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LA GAUCHE COMMUNISTE SUR LE CHEMIN DE LA RÉVOLUTION



Content :

La gauche communiste sur le chemin de la révolution
III. Parti et Internationale
La tactique de l’internationale Communiste
I
II
III
IV
Notes
Source


En mémoire d’Amadeo Bordiga

La gauche communiste sur le chemin de la révolution

III. Parti et Internationale

En décembre 1921, l’Exécutif de l’internationale communiste approuva des « Thèses sur le Front Unique » sur lesquelles la Gauche qui se trouvait à la tête de la section italienne fit maintes réserves. Dans l’esprit des chefs de l’Internationale, il était possible par n’importe quelle tactique de causer des dommages irréparables à l’organisation social-démocrate complice de la politique bourgeoise et de l’organisation capitaliste et donc de débarrasser le prolétariat de son fatras d’illusions pacifistes et démocratiques pour l’éduquer à la lutte illégale, violente, armée. Selon eux, il n’y avait pas de tactique trop risquée pour hâter le moment de la lutte prolétarienne décisive pour le pouvoir, car ils estimaient que les dangers de l’audace seraient compensés par le ralliement de masses prolétariennes imposantes à la cause de la révolution, et par l’extension de l’influence communiste aux couches les plus radicales de la petite-bourgeoise. Même si l’ennemi de classe résistait et si le Communisme ne remportait pas immédiatement la victoire, la contre-offensive bourgeoise devait ainsi se trouver paralysée par les coins que l’action révolutionnaire aurait enfoncés dans son dispositif, ce qui devait faciliter d’autant l’offensive ultérieure du prolétariat.

A son IIe Congrès, tenu à Rome en mars 1922, le Parti Communiste d’Italie qui avait mis la direction de l’internationale en garde contre le danger de telles conceptions, adopta des « Thèses sur la Tactique » connues désormais sous le nom de « Thèses de Rome »[1]. Elles ne constituaient pas une simple réponse à celles de l’Exécutif de décembre 1921, et encore moins un essai de définition d’une tactique « nationale » ou comme on dit aujourd’hui, d’une « voie italienne au socialisme », mais bien une contribution à la définition de la tactique de l’Internationale communiste dans son ensemble. Ce que la section italienne voulait en effet, c’est que la façon dont les différentes sections de l’IC se comporteraient dans l’avenir dans les différentes situations fût définie par avance (mais oui !) dans le cadre d’une vision mondiale de la révolution et que la méthode adoptée devînt obligatoire pour chacune d’elles.

La position de la Gauche était bien claire. Ses buts ne différaient pas de ceux que l’IC se proposait d’atteindre au moyen du Front Unique et contrairement à ce qu’affirmaient inconsidérément ses éternels détracteurs, ses critiques ne relevaient nullement d’on ne sait quel « purisme » ou d’à priori doctrinaux de type anarchiste. La Gauche partait du principe que la tactique devait être intégralement soumise aux positions programmatiques et aux buts du Communisme, et que toute formule tactique devait résulter d’une critique scientifique des conditions historiques de la lutte et des forces en présence et définir une ligne d’action parfaitement cohérente avec les buts à atteindre et la grande victoire politique révolutionnaire a remporter. Comme le disait Lénine, il fallait saisir un à un les maillons de la chaîne conduisant à l’insurrection et à la victoire, mais en aucun cas il ne fallait saisir des maillons étrangers, les maillons d’une autre chaîne – celle de l’opportunisme – en s’imaginant qu’ils pourraient résister à la charge de rupture de l’action révolutionnaire. Les communistes ne pouvaient pas impunément passer d’une chaîne à l’autre, parce que ce qui les distingue est leur programme, et non pas on ne sait quelle capacité d’utiliser à des fins révolutionnaires des positions et des attitudes qui, aux opportunistes, servent à tromper l’attente du prolétariat et à le trahir. De même l’emprise opportuniste sur les syndicats et sur la classe en général ne devait en aucun cas inciter à repousser l’organisation des ouvriers en syndicats et à plus forte raison en parti politique. En ce sens, la tactique peut être définie comme « ce qui est permis » aux révolutionnaires et sa formulation correcte consiste plutôt à établir ce qu’on ne doit pas faire que ce qu’on pourrait faire. « Ce qu’on peut faire » est un problème complexe et difficile à résoudre, et, seuls les bourreaux staliniens pouvaient le trancher avec la dédaigneuse assurance dont ils ont fait preuve en suivant tous les tournants de l’État russe et en applaudissant aussi bien à son alliance avec l’Allemagne nazie qu’a sa rupture avec elle et à sa nouvelle alliance avec les puissances capitalistes d’Occident.

A posteriori, il n’est que trop facile de comprendre la justesse des mises en garde de la Gauche italienne contre les résolutions tactiques prises par les différents partis communistes et par la direction de l’internationale. Dès le lendemain du IIe Congrès de l’I.C. et au cours des Congrès suivants, le problème tactique fut posé par les faits eux-mêmes (à savoir les tragiques évènements de 1923 en Allemagne, de 1926–27 en Chine et en Angleterre, sans compter le cours ouvert dès 1924 en URSS même), mais la discipline internationale des partis communistes à l’égard du programme initial s’était déjà relâchée à tel point qu’il ne put être correctement résolu. Aussi, cinquante plus tard, ne reste-t-il plus rien de l’IC qui avait pourtant exprimé la tendance à réaliser le Parti Communiste mondial unique dont la Révolution a besoin et dont la seule existence impliquait (et impliquera toujours) non seulement une opposition irréductible à l’État capitaliste et à tous les partis bourgeois ou soi-disant ouvriers (y compris les groupes ouvriéristes, anarchistes, syndicalistes etc..), mais une action communiste systématique dans tous les domaines pour arracher à l’opportunisme en général et à la vieille social-démocratie en particulier leur monopole sur le mouvement ouvrier.

La disparition de l’Internationale et la défaite de la Révolution mondiale imposent de faire le bilan de la tactique du « front unique » que la Gauche italienne avait rejetée, mais qui, l’ayant emporté au sein du mouvement communiste, s’est tellement éloignée de ses prémisses et des prévisions qui avaient servi à la justifier qu’elle s’est tout simplement transformée en son contraire. On ne peut faire ce bilan sans expliquer les évènements qui se sont produits, au lieu de se livrer aux suppositions délirantes auxquelles certains s’abandonnent : « Si les sociaux-démocrates avaient suivi notre Parti… si nous n’avions pas été trahis… si… si… » suppositions que les faits ont définitivement infirmées.

En effet, un demi-siècle après ce grand débat sur la tactique, le mouvement ouvrier est encore aux prises avec les mêmes problèmes et les mêmes dangers : pour ne pas retomber dans les mêmes erreurs, il faut savoir mesurer les conséquences désastreuses qu’elles ont eues. Or si l’on a le courage d’aller au fond des choses, force est bien de conclure qu’aujourd’hui ce sont les ex-partis communistes qui ont pris la place des traîtres social-démocrates de jadis.

La tâche de libérer le prolétariat de ce nouvel opportunisme incombe aujourd’hui comme hier au Parti de classe qui l’accomplit par un travail incessant de propagande, de prosélytisme et d’agitation révolutionnaire visant a la conquête des organisations de classe.

Le Parti ne peut pas non plus se dispenser de la tâche primordiale qui consiste à préfigurer la dictature prolétarienne avant même que le pouvoir ait été arraché des mains du capitalisme. Le « double pouvoir » n’est en effet que l’équilibre instable entre la révolution communiste et la contre-révolution, équilibre que seul un parti de classe aguerri et ayant des ramifications dans toute la classe peut faire basculer en faveur de la première comme cela a été définitivement prouvé par la révolution russe, et a contrario par les conseils ouvriers allemands de 1918–19. Tant que le Parti de classe n’a pas conquis des positions de force au sein du prolétariat au détriment des agents opportunistes, il ne peut être question de « double pouvoir », contrairement à ce qui a été bien légèrement affirmé lors des évènements de Pologne et de Hongrie dans le second après-guerre.

C’est précisément parce qu’il est nécessaire au Parti de conquérir des positions de force dans la classe, que la gauche italienne a défendu « le front unique syndical » : il ne s’agissait donc pas d’une formule opposée à celle du « front unique politique » préconisé par l’IC, mais bien d’une réalisation correcte de la tactique communiste dans tous les pays où dominait l’impératif d’une lutte directe contre le régime capitaliste, et non pas, comme en Russie, celui d’une double révolution, a la fois bourgeoise et prolétarienne. Cette tactique de front unique syndical devait permettre aux masses de comprendre quel parti était réellement à la hauteur des tâches révolutionnaires, non a partir de spéculations formelles, mais à la lumière des résultats pratiques obtenus dans la lutte, de conquêtes et de victoires tangibles. Elle consistait en effet en une alliance non pas entre partis soi-disant ouvriers mais entre tous les ouvriers organisés dans les syndicats sur une plate-forme de lutte comprenant des revendications communes aux prolétaires de toutes catégories indépendamment de leur appartenance politique. Même si la lutte des ouvriers dans le cadre de ce front unique syndical portait nécessairement sur la défense des salaires, et des conditions de travail et de vie, la tactique préconisée par la Gauche avait un caractère nettement politique, puisqu’il s’agissait d’arracher les travailleurs a l’influence des traîtres et de conquérir la direction de toutes les organisations ouvrières syndicales ou autres, condition préalable des victoires purement politiques. Cela était possible, mais a une condition (seule la Gauche fut consciente du fait) : que le parti communiste ne se mêle à aucun autre, qu’il conserve a leur égard son indépendance non seulement politique et organisative, mais d’action.

La contribution fournie par la Gauche à la formulation de la tactique internationale du communisme se traduisit dans la pratique quotidienne du PC d’Italie et aboutit à la constitution de la prolétarienne Alliance du Travail et a la grève générale d’août 1922 qui, sans l’apport déterminant des groupes syndicaux et d’usines du Parti, n’auraient pas été possibles. Ce sont sans aucun doute ces succès communistes qui incitèrent fascistes et démocrates à démanteler par tous les moyens, de l’intérieur et de l’extérieur, aussi bien les syndicats, susceptibles d’être influencés par les communistes, que le Parti lui-même; et des partis avec lesquels l’Internationale voulait que l’on conclue des alliances contribuèrent à cette démolition en sabotant ouvertement les luttes ouvrières et donc en facilitant le travail de répression aussi bien étatique légal qu’illégal. Ces évènements et plus encore ceux qui ont abouti à la situation d’aujourd’hui ont définitivement démenti les positions tactiques de l’Internationale et confirmé celles de la Gauche. Cela ne signifie nullement que la Gauche n’aurait pu subir de défaites momentanées, mais seulement qu’une défaite sur le champ de bataille n’aurait en aucun cas pu compromettre le succès final si le Parti et son programme étaient restés intacts, si les masses – en Italie et dans le monde – s’étaient retirées en ordre, avec discipline sur des positions d’attente pour se préparer à un nouvel assaut. Mais l’ordre et la discipline supposaient une fidélité scrupuleuse (et si l’on veut « mystique ») aux principes. Or l’Internationale n’a pas su leur rester fidèle, justement parce qu’elle s’était engagée sans retour sur le terrain glissant de l’« élasticité tactique ».

La leçon a tirer des erreurs qui ont conduit le Communisme à un complet désastre est qu’on ne peut en aucun cas accepter d’accords ni avec des partis qui ont quitté pour toujours la voie de la révolution violente, ni avec de soi-disant communistes révolutionnaires qui refusent cette leçon et prétendent discuter les résultats historiques que la Gauche a tiré de son expérience. Il y a de la place pour tous sur le front de lutte contre l’État capitaliste et ses valets, mais pour ce qui est de la direction du prolétariat, le Parti communiste révolutionnaire ne la partagera avec aucun autre parti, quel qu’il soit.

Parus du 12 au 31 janvier 1922 dans la presse du Parti Communiste d’Italie, les cinq articles que nous reproduisons ci-dessous encadrent l’ensemble de ces problèmes.

La tactique de l’internationale Communiste

I

La tactique adoptée par le mouvement communiste dans la phase actuelle de la crise mondiale suscite de toutes parts un vif intérêt. Il serait bon d’éclaircir quelque peu le problème, tant pour rassurer les camarades qui paraissent s’inquiéter des signes d’un changement supposé dans l’attitude de l’Internationale, que pour réfuter – et c’est très facile – des adversaires qui tentent de spéculer sur une révision qui rapprocherait les méthodes des communistes de celles des opportunistes de toute espèce, que nous avons toujours durement stigmatisés et combattus. Nous exposerons donc d’une part l’état de la question dans les débats et dans les travaux préparatoires de l’Internationale et la signification véritable des propositions tactiques énoncées, d’autre part le point de vue de notre parti sur ce sujet.

Il faut dire tout d’abord que le problème est, du point de vue international, à l’étude et en discussion, et que la décision incombera au Comité Exécutif Elargi qui se réunira à Moscou le 12 février; quant à l’opinion du C.C. de notre parti, on peut la déduire des thèses sur la tactique qu’il a adoptées et qui contiennent les éléments d’une contribution organique à la solution du problème actuel de la tactique. Il n’est pas exclu que le point de vue du parti italien puisse différer de celui d’autres partis communistes, mais cela ne veut pas dire que les sottises proférées par les opportunistes à ce propos ne puissent et ne doivent pas être réfutées par nous. Nous montrerons justement comment l’ignorance et l’hypocrisie de ces messieurs se montrent dans tout leur ridicule, quand ils s’efforcent d’afficher un puritanisme de commande ou quand ils confondent les résultats de la magnifique expérience du mouvement communiste avec un repli et un hommage aux insanités qu’ils remâchent depuis des années, condamnés qu’ils sont par leur sottise et leur impuissance à voler à ras de terre et à poursuivre leur triste besogne qui consiste à faire de la publicité pour les diffamations inventées par les milieux contre-révolutionnaires.

Le troisième congrès de l’Internationale communiste[2] ne s’est pas prononcé sur le problème tactique du front unique prolétarien proposé par les partis communistes sur la plate-forme de revendications immédiates et contingentes. La discussion du congrès sur la tactique a été caractérisée par un aspect plutôt négatif : la critique de l’action de mars[3] en Allemagne et de ce qu’on appelle la tactique de l’offensive.

A partir du jugement sur cette action et sur son résultat, le congrès a formulé une série de conclusions sur les rapports entre le Parti communiste et la masse du prolétariat, qui dans leur esprit de clarification, sont le patrimoine commun de tous les communistes marxistes, si elles sont correctement et heureusement appliquées. Aller vers les masses, tel est le mot d’ordre du IIIe Congrès, mot d’ordre qui réfute les insinuations de tous les opportunistes : le point de vue magnifiquement réaliste de la Troisième Internationale n’a rien de commun avec un illusionnisme révolutionnaire qui confierait le renouvellement de la société à l’action volontariste et romantique d’une élite de héros exemplaires par leur abnégation. Le parti communiste sera l’état-major de la révolution s’il sait rassembler autour de lui l’armée prolétarienne que les développements réels de la situation conduisent à une lutte générale contre le régime présent. Le parti communiste doit avoir autour de lui la plus grande partie du prolétariat. Certes ces notions peuvent être admises par des éléments ne possédant pas la dialectique profonde qui caractérise le marxisme tant dans sa critique que dans ses applications pratiques; de tels éléments peuvent exister même dans les rangs de l’Internationale Communiste, mais sûrement pas parmi ses dirigeants, même si certains considèrent sottement ceux-ci comme des hommes de droite; or ce sont précisément de tels éléments qui peuvent arriver à des conclusions erronées, qui sont les seules en cause si l’on parle d’un tournant vers la droite et d’un repli sur des positions dépassées.

Il faut avoir les masses et il faut garder le parti communiste intact, apte à la lutte révolutionnaire, à l’abri de l’infection social-démocrate et centriste : ce sont deux conditions qu’il est peut-être, ou sûrement, difficile de réaliser parce qu’il est terriblement difficile de résoudre les problèmes dont sortira la transformation de tout un monde, mais ce sont deux conditions qui ne sont pas contradictoires. Aussi serait-ce une folie que de donner une interprétation platement démocratique à l’expression de Lénine : « Nous devons avoir la majorité du prolétariat », pour se hâter de modifier les bases du parti communiste et d’en altérer le caractère et la fonction, condition sans laquelle il est impossible d’y inclure aussitôt la majorité des masses.

Le contenu indubitablement marxiste de la pensée de l’Internationale est tout juste le contraire : la conquête des masses et la formation de partis vraiment communistes sont deux conditions qui, loin de s’exclure, coïncident parfaitement, et c’est pourquoi en développant sa tactique en vue d’encadrer de larges couches du prolétariat, l’Internationale ne renie pas, mais au contraire développe rationnellement et utilise le travail de scission qu’elle a accompli dans le mouvement politique prolétarien, qui devait être débarrassé des traîtres et des parasites.

Une autre idée fondamentale mise en lumière par le troisième Congrès remonte elle aussi aux sources les plus authentiques de notre pensée marxiste et de notre expérience révolutionnaire, et elle n’a pu paraître nouvelle qu’à des gens qui comprennent l’action révolutionnaire à peu près comme ceux qui, estimant que la masturbation est le seul moyen sûr de se préserver des maladies vénériennes, et voulant sauver les organes de la reproduction, renoncent pour cela à leur fonction et à leur raison d’être. Cette idée fondamentale est que le parti révolutionnaire doit participer aux mouvements des différents groupes de la classe laborieuse pour la défense de leurs intérêts contingents. Le rôle du parti consiste à réaliser la synthèse de ces mouvements initiaux dans l’action générale suprême pour la victoire révolutionnaire : or ce n’est pas en méprisant ces impulsions primordiales et en s’en désintéressant de façon puérile que l’on peut atteindre ce résultat, mais en les secondant et les développant dans leur processus réel et nécessaire, en les harmonisant pour les faire converger dans l’action générale révolutionnaire. C’est ici qu’apparaît dans tout son éclat le contenu dialectique de notre méthode qui trouve la solution des contradictions existant entre les stades successifs d’un processus dans leur développement fécond et qui, voyant le chemin de la révolution dans sa vie et sa dynamique propres, ne craint pas d’affirmer que le lendemain niera le jour présent, sans cesser pour autant d’en être le fils, ce qui veut dire davantage que le successeur. Un tel travail comporte des dangers évidents : les communistes estiment unanimement que pour les surmonter il fallait justement constituer de vrais partis révolutionnaires, exempts de toute tare opportuniste. La formule par laquelle l’Internationale Communiste écrasera le réformisme vaut bien davantage qu’un digne refus de mettre le pied sur le terrain foulé par l’adversaire. « Vous avez donc la recette », semblent demander d’un air incrédule les spirituels champions de la gauche « intransigeante » du parti réformiste italien. Eh bien, on peut leur répondre que nous sommes en train de la mettre au point, et que pour l’instant nous avons établi quel doit être le premier et le plus important des ingrédients : la liquidation de l’équivoque centriste et serratiste[4].

Tous les éléments de la discussion émergeront de plus en plus clairement de la préparation des débats de notre congrès sur le problème de la tactique, et on pourra voir la preuve que dans ces principes tactiques fondamentaux il n’est rien que le plus orthodoxe et le plus extrémiste d’entre nous ne puisse approuver.

Pour en revenir à notre exposé de la tactique de l’Internationale, nous rappelons que la tactique du « front unique », si elle n’a pas été codifiée par le troisième congrès, est pourtant apparue pour la première fois avant même ce troisième congrès, dans la fameuse « lettre ouverte »[5] du parti communiste allemand à toutes les organisations politiques et économiques du prolétariat pour une action commune visant à la satisfaction d’une série de revendications reflétant des problèmes d’intérêt immédiat des masses. Aujourd’hui le parti allemand paraît disposé à aller plus loin, à poser le problème sur le plan de la politique de gouvernement et à envisager l’attitude à avoir devant la formation d’un gouvernement ouvrier sur une base parlementaire : nous en parlerons dans la suite de cet exposé.

Mais en attendant les décisions de l’Internationale Communiste, dont il ne fait pas de doute qu’elles préciseront heureusement le sens et les limites de cette solution, et avant d’indiquer dans quel sens nous-mêmes nous la comprenons et même, nous pouvons le dire, dans quel sens nous nous efforçons de la mettre en pratique dans l’action de notre parti, nous voudrions nous référer au texte du discours prononcé par le camarade Zinoviev à une réunion de l’Exécutif de l’Internationale, le 4 décembre 1921, sur le sujet qui nous occupe : c’est sur ce discours du président de l’internationale lui-même que nous nous fonderons pour démontrer qu’on ne peut à aucun titre parler d’atténuation ni de rectification de tir, ni de la moindre contradiction entre l’orientation actuelle et toute la glorieuse tradition communiste mondiale.

Le camarade Zinoviev examine avant tout l’état de la question dans les différents partis de l’internationale, puis il explique le sens de la formule du front unique en rapport avec les aspects de la situation actuelle dans le monde entier, afin d’établir sur quelle base il faut étudier l’application de cette tactique à l’échelle internationale.

Des déclarations de Zinoviev on peut déduire de manière évidente que toutes les considérations d’ordre tactique qui sont faites en ce moment se fondent sur les principes de base du communisme qui ont inspiré le renouvellement de l’Internationale. Aujourd’hui plus que jamais, tous les militants communistes affirment la nécessité d’avoir comme organe de lutte un parti communiste centralisé et homogène et pour atteindre ce but ils sont prêts à prendre les mesures les plus sévères de discipline organisative – plus que jamais ils affirment que la lutte armée révolutionnaire et la dictature du prolétariat constituent la seule voie révolutionnaire, plus que jamais ils sont convaincus que nous sommes en train de traverser une crise révolutionnaire de la société capitaliste. Comment le parti communiste pourra-t-il insérer sa lutte pour la dictature prolétarienne dans le développement de cette crise, c’est un problème auquel nous pourrons trouver et proposer différentes solutions, mais ce but reste pour nous tous l’objectif unique et direct de nos efforts.

Quelle que soit la tactique que nous proposerons – dit Zinoviev – la condition primordiale pour l’appliquer efficacement est de sauvegarder l’indépendance absolue de nos partis. Nous ne proposons donc pas de fusions. Et on verra que nous ne proposons pas non plus de blocs ni d’alliances. Il s’agit d’éliminer patiemment le simplisme de certains jugements et de mettre en lumière les cas où ce simplisme dissimule une coupable et insidieuse duplicité, en lui opposant la loyauté de nos méthodes pourtant complexes dans leurs moyens comme dans leurs buts.

Zinoviev va plus loin et répond directement aux spéculations des opportunistes sur certaines des affirmations communistes. Loin de regretter les scissions de naguère, nous serions prêts à en faire d’autres, si c’était nécessaire. Ce sont en effet des scissions qui ont augmenté notre liberté d’action, car elles nous ont permis d’affronter les tournants les plus difficiles de la situation sans jamais perdre de vue que notre but était la Révolution, alors que les opportunistes l’ont plus de cent fois vendue à la bourgeoisie, tout en s’abritant derrière les déclarations de droiture et de farouche indépendance verbalement les plus extrémistes.

Loin de modifier le point de vue communiste sur l’usage de la force armée et militaire dans les batailles révolutionnaires, le discours de notre camarade revendique l’action de mars en Allemagne comme une véritable action révolutionnaire, qui sera féconde en résultats. Toute la façon dont il la considère et tous les développements dont il la dit susceptible prouvent que le souci qui inspire Zinoviev est de hâter et de favoriserla préparation de la lutte suprême pour la dictature du prolétariat : utiliser pour cela le mouvement spontané même de la grande masse des travailleurs qui n’aperçoivent pas encore clairement l’ objectif final ne signifie pas qu’on renonce à flétrir comme traîtres au prolétariat ceux qui répandent l’illusion qu’il existe d’autres voies pour l’émancipation des travailleurs. Nous continuons, dit Zinoviev, la tâche de cristallisation de nos partis, où le mensonge social-démocrate ne peut avoir droit de cité, et nous n’avons pas la moindre intention de renoncer à critiquer les opportunistes des diverses internationales jaunes. Et il affirme clairement que la situation actuelle, caractérisée par l’offensive capitaliste, présente des caractères révolutionnaires évidents, de sorte que la proposition d’une tactique défensive de tout le prolétariat ne signifie en aucun cas que nous renoncions a la lutte révolutionnaire pour nous contenter de conserver les conditions actuellement imposées au prolétariat, mais au contraire que nous nous proposons de greffer sur ce problème immédiat une nouvelle contre-offensive des masses, qui les placera directement sur la voie de l’action que les partis communistes, et eux seuls, ont toujours soutenue. Ce n’est pas pour rien que messieurs les réformistes gradualistes et unitaires s’opposent aujourd’hui à nos modestes « revendications immédiates » et sabotent le front unique des masses : ils savent que si nous voulons tout cela, c’est que nous tendons par là à développer notre programme en réduisant en poussière leurs méthodes et leur organisation pacifiste et défaitiste.

Il ne suffit pas de démontrer que Zinoviev déclare adhérer à ces positions qui nous sont communes : nous pouvons et nous devons – et ce sera l’objet d’un prochain article – montrer qu’il a le droit de le déclarer et que les déductions qu’il en tire sont parfaitement cohérentes et logiques même si celles que nous proposons quant à nous sont différentes dans les détails d’application.

II

Dans l’article précédent nous avons insisté sur le fait que les initiatives tactiques que l’Internationale Communiste envisage actuellement

et qui se résument dans la formule du front unique prolétarien’ n’entraînent de la part de leurs promoteurs aucune renonciation aux directives fondamentales données jusqu’ici par le mouvement communiste et qu’il a toujours opposées aux manoeuvres équivoques des sociaux-démocrates et des centristes.

Nous l’avons prouvé à partir des paroles mêmes de Zinoviev et il ne serait pas difficile d’en faire autant à partir des déclarations explicites des camarades qui ont avancé les propositions apparemment les plus risquées, comme par exemple la centrale du parti allemand et de la « Rote Fahne ».

Nos adversaires pourraient cependant objecter que ces déclarations verbales de fidélité aux principes n’ont d’autre but que de dissimuler une conversion à droite, mais que les propositions tactiques dont nous nous occupons sont elles-mêmes en contradiction avec les directives suivies jusqu’ici par l’Internationale Communiste et avec son attitude passée envers les partis sociaux-démocrates. Mais cela non plus n’est pas vrai et même si du point de vue communiste et dans nos propres rangs on pense que ces propositions, ou du moins certaines de leurs applications, doivent être repoussées, personne n’a le droit d’affirmer que nous nous trouvons devant une crise de principes dans le mouvement communiste mondial et une révision fondamentale de la méthode suivie jusqu’ici.

Avec la somme énorme d’élaborations théoriques et pratiques que la Troisième Internationale a à son actif, la méthode révolutionnaire est sortie pour toujours du stade embryonnaire, du domaine des déclarations abstraites et du simplisme, pour affronter directement l’épreuve de la formidable complexité du monde réel.

Les problèmes tactiques doivent être compris dans un sens plus concret que lorsque le seul critère des attitudes à adopter était l’effet de propagande et d’agitation qu’elles pouvaient avoir sur les masses; aujourd’hui qu’il est question d’agir directement sur les évènements, la façon dont cette influence joue acquiert une grande complexité, et elle peut dépasser les contradictions apparentes, qui était d’ailleurs parfaitement contenue dans la dialectique marxiste.

Hier, il s’agissait simplement de critiquer la réalité capitaliste; nous sommes aujourd’hui à un stade plus avancé où il s’agit de la détruire; bien s’adapter à la réalité voulait dire renoncer à l’action limitée seule permise afin de la dépasser; aujourd’hui, s’adapter à la réalité peut vouloir dire la saisir à pleines mains pour la soumettre – et pour la vaincre. La lumière éblouissante d’un phare suit une belle ligne droite et perce les ténèbres, mais elle est arrêtée par le plus fragile écran; la flamme du chalumeau oxhydrique glisse docilement sur le métal, mais c’est pour le ramollir et le vaincre en continuant victorieusement sa route…

Il n’y a pas de marxiste qui ne doive être d’accord avec Lénine quand il dénonce comme une maladie infantile un critère d’action qui s’interdit certaines initiatives possibles pour la simple raison qu’elles ne sont pas assez rectilignes et conformes au schéma formel de nos idéaux sans fausses notes et sans déformations inesthétiques. Le moyen peut avoir des aspects contraires à la fin en vue de laquelle on l’utilise, tel est le fond même de notre pensée critique : pour une fin élevée, noble, séduisante, le moyen peut apparaître mesquin, tortueux, vulgaire. Ce qui compte, c’est de pouvoir calculer son efficacité, et celui qui le fait en ne considérant que les formes extérieures descend au niveau d’une conception subjectiviste et idéaliste des causalités historiques de style quaker, en ignorant les ressources supérieures de notre critique, qui aujourd’hui devient une stratégie, et qui vit des géniales conceptions réalistes du matérialisme de Marx.

Ne savons-nous pas peut-être que la dictature, la violence et la terreur apparaissent comme les moyens spécifiques pour arriver à faire triompher un régime social de paix et de liberté ? N’avons-nous pas précisément fait place nette des ridicules objections libérales et libertaires qui prétendent que notre méthode est condamnée par son caractère extérieur de violence à fonder de ténébreuses et sanguinaires oligarchies ?

De même qu’il n’existe pas d’argumentation sérieuse qui puisse exclure l’utilité d’employer les mêmes moyens d’action que la bourgeoisie pour abattre la bourgeoisie, de même ne peut-on pas nier à priori qu’il soit possible d’abattre les sociaux-démocrates en adoptant les moyens tactiques des sociaux-démocrates.

Nous ne voulons pas être mal compris et nous nous réservons d’exposer notre pensée par la suite; d’ailleurs pour en comprendre la structure, il suffit d’étudier nos thèses sur la tactique. Quand nous disons que le champ des initiatives tactiques possibles et admissibles ne peut être limité par des considérations inspirées d’un simplisme faussement doctrinaire, établissant des parallèles formels et métaphysiques et préoccupé de la pureté et de la droiture comme fins en soi, nous ne voulons pas dire que le domaine de la tactique doive être illimité et que toutes les méthodes soient bonnes pour arriver à nos fins. Ce serait une erreur de confier la difficile solution de la recherche de moyens adéquats à cette simple condition : avoir l’intention de s’en servir dans des buts communistes. On ne ferait que répéter l’erreur qui consiste à prendre pour quelque chose de subjectif un problème qui est en réalité objectif, en se contentant du fait que ceux qui choisissent, disposent et dirigent les initiatives sont décidés à lutter pour les buts communistes et à se laisser guider par eux.

Il existe – et il faut le perfectionner toujours plus – un critère, non pas infantile, mais profondément marxiste, qui permet de tracer les limites des initiatives tactiques; ce critère n’a rien de commun avec les préjugés et les à priori d’un faux extrémisme, mais il rejoint par un autre chemin l’utile prévision des rapports bien autrement complexes qui relient les expédients tactiques auxquels on a recours aux résultats qu’on en attend et qui en découlent par la suite.

Zinoviev dit que c’est justement parce que nous avons des partis forts et libres de toute influence opportuniste que nous pouvons nous risquer à adopter des tactiques qui deviendraient dangereuses si notre préparation et notre maturité étaient moins grandes. Il est sûr que le fait qu’une tactique soit dangereuse ne suffit pas à la condamner. Il s’agit d’un élément unilatéral d’appréciation : il s’agit en réalité d’évaluer la nature du risque par rapport aux bénéfices possibles ? Mais d’autre part à mesure que la capacité d’initiative du parti révolutionnaire grandit, la maturité des situations tend en général à lui faire porter son effort dons une direction toujours plus précise, en faisant apparaître plus clairement l’objectif de l’action.

En jugeant les propositions tactiques qui sont présentées aujourd’hui, il faut donc se garder d’un simplisme hâtif. Or il est simpliste de dire qu’en proposant une action commune au parti indépendant et au parti social-démocrate, le parti communiste allemand renie la raison de la scission d’avec l’un et l’autre parti par laquelle il s’est formé. Pour peu qu’on considère la chose de plus près, on s’apercevra d’une foule de différences et d’aspects nouveaux qui sont plus importants en réalité que ce rapprochement formel.

Avant tout, Zinoviev remarque judicieusement qu’une alliance n’est pas la même chose qu’une fusion. S’être séparés de certains éléments politiques sur le plan de l’organisation peut permettre de faire plus facilement un travail donné avec eux.

Et puis il y a ceci : la proposition de front unique n’est pas la même chose qu’une proposition d’alliance. Nous savons quel est le sens ordinaire d’une alliance politique : de part et d’autre on sacrifie et on passe sous silence une partie de son propre programme pour pouvoir se rencontrer sur une position intermédiaire. La tactique du front unique telle que nous, communistes, nous la comprenons, ne contient au contraire aucune renonciation de notre part. Celle-ci ne subsiste que comme danger possible : nous pensons que ce danger devient prépondérant si la base du front unique est transférée du terrain de l’action directe du prolétariat et de l’organisation syndicale au terrain parlementaire et gouvernemental, et nous dirons pour quelles raisons, qui sont en rapport avec le développement logique de cette tactique.

Le front unique prolétarien ne veut pas dire un vulgaire comité mixte de représentants de divers organismes en faveur duquel les communistes renonceraient à leur indépendance et à leur liberté d’action en échange d’une certaine influence sur les mouvements d’une masse plus grande que celle qui les suivrait s’ils agissaient seuls. Il s’agit de bien autre chose.

Nous proposons le front unique parce que nous sommes sûrs que la situation est telle que les mouvements d’ensemble de tout le prolétariat, quand il se pose des problèmes qui n’intéressent pas seulement une catégorie ou une localité, mais qui les intéressent toutes, ne peuvent se faire que dans un sens, c’est-à-dire dans le sens même que nous leur donnerions s’il dépendait de nous de diriger tout le prolétariat. Nous proposons la défense des intérêts immédiats et des conditions qui sont faites aujourd’hui au prolétariat contre les attaques du patronat, parce que cette défense, qui n’a jamais été en contradiction avec nos principes révolutionnaires, ne peut se faire qu’en préparant et en menant l’offensive dans tous ses développements révolutionnaires, tels que nous les concevons.

Dans une telle situation – et nous ne revenons pas ici sur les considérations qui montrent qu’elle présente des possibilités de développements révolutionnaires, en liaison avec les manifestations économiques et politiques de l’offensive capitaliste –, nous pouvons offrir aux autres contractants un accord où nous ne prétendons pas qu’ils acceptent, par exemple, la méthode de la lutte armée ou de la lutte pour la dictature du prolétariat; et si nous ne prétendons pas cela, ce n’est pas parce que nous nous sommes aperçus qu’il vaut mieux renoncer à tout cela pour l’instant et nous contenter de moins, mais parce qu’il est inutile de formuler de telles propositions quand nous savons que la plate-forme du front unique consiste en de modestes revendications qui n’impliquent pas la mise en œuvre de ces méthodes.

Pour peu qu’on approfondisse la valeur dialectique de cette situation, on verra que toutes les objections d’une intransigeance simpliste s’écroulent d’elles-mêmes. Une alliance avec les défaitistes et avec les traîtres à la révolution, pour la révolution ? s’écrie stupéfait le communiste du type Quatrième Internationale[6] ou le maquereau centriste du type Internationale Deux et Demi. Mais nous ne nous arrêtons pas à cet exercice terminologique.

Nous ne disons pas non plus : nous sommes des communistes à toute épreuve, nous savons ce que nous faisons, chacun de nos actes ne peut s’inspirer que des buts révolutionnaires et nous pouvons traiter même avec le diable. Mais nous répondons par un examen critique de la situation et de ses développements possibles, qui nous tranquillise sur la crainte que les choses puissent se passer comme le veut… le diable.

Le courant de la gauche marxiste a toujours soutenu l’intransigeance, et il avait mille raisons de le faire quand les réformistes proposaient des alliances avec certains partis bourgeois. Cette alliance aurait eu en effet l’immanquable résultat de paralyser le développement organique d’un parti capable de propagande révolutionnaire et, par la suite, de préparation et d’action révolutionnaires; ses résultats auraient effectivement tracé devant le prolétariat une route qui tout en étant une impasse, aurait mobilisé toutes ses énergies pour la consolidation du régime bourgeois. Il ne s’agit pas aujourd’hui de renier cette intransigeance. Avant tout, même d’un point de vue formel, ce n’est pas la même chose de collaborer avec des partis bourgeois et de collaborer avec des partis qui recrutent leurs adhérents dans le prolétariat, à la condition implicite qu’ils renoncent à faire bloc avec la bourgeoisie. Et puis ce n’est même pas une collaboration que l’on veut établir avec de tels partis, mais un type de rapports bien différents – il n’est pas question que le parti communiste déplace son attention et son effort de ses objectifs révolutionnaires propres sur d’autres objectifs plus modérés, en se berçant de l’illusion que les contre- révolutionnaires de la social-démocratie pourraient, par une conversion à gauche, viser à leur tour ce but mi-réformiste et mi-révolutionnaire; mais nous avons la conviction que nous devons continuer à lutter pour le programme communiste, et que les opportunistes continueront à travailler pour la contre-révolution, pour créer une situation d’où sortira la lutte dans un sens communiste de tout le prolétariat, quand les opportunistes auront été définitivement démasqués pour avoir été confrontés à leurs propres promesses de conquêtes graduelles et pacifiques.

Définir les limites précises de la tactique du front unique est donc un problème délicat pour les communistes. Il faut parvenir à la mettre en pratique et il faut garantir qu’elle ne perde pas les caractères qui la rendent non seulement compatible avec notre but final, mais spécifiquement indiquée pour travailler à atteindre ce but dans une situation comme celle que nous connaissons actuellement. Sur tout ceci, on doit et on peut discuter, après avoir fait justice aussi bien des craintes de certaines vieilles filles puritaines, que de la stupide satisfaction de prostituées archi-expérimentées qui vont prophétisant à autrui une fin semblable à la leur.[7]

III

Avant d’en venir à la partie finale de cet article, où nous exposerons notre propre position, nous ne voudrions pas clore l’analyse, du point de vue d’autres camarades et organes de l’Internationale Communiste avant d’avoir dit quelque chose de l’esprit qui anime certains documents publiés récemment : un nouvel article de Radek, « Les tâches immédiates de l’Internationale Communiste », qui complète son autre écrit, « Face aux nouvelles luttes », ainsi que deux documents officiels, le « Manifeste de l’Internationale Communiste et de l’Internationale des Syndicats Rouges aux ouvriers de tous les pays », et les « Thèses adoptées par le Comité Exécutif » à la séance du 28 décembre, qui seront reproduites intégralement dans notre presse.

Encore une fois, ce qui est à la base de toutes les discussions et de toutes les décisions sur la tactique à suivre, ce n’est nullement un repli par rapport aux positions sur lesquelles l’Internationale se bat. Plus que jamais, il s’agit d’ouvrir la voie à la victoire de la révolution prolétarienne sous la seule forme qu’elle peut avoir : le renversement violent du pouvoir bourgeois et l’instauration de la dictature du prolétariat.

Le problème consiste à amener sur le terrain de la lutte pour la dictature des forces telles qu’elles puissent avoir raison de toutes les ressources défensives et contre-révolutionnaires de la bourgeoisie mondiale. Ces forces ne peuvent être trouvées que dans les rangs de la classe laborieuse, mais pour vaincre l’adversaire capitaliste il faut concentrer sur le terrain révolutionnaire l’effort de tout le prolétariat.

Tel a toujours été le but fondamental du parti de classe selon le point de vue marxiste. Il s’agit de réaliser une unité effective et non pas mécanique, il s’agit d’obtenir l’unité pour la révolution et non pas l’unité pour elle-même. On peut atteindre ce but en suivant la voie sur laquelle, après la guerre, s’est résolument engagée la l’ Internationale : -ressembler dans les rangs des partis communistes les éléments qui ont conscience de la nécessité de la lutte révolutionnaire, des éléments susceptibles de ne pas se laisser détourner par la réalisation d’objectifs partiels et limités, et décidés à ne collaborer en aucun cas avec des fractions de la bourgeoisie. Une fois qu’ils se sont placés sur cette plate-forme initiale et qu’ils ont fait justice des diverses dégénérescences du mouvement, ces éléments constituent le noyau autour duquel. Se réalise l’unité effective des masses, par un processus progressif dont la rapidité et la facilité dépendent de la situation objective et de la capacité tactique des communistes.

Radek, dans ses articles, ne met pas le moins du monde tout cela en doute. Les moyens tactiques qu’il préconise sont de nature, dit-il, étant donnée la situation actuelle, à pousser de larges couches du prolétariat à la lutte pour la dictature révolutionnaire. Nous avons vu que la situation générale est caractérisée par l’offensive capitaliste contre les conditions de vie des ouvriers, parce que le capitalisme sent qu’il ne peut pas éviter la catastrophe à moins d’aggraver le degré d’exploitation du prolétariat. En même temps qu’il pourra écraser économiquement les masses au moyen d’armes économiques et politiques, le capitalisme amorcera une tentative de réorganisation, mais par là-même, en accentuant les caractères de l’impérialisme industriel, il ira vers le gouffre d’une nouvelle guerre. Tel est le jugement unanime des communistes sur la situation; il conclut donc à la nécessité urgente d’un sursaut révolutionnaire du prolétariat et c’est pour le hâter, et seulement pour cela, qu’il veut trouver les moyens d’utiliser les développements d’une telle situation dans un sens révolutionnaire. C’est pourquoi, nous l’avons vu, une lutte économique même purement défensive du prolétariat pose le problème de la destruction du capitalisme.

Pourquoi hier n’était-il pas révolutionnaire de demander une forte augmentation de salaires, alors qu’il est révolutionnaire aujourd’hui de demander qu’ils ne soient pas diminués ? Parce que cette action pouvait être menée en ordre dispersé, par des groupes locaux et professionnels limités d’ouvriers, tandis que l’action qui s’impose aujourd’hui et qui est la seule possible à moins que le prolétariat ne renonce à toute forme d’association et de mouvement organisé, exige que toutes les forces ouvrières entrent en lutte simultanément, au-dessus de toute division de catégories et de localités, et même, peut-on dire, à l’échelle mondiale.

La vieille unité formelle et fédéraliste de la social-démocratie traditionnelle, qui cachait mal sous une vaine rhétorique sa division en groupes d’intérêts et en mouvements sans unité, et la division même en partis prolétariens nationaux, est en train de céder la place, dans cette période décisive de l’évolution capitaliste, à la véritable unité de mouvement de la classe ouvrière, unité qui mène irrésistiblement à cette centralisation harmonieuse du mouvement prolétarien mondial à laquelle l’internationale Communiste a déjà donné un squelette, son organisation unitaire, et une âme, la conscience théorique de la révolution. Il y a encore une division du prolétariat sur le plan des idées, des opinions politiques, mais il y aura une unité d’action. Prétendrons-nous que l’unité de doctrine et de foi politique doive, pour on ne sait quelle raison abstraite, précéder l’unité d’action ? Non, car nous renverserions la méthode marxiste que nous défendons et qui nous apprend que de l’unité effective de mouvement créée par la dissolution du capitalisme ne pourra sortir finalement qu’une unité de conscience et de doctrine politique.

Par ce moyen réaliste, l’union de tous les travailleurs dans l’action concrète, nous obtiendrons également l’union des travailleurs dans la profession de foi politique, dans la foi politique communiste, au lieu du mélange informe des tendances politiques actuelles. C’est-à-dire qu’ultérieurement nous aurons une unité d’action même sur les revendications révolutionnaires du communisme.

Nous voulons tous faire tous les sacrifices nécessaires pour lancer la situation sur cette pente favorable. Il s’agit, tout en nous y préparant, d’avoir compris à fond cette situation, et d’avoir bien en vue l’ensemble de ses phases successives. Radek en arrive à proposer le front unique du prolétariat non seulement pour les problèmes de la résistance à l’offensive capitaliste, mais également pour le problème du gouvernement. Il se réfère à la situation du prolétariat allemand. Il y a en Allemagne une situation économique particulière, non parce qu’une barrière la sépare du reste du monde, mais justement parce que la situation des pays allemands constitue l’épicentre de la crise mondiale en marche.

Prenons par exemple le gigantesque problème des réparations à payer aux vainqueurs. La classe productrice allemande fournit un effort incalculable pour amonceler des produits à lancer sur les marchés étrangers afin de réaliser la valeur de l’indemnité à verser à l’Entente, mais ce résultat lui-même s’obtient au prix d’une exploitation sans nom du prolétariat. Le gouvernement allemand, quel qu’il soit, doit affronter ce problème gigantesque : trouver des milliards pour les réparations. C’est sur la solution de ce problème que repose toute le fragile édifice de la reconstruction capitaliste que l’on 's’efforce de réaliser. Radek est convaincu que si un Gouvernement ouvrier se formait sur le mot d’ordre ce sont les capitalistes allemands qui doivent payer, et non les travailleurs et les autres couches sociales les plus misérables, cela déterminerait une telle situation que l’unique issue possible serait la lutte du prolétariat allemand pour la dictature et le sabotage du programme mondial de la bourgeoisie.

Cette nécessité de la situation n’est ressentie par les ouvriers allemands que sous son aspect immédiat, du moins pour ceux qui restent partisans des puissants partis sociaux-démocrates parlementaires. C’est pourquoi le prolétariat pousse ceux-ci au pouvoir. S’ils le prennent, le problème de la guerre civile se posera. S’ils ne le prennent pas, les masses les abandonneront. Mais ils pourraient trouver une voie de salut pour leur opportunisme en arguant du fait que les Communistes les empêchent d’accomplir ce geste audacieux et se fabriquer ainsi un alibi pour collaborer avec la bourgeoisie. Radek pense qu’il serait bon de leur ôter cet alibi. Nous lui laissons la responsabilité de son opinion, mais nous insistons sur le fait que même les camarades allemands qui suivent cette tactique n’ont pas perdu de vue la réalisation du but final communiste. Et par là-même nous voudrions atteindre un autre objectif : encourager beaucoup de nos camarades, en particulier parmi les plus jeunes et les plus audacieux, à mépriser la paresse du simplisme qui se retranche derrière un préjugé ou une phrase toute faite sans pénétrer la complexité des raisons tactiques qui naissent aujourd’hui de l’étude des situations, car ainsi ils se privent du moyen le plus efficace d’intervenir dans ce débat et dans ce formidable travail de préparation pour éviter qu’il ne tombe dans la trappe toujours ouverte de l’opportunisme véritable.

Pour en venir enfin aux documents officiels de l’Internationale, nous nous contentons de noter que le manifeste n’est adressé ni aux partis ni aux organisations syndicales des autres Internationales, mais au prolétariat de tous les pays. Le fait même que l’on invite à participer au front unique également des travailleurs adhérant aux syndicats chrétiens et libéraux montre la différence qui existe entre les deux conceptions : personne en effet ne penserait à un front unique avec des partis chrétiens et libéraux.

Quant aux thèses du Comité Exécutif, si elles évitent pour l’instant de donner un encadrement théorique général de la question, elles établissent certains points fondamentaux d’une importance capitale : indépendance organisative de nos partis communistes, mieux encore, liberté absolue de critique et de polémique active – au moment même ou ils prennent l’initiative du front unique – à l’égard des partis et des organisations des Internationales numéros Deux et Deux et demi; liberté d’agir « dans le domaine des idées », pour défendre notre programme bien précis; unité d’action de tout le front prolétarien.

Cette apparente contradiction ou cet apparent changement de positions n’est ni une nouveauté ni une conclusion insolite. Le parti doit en avoir une vision sûre et complète : celle-ci doit être importée dans les masses avec infiniment de précautions et de sens de la mesure, en en diffusant les caractères saillants et en en développant le mécanisme au fur et à mesure que les faits eux-mêmes le mettront à nu.

Si l’on part de cette alternative superficielle : ou la scission ou l’unité, il est inévitable que les masses imaginent que les deux directions sont opposées. Mais en réalité il n’en est pas ainsi. L’unité des travailleurs et la séparation d’avec les éléments dégénérés et surtout les chefs qui ont trahi sont au contraire deux conquêtes parallèles : nous, nous le savons depuis longtemps, les masses, elles, ne le verront qu’au terme du mouvement. L’essentiel est que celui-ci soit orienté vers la lutte, vers la résistance aux diktats capitalistes.

Liberté et indépendance d’organisation et de discipline internes, de propagande, de critique; unité d’action, voilà ce que les partis communistes doivent proposer et réaliser pour vaincre.

Cette opposition formelle n’est rien d’autre que celle qui a inspiré depuis toujours notre mot d’ordre : prolétaires de tous tes pays, unissez-vous. C’est en vertu de ce mot d’ordre que nous avons démasqué comme des traîtres ceux qui ont divisé le prolétariat dans la guerre, ceux qui le divisent tous les jours dans l’action syndicale en évitant que les mille conflits, les mille agitations suscités par les événements actuels ne se fondent en un mouvement unique. Cette opposition n’est rien d’autre que le principe qui nous porte à la sélection politique la plus sévère, en même temps qu’à l’unité d’organisation syndicale. Cette conception et cette tactique, le parti les contrôle sur les résultats de tous les jours, car la réussite de sa lutte contre l’opportunisme réformiste italien est le fils de cette position tactique qui, après la scission politique de Livourne, nous a fait rester obstinément dans l’organisation syndicale, bien qu’elle fut dirigée par les réformistes dont nous étions séparés dans le but de les combattre efficacement.

Le problème doit donc être considéré sur deux plans. L’Internationale Communiste ne revient pas aujourd’hui sur son oeuvre d’hier, mais au contraire elle en recueille les fruits sur cette voie qui mène à un double résultat : avoir à la tête du prolétariat un mouvement politique révolutionnaire, et rassembler autour du drapeau de ce mouvement tout le prolétariat.

IV

Dans les articles précédents nous nous sommes proposé d’exposer dans ses grandes lignes l’état de la question du « front unique », tel qu’il ressort des documents officiels de l’internationale Communiste et des déclarations de certains partis et camarades communistes sur lesquelles on discute beaucoup, actuellement. En même temps,. nous nous sommes efforcés de montrer à nos lecteurs la méthode qui doit être adoptée quand on discute de ces questions si l’on veut être à la hauteur de l’expérience théorique et tactique de l’I.C. et dépasser pour toujours la paresse mentale du simplisme et la stérilité pratique d’une action guidée par des préjugés formels. Par cet exposé, nous avons voulu revendiquer le droit de ces camarades de développer leurs plans tactiques et d’être jugés tout autrement que ne le font les opportunistes méprisants qui attendent, mais vainement, que les communistes abandonnent le contenu fermement et solidement révolutionnaire de leur pensée et de leur action. Nous donnerons maintenant brièvement notre avis, un peu plus qu’à titre personnel puisque nous nous référons aux discussions exhaustives du Comité Exécutif de notre Parti sur ce sujet, lorsqu’il a formulé le mandat des camarades qui le représenteront à l’imminente réunion de Moscou. Ce n’est un mystère pour personne que la thèse que les communistes italiens défendront sera sensiblement différente et – si l’on veut reprendre la vieille expression – plus « à gauche » que celle par exemple présentée par Radek et soutenue par les camarades d’Allemagne; c’est pourquoi nous demandons à tous les camarades et en particulier aux plus jeunes et aux plus généreusement « extrémistes », de réfléchir à ceci : la contribution de notre parti dans la discussion d’un problème aussi ardu aura un poids d’autant plus grand que nous aurons mieux fait la preuve que notre divergence ne vient pas d’une incompréhension particulière, mais d’un examen conduit dans une connaissance parfaite des données de la question et tenant compte de tous les éléments sur lesquels s’appuient les conceptions des autres camarades, sans nous retrancher derrière un absurde refus de certaines conclusions qui ne réussirait à convaincre personne. Et nous réaffirmons devant quiconque ce qui est une donnée de fait irréfutable, à savoir qu’il n’y ci pas le moindre danger que l’Internationale abandonne le moins du monde la plate-forme du marxisme révolutionnaire d’où elle a lancé aux masses du prolétariat international son cri de guerre de 1919 contre le régime capitaliste et tous ses partisans et complices.

Nous rappelons aux camarades la vision de la situation présente sur laquelle nous sommes tous d’accord et qui se résume ainsi : la présente phase de crise du capitalisme ne peut avoir pour résultat qu’une vaste offensive bourgeoise. Nous donnons également pour acquise définitivement, et dès le moment où nos conclusions tactiques se sont fondées sur la méthode marxiste, la thèse selon laquelle l’agitation et la préparation révolutionnaires communistes se font surtout sur le terrain des luttes du prolétariat pour ses revendications économiques. C’est cette conception réaliste qui explique la tactique de l’unité syndicale, aussi fondamentale pour nous communistes, que notre séparation impitoyable sur le terrain politique d’avec tout ce qui peut ressembler à l’opportunisme.

C’est ainsi que la tactique que notre Parti applique actuellement en Italie dans sa compagne pour le front unique de tous les travailleurs contre l’offensive patronale se révèle opportune et fort bien venue. Front unique, dans ce cas, cela veut dire action commune de toutes les catégories, de tous les groupes locaux et régionaux de travailleurs, de tous les organismes syndicaux nationaux du prolétariat; et bien loin de signifier un mélange informe de méthodes politiques différentes, il s’accompagne de la plus efficace conquête des masses à la seule méthode politique qui puisse les émanciper : la méthode communiste. La théorie et la pratique se rencontrent pour confirmer qu’il n’est nullement gênant ou contradictoire que la plate-forme d’agitation des masses soit faite de revendications économiques parfaitement concrètes et contingentes, et qu’on propose comme forme d’action un mouvement d’ensemble de tout le prolétariat sur le terrain de l’action directe et guidé par ses organisations de classe, les syndicats. Ce qui résulte directement de tout ceci, c’est l’intensification de l’entraînement moral et matériel du prolétariat à la lutte contre l’État bourgeois et de la campagne contre les mauvais conseillers opportunistes de tous bords.

C’est que, mises à part les variantes applicables aux situations différentes dans lesquelles les Partis et les syndicats ouvriers se trouvent dans les différents pays, une tactique ainsi définie n’a rien qui compromette les deux conditions fondamentales et parallèles du processus révolutionnaire, à savoir d’une part l’existence et le renforcement d’un solide parti politique de classe, fondé sur une claire conscience de la voie de la révolution, et d’autre part le concours toujours plus grand des grandes masses, poussées instinctivement à l’action par la situation économique, dans la lutte contre le capitalisme à laquelle le parti fournit une direction et un État- Major.

Les différentes tactiques en discussion ont donc un but commun : hâter et faciliter la victoire du prolétariat dans sa lutte pour abattre le pouvoir bourgeois et instaurer sa dictature. Mais quand on examine la portée et l’efficacité en vue de ce but commun de tactiques comme celles qu’a proposé, le Parti Communiste d’Allemagne et que Karl Radek a exposées dons ses articles, on doit constater que les données du problème et donc les conclusions auxquelles on doit aboutir changent radicalement car ces tactiques incluent l’emploi du mécanisme politique de l’État démocratique aux fins de l’action prolétarienne.

Le tableau que Radek nous présente est fondé sur des analogies évidentes avec la situation d’offensive capitaliste dont nous sommes partis pour définir notre tactique du front unique syndical. Le prolétariat voit s’aggraver au maximum son exploitation du fait que la situation générale pousse irrésistiblement le patronat à agir et à faire pression sur lui. Nous autres communistes et les camarades qui sont avec nous, nous savons bien qu’il ne peut y avoir d’issue définitive que dans la destruction violente du pouvoir bourgeois, mais les masses, du fait de leur niveau de conscience politique limité et de leur état d’esprit encore influencé par les chefs sociaux-démocrates, ne voient pas la révolution comme une issue immédiate et ne se lancent pas sur la voie révolutionnaire, même si le Parti Communiste veut leur en donner l’exemple. Les masses pensent et croient qu’une action donnée du pouvoir d’État pourrait résoudre le pressant problème économique, et donc elles désirent un gouvernement qui, par exemple en Allemagne, déciderait que le paiement des réparations doit peser sur la classe des grands industriels et des propriétaires, ou bien elles attendent de l’État une loi sur la durée du travail, sur le chômage, sur le contrôle ouvrier. Comme dans le cas des revendications à obtenir par l’action syndicale, le Parti Communiste devrait épouser cette attitude et cette poussée initiale des masses, s’unir aux autres forces ouvrières qui se proposent ou prétendent se proposer ce programme d’amélioration au moyen de la conquête pacifique du gouvernement parlementaire, pousser le prolétariat sur la voie de cette expérience pour profiter de son inévitable échec afin de provoquer la lutte du prolétariat sur le terrain du renversement du pouvoir bourgeois et de la conquête de la dictature.

Nous pensons quant à nous qu’un tel plan se base sur une contradiction et qu’il contient pratiquement les éléments d’un échec inévitable. Il est sûr que le Parti Communiste doit se proposer d’utiliser également les mouvements non conscients des grandes masses et que, quand il se trouve en présence de tendances générales à des moyens d’action autre que ceux caractérisent sa théorie et sa pratique propres, il ne peut s’adonner à une propagande négative purement théorique. Mais cette utilisation n’est bénéfique que si, tout en se plaçant sur le terrain des grandes masses et en travaillant ainsi à l’un des deux facteurs essentiels du succès révolutionnaire on est sûr de ne pas compromettre l’autre facteur non moins important, c’est-à-dire l’existence et le renforcement progressif du parti et de l’encadrement de cette partie du prolétariat qui a déjà été amenée sur le terrain d’action du parti.

Pour évaluer si ce danger existe ou non, il faut tenir compte du fait que, comme hélas une longue et douloureuse expérience nous l’enseigne, le parti, en tant qu’organisation et le degré de son influence politique ne sont pas des résultats intangibles, mais subissent toutes les influences du cours des événements.

S’il arrivait un jour, après une 'suite plus ou moins longue d’événements et de luttes, que la masse ouvrière arrive finalement à la conscience confuse que toute tentative de révolte est inutile si on n’affronte pas directement l’appareil d’État lui-même, mais qu’au cours des phases précédentes l’organisation du Parti Communiste et des mouvements qui l’appuient (comme l’encadrement syndical et militaire) ait été gravement compromise, le prolétariat se trouverait privé des armes mêmes de sa lutte : il lui manquerait la contribution indispensable de cette minorité qui possède la claire vision des tâches à accomplir et qui, du fait qu’elle l’a possédée et gardée présente à l’esprit depuis longtemps, s’est donné tout un entraînement et un armement, au sens large du mot, indispensables à la victoire de la grande masse.

Nous pensons que c’est ce qui arriverait – prouvant du même coup la stérilité de plans tactiques tels que ceux que nous sommes en train d’examiner – si le Parti Communiste prenait principalement et avec éclat des positions politiques de nature à annuler ou à invalider son caractère intangible de parti d’opposition vis-à-vis de l’état et des autres partis politiques. Nous croyons pouvoir démontrer par des arguments d’ordre critique et pratique que cette thèse n’a rien d’abstrait et ne relève pas du désir d’enfermer ce problème si complexe dans des schémas arbitraires, mais répond à une appréciation concrète et exhaustive du problème.

L’attitude et l’activité d’opposition politique du Parti communiste ne sont pas un luxe théorique, mais, comme nous le verrons, une condition concrète du processus révolutionnaire.

En effet activité d’opposition veut dire propagande constante en faveur de nos thèses qui affirment l’insuffisance de toute action de conquête démocratique du pouvoir et de toute lutte politique enfermée dans les limites de la légalité et de la non-violence – fidélité à cette propagande dans la critique continuelle et dans l’indépendance totale à l’égard des gouvernements et des partis légaux – formation, préparation et entraînement d’organes de lutte que seul un parti anti-légalitaire comme le nôtre peut construire, en dehors des mécanismes de défense de la bourgeoisie et en opposition à eux.

Cette méthode relève de la théorie en ce sens que la conscience théorique doit nécessairement être possédée par une minorité dirigeante, et elle relève de l’organisation en ce sens que, dans la mesure où la majeure partie du prolétariat n’est pas mûre pour une lutte révolutionnaire, il est indispensable de former et d’instruire les cadres de la future armée révolutionnaire.

C’est pourquoi, fidèles à la plus lumineuse tradition de l’Internationale Communiste, nous ne jugeons pas les partis politiques selon le même critère que les organisations économiques syndicales, c’est-à-dire selon la façon dont ils se recrutent et la classe qui fournit ce recrutement, mais selon leur attitude envers l’État et son mécanisme représentatif. Un parti qui s’enferme volontairement dans les limites de la légalité, c’est-à-dire qui ne conçoit pas d’autre action politique que celle qu’on peut développer, sans utiliser la violence civile, dans les institutions de la constitution démocratique bourgeoise, n’est pas un parti prolétarien, mais un parti bourgeois; et en ce sens pour qu’on puisse formuler ce jugement négatif, il suffit simplement qu’un mouvement politique (comme le mouvement syndicaliste ou démocrate) tout en se situant hors de la légalité refuse d’accepter l’idée que le prolétariat révolutionnaire doit se constituer en État, c’est-à-dire le principe de la dictature. Nous ne faisons qu’énoncer ici la plate-forme défendue par notre parti : front unique syndical du prolétariat, opposition politique incessante envers le gouvernement bourgeois et tous les partis légaux.

Quant aux développements de notre organisation, nous les renvoyons au prochain article.

Cependant nous voulons ajouter que si la collaboration parlementaire et gouvernementale sont complètement exclues dès l’instant où l’on adopte une telle plate-forme, nous ne renonçons pas pour autant, comme nous le montrerons, à une utilisation bien meilleure et bien moins risquée des revendications que les masses sont poussées à porter devant le pouvoir d’État ou devant d’autres partis : on peut en effet défendre ces revendications de façon indépendante comme des résultats à atteindre par l’action directe, la pression externe et la critique même de la politique du gouvernement et de tous les autres partis, quand on en aura, fait l’expérience.

• • •

Nous voudrions conclure ces quelques notes que nous avons rédigées pendant la discussion du problème de la tactique en tenant compte des éléments qui se présentaient au fur et à mesure et en exposant les arguments qui ont conduit le Comité Exécutif de notre Parti à prendre la position qu’on lui connaît. D’après lui, l’unité d’action du prolétariat doit être poursuivie et réalisée sur la base de la politique d’opposition à l’État bourgeois et aux partis légalitaires que le Parti Communiste doit mener sans trêve. La répétition de certains points essentiels, si elle n’améliore pas l’ordre de l’exposé, ne pourra du moins pas nuire au but qu’il se propose, à savoir attirer le plus possible l’attention des camarades sur les données délicates et complexes du problème qu’on discute.

On distingue couramment (et cette distinction est assez utile) des conditions subjectives et des conditions objectives de la révolution. Les conditions objectives consistent dans la situation économique et dans les pressions qu’elle exerce directement sur les masses prolétariennes; les conditions subjectives désignent le degré de conscience et de combativité du prolétariat et surtout de son avant-garde, le Parti Communiste.

Une condition objective indispensable est la participation à la lutte de la plus grande partie des masses, directement sollicitées par les poussées économiques, même si elles n’ont en majeure partie pas conscience de tout le développement de la lutte; une condition subjective est l’existence, dans une minorité toujours plus étendue, d’une claire vision des exigences de développement du mouvement, accompagnée d’un entraînement à la lutte à conduire et à diriger dans les phases ultérieures. Nous admettons qu’il serait anti-marxiste, non seulement d’exiger que tous les travailleurs participant à la lutte aient une claire conscience de son développement et une volonté orientée vers ses buts, mais également de prétendre de chaque militant du Parti communiste pris individuellement qu’il atteigne un tel « état de perfection » : les conditions subjectives de l’action révolutionnaire consistent en effet dans la formation d’un organe collectif, comme le parti, qui est à la fois une école (au sens de tendance théorique) et une armée avec sa hiérarchie et son entraînement propres.

Mais ce serait selon nous retomber dans un subjectivisme non moins anti-marxiste, parce que volontariste au sens bourgeois, que de condenser les conditions subjectives dans la volonté éclairée d’un groupe de chefs qui pourraient lancer sur les voies tactiques les plus compliquées non seulement les forces encadrées dans le Parti, mais celles qu’il influence le plus directement, tout comme si le déroulement même de l’action et la méthode choisie pour la conduire n’exerçaient pas leur propre influence sur ces forces.

En réalité, le Parti n’est pas le sujet invariable et inaltérable que prétendent de subtils philosophes : il est à son tour un élément objectif de la situation. La solution du difficile problème de la tactique du Parti n’est pas non plus analogue à celles des problèmes de l’art militaire; en politique, on peut corriger, mais non manipuler à son gré la situation : les données du problème ne sont pas d’une part notre armée et de l’autre l’armée adverse, mais la formation de notre armée aux dépens des couches indifférentes et des troupes ennemies elles-mêmes et elle se réalise (et peut se réaliser aussi bien à l’avantage de l’ennemi qu’au nôtre) au cours des hostilités elles-mêmes.

Une excellente utilisation des conditions objectives révolutionnaires, qui ne risque nullement de compromettre les conditions subjectives, mais promet au contraire de les développer brillamment, consiste à participer et à susciter les actions de masses pour les revendications économiques défensives que l’offensive patronale provoque, comme nous l’avons déjà dit, dans la phase actuelle de la crise capitaliste. En poussant ainsi les masses à suivre des impulsions qu’elles ressentent déjà clairement et fortement, nous les conduisons sur la voie révolutionnaire que nous avons tracée, sûrs que, le long de cette voie, les conditions subjectives contraires seront surmontées et que les masses y découvriront la nécessité de lutter pour la révolution intégrale, pour laquelle notre parti leur donne des instruments théoriques et techniques que la lutte aura perfectionnés et rendus plus puissants. La position politique indépendante de notre parti lui aura permis de mener à bien au cours de l’action la préparation théorique et matérielle qui a fait défaut dans d’autres situations qui poussaient cependant les masses à la lutte, parce qu’entre autres raisons, il manquait une minorité se distinguant par sa conscience révolutionnaire et sa préparation aux formes de lutte décisives.

Le but de la défense bourgeoise est d’opposer à la révolution prolétarienne des contre-conditions subjectives, de compenser la pression révolutionnaire que la misère et toutes les difficultés provoquées par la crise exercent sur le prolétariat en s’efforçant de soumettre son activité au monopole politique et idéologique de la classe dominante par l’intermédiaire des chefs ouvriers.

L’influence des partis social-démocrates emprisonne une grande partie du prolétariat dans l’idéologie bourgeoise et la prive d’idéologie révolutionnaire non tellement parce qu’elle incite les individus à adhérer à la conception ennemie, mais plutôt parce qu’elle les rend inaptes à agir collectivement dans le domaine politique selon des directives sûres et de façon organisée.

La bourgeoisie et ses alliés travaillent à répandre dans le prolétariat la conviction que pour améliorer son sort, il n’est pas nécessaire de se servir de moyens violents et que les armes de sa lutte consistent dans les organes représentatifs de la démocratie dont il devrait user pacifiquement dans le cadre de la légalité. De tels raisonnements sont extrêmement dangereux pour le sort de la révolution, car il est sûr qu’à un certain moment leur inconsistance éclatera au grand jour sans que les masses deviennent pour autant capables de lutter contre l’appareil légal et étatique de la bourgeoisie par les moyens de la guerre révolutionnaire, ni de proclamer et de défendre la dictature de classe, seul moyen d’écraser la classe adverse. La répugnance et l’inexpérience du prolétariat à utiliser ces armes décisives tournent tout à l’avantage de la bourgeoisie : détruire dans le plus grand nombre possible de prolétaires cette répugnance subjective à porter à l’adversaire des coups décisifs en préparant idéologiquement et en entraînant pratiquement à la guerre de classe tous les prolétaires sans exception, tel est notre but, mais on ne peut l’atteindre sans former et renforcer une organisation collective dont l’attitude et l’action constituent un point d’attraction pour le plus grand nombre possible de travailleurs afin que la déception qui dissipera inévitablement demain les illusions démocratiques puisse être suivie de leur conversion aux méthodes de la lutte révolutionnaire. Nous ne pouvons pas gagner la majorité du prolétariat, car la majorité du prolétariat se trouve encore sur la plate-forme politique de la légalité et de la social-démocratie, a dit le Troisième Congrès, et il a eu raison; mais c’est justement pour cela que nous devons nous préoccuper d’adopter une tactique qui, au moment où les conditions économiques objectives suscitent les mouvements de grandes masses, accroisse progressivement l’effectif de cette minorité dont le noyau est constitué par le parti communiste et qui a centré son action et sa préparation sur le terrain de la lutte anti-légalitaire.

Du point de vue critique et des expériences pratiques réelles que nous possédons, rien ne s’oppose à ce qu’on passe de l’action du front des grandes masses pour des revendications que le capitalisme ne peut ni ne veut accorder et contre lesquelles il emploie la réaction ouverte de forces régulières et irrégulières, à l’action pour l’émancipation intégrale des travailleurs. En effet, ces actions sont devenues aussi impossibles l’une que l’autre sans la destruction de l’appareil de domination politique et militaire de la bourgeoisie, auquel les travailleurs se heurtent, alors que le Parti Communiste s’était déjà organisé pour l’affronter, encadrant une partie des masses qui n’ont jamais caché, au cours de la lutte, que c’était contre des forces de cet ordre qu’il fallait se battre et qui ont pris sur elles la première phase de la bataille, sous son aspect d’action directe, de guérilla de classe et de conspiration révolutionnaire.

Au contraire tout nous conduit à condamner comme une chose parfaitement différente et d’effet contraire la tentative de passer du front des grandes masses pour une action qui, tout en ayant pour objectif des revendications immédiates et acceptables par la masse, se situe sur, la plate-forme politique de la démocratie légale, à une action anti-légalitaire et pour la dictature prolétarienne. Ici il ne s’agit plus d’un changement dans le plan d’action, dans les forces en présence, dans les méthodes : une telle conversion tactique n’est possible, selon nous, que dans les plans de chefs militaires qui, ayant oublié la théorie marxiste, s’imagineraient agir avec des troupes possédant l’automatisme parfait des armées encadrées et entraînées depuis longtemps, et non avec les tendances et les capacités d’éléments en cours de formation, mais toujours prêts à retomber dans les incohérences des actions individuelles et décentralisées.

Le chemin de la révolution devient une impasse si, pour constater que le décor bariolé de la démocratie libérale et populaire dissimule les solides bastions de l’État de classe, le prolétariat doit avancer jusqu’au bout sans penser à se munir des moyens capables d’éventrer l’obstacle ultime et décisif avant que les troupes féroces de la réaction, armées de pied en cap ne sortent de la forteresse de la domination bourgeoise pour se précipiter sur lui. Le parti est nécessaire pour la victoire révolutionnaire, parce qu’il est nécessaire que bien avant celle-ci, une minorité du prolétariat incite sans cesse les autres prolétaires à s’armer pour le combat suprême, tout en s’armant elle-même et en se préparant pour la lutte, qui sera inévitable. C’est pourquoi, pour remplir sa tâche spécifique, le Parti ne doit pas seulement démontrer par sa propagande et ses raisonnements que la voie pacifique et légale est une voie insidieuse, mais empêcher la partie la plus avancée du prolétariat de s’endormir dans l’illusion démocratique et l’encadrer dans des formations qui, d’une part, commencent à se préparer aux exigences techniques de la lutte en répliquant aux actions sporadiques de la réaction bourgeoise, et, d’autre part, s’habituent elle-mêmes, ainsi qu’une importante fraction des masses autour d’elles, aux exigences idéologiques et politiques de l’action décisive, en faisant une critique incessante des partis sociaux-démocrates et en les combattant à l’intérieur du syndicat.

Dans certaines situations, l’expérience social-démocrate doit se produire et être utilisée par les communistes, mais cette « utilisation » ne résultera pas automatiquement de l’expérience et ne se produira pas subitement à son terme : elle résultera de la critique que le Parti Communiste aura menée sans trêve et pour laquelle il est indispensable que les responsabilités soient très nettement séparées.

C’est pourquoi nous disons que le Parti Communiste ne peut jamais abandonner son attitude d’opposition politique à l’État et aux autres partis, car elle fait partie intégrante de la tâche de construction des conditions subjectives de la révolution qui est précisément sa raison d’être. Un Parti communiste confondu avec les partis de la social-démocratie pacifiste et légalitaire dans une compagne politique parlementaire ou gouvernementale ne remplit plus la tâche du Parti communiste. A la fin d’une telle parenthèse, les conditions objectives poseront le dilemme fatal de la guerre révolutionnaire, la nécessité impérative d’attaquer. et de détruire l’appareil de l’État capitaliste, mais subjectivement, le prolétariat aura perdu tout espoir dans les méthodes pacifiques et légales, et l’élément de synthèse entre les conditions objectives et subjectives qui est la préparation indépendante du Parti communiste et de la minorité qu’il a su depuis longtemps rassembler autour de lui fera donc défaut. Il se produira une situation nullement différente de celle que le Parti socialiste italien a souvent connue quand il était composé de tendances opposées : les masses déçues par les méthodes réformistes et par leur échec attendent un mot d’ordre qui ne vient pas parce que les éléments extrémistes n’ont pas une organisation indépendante, ne connaissent pas leurs forces, partagent les responsabilités des réformistes dans le découragement général, parce que personne n’a pensé à tracer les lignes directrices d’une organisation qui puisse fonctionner, lutter, se battre militairement quand le choc de la guerre civile apparaît inéluctable. C’est pour ' toutes ces raisons que notre Parti affirme qu’il ne faut pas parler d’alliances sur le terrain politique avec d’autres partis, même s’ils se disent « prolétariens », ni souscrire à des programmes impliquant une participation du Parti communiste à la conquête démocratique de l’État. Cela n’exclut pas qu’on puisse poser et envisager comme réalisables sous la pression du prolétariat des revendications qui seraient satisfaites par décisions du pouvoir politique de l’État (et que les sociaux-démocrates disent vouloir et pouvoir réaliser au moyen de celui-ci) car une telle action n’abaisserait nullement le degré d’initiative atteint par le prolétariat dans la lutte directe.

Par exemple, parmi nos revendications pour le front unique à appuyer par la grève générale nationale, il y a la prise en charge des chômeurs par la classe des industriels et l’État, mais nous refusons toute complicité avec la vulgaire duperie des programmes « concrets » de politique gouvernementale du parti socialiste et des chefs syndicaux réformistes, même si ceux-ci acceptaient d’en faire le programme d’un gouvernement « ouvrier », plutôt que du gouvernement de coalition dont ils rêvent dans une fraternelle connivence avec les partis de la classe dominante.

Entre soutenir une mesure (que l’on pourrait, pour parodier d’anciens débats, appeler une « réforme ») de l’intérieur de l’État et la soutenir de l’extérieur, il y a une différence énorme, qui tient au développement de la situation. Avec l’action directe des masses de l’extérieur, si l’État ne peut pas et ne veut pas céder, on en viendra à la lutte pour le renverser, et s’il cède ne serait-ce qu’en partie, on aura valorisé et exercé la méthode de l’action anti-légalitaire; au contraire avec la méthode de la conquête de l’intérieur, même si elle échoue, conformément au plan qui est soutenu aujourd’hui, il n’est plus possible de compter sur les forces capables d’attaquer l’appareil d’État, parce que leur processus de regroupement autour d’un noyau indépendant aura été brisé.

L’action des grandes masses sur un front unique ne peut donc se réaliser que sur le terrain de l’action directe et par des accords avec les organisations syndicales de toutes les catégories, localités ou tendances; et l’initiative de cette agitation incombe ou Parti communiste, puisque les autres Partis, en préconisant l’inaction des masses devant les provocations de la classe exploitrice, et la diversion sur le terrain de la légalité gouvernementale et démocratique, démontrent qu’ils trahissent la cause du prolétariat et nous permettent ainsi de pousser au maximum notre lutte pour amener celui-ci à l’action sous la direction et avec les méthodes communistes que nous défendons aux côtés du plus humble groupe d’exploités qui réclament un morceau de pain ou qui le défendent contre l’insatiable convoitise du patronat, mais toujours en opposition au mécanisme des institutions actuelles et à tous ceux qui se placent sur leur terrain.

(à suivre)

Notes :
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  1. La traduction de ces thèses est parue dans le № 17 de « Programme Communiste ». Le texte italien original a été récemment republié dans « In Difesa della continuita del programma comunista », second volume de la collection « I testi del Partito Comunista Internazionale ».[⤒]

  2. Le IIIe Congrès de l’IC s’est tenu en Juin 1921 à Moscou.[⤒]

  3. « L’action de mars » : il s’agit des combats de mars 1921 en Allemagne centrale (Halle – Mansfeld). Répliquant à l’occupation de la région de Mansfeld, où les ouvriers étaient restés armés depuis novembre 1918, par la police, ceux-ci se soulevèrent, réussissant à tenir les forces de répression en échec pendant plus de huit jours et leur infligeant de lourdes pertes. Le chef de ce mouvement fut le communiste Max Hölz qui adhèrera par la suite au KAPD et mourra en U.R.S.S. en 1934 dons des circonstances… obscures.[⤒]

  4. Serrati était le chef des maximalistes, c’est-à-dire du centre de l’ancien Parti Socialiste italien.[⤒]

  5. Cette « Lettre ouverte » datait du début de 1921, après la fusion du P.C.A. avec les Indépendants.[⤒]

  6. C’est-à-dire du type extrémiste et infantile.[⤒]

  7. L’image désigne d’une part les « puristes » du communisme, d’autre part les opportunistes social-démocrates qui criaient à un tournant à droite de l’I.C.[⤒]


Source : « Programme Communiste », numero 51–52, avril 1971 – septembre 1971

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