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RELIGION, SCIENCE, MARXISME


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Religion, science, marxisme
Sur l’arc de cent années
La victoire de la science est dans le marxisme
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Religion, science, marxisme

Le 24 novembre 1859 apparut dans les librairies de Londres un livre qui devait révolutionner les sciences naturelles : « L’Origine des espèces » de Charles Darwin. Il signait une étape dans l’élaboration de la pensée matérialiste moderne dont les vigoureux débuts avaient été l’œuvre des encyclopédistes français à la fin du dix-septième siècle, et qui devait ensuite connaître son sommet dans l’œuvre de Marx et dans la doctrine du matérialisme dialectique.

L’importance des doctrines évolutionnistes de Darwin sur le terrain de la connaissance scientifique de la matière organisée vivante est sans aucun doute comparable à celle des Copernic, Kepler, Galilée ou Newton, fondateurs de la mécanique céleste moderne, pour ce qui est de la connaissance du monde physique et de l’univers stellaire. Les découvertes de ces génies de la recherche astronomique devaient conduire aux hypothèses sur la formation des corps célestes et en particulier du système solaire. Depuis l’époque où Kant et plus tard Laplace formulèrent la fameuse hypothèse de la formation du système solaire à partir de l’émission de matière du soleil, les théories cosmogoniques se sont succédées. A chaque fois, elles différent profondément les unes des autres; mais elles ont toutes en commun de s’appuyer sur le principe de l’évolution du cosmos. Les découvertes modernes de l’astrophysique ne permettent pas de douter que les constellations, les étoiles, les planètes, la terre elle-même, ont une « histoire », qui se mesure peut-être en milliards d’années. Les corps célestes ne sont ni fixes, ni éternels : ils sont en perpétuel mouvement. Ils naissent, durent et se transforment dans l’immensité de l’espace. La matière évolue continuellement. Le monde physique et l’univers stellaire que nous observons ne sont que le stade actuel d’un processus évolutif incontestable, même si, dans l’état présent de notre savoir, nous n’en connaissons pas encore toutes les lois de son développement.

Avant Darwin, l’évolutionnisme cosmique était une grande conquête de la pensée matérialiste; mais il manquait alors une doctrine qui explique de façon matérialiste les lois qui régissent le règne vivant. L’univers apparaissait peuplé de corps en perpétuelle évolution. L’hypothèse de la nébuleuse formulée par Kant en 1755 et perfectionnée ensuite par Laplace avait chassé le mythe créationniste, au moins à l’intérieur des limites du système solaire. Mais il semblait inattaquable dans le domaine de la biologie, et il continuait en définitive à apparaître comme la seule explication des origines de l’homme, homme dont la nature était décrite par la religion comme une contradiction entre matière et esprit, corps et âme. La gloire impérissable de Darwin est d’avoir dévoilé le mystère qui entourait l’origine de la vie sur Terre. « L’origine des espèces » arrivait à gagner à l’évolution le grand règne de la matière organisée vivante; il introduisait le principe dialectique de la transformation dans le domaine de la biologie. Depuis sa parution nous savons que le mouvement éternel de la matière n’est pas seulement à l’origine des corps célestes, mais aussi des formes dans lesquelles se manifeste la vie sur Terre. Le mythe de la création séparée des espèces, animales et végétales, que l’on croyait fixes et immuables, s’est écroulé comme s’était écroulé après Copernic le mythe des étoiles fixes au huitième ciel. Dans la grande conception darwinistes qui rencontra immédiatement l’accord de Marx et d’Engels, le monde biologique qui nous entoure aujourd’hui n’existe pas depuis toujours, mais est le résultat d’une longue et complexe transformation et les espèces animales et végétales vivant aujourd’hui – espèce humaine comprise – sont les descendants d’espèces disparues.

Mais la véritable victoire de la pensée matérialiste ne réside pas tant dans le principe de la transformation des espèces, que dans le fait que la transformation biologique est expliquée par des facteurs absolument naturels. Dans la lutte contre un environnement hostile (provoqué par exemple par un changement climatique), les espèces vivantes sont contraintes de développer certaines fonctions organiques, d’acquérir de nouveaux caractères somatiques qui, transmis héréditairement, finissent par constituer les traits fondamentaux de nouvelles espèces, douées de meilleures défenses organiques et donc, capables de survivre. De cette façon l’évolution du monde inorganique, minéral, est inséparablement liée à l’évolution multiforme de la vie. Comme dit Engels, l’esprit apparaissait comme le niveau le plus élevé atteint par l’organisation de la matière. Le darwinisme représente en ce sens une étape très importante et une bataille remportée par la pensée matérialiste moderne.

Le Darwinisme comblait une grande lacune que la pensée matérialiste avait laissée derrière elle. Les Encyclopédistes avaient déjà atteint des résultats si satisfaisants qu’Engels, un siècle après, pouvait recommander aux social-démocrates allemands de traduire et de publier leurs œuvres, et que Lénine, suivant Engels, le recommandait aux communistes russes en 1922. Mais à leur époque il manquait les précieux matériaux documentaires accumulés par les recherches géographiques, géologiques, paléontologiques, que Darwin devait interpréter génialement pour y lire l’histoire secrète de la vie sur Terre.

Cependant les matérialistes, auxquels Darwin fournissait une arme formidable dans la lutte contre l’idéalisme et la superstition religieuse, ne surent pas se rendre compte de la raison, apparemment paradoxale, pour laquelle la science avait dû peiner bien davantage pour arracher Dieu de la Terre que pour l’arracher du ciel.

Si à la honte des grands progrès scientifiques réalisés dans l’investigation de l’univers et de la vie, la superstition religieuse continuait à dominer les consciences, ceci devait être expliqué avant tout en analysant de façon matérialiste les origines de la religion. Il fallait démontrer que la superstition religieuse n’a pas son origine dans « l’ignorance des masses », c’est-à-dire dans une condition culturelle, mais dans l’oppression des masses écrasées par le mécanisme de la domination de classe. Le matérialisme devait dire la vérité suprême, à savoir que la superstition religieuse qui subjugue et endort les masses, n’est pas le résultat d’un duel d’idées dans le secret des consciences, mais la seule manière non révolutionnaire de réagir à l’injustice, aux abus, aux délits impunis, au règne de la terreur, inséparablement liés à la division en classes économiques dans la société; et que la victoire de la science sur la religion ne peut être le résultat d’une prédication illuministe, mais la conséquence nécessaire d’une transformation sociale qui fasse disparaître l’effrayante condition matérielle des masses. Cette tâche ne pouvait revenir aux penseurs de la bourgeoisie, mais uniquement à l’avant-garde de la classe qui s’oppose historiquement à celle-ci : au communisme révolutionnaire, au marxisme.

Des doctrines ouvertement matérialistes ont accompagnée à toutes les époques les progrès de la recherche scientifique. Le matérialisme est ainsi né au moment des républiques de la Grèce classique et de Rome. Mais ni les découvertes des grands scientifiques de l’antiquité, ni celles qui jetèrent les bases de la science moderne ne sont arrivées à ébranler la domination de la religion. L’intellectuel bourgeois peut, sans changer son statut social, rejeter la superstition religieuse et embrasser les doctrines athées. Mais pour les grandes masses il est impossible de continuer à vivre dans les atroces conditions imposées par la division en classes et de se libérer en même temps des croyances religieuses. La religion est « l’opium du peuple », l’alcool spirituel, dont les masses ont besoin pour oublier leur condition et apaiser leur soif de justice. Seul l’ouvrier avancé qui a brisé les chaînes de la résignation et qui se consacre à la lutte contre le capitalisme en embrassant le programme et la théorie marxistes, peut se débarrasser de la religion.

Il n’y a pas d’autre explication possible de la persistance de la religion en dépit des progrès scientifiques.

Sur l’arc de cent années

Reportons nous un peu aux faits. Au cours des cent ans qui nous séparent de « L’Origine des espèces », la doctrine évolutionniste a accumulé une quantité énorme de preuves. Les réalisations de la chimie et de la biochimie, qui réussirent à produire en laboratoires des substances organiques présentes dans les organismes vivants, ont complètement démantelé la barrière fictive entre monde inorganique et monde organique, entre le règne minéral et les deux règnes de la vie. Ainsi, avant même la publication du livre de Darwin, Wöhler, en 1828, avait réussi à produire l’urée en laboratoire, démontrant qu’on n’avait pas besoin de la « vis vitalis » (le « souffle vital ») des créationnistes pour obtenir des substances organiques. Bien plus importantes sont les synthèses réalisées par les biochimistes ces dernières années.

En partant d’éléments comme le carbone, l’hydrogène, l’oxygène, l’azote, le soufre, etc., les biochimistes sont aujourd’hui capables de produire artificiellement les substances organiques qui constituent la base de la matière vivante, des hydrocarbures aux aminoacides. Cela signifie que la science, en partant de substances minérales, peut produire, en se passant du souffle divin, les substances qui constituent les êtres vivants. La science biochimique s’arrête pourtant aux aminoacides, substances qu’Oparine appelle les « briques » de la molécule de protéine : elles se forment rapidement dans un mélange gazeux de méthane, d’ammoniaque, d’hydrogène et de vapeur d’eau. La science n’arrive pas à produire artificiellement les protéines aux structures plus complexes. Quand cela sera réalisé, on sera alors rapproché de la production artificielle du protoplasme, la « base matérielle à partir de laquelle se développe le phénomène vital ». Le protoplasme, base du corps des différentes bactéries, diatomées, des différents végétaux et animaux, se présente comme une masse grisâtre semi-liquide, mucilagineuse, dont la constitution se compose, en plus de l’eau, surtout de protéines et autres substances organiques et de sels inorganiques.

« Le protoplasme n’est cependant pas un simple mélange de toutes ces substances, il a une composition interne très complexe. Les particules de protéine et d’autres substances qui le composent ne sont pas disposées en désordre comme dans une solution, mais selon un ordre bien défini, selon des lois déterminées. L’organisation du protoplasme est telle qu’elle peut rendre possible les transformations chimiques que l’on constate dans l’échange de substance ».

La difficulté du passage en laboratoire des aminoacides aux protéines consiste précisément dans la disposition selon l’ordre naturel de centaines d’aminoacides d’espèces différentes. En effet chaque protéine se différencie d’une autre non seulement par le nombre d’aminoacides, mais aussi par l’ordre de ceux-ci dans l’édifice moléculaire. Il faut savoir que les permutations, c’est-à-dire les changements de place, pour seulement dix objets, dépassent les trois millions six cent mille. Et les aminoacides présents dans la molécule de protéine sont au nombre de plusieurs centaines, et de plus de 20 espèces différentes.

« Malheureusement« - observe Oparine - « jusqu’à présent l’homme n’a réussi à établir l’ordre des aminoacides que dans quelques protéines aux structures les plus simples. Mais ce n’est qu’une question de temps, puisqu’en principe personne ne doute plus de la possibilité de reproduire artificiellement les substances protéiques. »

Ce qui compte en fait pour le matérialiste, c’est que les conditions reproduites artificiellement par le biochimiste puissent être imaginées dans le grand laboratoire de la nature. On peut reconstituer par la pensée, sans tomber dans le fantastique, les processus de synthèse qui donnèrent naissance, aux hautes température régnant à l’époque d’un Terre dégagée depuis peu du soleil, aux carbures et aux hydrocarbures, substances fondamentales de la matière vivante. La science chimique démontre en outre qu’on peut obtenir les hydrocarbures en traitant les carbures par de la vapeur d’eau surchauffée. Eh bien, sur la Terre nouvelle-née, il y a environ trois milliards et demie d’années, les carbures se trouvaient en état de fusion et l’atmosphère était constituée d’une dense couverture de vapeur d’eau bouillante, conditions suffisantes pour la formation de ces hydrocarbures, composés de carbone et d’hydrogène auxquels s’ajoutent, pour les plus complexes, l’oxygène, le soufre, l’azote. Quand, par suite du refroidissement de la planète qui dissipait sa chaleur dans l’espace interplanétaire, la température de l’atmosphère approcha les 100 degrés, les vapeurs d’eau bouillante se condensèrent et formèrent le grand océan primordial. Avec la vapeur d’eau, les hydrocarbures se condensèrent eux aussi, de sorte que les eaux chaudes de l’océan devinrent un immense laboratoire, où les hydrocarbures passèrent des formes simples aux formes les plus complexes. Qu’est-ce qui le prouve ? Le fait que dans les laboratoires chimiques on réussisse à obtenir sans l’intervention de forces autres que naturelles, des hydrocarbures complexes : les graisses, les sucres, et, enfin, les aminoacides.

Oparine écrit : « Durant le processus de développement de notre planète durent donc se former, dans les eaux de l’océan primordial, de nombreux composés similaires aux protéines et aux autres substances organiques qui constituent aujourd’hui les êtres vivants. Il s’agissait encore naturellement, pour ainsi dire, de matériaux de construction : ce n’étaient encore que des « briques » et du ciment avec lesquels on pouvait construire l’édifice- mais cet édifice n’était pas encore construit. Les substances organiques se trouvaient dans les eaux de l’océan à l’état dissous : leurs particules, les molécules étaient disséminées sans ordre dans l’eau. Il manquait encore la structure, l’organisation qui est le propre de tout être vivant ».

Le fidéiste pourrait objecter à ce moment que c’est le dessein divin qui dote d’organisation et de structure les particules de substance organique disséminées dans l’océan. Au contraire, la science, bien qu’elle n’est pas encore capable de fabriquer les protéines, a prouvé comment on peut obtenir des associations (qui, dans le langage technique prennent le nom de « coacervats ») de substance protéique : les « gouttes de coacervats » obtenues par les scientifiques russes, ont démontré qu’elles avaient la possibilité de remplir quelques unes des fonctions propres du protoplasme, comme l’immiscibilité l’échange de substance avec le solvant, et de donner lieu à des processus de création (synthèse) de nouvelles substances. Naturellement le coacervat n’est pas encore la vie; il possède une structure bien moins complexe que celle que l’on observe dans le protoplasme. Mais il montre la voie le long de laquelle la matière brute a pu se transformer, au cours de millions d’années d’évolution, en matière vivante.

La victoire de la science est dans le marxisme

Il serait utile de continuer à suivre la fascinante histoire de la vie, mais ce n’est pas le sujet de cette note. Ce qu’il est important de souligner à l’occasion du centenaire de L’origine des espèces, c’est l’insuffisance du matérialisme non marxiste, son incapacité à combattre victorieusement la religion. Voici une masse énorme de découvertes scientifiques qui battent en brèche le principe de la création du monde à partir de rien; voici reconstituée, évidemment dans les grandes lignes, l’histoire de la Terre et des êtres vivants qui la peuplent sans qu’à aucun moment de cette merveilleuse narration on ait besoin de faire intervenir une puissance surnaturelle ! Il semblerait que la religion ait dû disparaître depuis longtemps. Et qu’arrive-t-il au contraire ? Un petit nombre de personnes excepté, la grande masse des hommes lui est encore soumise. Voila un phénomène que le matérialisme non marxiste est incapable d’expliquer.

En célébrant le centenaire de L’origine des espèces, le biologiste anglais Julian Huxley a déclaré à l’Université de Chicago, devant deux mille scientifiques, que la religion est destinée à disparaître et
« à laisser la place à un nouvel ordre d’idées, à une nouvelle mentalité logique. Dans le cadre de la pensée évolutionniste il n’y plus place ni besoin d’êtres surnaturels capables de modifier le cours des événements. La Terre n’a pas été créée. Elle a toujours évolué, et ainsi l’ont fait tous les animaux et les plantes qui l’habitent, y compris nous-mêmes, les êtres humains, âmes et esprits, comme simples cerveaux et corps. Et il en est ainsi advenu des religions. Elles sont des organisations de la pensée humaine dans son intégration avec le monde complexe, inquiétant, avec qui l’homme a toujours à faire… c’est-à-dire le monde externe de la nature et le monde de sa propre nature ».

Huxley montre clairement la nature de son matérialisme quand il pronostique que « les religions sont destinées à disparaître dans la compétition avec d’autres organisations de la pensée plus vraies et plus larges ». Évidemment, le fait qu’un siècle de confirmations de l’évolution n’ait pas réussi à affaiblir la religion n’a rien appris à notre scientifique. Il ne sait pas appliquer le matérialisme à l’histoire, aux sciences sociales, comme ne savent pas le faire les bourgeois. Lénine l’explique dans un article publié en 1909, mais toujours aussi actuel aujourd’hui qu’il y a cinquante ans :

« Pourquoi la religion se maintient-elle dans les couches arriérées du prolétariat des villes, dans les vastes couches du semi-prolétariat, ainsi que dans la masse des paysans ? Par suite de l’ignorance du peuple, répond le progressiste bourgeois, le radical ou le matérialiste bourgeois. Et donc, à bas la religion, vive l’athéisme, la diffusion des idées athées est notre tâche principale. Les marxistes disent : c’est faux. Ce point de vue traduit l’idée superficielle, étroitement bourgeoise, d’une action de la culture par elle-même. Un tel point de vue n’explique pas assez complètement, n’explique pas dans un sens matérialiste, mais dans un sens idéaliste, les racines de la religion. Dans les pays capitalistes actuels, ces racines sont surtout sociales » (Lénine, « De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion », Œuvres, tome 15, p.436).

Voilà un exemple d’application du matérialisme dans le « domaine des sciences sociales » ! Voilà la différence entre le matérialisme bourgeois et le matérialisme dialectique ! Voilà, surtout, la raison pour laquelle nous avons défini la révolution darwiniste seulement comme une étape de la pensée matérialiste, même si le darwinisme est capable, à la lumière des dernières acquisitions de la biochimie, d’expliquer l’évolution du monde biologique de façon matérialiste ! Le texte de Lénine montre l’impuissance du matérialisme bourgeois à expliquer les phénomènes sociaux.

Le savant matérialiste contemple la masse de documents qui confirment l’écrasante défaite de la religion sur le terrain critique et doctrinal, et il est stupéfait de constater que sur le terrain social, c’est la science qui est battue dans la lutte contre l’influence de la religion sur les esprits. Il est incapable de discerner les « racines » de la religion parce que, s’il étudie la nature de façon matérialiste, il s’obstine au contraire à considérer les faits sociaux de façon idéaliste, comme s’ils étaient la mise en œuvre de telles ou telles idées. Il faut renverser complètement cette méthode et considérer « ce que pensent les gens comme une conséquence de ce qu’ils sont socialement ».

« La situation sociale défavorisée des masses travailleuses, leur apparente impuissance totale devant les forces aveugles du capitalisme, qui cousent, chaque jour et à toute heure, mille fois plus de souffrances horribles, de plus sauvages tourments aux humbles travailleurs, que les événements exceptionnels tels que guerres, tremblements de terre, etc, c’est là qu’il faut rechercher aujourd’hui les racines les plus profondes de la religion. ‹ La peur a créé les dieux ›. La peur devant la force aveugle du capital, aveugle parce que ne pouvant être prévue par les masses populaires, qui, à chaque instant de la vie du prolétaire et du petit patron, menace de lui porter, et lui apporte, la ruine ‹ subite ›, ‹ inattendue ›, ‹ accidentelle ›, qui cause sa perte, qui en fait un mendiant, un déclassé, une prostituée, le réduit à mourir de faim, voilà les racines de la religion moderne que le matérialiste doit avoir en vue, avant tout et par dessus tout, s’il ne veut pas demeurer un matérialiste primaire. Aucun livre de vulgarisation n’expurgera la religion des masses abruties par le bagne capitaliste, assujetties aux forces destructrices aveugles du capitalisme, aussi longtemps que ces masses n’auront pas appris à lutter de façon cohérente, organisée, systématique et consciente contre ces racines de la religion, contre le règne du capital sous toutes ses formes« . (op. cit.)

Les grandes victoires remportées par la pensée matérialiste, à l’époque de la révolution copernicienne et de la fondation de la mécanique céleste moderne, comme il y a cent ans à l’époque de la révolution darwinienne, ne sont que des victoires partielles. La lutte séculaire devait entrer sur le terrain théorique et critique dans sa bataille finale, lorsque le communisme révolutionnaire, personnifié par Marx et Engels, entama la plus grande des révolutions intellectuelles en appliquant le matérialisme à l’étude des formes sociales et des lois qui président à leur succession. Il ne suffisait pas de chasser dieu du ciel, il ne suffisait pas de le chasser de la Terre, il fallait encore le chasser de la société. C’est pourquoi Engels, sur la tombe de Karl Marx, s’exprimait ainsi :

« De même que Darwin a découvert la loi du développement de la nature organique, Marx a découvert la loi du développement de l’histoire humaine, c’est-à-dire le fait élémentaire, caché jusqu’ici sous les voiles de l’idéologie, selon lequel les hommes doivent avant tout manger, boire, avoir un lit et se vêtir, avant de s’occuper de politique, de science, d’art, de religion, etc, et donc qu’en conséquence, la production des moyens de production, et avec celle-ci, le degré de développement économique d’un peuple et d’une époque constituent à chaque instant la base sur laquelle se développent les institutions étatiques, les conceptions juridiques, l’art et aussi les idées religieuses des hommes; et que c’est elle qui doit expliquer ces dernières, et non l’inverse, comme cela avait été le cas jusqu’alors ».

C’est donc dans le marxisme que se conclue victorieusement la longue et difficile lutte du matérialisme contre l’idéologie et la religion, du matérialisme devenu matérialisme dialectique. Mais si la lutte est gagnée sur le terrain de la critique, elle est encore ouverte sur le terrain social. Si la base de la religion dans les pays capitalistes est le mode de production capitaliste des moyens matériels, sa suppression dans la conscience des masses dépend de la révolution sociale. Cela ne signifie pas que les communistes marxistes renoncent à la propagande athéiste. Éviter d’attaquer la religion ou réduire la propagande athéiste au niveau d’un morne anticléricalisme de peur de perdre quelque mandat parlementaire est typique des renégats du mouvement communiste. Mais les communistes marxistes subordonnent la lutte religieuse à leur tâche fondamentale, au « développement de la lutte de classe des masses exploitées contre leurs exploiteurs ».

Sous le capitalisme, dans les terribles conditions où vit désormais presque toute l’espèce humaine, écrasée par le pouvoir tyrannique du Capital, et perpétuellement terrorisée par le spectre de la guerre, la lutte entre religion et science est condamnée à se conclure par la défaite de la science, en dépit de tous ses progrès et de toutes ses découvertes. C’est l’oppression du travail salarié qui engendre la religion, c’est le désespoir, la peur de la misère et de la mort civile, surtout la fausse conviction qu’on ne peut rien contre la toute-puissance du Capital. C’est l’enfer social qui engendre irrésistiblement l’aspiration à un paradis céleste. Si les masses n’étaient pas sujettes à de tels sentiments de pessimisme et de désespoir, les menaces et les promesses grotesques des prêtres ne rencontreraient aucun écho. Seul l’ouvrier politiquement éduqué, qui a appris à lutter contre le capitalisme, comprend qu’il n’a plus besoin de dieu et acquiert une mentalité scientifique.

La lutte pour le triomphe de la science sur la superstition religieuse, entamée il y a 4 siècles se terminera par la révolution communiste. Celui qui n’est pas un matérialiste dialectique ne pourra jamais comprendre qu’il appartient à la classe inculte, à la classe productrice des moyens matériels d’existence, d’assurer la victoire de la science.


Source : « Programme Communiste », Broschure « Le Prolétaire » no 22 année 2000, traduit de « Religione, scienza, marxismo », « Il Programma Comunista », no 23, 1959

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