie d'offensive révolutionnaire contre Versailles, la Commune fut condamnée à revenir à la défense passive sur les barricades. Le lendemain de l'entrée des Versaillais à Paris, le 22 mars, le jacobin Delescluze appellera les Parisiens à marcher contre l'ennemi, parlant encore de lui montrer
«
par leur énergie révolutionnaire qu'on peut vendre Paris, mais qu'on ne peut ni le livrer, ni le vaincre».
Mais tandis que toute victoire étant apparue impossible, il ne restera plus à Delescluze qu'à aller se faire tuer, le 25 moi, sur une des dernières barricades résistant encore, et à mourir debout comme il l'avait décidé, les blanquistes Rigault, Ferré, Gois cherchèrent jusqu'au bout à donner des exemples de terreur révolutionnaire, parce que comme le disait Rigault, pressentant la défaite et sa propre mort après l'exécution de Chaudey, «
cela servira pour la prochaine fois» - c'est-à-dire pour la prochaine révolution.

Pourtant, le mouvement parisien qui conduisit à la Commune avait fait au début la preuve de sa capacité à dépasser cette tactique désespérée par une lutte de classe du prolétariat contre la bourgeoisie. Comme le dit Engels dans sa célèbre introduction de mars 1893 aux «Luttes de classe en France» ignoblement défigurée par les opportunistes qui dirigeaient la social-démocratie allemande, la lutte dans les rues
«
devra être engagée avec des forces beaucoup plus grandes qui préféreront l'attaque ouverte à la tactique passive des barricades»,
attaque déjà expérimentée dans la Grande révolution bourgeoise ainsi que dans les journées révolutionnaires du 4 septembre et du 31 octobre 1870. Si la Commune elle-même put se constituer, ce fut également par une mobilisation active bien différente du retranchement passif derrière de vaines barricades. Si en juin 1848, celles-ci n'avaient pas arrêté la coalition des bourgeois, des petits-bourgeois et du sous-prolétariat lancés dans la chasse à l'hydre rouge, il était absurde d'attendre un résultat différent en mai 1871
(11).

Il est important de remarquer - d'accord avec tous les recueils de documents, journaux, rapports, etc. … - que les militants de base, les clubistes de la banlieue, etc., ne cessèrent pas un seul moment de poser la question: «Pourquoi la Commune est-elle si mollasse?» (cité dans le recueil: Lettres au «Père Duchesne» pendant la Commune de Paris, Paris, Bureau d'Editions, 1934, p. 23), d'exiger des mesures de terreur, de plaider pour la marche sur Versailles. D'autre part, il n'est pas difficile de retrouver dans nombre de mémoires de l'époque la même attitude qui prouve qu'il y avait plus de «conscience» dans la masse que dans la direction, ce qui annonçait une défaite immanquable, car c'est cette dernière qui aurait dû canaliser l'impulsion de la base et lui donner une expression programmatique et tactique achevée. Au contraire, la direction communarde resta au-dessous du niveau du suivisme puisque dans de nombreux cas elle empêcha le travail des quelques militants (une minorité parmi les blanquistes eux-mêmes, comme nous avons vu) qui se faisaient les interprètes de cette avant-garde ouvrière à laquelle les chieurs d'encre «up-to-date» ont refusé le qualificatif de prolétarienne pour la qualifier de «sans-culotte», selon le même critère qui permettait à Kautsky de proclamer prolétarienne la Commune et «sans-culotte» la République des Soviets de Russie!

Nous ne voulons pas raconter d'anecdotes, mais pour souligner la fausseté de la légende «concrétiste» selon laquelle la minorité «spontanéiste» aurait collé au mouvement des couches prolétariennes les plus décidées, il ne sera pas inutile de rappeler l'épisode raconté par Jules Vallès dans son «Insurgé» avec une candeur vraiment anarchiste. Alors qu'il se lamentait en compagnie de Lefrançois et Longuet à l'annonce par Genton (autre vaillant blanquiste fusillé à Satory) de l'exécution de Mgr Darboy, un jeune ouvrier leur répondit:
«
On saura donc que si la Commune faisait ses arrêts pour rire, nous, nous les appliquions sérieusement... Et puis, quand même, ma balle a fait un trou dans le ciel!» Après l'image prométhéenne de «l'assaut au ciel»
de Karl Marx, où trouver une plus haute louange de la rébellion prolétarienne, qui ne s'exprima malheureusement que de façon très affaiblie et terne dons la Commune?

Comme toujours, les spontanéistes trichent grossièrement lorsqu'ils exaltent comme le résultat d'une libre création ouvrière ce qui fut seulement la conséquence de préjugés petits-bourgeois et contre-révolutionnaires qui s'opposèrent aux exigences exprimées d'une manière confuse mais vigoureuse par le prolétariat, le collectif et impersonnel «Jean Misère» des chansons ouvrières de l'époque, que les conditions objectives poussaient au mouvement social et donc politique - «le combat ou la mort, la lutte sanguinaire ou le néant» - balayant tout utopisme proudhonien rétrograde. Et c'est ce même Jean Misère qui, après la défaite, ira au mur avec un stoïcisme que les bourreaux taxeront d'effronterie cynique, d' «insolente résolution d'en finir avec la vie plutôt que de vivre en travaillant», sinistre calembour sur le mot d'ordre des insurgés Lyonnais: «Vivre en travaillant ou mourir en combattant».

Indépendamment des attitudes individuelles, le comportement politique des libertaires proudhonisants (et Proudhon est le père spirituel de Bernstein autant que de Bakounine, car l'opportunisme caractérisé par l'immédiatisme est invariant lui aussi) fut exactement le même que celui de cette Commune qui faillit à sa mission de direction de la dictature prolétarienne. Faire leur apologie, c'est donc exalter tout ce qui provoqua cette faiblesse subjective de la Commune et sa chute sans lutte efficace. Il ne faut donc pas s'étonner que les opportunistes aient toujours porté aux nues ces aspects de la Commune, les identifiant sans scrupules avec la véritable dictature du prolétariat par opposition à la dictature exercée sur le prolétariat par les néo-jacobins et les blanquistes. Ces gens flattent la Commune justement parce quelle a échoué, ils exaltent l'absence des conditions objectives, mais surtout subjectives de la victoire ou au moins d'une affirmation de la dictature révolutionnaire. Cela revient en substance à exalter la contre-révolution dont Thiers n'a été que l'agent extérieur, l'agent intérieur (peu importe la bonne ou mauvaise foi) ayant été la domination des courants petits-bourgeois et en somme démocratiques.

Comme l'a dit Trotsky, Kautsky, représentant de l'opportunisme toute espèce,

«voit la supériorité la plus grande de la Commune justement là où nous voyons sa misère et sa faute... Nous profitons du souvenir de la Commune, malgré l'étroitesse évidente de son expérience, la piètre préparation de ses membres, le manque de clarté de son programme, l'absence de concorde entre ses chefs, l'indécision de ses plans, le désordre sans espoir dans l'exécution, enfin sa ruine affreuse et, par toutes ces raisons, fatalement déterminée».

A cette citation de «Terrorisme et Communisme» il n'est pas inutile d'en ajouter une autre, tirée d'une brochure de Karl Radek, écrite en réponse à un pamphlet de Kautsky, intitulé «Dictature prolétarienne et terrorisme»:

«Comme c'est l'habitude dans les documentaires didactiques, M. Kautsky a cité deux exemples pour le bien et la paix du peuple allemand: la dictature jacobine de la violence qui devait se terminer par la défaite, car elle voulait réaliser des illusions par des moyens violents, et donc abrutir et tromper le prolétariat; et par opposition à ce tableau aux couleurs très sombres, l'image radieuse de la dictature démocratique de la Commune de 1871, qui s'est gravée profondément «dans les cœurs de tous ceux qui aspirent à la libération du genre humain», car elle était pénétrée complètement de l'esprit d'humanité animant la classe ouvrière du dix-neuvième siècle. Nous avons démontré que le film didactique de M. Kautsky n'est qu'un simple tour de passe-passe. La Commune de Paris de 1793 ne représentait pas une dictature prolétarienne, mais au contraire bourgeoise; elle ne se «brisa» pas contre l'impossibilité de réaliser les illusions prolétariennes, mais au contraire sut remplir sa grande fonction historique, la destruction de la féodalité. La Commune prolétarienne de 1871, au contraire, se brisa après deux mois d'existence seulement contre la confusion de ses chefs qui, imbus d'illusions, ne surent pas porter le combat en dehors des murs de Paris. Ce que Kautsky appelle l'esprit d'humanité n'était en réalité que la faiblesse des chefs de la Commune, leur irrésolution dans la lutte contre un ennemi implacable.
Lorsque Kautsky affirme que la Commune de 1871 s'est gravée, grâce à son esprit humanitaire, dans les cœurs de tous ceux qui aspirent à la libération du genre humain, ce vieillard prend son cœur ramolli pour le cœur de fer du prolétariat. La Commune est devenue le symbole des aspirations socialistes non grâce à sa faiblesse qu'il appelle humanité, mais du fait qu'elle a constitué la première tentative prolétarienne de prise du pouvoir
».

La révolution est inséparable de la dictature du parti et de la terreur rouge
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Si la révolution double de Russie succomba sous le poids de sa tâche démocratique initiale qui n'était nullement négligeable et sous la pression des forces de l'accumulation primitive incarnées par le stalinisme, elle présentait, tant que le bolchevisme resta vivant, les conditions politiques de la révolution permanente. Dans la Commune, ou contraire, ces conditions n'existaient pas du fait de l'absence d'un mouvement communiste autonome ayant une vision programmatique et tactique adéquate. De là résulta son aspect national et démocratique, en contradiction avec sa base, puisqu'à la différence de la révolution russe, elle n'avait pas à réaliser la construction du capitalisme. En même temps que le cycle des guerres de libération nationale, elle a fermé celui des révolutions démocratiques, les deux ne faisant d'ailleurs qu'un.

C'est là son enseignement fondamental comme Marx l'a montré dans «La Guerre civile en France» et comme les événements ultérieurs n'ont fait que le confirmer. Qu'elle s'abrite derrière des arguments réformistes ou gauchistes, toute «voie nationale» et «démocratique» au socialisme équivaut à la mort de la révolution. La révolution prolétarienne sans dictature de parti, sans véritable terreur rouge, c'est-à-dire la révolution pour rire souhaitée par tous les libéraux, les démocrates, les libertaires, de Kautsky aux militants du K. A. P. D. et aux tribunistes hollandais, de Gramsci à la gauche extra-parlementaire d'aujourd'hui, n'est que le dernier espoir de la bourgeoisie en cas de révolte sociale du prolétariat., que le prélude de nouvelles «semaines sanglantes» vouées à la défaite (et bien entendu la même chose vaut pour le «socialisme dans un seul pays» ou localisé à quelques-uns et pour toute forme de centrisme»).

Toutes les formes d'immédiatisme se sont affirmées à la direction de la Commune et leur effet les ont condamnées de façon définitive historiquement, de même que l'annihilation de l'élan spontané du prolétariat par l'absence de direction adéquate a définitivement condamne toute forme de spontanéisme. Sans doute le parti n'est-il qu'une condition nécessaire et nullement suffisante de la victoire, mais son absence est de toutes façons contre-révolutionnaire, car elle n'est pas sans raison, et cette raison est précisément une de celles qui rendent la contre-révolution inévitable; au contraire, même dans des conditions défavorables, la présence du parti permet de tirer des leçons non seulement théoriques, mais pratiques de la défaite, et c'est là la condition de la reprise, ou du moins d'une retraite en bon ordre préludant à une telle reprise. Cela a été prouvé avec une extrême clarté, d'une part par les années qui ont suivi la défaite de la révolution russe de 1905 et conduit à la victoire d'Octobre 1917 et, d'autre part, par les situations objectivement favorables (comme le premier après-guerre en Allemagne) qui n'en aboutirent pas moins à la contre-révolution du fait des conditions qui avaient fait obstacle à la formation d'un véritable parti communiste, comme la domination de la social-démocratie et spécialement du centrisme kautskyen.

Depuis son apparition, le socialisme scientifique, le communisme révolutionnaire combat toutes les influences qui font obstacle à la constitution du prolétariat en classe (et donc en parti politique) puis en classe dominante, et qui la rendent impossible. La grande peur que la Commune a inspirée aux bourgeois témoigne du fait que le mouvement dont elle est née allait dans cette direction et que s'il n'atteignait pas son but, ce fut uniquement parce qu'il manquait d'une direction non pas occasionnelle et hétéroclite, mais résumant l'expérience historique de la classe. Si Marx ne l'avait pas reconnu, le plus haut éloge de la signification inconsciente du potentiel révolutionnaire du mouvement communard serait à trouver dans les flots d'insultes que les Maxime du Camp, les A. Dumas et autres «journalistes policiers, marchands de calomnies», comme disait E. Pottier, poète de «l'Internationale» ont vomi contre lui, et dont on a un bon exemple dans «L'orgie rouge», chapitre de «Barbares et Bandits: la Prusse et la Commune», de Paul de Saint-Victor (Paris 1871), qui écrit:

«L'insurrection du 18 mars... éclate brusquement, en pleine république, en pleine liberté, devant l'invasion rangée en bataille sous les remparts de Paris, contre une assemblée librement élue, contre le suffrage universel, contre la religion, contre la bourgeoisie, contre l'industrie, contre la famille, contre le travail, contre tout ce qui fait la dignité, la sécurité et la vie d'un peuple. Ce n'est ni à un despotisme, ni à une aristocratie qu'elle déclare la guerre, mais à la civilisation, à la société et à la patrie. Elle n'a pour dogme qu'un athéisme grossier, pour doctrine qu'un matérialisme abject, pour programme que le lazzaronisme armé, l'expropriation de toutes les classes par une seule, l'égalité des parts dans la mangeoire humaine, la curée de la fortune publique et privée jetée en proie aux appétits et aux convoitises du prolétariat...»

Dans quel sens la commune est immortelle
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Voilà pourquoi nous reconnaissons dans la Commune l'aube encore pâle de la destruction du Moloch des libertés bourgeoises devant lequel brûle son encens l'idéalisme démocratique qui n'a jamais été aussi bien incarné que par Gallifet et par Noske. Voilà pourquoi Lénine écrivait en avril 1911, dans la «Gazette ouvrière», n° 4-5:

«La cause de la Commune est la cause de la révolution sociale, la cause de l'émancipation politique et économique intégrale des ouvriers, la cause du prolétariat mondial. En ce sens, elle est immortelle».

Cette cause, la Commune n'a été évidemment capable ni de la faire triompher, ni même de la défendre avec clairvoyance et conscience. La leçon de classe quelle a donnée n'en est que plus incisive. Et cette leçon, c'est, comme nous l'avons toujours affirmé, quitte à nous faire accuser de dogmatisme, voire de psittacisme, la confirmation la plus absolue du rôle central, irremplaçable du parti de classe, caractérisé par une position révolutionnaire en ce qui concerne la prise du pouvoir et l'exercice de la dictature et les problèmes tactiques qui y sont liés.

Comme Lénine le rappelait, il n'y avait pas en 1871 un niveau suffisamment élevé des forces productives, mais cela ne justifiait nullement un schéma de révolution double, si bien que le caractère démocratique révolutionnaire du gouvernement communard n'a été qu'une faiblesse fatale et un anachronisme dans lequel le poids du passé a fermé les perspectives de l'avenir. Dans le cadre actuel du monde euro-américain (et japonais) enserré dans le réseau d'un capitalisme développé, il ne peut plus être question d'insuffisant développement des forces productives, tandis que la nécessité d'une convergence entre l'avant-garde ouvrière poussée dans la rue par les contradictions exaspérées du régime et sa direction politique subsiste entièrement.

Cela nous conduit à la question de la coïncidence de la crise du capitalisme et de la maturation du parti «formel» sur le plan international. Ce n'est certainement pas demain qu'elle sera résolue et pour la résoudre l'organisation embryonnaire des marxistes révolutionnaires existant aujourd'hui ne peut pas «inventer» un quelconque expédient organisationnel, mais doit compter exclusivement sur la dictature du programme en son propre sein. Telle est la condition à laquelle pourront se former des cadres réellement capables de diriger un jour le mouvement prolétarien vers ses buts révolutionnaires qui ne dépendent pas de la volonté des individus, mais bien de ce que le prolétariat sera contraint de faire, à condition d'en avoir le moyen, à savoir une direction de parti.

Il y a une ironie involontaire dans le couplet de l'anarchiste Louise Michel («Chanson des prisons», mai 1871):

«Quand la foule aujourd'hui muette
Comme l'Océan grondera,
Qu'à mourir elle sera prête,
La Commune se lèvera».

Certes, le grand problème est bien là. Mais lorsque le prolétariat, et non pas la «foule», le Peuple, bougera sous l'impulsion des événements, il devra avoir à sa tête une cohorte internationale de fer, sans laquelle les défaites du passé - telle celle de la Commune - ne pourraient que se répéter. Alors seulement une victoire mondiale remportée par un état-major mondial pourra mettre fin à l'histoire douloureuse de la classe opprimée, en même temps qu'à la domination sanglante du Capital et, dans la perspective, au Léviathan de la société divisée en classes.

Notes:
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  1. Il est navrant que cette ineptie ait été formulée dans «La Commune vécue» par le blanquiste Gaston Da Costa qui avait été adjoint à Rigault dans les services de police de la Commune. [back]
  2. Francis Jourde, bien que non révolutionnaire, fut condamné par les tribunaux versaillais, tandis que le vieux proudhonien (et millionnaire) Charles Beslay recevait un sauf-conduit du gouvernement pour la Suisse après la défaite de la Commune et plus tard un non-lieu. [back]
  3. Cf. à ce sujet la critique du «Programme des Communards blanquistes réfugiés» par Engels dans le «Volksstaat», n° 73, du 26 juin 1874. [back]
  4. Cf. le Manifeste des imprimeurs, écrivains et dessinateurs lithographes du 19 février 1877. [back]
  5. Manchette de la première «Humanité» légale du P.C.F. après la libération de Paris dans la seconde guerre impérialiste mondiale. [back]
  6. Cf. le discours de K. Marx à Amsterdam le 8 septembre 1872:
    «
    La révolution doit être solidaire et nous en avons un grand exemple dans la Commune de Paris qui est tombée parce que dans aucun des grands centres, ni à Berlin, ni à Madrid, etc...., n'a surgi un grand mouvement révolutionnaire correspondant à cette suprême levée en masse du prolétariat parisien». [back]
  7. La formation d'un Comité de Salut Public a été proposée le 28 avril par les Jacobins à la suite de la panique d'Issy, en remplacement de la seconde Commission Exécutive résultant de la réorganisation du gouvernement communaliste décidée le 21 avril à la suite des premiers désastres, toujours sur l'initiative des Jacobins. [back]
  8. Même Kautsky affectait de comprendre ainsi le Comité de Salut Public de 1793, lui reprochant de n'avoir pas «réalisé le socialisme»! [back]
  9. De l'autorité, «Almanach républicain pour l'an 1874»:
    «
    Ces messieurs-là, n'ont-ils donc jamais vu une révolution? Une révolution est sans doute la chose la plus autoritaire qui soit, c'est l'acte par lequel une partie de la population impose sa volonté à l'autre partie avec des fusils, des baïonnettes et des canons, qui sont des moyens par excellence autoritaires: et le parti vainqueur, s'il ne veut pas avoir combattu en vain, doit continuer cette domination par la terreur que ses armes inspirent aux réactionnaires. La Commune de Paris aurait-elle duré un seul jour, si elle n'avait pas employé cette autorité de peuple armé face aux bourgeois? Et au contraire, ne peut-on pas lui reprocher de ne l'avoir pas employée avec une ampleur suffisante? Donc, de deux choses l'une: ou les anti-autoritaires ignorent ce qu'ils disent, et en ce cas ils ne répandent que de la confusion, ou bien ils le savent, et alors ils trahissent le mouvement du prolétariat: en l'un et l'autre cas, ils servent la réaction». [back]
  10. Elle eut lieu le 24 mai trois jours après l'entrée des Versaillais dans Paris, quatre jours après l'effondrement de la défense militaire de la Commune, à un moment où les fédérés savent déjà qu'ils seront vaincus et réclament l'exécution du décret sur les otages. [back]
  11. Il devrait donc être clair que le refus des barricades répond chez Engels au fait qu'il préconise une stratégie vraiment insurrectionnelle, fondée sur une mobilisation des couches les plus décidées du prolétariat et dirigée non seulement politiquement, mais militairement par le Parti. Pour Engels, on doit considérer la nécessité non d'un putsch, mais d'une véritable guerre civile révolutionnai re, susceptible de prendre le caractère d'une guerre de classe menée par des armées:
    «
    Avant de réaliser un changement socialiste, il faut une dictature du prolétariat dont une des conditions premières est l'armée prolétarienne. Les classes ouvrières devront conquérir le droit à leur propre émancipation sur le champ de bataille. La tâche de l'Internationale est d'organiser les forces ouvrières et de les préparer au combat qui les attend.» (Marx, Discours à l'occasion du 7e anniversaire de la Première Internationale, 1871).
    A ce sujet, nous ne reproduirons ici que quelques lignes des pages admirables de Trotsky dans l'Histoire de la Révolution russe, 2me partie, sur «L'art de l'insurrection», où il rappelle ces problèmes, et notamment l'assimilation bolchévisme-blanquisme faite par les sociaux-démocrates:
    «
    En général, l'erreur de Blanqui consistait à réduire la révolution à l'insurrection. Sur le plan tactique, l'erreur du blanquisme consistait à réduire l'insurrection aux barricades. Engels, tout en étant d'accord avec Blanqui sur le point que «la révolution est un art», mettait en lumière non seulement la fonction secondaire de l'insurrection dans la révolution, mais aussi la fonction toujours plus limitée de la barricade dans l'insurrection. Au contraire, les réformistes cherchèrent à déduire de la négation de la valeur décisive de la barricade une négation de la violence révolutionnaire en général, ce qui revenait à déduire la liquidation du militarisme de la diminution probable de l'importance des tranchées dans la guerre prochaine».
    Bien sûr, le penchant des blanquistes pour les barricades découlait de leur incomplète distinction par rapport aux démocrates, aux «bons républicains», etc., etc.... et dans la Commune elle les livra aux charlatans type Miot. Nous ne parlons pas de l'aspect «offensif» de la tactique de Blanqui, qui était peu consistant à cause de sa conviction qu'il suffirait d'une poignée de conjurés pour détruire l'État bourgeois.
    Cela peut paraître faux si l'on se réfère à l' «Instruction pour une prise d'armes» de 1868, document extrêmement important qui marque un tournant dans la pensée de Blanqui, mais ça ne l'est pas si l'on songe que ce texte n'eut d'effet appréciable ni sur les militants blanquistes ni, par exemple, sur les tentatives auxquelles Blanqui et des disciples plus ou moins fidèles se livrèrent avant la Commune.
    Pour finir, il faut rappeler la falsification presque comique que le stalinien de droite Santiago Carillo, leader actuel du P. C. espagnol dissident de Moscou, a faite de l'introduction d'Engels dans «Nuestra Bandera», supplément au n° 58, juin 1968, p. 21. D'après Carillo qui reconnaît que les barricades «
    sont une tactique purement défensive qui laisse l'initiative à l'adversaire», celles-ci auraient dans certains cas l'avantage de provoquer la «neutralisation» des forces bourgeoises
    «
    et même leur passage au moins partiel dans le camp des forces démocratiques et révolutionnaires. Engels écrivait en 1895 que c'était principalement ce point de vue qu'on devrait considérer dans l'avenir lorsqu'on examinerait la, possibilité de combats de rue éventuels».
    Pour Carillo qui substitue la grève nationale inter-classiste à la vieille grève générale insurrectionnelle, Engels aurait donc été favorable aux barricades justement pour l'effet moral qu'elles exercent dans la révolution démocratique: il oublie qu'Engels emploie toujours l'imparfait, la révolution ayant cessé d'être «démocratique» pour devenir prolétarienne dès juin 1848, et à plus forte raison en mai 1871, ce qui poussait précisément Engels à réclamer l'attaque ouverte. Alors que les vieux réformistes accusaient donc mensongèrement Engels d'exclure la violence de classe organisée et la terreur de classe sous le prétexte qu'il avait déclaré les barricades périmées, Carillo, renouvelant la falsification, identifie hypocritement la position d'Engels avec une défense de la barricade en tant qu'elle exclut la violence organisée et la terreur de classe! Bien que déplaçant les facteurs, l'opération aboutit donc à la même absurdité que celle des réformistes, mais elle se prête à une utilisation du prolétariat comme chair à canon pour la défense d'intérêts bourgeois-démocratiques, comme si au XXme siècle cela pouvait signifier autre chose que la défense du capitalisme lui-même. Carillo est bien de la même race infecte que ceux qui ont parlé d' «armée rouge» à propos des troupes de Tchang Kai-Chek et des milices et de l'armée régulière de la République espagnole de 1936.
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Source: «Programme Communiste», n° 51-52, avril-septembre 1971

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