La lettre de Lenine
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LA LETTRE DE LÉNINE
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La lettre de Lénine
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La gauche marxiste d'Italie et le mouvement communiste international
La lettre de Lénine
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(1) L'influence très grande qu'exerce la sage parole du grand communiste nous oblige à commenter sa dernière lettre, publiée dans 1' «Avanti» il y a quelques jours et dans laquelle il conseille aux communistes allemands de participer au parlement bourgeois. Une autre fois, dans une lettre adressée au camarade Serrati, Lénine avait déjà approuvé la résolution du Parti socialiste italien de participer aux élections législatives, en opposition à notre point de vue résolument abstentionniste. Dans ces deux lettres, Lénine, qui sait combien son prestige est grand, se hâte de préciser que ses informations sont rares, afin de mettre en garde ceux qui voudraient prendre trop à la lettre son jugement, dont il admet lui-même qu'il est peut-être inexact par manque de données précises.

Depuis Zimmerwald, Lénine connaît l'aversion décidée du Parti socialiste italien pour la guerre. En dehors de notre pays, cette attitude, ainsi que son adhésion à la III° Internationale, a crédité ce dernier d'une réputation supérieure à ses mérites, en le faisant passer pour un parti nettement révolutionnaire, ce qui est loin d'être exact.

La répercussion de la guerre au sein du parti a moins été le produit d'une appréciation théorique que d'une réaction sentimentale et donc souvent absurde et contradictoire.

Parmi nos camarades, même les meilleurs, nombreux sont ceux qui, adversaires acharnés de la guerre, se déclarent en même temps hostiles à toute espèce de violence. Parmi les réformistes les plus endurcis, beaucoup ont été contre la guerre, tout en acceptant l'idée de défense de la patrie. Pour beaucoup, ce fut par calcul, par prudence, rarement par conviction intime. C'est pourquoi l'opposition à la guerre n'a pas dépassé la protestation verbale. Pendant la crise de Caporetto, le P.S.I. ne tenta même pas de tirer parti de ce moment difficile pour la bourgeoisie qui put sortir sans encombre de ce mauvais pas. A ce moment-là, mais aussi plus tard, le parti s'attacha plutôt à se disculper, alors que la bourgeoisie voulait lui faire endosser une part de responsabilité dans cette défaite, au lieu de revendiquer celle qui lui revenait, sa propagande constante contre la guerre n'ayant pas été sans quelque fruit.

Pendant des journées, Turati, orateur du groupe parlementaire, faisait écho au président du conseil qui incitait à la résistance au cri de: «La patrie est sur le Grappa!» et dans le journal il pouvait parler du «péril extérieur» (le «second ennemi») sans soulever la moindre protestation du parti, ou plutôt avec son accord presque général.

Combien rares furent ceux qui, à ce moment-là, restèrent inébranlables et n'invoquèrent pas la victoire démocratique et libératrice des armées de l'Entente qui aurait réalisé l'évangile wilsonien! Les plus malins se turent, attendant l'heure propice de la lutte électorale pour présenter aux masses un beau certificat d'opposition à la guerre, et ce sont seulement les moins prudents qui parlèrent et en payent aujourd'hui les conséquences.

En ce qui concerne l'opposition à la guerre, donc, bien peu peuvent en revendiquer le mérite. Que dire alors de l'adhésion à la III° Internationale! La manière dont elle a été votée, par acclamations, permet de juger avec quelle sincérité, quelle conscience elle fut donnée!

Ceux qui sont loin et ont des nouvelles peu précises, comme le camarade Lénine, considèrent que le parti socialiste italien est dans son ensemble authentiquement révolutionnaire, c'est-à-dire qu'il s'est déjà épuré de toutes les vieilles tares social-démocratiques.

Qui sait ce que penserait Lénine s'il savait, par exemple, que les militants italiens auxquels il s'adresse et qu'il prend pour des communistes sont simplement des socialistes (différence dont désormais l'importance n'est plus mise en doute par personne)? Ou s'il savait, par exemple, qu'il y a dans le parti des social-démocrates beaucoup plus à droite que le traître-renégat Kautsky, des ennemis bien plus déclarés et tenaces du bolchevisme que lui, et cela par la volonté du directeur de «Communisme» et des maximalistes opposés aux propositions de scission faites par notre fraction, sous le prétexte qu'il fallait sauvegarder l'unité du parti étant donnée l'imminence de la bataille... électorale, afin de conquérir un plus grand nombre de sièges au Parlement.

Lénine dit qu'on ne peut faire la paix et travailler avec les Kautsky, Adler, etc.; pour nous, maintenant, il ne s'agit pas seulement de travailler ensemble, mais bien, malheureusement, de vivre dans le même parti, avec la même discipline et (ô ironie!) le même programme... électoral.

Il ne s'agit pas davantage d'unir le travail illégal au travail légal; malheureusement pour nous, on ne fait que ce dernier, le seul qu'une large fraction du parti juge utile et convenable de faire, considérant qu'il est le seul vraiment révolutionnaire.

En ce qui concerne la participation au parlement bourgeois conseillée aux communistes allemands, on ne peut pas objecter l'attitude différente observée par les bolcheviks à propos de la Douma, car les deux choses ne sont pas comparables. Pour nous la raison fondamentale de la non-participation repose surtout sur l'évaluation de la période historique que nous traversons, et nous jugeons, comme nous l'avons d'autre part amplement développé, qu'en période révolutionnaire la tâche unique du parti communiste est de consacrer toute son activité à la préparation de l'action révolutionnaire tendant à abattre par la violence l'État bourgeois et à préparer la réalisation du communisme.

Dans cette question extrêmement importante est impliquée toute la fonction essentielle du parti, comme cela est apparu nettement en Allemagne où tous les partisans de l'action parlementaire, les Scheidemann et les Kautsky, se révélèrent des opportunistes au moment de l'écroulement de l'Empire.

Dans des pays qui n'ont pas de tradition démocratique, comme la Russie, c'est aux moments critiques que l'opportunisme se révèle; dans nos pays de vieille démocratie, au contraire, nous n'avons pas besoin d'attendre ce genre de crises pour juger certaines fractions dont la conduite a toujours été opportuniste, collaborationniste et anti-révolutionnaire, comme la fonction parlementaire l'exige et l'impose.

Nous nous étonnons que Lénine mette dans le même sac, comme s'il s'agissait de la même chose, la renonciation à participer aux parlements bourgeois et le refus de quelques communistes allemands d'entrer dans les syndicats réactionnaires, conseils d'usine, etc. Pour nous, il s'agit de deux choses qui ne peuvent être assimilées l'une à l'autre. Le parlement est un organe bourgeois, sa fonction exclusive est de défendre les intérêts de la bourgeoisie et il disparaîtra lors du renversement de la domination bourgeoise. Le syndicat ouvrier, au contraire, est un organe strictement de classe, et, même si son œuvre est aujourd'hui réactionnaire du fait de l'inconscience de ses chefs, on peut et on devra le ramener à sa véritable fonction.

Du moment que le parlement doit être abattu, les communistes n'ont pas intérêt à y intervenir; il n'en est pas de même du syndicat, du conseil ouvrier, etc., qui, en régime bourgeois, ne font œuvre révolutionnaire qu'autant qu'ils sont pénétrés d'esprit communiste, agissent sur les directives des communistes, sous leur impulsion et leur contrôle et qui, en régime communiste, seront des organes agissants utiles, et pas seulement en raison de leur structure.

Si les communistes allemands veulent boycotter ces organisations ouvrières, il se peut que ce soit pour des raisons de sécurité, pour se soustraire aux persécutions des espions que cette canaille social-démocratique de Noske y a répandus; mais s'ils le font par penchant pour la conception anarcho-syndicaliste de la révolution, inutile de rappeler que nous sommes des adversaires résolus d'une telle attitude parce que parfaitement d'accord avec Lénine sur la nécessité d'un parti politique fort et centralisé qui soit le cerveau, l'âme et le guide du prolétariat dans sa lutte d'émancipation.

C'est dans ce but que nous continuons notre action opiniâtre pour que les communistes se séparent des sociaux-démocrates, cette scission étant pour nous indispensable à la victoire du communisme.

Notes:
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  1. Paru dans «Il Soviet», 3° année, No 2, 11 janvier 1920 [back]

Source: «Programme Communiste», numero 58, avril 1973

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