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LA « MALADIE INFANTILE », CONDAMNATION DES FUTURS RENÉGATS (V)


Ce texte est le plus exploité et le plus falsifié depuis 100 ans par tous les charognards opportunistes. L’usage impudent qu’ils en font suffit à les caractériser.


Table de matières :

La « maladie infantile », condamnation des futurs renégats. Sur la Brochure de Lénine « La maladie infantile du communisme (le ‹ gauchisme ›) ». Table de matières
Préface
I. La scène du drame historique de 1920
II. Histoire de la Russie, ou de l’humanité ?
III. Points cardinaux du bolchevisme : centralisation et discipline
IV. La trajectoire accélérée du bolchevisme

V. Lutte contre les deus camps antibolcheviks : le réformisme et l’anarchisme
Les injures contre octobre
La Russie et le reste de l’Europe
Source

VI. Clé des « compromis permis par Lénine »
VII. Appendice sur les « questions italiennes »


La « maladie infantile », condamnation des futurs renégats. Sur la Brochure de Lénine « La maladie infantile du communisme (le ‹ gauchisme ›) »

V. Lutte contre les deus camps antibolcheviks :
le réformisme et l’anarchisme

Les injures contre octobre

Trois ans après leur victoire les bolcheviks devaient faire face à deux vagues venimeuses, et les polémiques éclataient dans un monde en incandescence. De la réponse faite à ces deux bandes d’assaillants dépendrait l’armement du mouvement prolétarien en Russie et ailleurs dans son combat dont le but ne faisait alors question pour personne : provoquer la chute du pouvoir bourgeois, au moins dans quelques-uns des principaux pays d’Europe, avant que ne ont fin la crise ouverte par la première guerre mondiale et l’effondrement du tsarisme et du capitalisme russe.

Ces deux vagues de calomnies se fondaient sur les mêmes radotages anti-marxistes. Pour les bourgeois, il était utile, et pour les petits-bourgeois et même les semi-prolétaires (contre la déficience historique de ces deux dernières classes, la « Maladie infantile » est l’acte d’accusation le plus écrasant qu’on ait jamais écrit) il était fatal de croire au même cliché : Les bolcheviks de Lénine avaient fait arbitrairement une révolution qu’ils n’auraient pas dû faire. D’après les droitiers, les social-chauvins de 1914, ils n’auraient pas dû gêner la guerre que menait le tsar au côté des démocraties impérialistes, ou à la rigueur juste écarter le tsar pour mieux pousser la population russe au massacre mondial. Ces châtreurs du marxisme reconnaissaient bien à la Russie le droit de faire une révolution, mais elle devait être libérale et non prolétarienne et socialiste, parce que le développement économique russe n’avait pas atteint le stade « voulu », et qu’il fallait absolument attendre que l’Europe avancée bougeât d’abord. Arguments respectivement social-patriotique et social-réformiste.

Passer outre ces deux obstacles historiques, c’était attenter à la démocratie, et, en fin de compte, au matérialisme marxiste, que l’on voulait déjà transformer en paillasson de la démocratie.

De l’autre côté, celui que l’on pouvait, dans un ouvrage de vulgarisation, appeler de gauche (quarante ans de survie ne nous donnent pas le droit de chicaner Lénine sur le choix de ses mots les temps d’alors n’étaient pas croupis, mais bouillonnants de gloire; au printemps de 1920 l’astre de la révolution était en outre sur le point de décliner, et l’on abattait les dernières cartes dans cette terrible partie. Lénine savait que le déclin en Europe, c’était aussi le déclin en Russie; que les dernières lueurs s’éteignissent par la faute de corrupteurs perfides ou de naïfs pleins de bonne foi revenait au même : il fallait parler fort, sans tarder ni ergoter). De ce côté, donc, dit « de gauche » pour raisons d’urgence, on commença à se faire l’écho lamentable des bourgeois, en déclarant que le parti bolchevik avait forcé l’histoire et empêché les masses de suivre leur libre voie afin d’imposer sa domination, son pouvoir, l’intérêt d’un groupe dirigeant qui s’était mis à opprimer à sa façon ce prolétariat qu’on avait trop vite cru vainqueur.

C’est là une infamie pire que l’autre, et qui révèle toute l’abjection du petit bourgeois libertaire : le Parti incarne pour lui la soif du pouvoir, soif née du désir d’exploiter « le peuple », et qui s’assouvit au moyen de l’État, du gouvernement instauré pour conduire la révolution; tout gouvernant ne peut être qu’un oppresseur.

Nous affirmons qu’aucun mouvement ne fut aussi étroitement lié à Lénine que la Gauche marxiste italienne dans la lutte contre ces insanités, que nous condamnons aujourd’hui aussi catégoriquement qu’en 1920. Notre dénonciation du stalinisme et du khrouchtchevisme (plus traître encore) n’a rien à voir avec des jérémiades du genre tout le mal vient de ce qu’ils ne veulent pas lâcher le pouvoir.

Cependant, en 1920 cette maladie se propageait dans presque tous les partis de gauche, en Europe et en Amérique il est vrai, en un sens, qu’un doctrinarisme « de gauche » aussi tapageur est plus dévastateur que le doctrinarisme de droite, et Lénine eut raison de le pourfendre sans pitié en cette heure décisive, même s’il fait constamment la différence entre les deux périls. Il disait qu’avant comme après la conquête du pouvoir, l’esprit petit-bourgeois est plus dur à vaincre que la puissance de la grande bourgeoisie. Sa perspicacité a été confirmée par notre amère expérience c’est le premier qui a assassiné la révolution et plongé le prolétariat dans la léthargie. La bourgeoisie n’a pas vaincu grâce à la droite (par le fascisme) mais en s’appuyant sur la gauche (et la corruption de la classe ouvrière par le démocratisme et le libertarisme).

Ces ignominies trouvaient leur couronnement dans la thèse suivante : c’était à cause de l’état social arriéré de la Russie, de l’absence de tradition démocratique, de la profonde ignorance de cette population barbare, asiatique, primitive – bref, des caractères « nationaux », que la révolution avait emprunté cette voie Cette voie que nous léninistes définissons par le recours à la violence, l’insurrection, la destruction de l’État existant, la dictature du parti prolétarien, la terreur révolutionnaire, l’écrasement des partis adverses – et que nous traçons aujourd’hui comme hier à tous les pays.

Lénine dit des réformistes et des anarchistes, grands admirateurs de la civilisation bourgeoise « Le petit-bourgeois mis hors de lui par les horreurs du capitalisme, c’est là un phénomène social propre, comme l’anarchisme, à tous les pays capitalistes. L’inconstance de ces velléités révolutionnaires, leur stérilité, leur facilité à se changer rapidement en soumission, en apathie, en imaginations fantastiques, même en un engouement enragé pour telle ou telle tendance bourgeoise ‹ à la mode › (comme aujourd’hui la « science-fiction », la technique, les conquêtes scientifiques. NdR), tout cela est universellement connu ».

Eh bien ! A en croire ces deux voix accordées pour calomnier la révolution russe, dans les pays plus « civilisés », peuplés de gens instruits (c’est-à-dire plus abêtis par l’école de la classe dirigeante et le culte d’une culture standardisée) ces atrocités ne seraient pas nécessaires, et la persuasion, la « voie démocratique » et « pacifique » permettraient d’éviter les « horreurs d’Octobre ».

Qui donc a pris aujourd’hui la double succession de ces doctrinaires de « droite » et de « gauche » qui injuraient Lénine, sinon la clique corrompue qui a rédigé à Moscou ce Manifeste de charlatans ? Et qui mérite plus les flèches acérées décochées par Lénine aux opportunistes de 1920 que les corbeaux de la sacristie du Kremlin ?

La Russie et le reste de l’Europe

Il est donc juste de revendiquer « La Maladie infantile », non contre nous, défenseurs du marxisme révolutionnaire intégral, mais contre tous les supporters de l’écurie khrouchtchevienne. Nous croyons avoir suffisamment montré que cet ouvrage anéantit l’hérésie stalinienne du « socialisme dans la seule Russie », puisque Lénine commence sa démonstration de la signification historique d’Octobre, qu’il doit défendre contre des détracteurs malhonnêtes, en établissant la portée internationale de l’expérience russe.

Nous n’avons rien à objecter à sa conclusion : Il faut se garder du doctrinarisme de droite qui aboutit au plus pur libéralisme bourgeois et à la complicité avec le régime capitaliste, dans la guerre comme dans la paix; il faut se garder tout autant du doctrinarisme de « gauche », c’est-à-dire petit-bourgeois, qui conduit à un souci stupide de pureté morale individuelle, assurés par des refus platoniques qui libéreraient le « révolté » en laissant la société enchaînée. Cela vaut pour tous les pays, parce que le danger existe partout, et les bolcheviks ont montré, par l’histoire de leur parti, qu’ils surent s’en défendre à temps.

Avant d’aborder la question de la « tactique », qui a donné lieu à tant de discussions, Lénine nous donne un point d’appui solide en indiquant quels traits de la révolution bolchevique sont internationaux au sens étroit du terme. Nous avons déjà cité ce passage, et nous bornerons ici à cette phrase : « L’expérience a prouvé que dans certaines questions capitales de la révolution prolétarienne, tous les pays procéderont comme l’a fait la Russie. »

Le fait que Lénine affirme qu’il s’agit de parvenir à la dictature du prolétariat en Europe occidentale – point de départ de toute sa démonstration – et qu’il n’y a pas pour y arriver d’autre voie que celle-là, dont il a défini les caractéristiques plutôt deux fois qu’une, suffit amplement à faire justice de la théorie de Staline sur la « construction de l’économie socialiste dans la seule Russie », ainsi que de la formule du XXe Congrès qui semblait condamner le fantôme de Staline : « Chaque pays va par sa propre voie au socialisme », et enfin de la formule actuelle de Moscou « Désormais, le monde entier s’achemine pacifiquement vers le socialisme ».

Ainsi ce que Lénine tenait pour obligatoire est devenu d’abord facultatif, puis pratiquement interdit – et cela au nom du « marxisme-léninisme » !

Nous allons citer encore deux ou trois extraits du chapitre X, intitulé « Quelques conclusions ». Lénine y opère sans ménagement, pour tenter de guérir cette maladie infantile, dont il noircit les symptômes, tout en formulant un pronostic optimiste. Pour notre part, nous nous attachâmes avant tout à combattre la maladie sénile, dont le pronostic était très sombre. Il n’est que trop facile maintenant de voir que nous avions raison d’agir ainsi. Si seulement nous avions eu tort !

Toujours est-il que dans cette envolée passionnée notre pénétrant théoricien semble avoir dénoncé d’avance (brièvement il dit lui-même qu’il ne prétend pas faire autre chose que de brèves remarques de publiciste) les ignominies que nous allions connaître en 1928, 1956, 1960…

« Moins de deux ans plus tard, on a vu se manifester le caractère international des soviets, l’extension de cette forme de lutte et d’organisation au mouvement ouvrier universel, la vocation historique du soviet d’être le fossoyeur, l’héritier, le successeur du parlementarisme bourgeois, de la démocratie bourgeoise en général. »

Lénine paraît se poser la question du XXe congrès : Y a-t-il encore dans le monde des différences nationales ? Et il répond Oui, « rechercher… saisir ce qu’il y a de particulier et de spécifiquement national dans la manière dont chaque pays aborde concrètement la solution du seul et unique (c’est lui qui souligne) problème international, la victoire sur l’opportunisme (de droite, N.d.R) et sur le doctrinarisme de gauche au sein du mouvement ouvrier, le renversement de la bourgeoisie, l’établissement de la République des soviets et de la dictature du prolétariat, telle est la tâche essentielle assignée à tous les pays avancés (et aux autres aussi) par notre époque. »

Et il continue : « le principal – pas tout évidemment, tant s’en faut, mais le principal cependant – est déjà fait, puisque l’avant-garde de la classe ouvrière est venue a nous est passée du côté du pouvoir des soviets CONTRE LE PARLEMENTARISME, du côté de la dictature du prolétariat CONTRE LA DÉMOCRATIE BOURGEOISE. » (les majuscules sont de nous).

Il faudrait tout citer, mais il est clair que ce que Lénine donnait pour déjà fait a été défait par les crapules qui invitent les prolétaires à lutter pour la paix, la démocratie, la liberté nationale et parfois aussi, dans un dernier souffle… pour le socialisme. Mais un socialisme pasteurisé, bien sûr, émulatif, surtout pas imposé, ni jamais au grand jamais instauré par les armes !

Nous lisons à la fin du chapitre « les communistes doivent appliquer tous leurs efforts à diriger le mouvement ouvrier, et en général l’évolution sociale, par la voie la plus directe et la plus rapide vers la victoire universelle du pouvoir des Soviets et vers la dictature du prolétariat. »

Et voici le dernier alinéa « la révolution universelle reçoit des atrocités, des turpitudes, des abominations de la guerre impérialiste mondiale et de la situation sans issue qui en résulte une si puissante impulsion, elle en est tellement accélérée, elle se développe en largeur et en profondeur avec une si surprenante rapidité, avec une si magnifique richesse de formes successives, avec une si édifiante réfutation pratique de tout doctrinarisme, que nous avons tout lieu de croire que le mouvement communiste international guérira rapidement et complètement de la maladie infantile appelée communisme ‹ de gauche ›. » (Remarquons a cette occasion que dans les textes de 1920, « de gauche » est toujours mis entre guillemets.)

Sur sa lancée optimiste (tout révolutionnaire doit être optimiste), Lénine voit venir la révolution hors de Russie, et c’est à elle que vont toutes ses pensées. Par « magnifique richesse de formes successives » il n’entend nullement signifier que pour échapper au doctrinarisme il faille jeter aux orties les caractéristiques proprement internationales de la révolution, c’est-à-dire la dictature du prolétariat et la destruction de la démocratie. Quand ce danger lui est apparu, il n’a plus parlé de maladie, mais de mort.

Ceux qui se vantent d’avoir combattu en nous l’infantilisme n’ont guéri personne de la maladie gauchiste. Ils sont morts de la maladie de droite; vivants, ils ont calomnié Lénine, et leurs cadavres puants étalent les bubons de la peste opportuniste.



Source : « Les textes du parti communiste international » № 5, « édition programme communiste » 1972. Traduit de « Il Programma Communista » 1960–61

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