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L’ANTIFASCISME DEMOCRATIQUE : UN MOT D’ORDRE ANTI-PROLÉTARIEN QUI A DEJA FAIT SES PREUVES


Content :

L’antifascisme démocratique : un mot d’ordre antiprolétarien qui a déjà fait ses preuves
I. – Qu’est-ce que l’État bourgeois démocratique ?
II. – Qu’est-ce que le fascisme ?
III. – Qu’est-ce que le fascisme ? Comment s’installe-t-il ?
Italie 1920–1924
En Allemagne : les leçons, identiques, sont aussi nettes
L’Espagne, dernier exemple de victoire du fascisme
IV. – Qu’est-ce que l’anti-fascisme démocratique ?
Peut-il exister une position « purement tactique » de défense de la démocratie contre le fascisme ?
V. – La situation actuelle et les tâches du Parti
Notes
Source


L’antifascisme démocratique : un mot d’ordre antiprolétarien qui a déjà fait ses preuves

Avant tout, en cette période de contre-révolution, nous devons rappeler que les communistes ne luttent pas pour trouver la meilleure forme d’État capitaliste, mais pour détruire le capitalisme, c’est-à-dire abolir le salariat, l’économie de marché, les fondements matériels mêmes de la société de classe. Cette révolution, après l’échec final des luttes internationales dans les années 20, n’a été réalisée nulle part dans le monde : ni en Russie, ni en Chine, ni à Cuba, ni au Chili… Elle ne peut se faire sans une lutte de classes violente et sans la destruction de l’État qui protège le régime du Capital. Voilà les tâches qui sont mondialement à l’ordre du jour depuis plus d’un siècle, depuis le « Manifeste Communiste ».

Depuis plus de quarante ans, qui sont pour nous quarante ans de contre-révolution, les partis communistes dégénérés, mais aussi les « gauchistes » ont substitué à la seule alternative réelle, capitalisme ou communisme, une fausse alternative : fascisme ou démocratie. Des millions de prolétaires sont morts dans la dernière guerre mondiale pour « terrasser définitivement le fascisme », et pourtant, si l’on en croit les opportunistes de tous bords, il reste encore le seul ennemi à combattre ! En Italie, le P.C. mobilise en vue des élections sur le mot d’ordre suivant (Luigi Longo, in « l’Emigrante », avril 1972) :
« Le fascisme ne renaîtra pas »; « Nous devons exiger que les pouvoirs de l’État républicain remplissent les devoirs que leur fixe la constitution antifasciste… »
Il crée un comité antifasciste unissant l’Association chrétienne des travailleurs italiens, la Ligue des Droits de l’Homme, les Garibaldiens, etc… Le fait que l’on parle de « fascisme » à propos de toute violence montre à quel point la gangrène démocratique a tout infesté. Mais ai l’antifascisme actuel est une mascarade (pensons au ministre UDR Debré appelant le peuple à défendre son gouvernement contre le danger fasciste au moment du putsch d’Alger !), il a une fonction bien précise, et tout à fait sérieuse : essayer, alors que les signes de crise économique se font sentir, de recommencer l’opération du Front Populaire, de sauver la domination du capital par les moyens les moins coûteux, en enchaînant chaque prolétariat à sa bourgeoisie nationale, y compris jusqu’à la guerre, en le détournant de sauter à la gorge de son véritable ennemi, l’État bourgeois, qu’il soit démocratique ou fasciste.

Nous allons, en opposant l’unité de la ligne communiste à l’invariance de la trahison opportuniste, rappeler :

1. – Ce qu’est l’État bourgeois démocratique, ce qu’il fait, à quoi il sert.

2. – Montrer par les exemples historiques ce qu’est le fascisme en réalité et comment il s’est installé.

3. – Montrer ce qu’est l’antifascisme des partis staliniens une force contre-révolutionnaire; montrer que les communistes ne peuvent d’aucune façon lancer le mot d’ordre de défense de la démocratie contre le fascisme.

4. – Enfin, en rappelant brièvement quelles sont les tâches actuelles du Parti Communiste International, montrer qu’il n’y a pas d’autre antifascisme que l’anticapitalisme, pas d’autre alternative dans les pays capitalistes développés que dictature de la bourgeoisie ou dictature du prolétariat.

I. – Qu’est-ce que l’État bourgeois démocratique ?

L’État bourgeois a de tout temps usé de ce que les démocrates actuels appellent des « procédés fascistes ». La démocratie bourgeoise, c’est aussi la violence la répression contre le prolétariat, et la violence « illégale », le mépris de sa propre légalité. Toute société de classe est violente; la société capitaliste use tout autant et même plus de la violence que les précédentes, à commencer par la violence latente, constante, qui oblige les « sans réserves « à se vendre au Capital : nous appelons violence ce soi-disant « ordre » économique quotidien qui mutile un ouvrier toutes les deux heures, en tue un par jour dans chaque pays d’Europe, écrase et opprime dans les meilleures conditions « pacifiques », des millions de prolétaires.

Dira-t-on qu’il n’y a pas de comparaison possible avec les camps hitlériens ? Il faut rappeler inlassablement à la sensibilité démocratique, très sélective, les tableaux de chasse du capital démocratique : répression ouvrière : journées de juin 1848, la Commune de Paris de 1871, la contre-révolution blanche appuyée par les impérialistes démocratiques en Russie et qui déclencha la guerre civile après la prise du pouvoir par les bolcheviks, le bain de sang de la contre-révolution en Allemagne, en janvier 1919, dirigée par les socialistes et démocrates Ebert, Noske, Scheidemann. A ces faits saillants, il faut ajouter la répression chronique contre les grèves dans les périodes dites « pacifiques » du capitalisme : de Carmaux à Fourmies, les « gouvernements de gauche » en France n’ont rien à envier au gouvernement franquiste qui tire sur les ouvriers à El Ferrol. Nous comptons parmi les victimes du capital les millions de prolétaires massacrés pendant les deux dernières guerres mondiales pour permettre au capital de se régénérer en détruisant des masses d’hommes, de produits, d’usines. Toutes les conquêtes coloniales se sont faites par le massacre, et la défense de ces conquêtes a fait récemment des centaines de milliers de morts en Indochine et en Algérie, plus 50 000 victimes de l’État français à Madagascar en 46–47, au moment où le PCF célébrait la « victoire définitive sur le fascisme ». Les massacres de Sétif en Algérie à la même époque furent justifiés par les ministres communistes, les Billoux et les Tillon, au nom de l’« unité de la nation française », et de la lutte contre les « provocations fascistes ». Depuis un siècle encore, la démocratique Angleterre massacre et torture en Irlande.

Ne pas répéter inlassablement tout cela, c’est se faire complice de la bourgeoisie, qui essaie de faire passer ses violences régulières contre tout ce qui menace sa domination comme de regrettables Incidents, des survivances d’une époque barbare, que le Progrès pourrait réduire.

Oui, disent les antifascistes, mais le fascisme, c’est la violence illégale, la suppressIon des garanties juridiques, des libertés de parole, de réunion, de presse, le mépris de la volonté populaire exprimée par les élections. C’est pourquoi il faudrait, sans en faire un but, conserver ces libertés démocratiques qui seraient un premier pas, un moyen indispensable à la classe ouvrière pour s’organiser…

Prétendre que la bourgeoisie respecte sa propre légalité quand il y a un danger réel, c’est un mensonge, une hypocrisie ou une naïveté inexcusable. Voilà ce que Lénine répondait à Kautsky en 1918, dans « La Révolution Prolétarienne et le Renégat Kautsky » (Editions Sociales, 1953, pp. 22–23) :

« Prenez les lois fondamentales des États contemporains, prenez leur gouvernement, prenez la liberté de réunion ou de presse, prenez l’‹ égalité des citoyens devant la loi ›, et vous verrez à chaque pas l’hypocrisie de la démocratie bourgeoise bien connue de tout ouvrier honnête et conscient, Il n’est point d’État, même le plus démocratique, qui n’ait dans sa constitution des biais ou des restrictions permettant à la bourgeoisie de lancer la troupe contre les ouvriers, de proclamer la loi martiale, etc… « en cas de violation de l’ordre », en fait, au cas où la classe exploitée « violait » son état d’asservissement, et si elle avait la velléité de ne pas se conduire en esclave. Kautsky farde cyniquement la démocratie bourgeoise; il ne souffle mot de ce que font, par exemple, contre les ouvriers en grève, les bourgeois les plus démocrates et les plus républicains d’Amérique ou de Suisse. Oh ! le sage et savant Kautsky n’en dit rien ! Il ne comprend pas, cet érudit et homme politique, que le silence ici est une lâcheté. Il préfère raconter aux ouvriers des contes d’enfants, par exemple que démocratie veut dire ‹ protection de la minorité › (…) Le savant M. Kautsky a ‹ oublié › – vraisemblablement oublié par hasard – une ‹ bagatelle ›, à savoir que le parti dominant de la démocratie bourgeoise n’accorde la défense de la minorité qu’à un autre parti bourgeois; tandis que le prolétariat, dans toute question sérieuse, profonde, fondamentale, reçoit en guise de « protection de la minorité », la loi martiale ou les massacres. Plus la démocratie est développée, et plus elle est près, en cas de divergence politique profonde et dangereuse pour la bourgeoisie du massacre et de la guerre civile… »

Analyser d’autre part la démocratie bourgeoise comme l’expression de la « volonté populaire », comme le PC le fait couramment, c’est jeter par-dessus bord toute la critique marxiste qui montre :

1. – Qu’il n’y a pas de « volonté populaire » dans une société divisée en classes, mais une dictature cachée de la bourgeoisie.

2. – Que l’État démocratique et son parlement ne peuvent pas être l’instrument de la dictature du prolétariat, qu’il devra les briser pour imposer sa propre dictature de classe (cf. Engels, cité par Lénine dans « Le Renégat Kautsky… » p. 21) :

« Or, en réalité, l’État n’est pas autre chose qu une machine d’oppression d’une classe par une autre, et cela sous la république démocratique non moins que sous la monarchie ».
« Le suffrage universel est un indice de la maturité de la classe ouvrière. Il ne peut donner ni ne donnera jamais rien de plus dans l’État moderne. »

La démocratie n’a jamais été considérée par les Communistes comme un « progrès » parce qu’elle serait un avant-goût du socialisme, mais parce que (et dans la mesure où), comme le dit le « Manifeste », la révolution bourgeoise qui l’instaure déblaie économiquement et politiquement le terrain pour l’affrontement des deux classes antagonistes, bourgeoisie et prolétariat.

Si le fascisme n’a nullement le privilège de la violence et de l’illégalité, ni de la répression anti-ouvrière, si les démocraties modernes ont bien fait fructifier, de ce point de vue, l’héritage de leur ennemi d’hier, qu’est-ce donc, alors, que le fascisme ?

II. – Qu’est-ce que le fascisme ?

Pour le définir sans équivoque, il faut écarter un certain nombre de fausses interprétations, qui convergent toutes dans l’opportunisme.

Le fascisme n’est nullement une réaction féodale, contrairement à ce que Zinoviev lui-même a pu dire, comparant Mussolini à Kornilov et à la réaction blanche en Russie. Cette interprétation a dû céder devant la réalité du développement capitaliste dans les pays de fascisme; mais elle ressuscite, même quand ce n’est pas explicite, à des fins intéressées, dans la propagande opportuniste, qui parle de la « réaction » comme d’une tendance passéiste, et qui, en France, célèbre le 14 juillet et les jacobins tout comme s’il s’agissait de recommencer indéfiniment la révolution bourgeoise, et non de faire la révolution socialiste.

Le fascisme n’est pas non plus une arme spécifique de la petite-bourgeoisie, qui utiliserait ainsi l’État à son profit : même les historiens universitaires ont dû reconnaître que si elle avait fourni des troupes au fascisme, elle avait néanmoins été réprimée par lui et sacrifiée plus que jamais à la concentration du capital. Ce faisant, l’Allemagne fasciste, l’Espagne franquiste ont simplement réalisé les tendances générales des États modernes impérialistes, telles que Lénine, Boukharine (et même, d’avance, « Le Capital ») les avaient définies au moment de la première guerre mondiale : centralisation et étatisation de l’économie au service de la grande industrie, de la fraction la plus avancée du capital, Intervention accrue de l’État de classe, tentative d’intégration des syndicats dans le but de discipliner la production. Le fascisme n’a pas non plus d’idéologie propre, et le Parti Communiste d’Italie, quand il était dirigé par la Gauche et non par les charognes actuelles, avait montré dès le Congrès de fondation des Fasci que l’idéologie mussolinienne n’était qu’un ramassis de thèmes bourgeois, provisoirement agrémenté de quelques illusions spécifiquement petites-bourgeoises.

Le fascisme a aussi ce point commun, essentiel pour nous, avec la démocratie, c’est qu’il n’est capable d’apporter aucune solution définitive aux contradictions du capitalisme. De même qu’il n’y a pas de « super-impérialisme » à la Kautsky, il n’y a pas un super capitalisme qui serait le fascisme : même sous le fascisme en effet, l’anarchie productive subsiste, la discipline de la production n’est qu’une tentative de discipline, et les mêmes contradictions amènent les mêmes crises sociales qu’il tente de résoudre par la guerre : c’est aussi pour cela que, pour nous, le fascisme n’est pas la fin du monde ni la catastrophe définitive qui rendrait toute lutte superflue.

Le fascisme n’est même pas enfin, à proprement parier, une forme d’État originale. Sa fonction propre est d’unifier la bourgeoisie en un parti centralisé, de la discipliner pour la défense des intérêts du Capital y compris par des méthodes autoritaires, si elle n’accepte pas de bon gré cette discipline. Donc ce qui diffère dans le fascisme par rapport à la démocratie, c’est l’alignement des classes extérieures au prolétariat (fractions de la classe bourgeoise et « demi-classes »), et non pas l’antagonisme fondamental entre bourgeoisie et prolétariat, ni le rôle contre-révolutionnaire de l’État bourgeois. C’est, d’autre part, la différence de phase dans la lutte, et c’est pour nous la différence essentielle : le fascisme n’est pas la cause, mais le produit de la défaite du prolétariat, comme on va le voir historiquement.

III. – Qu’est-ce que le fascisme ? Comment s’installe-t-il ?

La thèse implicite ou explicite du PCF, de ses satellites et de tous leurs homologues des autres pays est celle-ci : « Si vous bougez, vous allez attirer le fascisme » (cf. Marchais : les gauchistes « vont nous attirer un régime de colonels »); d’une part, la petite-bourgeoisie va avoir peur et mal voter, d’autre part, cela va « servir de prétexte ». Ce raisonnement prend actuellement la forme d’un pur et simple appel à l’ordre, d’une « provocation à la servitude » : pour le fond, ce n’est pas non plus une nouveauté… En 1921, les socialistes italiens parlaient eux-aussi de « tendre l’autre joue », d’avoir « le courage d’être lâche » (sic !), de ne pas « donner de prétextes »… La Social-Démocratie Allemande en 27–29 tirait même sur les ouvriers pour les dissuader de donner, par leur violence, un prétexte à la violence bourgeoise…

En résumé, donc, pour les opportunistes, les choses se passeraient ainsi : plan machiavélique d’une partie de la bourgeoisie, qui n’attendrait qu’une « occasion »; agitation, ouvrière ou petite-bourgeoise, dans des formes extralégales; panique d’une autre partie de la petite-bourgeoisie qui, au lieu de soutenir le prolétariat dont elle est l’alliée naturelle, passe du côté de la grande bourgeoisie.

Nous appuyant sur l’histoire, nous montrons :

1. – Que le fascisme n’est pas un plan délibéré de la bourgeoisie, qui garderait à tout moment dans sa manche les deux solutions possibles, mais un alignement déterminé de ses forces dans des situations de crise, lorsqu’elle a épuisé la ressource du gouvernement populaire.

2. – Que le fascisme ne provient pas de la lutte violente du prolétariat, mais de l’échec de cette lutte, qu’il est le coup de grâce porté par la bourgeoisie à un ennemi déjà presque abattu, et abattu par les opportunistes et les gouvernements démocratiques.

3. – Enfin, secondairement, que la petite-bourgeoisie, qui ne peut pas avoir de position autonome, se discipline dans le parti unique de défense du capital, et lui donne ses troupes non pas quand elle a peur que le prolétariat gagne, mais quand elle le sent battu, et n’a plus qu’à chercher un autre maître.

Italie 1920–1924

Dans une situation de crise économique et sociale intense, au lendemain de la guerre, il y a eu d’abord une montée prolétarienne : grèves, occupations d’usines, luttes armées locales. Mais le fascisme est loin d’avoir fait directement suite à l’échec relatif des grèves avec occupation de Turin de l’automne 1920. En réalité : les gouvernements « socialistes » de Nitti, Giolitti et Bonomi, ont temporisé de 1918 à 1922 : ils ont fait aux grévistes des concessions purement verbales (« contrôle ouvrier » en automne 1920), et en même temps, ils ont abrité et armé le fascisme (création de la Garde Royale, circulaire Bonomi, invitant les démobilisés à s’enrôler dans les « Fasci », autre circulaire invitant les tribunaux à ne pas poursuivre les bandes fascistes…). En même temps aussi, ils réprimaient directement le prolétariat selon un processus qu’il faut rappeler : là où les assauts des bandes fascistes contre les Bourses du Travail, les sièges et les imprimeries des partis socialiste et communiste avaient été repoussés par le prolétariat en armes, les forces de l’État intervenaient directement, au besoin avec les chars et l’aviation pour rétablir l’ordre comme ce fut le cas à Bari.

Le Parti Communiste d’Italie, formé en janvier 1921 par la scission de Livourne, a maintenu le programme intégral du communisme qui consistait, quels que soient les rapports de forces, à lutter contre la bourgeoisie, à relever son défi, au lieu d’implorer l’État de « rétablir l’ordre », mais sans faire la moindre concession politique à la Social-Démocratie. Ceci n’a rien à voir, entre parenthèse, avec la tactique du « social-fascisme », que les historiens staliniens essaient d’identifier à la ligne communiste; le social-fascisme, ou ce qu’on appela, illusoirement, le « tournant de gauche » de l’IC de 1929 à 1931, consistait à s’allier au besoin avec le fascisme, pour abattre la Social-Démocratie, véritable politique de gribouille, qui revenait à s’allier avec la bourgeoisie contre les agents de la bourgeoisie au sein du prolétariat ! En Italie, la Gauche qui dirigeait le PC, a accepté le Front Unique sur des mots d’ordre revendicatifs unificateurs, sans renoncer, sous prétexte de priorités, à la ligne et à l’organisation autonome communistes, rejetant au contraire toute organisation militaire commune avec des non-communistes comme les « Arditi del Popolo » pour combattre les bandes mussoliniennes. Cette ligne n’était pas une garantie de victoire, mais la garantie relative que le repli (si repli il devait y avoir) se ferait dans la clarté politique et ne compromettrait donc pas les chances de reprises.

Ainsi, c’est quand le prolétariat, trahi par les directions réformistes et par le parti socialiste dans des grèves comme celle de 1922, désarçonné par les positions fluctuantes de l’internationale d’après 1921, a été, malgré ses victoires locales, sérieusement frappé et en reflux, que Mussolini, ayant reçu le feu vert de la Chambre patronale italienne, a pu faire en wagon-lit sa marche sur Rome, en octobre 1922. Le gouvernement démocratique lui a donné le pouvoir sans combat, pouvoir qu’il a d’ailleurs commencé par partager avec le centre-gauche.

En Allemagne : les leçons, identiques, sont aussi nettes.

L’insurrection prolétarienne de janvier 1919, dirigée par les spartakistes a été directement réprimée par le gouvernement Social-Démocrate, au nom du maintien de l’ordre démocratique. C’est ce que disait le dernier article de Liebknecht, à la veille de son assassinat :

« La bourgeoisie française a été contrainte de prendre dans ses propres rangs les bouchers de juin 1848 et les bourreaux de mai 1871. La bourgeoisie allemande n’a pas à prendre cette peine : ce sont des sociaux-démocrates qui accomplissent la sale et méprisable besogne, la sanglante et lâche besogne : leur Cavaignac, leur Gallifet, s’appelle Noske, l’ouvrier allemand ! » (cité par Gilbert Badia, in « Les Spartakistes », collections Archives, p. 6).

Sans pouvoir ici tirer toutes les leçons de l’échec de la révolution allemande, on fera encore deux citations, parce qu’on y reconnaîtra les arguments invariants des démocrates, c’est-à-dire dés apôtres d’une non-violence qui se retourne fatalement en violence contre le prolétariat. La première est la réponse des Majoritaires (la droite de la Social-Démocratie) aux conditions posées par Liebknecht pour son entrée au gouvernement provisoire de Berlin, en novembre 1918, en particulier, certaines mesures économiques et sociales anti-capitalistes, et le pouvoir aux Conseils d’ouvriers et de soldats :

« Vous posez les conditions suivantes :
1) L’Allemagne doit être une République Sociale. Cette revendication constitue le but de notre propre politique; toutefois, c’est au peuple de se prononcer par le truchement de l’Assemblée Constituante; [NDR : souligné par nous; tous les réactionnaires demandaient alors à grand cris, précisons-le, l’Assemblée Constituante]
2) Dans cette république, la totalité du pouvoir exécutif, législatif et juridictionnel, doit reposer exclusivement entre les mains de délégués élus de l’ensemble de la population laborieuse et des soldats.
Si cette exigence signifie la dictature d’une fraction d’une classe qui n’aurait pas derrière elle la majorité du peuple, nous sommes contraints de la repousser, car elle contredit nos principes démocratiques. »

La seconde citation montre l’autre face du démocratisme, son pacifisme social… violent ! Elle est extraite de Mémoires de Scheidemann. (Scheidemann, « L’effondrement », traduction française, Paris, 1923, p. 252), qui présente l’insurrection de décembre – janvier comme un « attentat contre la démocratie » :

« Au moins l’effondrement [de l’Allemagne dans la guerre] avait-il mis fin à l’inégalité et à l’absence de liberté intérieure; toute conception politique avait la voie libre, dans les limites de la légalité : les deux partis ouvriers détenaient le gouvernement. Malgré cela, on ne cessait de demander la « poursuite de la révolution », et certains auraient même voulu faire de la révolution un état permanent(1)
Ce n’est donc pas aux masses qu’il faut imputer ce qui se passa de novembre en janvier, et de nouveau en mars, sous le régime républicain et contre ce régime; » [il faut accuser] « ceux qui savaient que tout cela n’était pas autre chose qu’un attentat du prolétariat contre lui-même, qu’une lutte d’ouvriers contre ouvriers, ce romantisme révolutionnaire qui ne pouvait se représenter une révolution sans effusion de sang, et la folie des grandeurs de gens qui ne se croyaient pas suffisamment en vue, ont célébré leurs orgies dans les rues de Berlin, et, comme au temps de Guillaume II, c’était toujours le peuple qui servait de chair à canon […] Mais si jamais chefs de parti ont eu du sang sur la conscience et ont élargi le fossé entre gens d’une même classe, ce furent bien ceux qui ont combattu la république, cette création de la classe ouvrière, avec les mêmes armes dont ils s’étaient servis contre le despotisme militaire, armes que, dans leur folie, ils dirigeaient maintenant contre eux-mêmes; ce furent bien ceux qui ont tenté de briser, même par l’emploi des grenades et des mitrailleuses, ce qui était, de façon indéniable, la volonté de la majorité du prolétariat. »

En Allemagne comme en Italie donc, contrairement à la mythologie petite-bourgeoise, les bains de sang pour le prolétariat ont été antérieurs à la montée du fascisme : ils ont été l’œuvre des démocrates !

Après l’échec de l’insurrection de janvier, les luttes sociales violentes ont continué en Allemagne jusqu’en 1923. La première tentative hitlérienne en Bavière, à ce moment, a échoué; comme en Italie jusqu’en 1921, la grande industrie se méfiait des fascistes : elle doutait, non pas de leur moralité, mais de leur efficacité ! Elle n’a soutenu financièrement et politiquement Hitler que dix ans après l’assassinat de la Commune de Berlin, quand elle a vu que la Social-Démocratie, la crise économique s’aggravant, avait épuisé son rôle de gendarme contre le prolétariat, et ne pouvait parvenir à discipliner les autres couches sociales.

Dans ces deux cas historiques, la petite-bourgeoisie qui votait auparavant pour les partis ouvriers a changé de camp alors : une partie d’entre elle est restée « antifasciste », mais de façon tout à fait inefficace, car le prolétariat est la seule force qui puisse s’opposer dans les pays développés, à la bourgeoisie organisée pour défendre sa domination de classe.

Avant de compléter ces leçons par l’exemple espagnol, nous nous résumerons ainsi : le fascisme, forme d’unification provisoire de la bourgeoisie dans les pays impérialistes, vient, après un traumatisme social violent, après une lutte ouverte et prolongée du prolétariat, quand la solution du gouvernement populaire est épuisée, après avoir servi à réprimer indirectement ou ouvertement l’assaut prolétarien. C’est alors que le fascisme arrive, avec les garanties légales (Hitler et Mussolini aussi ont fait des élections…), pour donner le coup de grâce au prolétariat et essayer de discipliner la classe dominante face à la crise.

L’Espagne, dernier exemple de victoire du fascisme

Pour les leçons politiques qu’on peut en tirer, l’exemple de la guerre d’Espagne est tout à fait identique aux précédents, mais l’opportunisme la revendique comme un modèle de lutte « anti-fasciste ». Cet exemple est incompréhensible pour tous ceux qui croient que la violence suffit à donner un caractère révolutionnaire à un mouvement. En réalité, ce n’est pas la violence, mais la direction dans laquelle sont portés les coups du prolétariat qui confère, entre autres, son caractère révolutionnaire à une lutte.

En Espagne, où depuis 1931 le gouvernement de « gauche » avait rempli ses tâches de répression (grève des Asturies, révolte agraire en 32), sans pouvoir venir à bout de la crise, l’annonce du débarquement de Franco a provoqué dans la Catalogne un soulèvement social spontané, qui mettait en danger l’ordre démocratique et constituait une menace non pas pour la « paix du monde », mais pour le pacifisme social.

Qu’ont fait les républicains ? Ils ont repris en mains la Catalogne (tout en évacuant, pour plaire aux bourgeoisies française et anglaise, la flotte de Tanger, permettant ainsi à Franco de recevoir des renforts). Ils ont annulé toutes les mesures (partielles) anti-capitalistes prises par l’insurrection ouvrière, Ils ont détourné le prolétariat vers l’objectif de la guerre anti-franquiste dans le respect de la légalité républicaine et donc de l’ordre bourgeois, qui impliquait non seulement la mise en veilleuse mais la répression de la lutte des classes : par-là même, d’ailleurs, en contenant la révolte agraire, ils ont muselé une force sociale qui, alliée au prolétariat des villes, était seule capable de vaincre le franquisme, mais qui ne l’aurait fait qu’en frappant la bourgeoisie.

Qu’ont fait le PC espagnol et l’Internationale ? Ils ont noyé la révolte de classe sous les « objectifs prioritaires ». La déclaration de José Diaz, secrétaire du PCF, contient les formules types de l’opportunisme :

« Nous ne désirons lutter que pour une république démocratique avec un contenu social étendu […] Il ne peut être question actuellement de dictature du prolétariat, ni de socialisme, mais seulement de la lutte de la démocratie contre le fascisme. »(8 août 1936)

Sous la surveillance des commissaires de l’IC, le PCE a mis le POUM hors la loi, massacré les trotskistes dont les staliniens offraient en même temps la tête à la bourgeoisie mondiale aux procès de Moscou.

Qu’ont fait les dirigeants de la « gauche » anarchiste et trotskiste ? Ils ont négligé de s’attaquer à l’État; ils ont même fini par entrer au gouvernement. Il faut lire la déclaration du POUM, expliquant sa participation au gouvernement, pour mesurer l’ampleur de la tragique naïveté des « tacticiens » trotskistes :

« La bourgeoisie internationale refusait de nous fournir des armes. Nous devions donner l’impression que les maîtres étaient non les comités révolutionnaires, mais le gouvernement local. »

C’est pour ce résultat illusoire que la révolution espagnole, si fragile qu’elle ait été, s’est suicidée.

Le dernier acte de la révolution espagnole, avant l’agonie de la guerre, c’est la révolte de Barcelone, en mars – mai 1937. Encore une fois, comme aux plus belles journées de juillet 1936, le prolétariat était maître de la ville. Et il fallut toutes les exhortations des directions anarchistes à ne pas poursuivre une lutte « fratricide » (!), ainsi que l’incapacité du P.O.U.M. à voir plus loin qu’un « gouvernement syndical » manifestement de collaboration de classe, pour que l’élan révolutionnaire s’essouffle et, que les ouvriers déposent les armes.

Non seulement ce fut l’assassinat d’un mouvement de révolution, au nom de la défense prioritaire de la République, mais un désastre politique à long terme. La confusion politique et la trahison stalinienne ont conflué pour enfermer jusqu’à maintenant le prolétariat espagnol dans l’idée que sa tâche est d’instaurer l’État républicain, et de faire pour cela, au besoin, l’« unité » la plus large, comme dit Santiago Carrillo, non seulement avec la bourgeoisie, mais même au besoin, avec les éléments « repentis » de la Phalange.

IV. – Qu’est-ce que l’anti-fascisme démocratique ?

Qu’est-ce qu’ont représenté alors les grandes périodes d’« unité démocratique » contre le fascisme, revendiquées par l’opportunisme, du Front Populaire et de la Résistance ? Elles ont été le prétexte pour paralyser le prolétariat et l’entraîner aux côtés de sa bourgeoisie.

Le Front Populaire : En septembre 1934, la Russie entrait à la SDN, et signait des pactes avec les États démocratiques bourgeois. Le PC français qui s’était ai difficilement constitué sur la base des 21 conditions retournait alors complètement, après le bref tournant ultra-gauche (qui n’avait rien à voir avec la position communiste), à ses sources Social-Démocrates, en prenant pour prétexte l’existence de Ligues d’extrême-droite, qui avouaient elles-mêmes leur faiblesse, au moment des élections. Le Front Populaire permit de réaliser sans trop de résistance ouvrière, malgré les queues de grève de 1936 – 1937, le programme bourgeois d’union nationale et de préparation à la guerre impérialiste que les États bourgeois menaient de leur côté.

Le PC joua un rôle actif dans le renforcement de l’État bourgeois, appelant au « maintien de l’ordre » et à l’arrêt des grèves, approuvant la loi contre les extrémistes qui servit à frapper les groupes de gauche, soutenant la politique coloniale de maintien de l’Union Française. Il reprit carrément, avec l’alibi du fascisme, le vieux programme Social-Démocrate des Bernstein, des Millerand, le programme d’alliance contre « la droite » sur des objectifs purement bourgeois, avec quelques vaines revendications petites-bourgeoises, célébrant 89, Voltaire, Jeanne d’Arc (« fille du peuple luttant contre l’envahisseur… »), reprenant en main le drapeau tricolore, d’abord pour « défendre la paix », avec des paroles complètement vides et utopiques, puis, tout naturellement, après l’intermède du pacte germano-soviétique, pour entraîner les ouvriers dans cette guerre qu’encore en 1934 l’Internationale Communiste avait condamnée d’avance, au moins verbalement, en lui opposant le défaitisme révolutionnaire.

La Résistance : le rôle des PC français ou italien après la guerre (qui ne fut nullement la « victoire de la démocratie contre le fascisme », mais celle de l’impérialisme le plus fort), fut en parfaite continuité contre-révolutionnaire avec la période du Front Populaire : la lutte dans une guerre impérialiste aux côtés de la bourgeoisie pour des buts nationaux ne pouvait qu’aboutir au soutien de cette même bourgeoisie dans la reconstruction capitaliste.

Au temps où les staliniens étaient ministres, au nom de la « nécessité de remettre en marche l’économie », et en se servant du prétexte de « complots fascistes » pour museler toute résistance, ils ont soumis les ouvriers aux lois de la productivité capitaliste, en reprenant les termes mêmes de Mussolini (« bataille du blé », « bataille du charbon »), légalisé l’abandon des quarante heures, désarmé les milices, mais armé l’État bourgeois, maté les révoltes coloniales en Algérie et à Madagascar, laissé faire en Indochine…

Cette attitude, encore une fois, n’a rien de foncièrement « nouveau », de même que le fascisme n’apporte pas de nouveauté telle qu’elle bouleverse les données de la lutte. C’est toujours la rechute dans l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise, la manifestation de la même difficulté pour le prolétariat à se constituer en classe autonome, avec son programme et son parti propres. La menace du fascisme a joué le même rôle qu’autrefois, la menace de la réaction, du Boulangisme en France par exemple, face à laquelle Guesde et Engels avaient répondu : ni Ferry ni Boulanger, car pour les communistes, il y a toujours une troisième solution : la leur. (cf. « Correspondance Engels-Lafargue », t. II, p. 141). Quand il y a eu des luttes armées, en Espagne par exemple, on a vu se reproduire, avec des différences secondaires, le même alignement de classes qu’en juin 1848 : les fractions bourgeoises se sont entendues pour écraser le prolétariat; puis une partie de la petite-bourgeoisie, (ou des partis petit-bourgeois) a essayé d’appeler ce dernier à la lutte pour le « rétablissement de l’ordre », tandis que la plus grande partie reconnaissait dans le Bonapartisme (ou dans le fascisme), le seul garant possible de l’ordre existant.

Qu’est-ce donc que l’antifascisme démocratique ? C’est la réaction normale de la petite-bourgeoisie hésitante (et même de la bourgeoisie, aussi longtemps du moins qu’elle n’est pas poussée objectivement à s’unifier) qui voudrait bien le capitalisme sans violence, le marché sans la concurrence, sans la guerre, etc…, et qui cherche, comme le disait Marx dans le « Manifeste » (Ed. Soc. p. 83) à
« porter un remède aux anomalies sociales, afin de consolider la société bourgeoise », invitant le prolétariat à « s’en tenir à la société actuelle, mais à se débarrasser de la conception haineuse qu’il s’en fait ».

L’antifascisme démocratique aux mains des partis -opportunistes qui dirigent encore la classe ouvrière, c’est une arme contre le prolétariat, un moyen pour fournir à la bourgeoisie, en cas de crise, la solution de rechange la plus économique, pour faire croire au prolétariat que l’État bourgeois pourrait être autre chose que ce qu’il est, qu’il a à choisir la meilleure forme d’État et non à briser l’État bourgeois pour instaurer son propre état de classe.

Peut-il exister une position « purement tactique » de défense de la démocratie contre le fascisme ?

1. – Nous ne posons pas la question pour le présent : les mots d’ordre transitoires des trotskistes actuels ne peuvent nullement être comparés à la tactique de l’internationale Communiste en 1921, dont ils se réclament, ainsi que le PC : en 1921, l’IC conservait encore de façon claire les buts communistes; elle n’avait pas renoncé à sa critique de la démocratie : le Front Unique consistait alors à proposer l’action commune de tous les prolétaires sur des objectifs de classe limités, pour arracher dans l’action, et par une critique sans concession, les masses à l’influence opportuniste. Il ne consistait nullement à demander au PC de réaliser « vraiment » son programme de trahison comme le font les groupes trotskistes actuels, ou à voter pour le PC « afin de ne pas démoraliser la classe ouvrière » ! En réalité, l’antifascisme des groupes trotskistes est en parfaite continuité avec le fétichisme démocratique qui s’étale, par exemple, dans le programme de « Rouge », avec le culte de la pluralité des courants de la liberté, de l’autonomie des producteurs, etc… Quant aux maoïstes, ils prétendent eux-aussi « utiliser » seulement les appels à la Résistance, les comparaisons entre patrons et « collaborateurs », etc… En réalité, ces comparaisons « tactiques » sont tout à fait cohérentes avec les objectifs populaires, c’est-à-dire d’alliance de classe, et non prolétariens, vers lesquels ils permettent de dévoyer la combativité réelle des ouvriers qu’ils entraînent.

2. – Mais la question de la tactique pourra se reposer, même si nous la considérons comme historiquement résolue. De même qu’en 1935 et en 1945, il y a sans doute actuellement des militants du PC ou d’autres partis qui croient à une « manœuvre ingénieuse », et qui s’imaginent que les partis en question vont sortir un beau jour la révolution de leur manche comme le lapin du chapeau…

Un des acquis de la Gauche que nous avons toujours souligné est d’avoir montré justement, que la liberté tactique était limitée, non pour des raisons morales, mais pour des raisons purement matérielles : on ne dirige pas la lutte de classe avec des ficelles et des astuces. Les « tournants » spectaculaires de l’internationale n’ont jamais été des tournants révolutionnaires : ces tournants ne « marchent » que quand ils vont vers l’arrière. Pourquoi ? Parce qu’on ne fait pas passer du jour au lendemain le prolétariat de l’alliance inconditionnelle à la lutte contre sa bourgeoisie, mais surtout parce qu’on ne forme pas un parti à coup d’acrobaties tactiques, sans menacer cette continuité et cette unité organique indispensables que seul peut assurer le respect scrupuleux du programme communiste. Qu’on relise (« Programme communiste », № 34, p. 20) « Organisation et discipline communiste » :

[…] « En résumé, il faut étudier la question de la discipline et de l’organisation en tenant compte de la véritable nature historique du parti qui est une organisation exprimant la tendance de toutes les luttes sociales particulières- à s’unifier dans un but commun, une organisation à laquelle on adhère volontairement. En résumant ainsi notre thèse, nous croyons être fidèles à la dialectique marxiste : l’action que le parti mène et la tactique qu’il applique, c’est-à-dire la façon dont il agit à l’extérieur, ont une influence sur son organisation et sa vie intérieures. Quiconque prétend, au nom d’une discipline illimitée, disposer du parti pour toute action, toute tactique, toute manœuvre quelles qu’elles soient, c’est-à-dire sans limites définies et connues de tous les militants, compromet fatalement l’organisation ».

Or, quelles sont les positions communistes de principe sur la démocratie ? Elles sont le condensé d’une analyse de l’alignement des classes que l’expérience a confirmées dans toutes les occasions historiques que nous avons évoquées. Ces principes, reniés définitivement par l’Internationale depuis la révolution chinoise de 1927, sont invariants depuis « Le Manifeste » et « L’Adresse à la Ligue des communistes » de 1850, qui distinguent deux situations, sans les opposer, (c’est toute la différence entre la dialectique marxiste et la théorie stalinienne ou maoïste des étapes).

1. – Avant la révolution bourgeoise : le parti essaie de prendre la direction du prolétariat qui lutte en même temps que la bourgeoisie pour détruire les entraves féodales au développement des forces productives, et en même temps, pour des revendications démocratiques, comme le suffrage universel, mais le parti montre d’avance en quoi le succès de ces revendications n’est nullement un progrès en soi, mais ne fait que déblayer plus largement le terrain de la lutte des classes. Le parti montre aussi d’avance comment la bourgeoisie se retournera aussitôt contre son allié (d’où la nécessité d’une organisation séparée du prolétariat; d’où la formule « frapper ensemble, marcher séparément », laquelle est complètement trahie dans le slogan maoïste « Les ennemis de nos ennemis sont nos amis »…).

2. – Dans les pays où la révolution démocratique a été faite depuis un ou plusieurs siècles (en Angleterre, en France, mais aussi en Italie, en Allemagne, en Espagne et en Grèce, car on ne peut s’en tenir à des critères formels : certes il n’y avait pas la République en Allemagne en 1918, mais il serait stupide d’en déduire qu’un des capitalismes les plus modernes d’Europe était alors un pays féodal !),

Ce qui est à l’ordre du jour mondialement et directement dans ces aires, ce n’est pas le maintien de (ou le retour à) la démocratie, mais la révolution prolétarienne, qui est la négation de la démocratie bourgeoise, qui implique la dictature de la classe dirigée par le parti; qui implique la violence bourgeoise contre-révolutionnaire, la terreur, l’autorité, la centralisation, la suppression des libertés démocratiques pour la bourgeoisie.

V. – La situation actuelle et les tâches du Parti

Nous ne perdons pas une occasion de montrer l’identité de contenu du point de vue du prolétariat, entre fascisme et démocratie, et pourtant, nous précisons qu’actuellement, nous sommes en période « démocratique ». Qu’est-ce que cela signifie pour nous ? Non pas que l’impérialisme soit, le moins du monde, « revenu en arrière », ait abandonné les caractéristiques, (rappelées plus haut), de « stade suprême du capitalisme ». Non pas qu’on jouisse de libertés précieuses, que le travail communiste puisse se développer librement sur une large échelle, etc…, mais que, justement parce que le prolétariat ne s’est pas encore relevé de la contre-révolution; parce que, malgré ses sursauts locaux, ou des crises comme celle de mai en France, provoquées par la pression du capital, il reste soumis à l’idéologie pacifiste, démocratique, d’unité nationale entretenue dans ses rangs par le PC, meilleur agent de la bourgeoisie; parce que, aussi, la bourgeoisie n’a pas besoin de la discipline fasciste pour maintenir sa domination de classe, pour sauver les intérêts généraux du capital. En France, par exemple, l’État réprime les franges agitées de la petite-bourgeoisie, mais il achète par ailleurs les voix de celle-ci pour les prochaines élections. La bourgeoisie peut tolérer (sans que ce soit aucunement un choix volontaire), non certes la « liberté de tous », mais ces faibles dissensions entre fractions bourgeoises qui deviendraient insupportables en cas d’assaut prolétarien.

Pourtant, la période prospère de la reconstruction qui a suivi la cure de santé que fut pour le capital mondial la dernière guerre impérialiste touche à sa fin. Les premières escarmouches de la guerre monétaire, la recherche fiévreuse de nouveaux marchés, et la remise en cause de l’équilibre mondial de Yalta sont les signes avant-coureurs de la crise de surproduction qui de nouveau menace le capitalisme. Le prolétariat sera alors poussé non pas « mécaniquement », mais de façon malgré tout inéluctable à se défendre contre l’attaque du capitalisme, lequel, à cause de la concurrence accrue, devra obligatoirement pousser la production et resserrer la discipline de l’armée productive. Alors les « forces antifascistes » seront encore là pour détourner le prolétariat vers de prétendus objectifs prioritaires. C’est ce qui se passe déjà en Italie, où la crise a produit une agitation petite-bourgeoise et prolétarienne relativement aiguë, et où le PC est en train de détourner activement les révoltes vers les « priorités démocratiques ».

Notre rôle, si faible que soit pour le moment notre influence, n’est pas de pousser le prolétariat à une action confuse (ce qui est d’ailleurs impossible !), contre un danger imaginaire, mais de diriger ses coups contre son ennemi réel et permanent, l’État bourgeois; de l’aider à ce débarrasser du programme contre-révolutionnaire qui l’entrave; de lui montrer la nécessité de la violence de classe, au lieu de la paix sociale; de revendiquer la centralisation, l’unification de classe que le fascisme a finalement empruntées à l’Internationale pour unifier, lui, la bourgeoisie, comme nous l’avons dit ouvertement et sans hypocrisie démocratique, en 1923, dans « Rome et Moscou ».

Si l’on veut un exemple d’actualité (mars-avril 1972), celui du meurtre d’un militant à Renault, que doit dire le Parti Communiste Internationale ? Non pas : « le fascisme ne passera pas », « pas de police dans l’usine, désarmons les mauvais flics. » etc… mais, sans équivoque : la démocratie tue les ouvriers comme le fascisme, et dévoile ainsi le vrai visage de sa domination de classe; il ne sert à rien de dire « pas de flic dans l’usine », car derrière les polices privées, il y a toute la force de l’État bourgeois, qui s’est mise immédiatement en action autour de l’usine. C’est cet État qu’il faut abattre par la violence, qu’il soit démocratique ou fasciste. Mais il faut prévoir que dans cette lutte-là, le prolétariat trouvera sur son chemin les faux communistes qui aujourd’hui se servent de l’antifascisme pour dévier sa lutte, et qui demain fourniront à la bourgeoisie une solution de rechange, soit pour entraîner le prolétariat dans un nouveau Front Populaire et le précipiter dans la prochaine guerre mondiale, soit pour lui tirer dessus, à la Scheidemann, au nom de la défense de la démocratie.

Qu’on relise « Les sociaux-démocrates et la violence » (12 avril 1921, in « Communisme et Fascisme » p. 45) :

« En un mot […], les sociaux démocrates [NDR : on pourrait en dire autant aujourd’hui des « communistes » du P.C.F.] sont pour la violence à condition qu’elle serve à défendre une conquête bourgeoise, une institution bourgeoise, puisqu’ils estiment que « les institutions démocratiques sont le terrain indispensable de l’émancipation du prolétariat ».
« Si la violence sert exclusivement le prolétariat et son action de classe contre le régime bourgeois, même là où ce dernier respecte les règles constitutionnelles (qui, selon nous, sont spécifiquement bourgeoises, et conviennent exclusivement à la défense d’intérêts bourgeois, tandis que pour les sociaux-démocrates, elles sont un patrimoine social placé au-dessus des classes) et surtout si la violence est dirigée contre la démocratie bourgeoise et vise à l’abolir comme la révolution Russe et la IIIe Internationale l’ont enseigné, elle devient criminelle aux yeux des sociaux-démocrates qui en arrivent logiquement à cette conclusion, que contre les tendances et les mouvements d’inspiration communiste, la violence est légitime. »

Nous avons montré que l’État bourgeois a de tout temps usé de ce que les démocrates appellent des « procédés fascistes », parce que par essence, il est l’organe du maintien de la domination d’une classe; que le fascisme n’est pas une méthode ou un comportement différent vis-à-vis de la classe ouvrière, mais l’unification provisoire de la classe bourgeoise en vue d’achever la contre-révolution commencée par la démocratie. En conséquence l’antifascisme est, soit une jérémiade petite-bourgeoise, soit, aux mains des partis qui se réclament du marxisme, une arme contre-révolutionnaire permettant de lier le prolétariat à sa bourgeoisie. Les communistes, s’ils combattent toutes les formes de la domination bourgeoise, y compris la forme fasciste, ne revendiquent pas la défense de la démocratie contre le fascisme, mais bel et bien, « le fascisme » de la classe ouvrière contre la bourgeoisie et son État.[2] Ils ne pleurent pas sur les « méthodes fascistes » : ils se réjouissent de voir la bourgeoisie rejeter le masque, et, relevant le défit, ils revendiquent intégralement, pour instaurer la dictature de la classe prolétarienne dirigée par son parti, la violence et la terreur sans lesquelles il n’y a jamais eu de grande révolution sociale.

Notes :
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  1. C’est bien sûr, la formule même de Marx, dans « l’Adresse de 1850 » à la Ligue des Communistes. [⤒]

  2. [sinistra.net] C’est une formulation extrêmement douteuse, car elle réduit le concept de « fascisme » à l’unification des forces et à la violence en soi. Le fascisme, contrairement au prolétariat révolutionnaire, vise la destruction physique de ses adversaires, car il s’agit pour lui de préserver l’ordre social d’exploitation dominant avec pour seule perspective l’approfondissement et l’extension de l’exploitation. La dictature prolétarienne, en revanche, vise à l’anéantissement social de la classe adverse (et donc de toutes les autres classes), ce qui implique des conditions totalement différentes quant à l’utilisation et à la forme de la violence.
    Pour nous, les révolutionnaires, la violence est un mal nécessaire et temporaire, imposée par la force des circonstances. Pour les défenseurs fascistes de la domination bourgeoise, qui est de toute façon structurellement basée sur la violence, la violence ouverte et impitoyable est le dernier recours et apparaît donc presque comme une fin en soi, d’où la vénération quasi cultuelle de la violence.[⤒]


Source : « Programme Communiste », № 56, Juillet 1972

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