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LA TRAGÉDIE DU PROLÉTARIAT ALLEMAND DANS LE PREMIER APRÈS-GUERRE (VI)



Content :

La tragédie du prolétariat allemand dans le premier après-guerre (VI)
L’antimarxisme de Pannekoek et Gorter
Notes
Source


(Rapport à la réunion générale du parti)

La tragédie du prolétariat allemand dans le premier après-guerre (VI)

L’antimarxisme de Pannekoek et Gorter

Nous venons de rappeler les positions extrêmes, les plus aberrantes, dans le sens du syndicalisme révolutionnaire et même de l’anarchisme. Mais la position intermédiaire des groupes de Brême et de Berlin-Brandebourg, et de ses théoriciens Anton Pannekoek et Herman Gorter, les idoles des groupuscules soi-disant « de gauche » d’aujourd’hui, ne vaut pas mieux, même si elle est plus subtile et se drape d’une obédience « marxiste » toute formelle. Il est nécessaire de nous y arrêter, car c’est précisément et surtout par rapport à elle que notre Fraction, comme d’ailleurs l’Internationale, eut à se démarquer – ce qui n’empêche pas évidemment les historiens à la mode de nous assimiler à elle, ou, dans le meilleur des cas, de la faire dériver de la même souche que nous…

Contrairement au groupe de Hambourg et surtout au groupe de Saxe, les « communistes de gauche » de Brême et de Berlin n’avaient pas reconnu leur exclusion du parti comme irrévocable; ils avaient même proposé aux thèses de celui-ci des amendements qui leur auraient permis de rester au sein de l’organisation.

Le 3e congrès du KPD, en confirmant intégralement le programme voté à Heidelberg, au 2e congrès, avait cependant sanctionné l’exclusion des dissidents, et pour eux aussi, la conduite des Spartakistes durant l’« épopée » de Kapp avait ensuite interdit tout rapprochement. Les « communistes de gauche », comme on dit, n’en avaient pourtant pas déduit de façon catégorique que tout parti, justement en tant que parti, incarne le principe du mal, ni que ce principe avait élu domicile à Moscou, comme le décréteront bientôt O. Rühle et F. Pfemfert à Dresde. C’est la section de Berlin, aussitôt après les événements de mars, qui convoqua dans la capitale, pour les 4 et 5 avril, les représentants de tous les courants d’« opposition communiste ». C’est alors que naquit ce qui devait être, finalement, un nouveau parti, le Kommunistische Arbeiterpartei Deutschlands (KAPD). Ses bastions les plus forts, numériquement, étaient à Berlin et en Rhénanie-Westphalie, l’AAU, plus ou moins réformée, lui servait d’appendice syndical, et il possédait les premiers noyaux d’une « organisation de combat » (à la vérité éphémère) qui constituait son réseau militaire dans les usines. Il est probable – impression confirmée également par un article du « Soviet » – que dans le premier semestre de son existence et peut-être encore au début de 1921, le KAPD a drainé un nombre considérable de prolétaires parmi les plus combatifs et sans aucun doute les plus sensibles à l’humeur des grandes masses. Ceux – ci étaient peut-être attirés moins par les caractères spécifiques du programme du KAPD, que par le dégoût pour la tendance au légalisme et pour les éternelles hésitations du parti officiel. De même, il est tout aussi probable que l’AAU dépendant du KAPD rassemblait les salariés révoltés contre les directives archiconformistes de la grande centrale réformiste. Ces deux facteurs expliquent aussi bien les efforts de l’internationale Communiste, jusqu’au IIIe congrès (qui se tiendra l’année suivante), pour tendre la main au KAPD, que l’opposition décidée et inconditionnelle du KPD à toute perspective, même lointaine, de réunification.

Au-delà des divergences tactiques sur la question parlementaire et sur la question syndicale, il était clair et pour les bolcheviks et pour nous – surtout lorsque les positions des anciens dissidents furent théorisées par Pannekoek et Gorter – que ce qui nous séparait de tous les courants d’opposition qui avaient convergé dans le KAPD, c’était des questions fondamentales de principe. Ces divergences de principes n’avaient pas empêché les « socialistes (devenus plus tard communistes) internationalistes » de Hambourg et de Brême de se ranger aux côtés de la Gauche de Zimmerwald et de Kienthal pendant la guerre et de mener contre le kautskysme une lutte parallèle à celle de Lénine, mais devant les réalités de la dictature prolétarienne, ils ne pouvaient pas ne pas être rejetés de l’autre côté de la barricade. Ne connaissant guère que leurs conceptions tactiques, notre Fraction abstentionniste remarqua que les dissidents du KPD péchaient par « hétérodoxie syndicaliste », d’une part en ce sens qu’ils dévalorisaient le rôle du parti et affirmaient la suprématie de la lutte économique sur la lutte politique, d’autre part en ce sens qu’ils partageaient la « conception anarchiste – petite-bourgeoise selon laquelle la nouvelle économie serait le résultat de l’apparition d’entreprises directement administrées par les ouvriers qui y travaillent ». Mais en réalité la divergence portait sur tout le bagage théorique du KAPD. Ses membres appartenaient en effet à une famille idéologique radicalement idéaliste, et que seule l’adoption de quelques règles d’interprétation du mode de production capitaliste et de la structure de la société bourgeoise pouvait faire passer pour marxiste : la même famille qui a produit l’anarchisme, le syndicalisme-révolutionnaire, le socialisme d’entreprise, le conseillisme, lordinovisme, dont on retrouve, bien qu’à des doses différentes, tous les ingrédients dans leur idéologie. C’est cet idéalisme qui, malgré leurs désaccords initiaux, devait à la longue amener tous ces sourants à se ranger sur un même front, celui de la négation du marxisme (par la suite, ils préféreront dire « du bolchevisme », comme s’il s’agissait de courants différents, et même opposés !). C’est sur le même front, contre eux, que nous nous rangions avec les bolcheviks, bien que les uns comme les autres nous ayons reconnu que des prolétaires instinctivement communistes militaient dans leurs rangs, plus par la « faute » du KPD que grâce aux « mérites » du KAPD, et bien que nous ayons eu un avis différent de celui de Moscou sur la manière de les reconquérir à notre cause.

Pour le marxisme, le processus révolutionnaire apparaît essentiellement comme le heurt matériel et physique de deux classes; la classe opprimée est poussée sur le terrain de l’assaut du pouvoir de la classe ennemie par des déterminations matérielles; elle agit sans savoir (et avant de savoir) le but final vers lequel elle va, et elle rencontre sur ce chemin le parti – c’est-à-dire le programme, ou la « conscience », de l’objectif final et des étapes obligatoires pour l’atteindre, et l’organisation nécessairement minoritaire de l’avant-garde communiste cristallisée autour de ce programme. Au contraire, pour Pannekoek comme pour Gorter (ou peut-être de façon plus évidente encore), le processus révolutionnaire apparaît comme la prise de conscience collective par les exploités de la voie et du but révolutionnaires, prise de conscience qui est la « condition préalable » de leur action révolutionnaire. Ce qui chez les Spartakistes, en janvier 1919, apparaissait encore comme une déviation par rapport à la doctrine marxiste correcte, devient ici le renversement pur et simple du marxisme. Comme l’écrivait déjà Gorter en 1909, la société nouvelle ne peut être que le produit d’un homme nouveau, auto-conscient et auto-agissant : « Il faut révolutionner l’esprit ! ». Comme le dira Pannekoek on 1920, pour que la révolution s’accomplisse, « il est nécessaire que le prolétariat, les masses immenses, discernent clairement la voie et le but ».

Si l’opportunisme s’est emparé de la majorité de la classe ouvrière, ce n’est pas pour des raisons dont les marxistes doivent rechercher les racines matérielles, mais parce que ce processus d’émancipation spirituelle (ou intellectuelle) n’a pas pu arriver à son terme. Et c’est justement « parce que les masses sont encore entièrement soumises à un mode de pensée bourgeois qu’après l’effondrement de la domination bourgeoise (on remarquera que, exagérant jusqu’à l’absurde la formule de Rosa Luxemburg citée plus haut, on fait ici des mouvements d’octobre 1918 en Allemagne une véritable révolution politique ayant amené le renversement de la bourgeoisie !) elles l’ont rétablie de leurs propres mains »[1]. Non seulement la conquête par des masses de l’auto-conscience ou de l’auto-activation (ou encore auto-motivation, ou auto-affirmation dans la vie pratique – traductions diverses de l’allemand, Selbstbetätigung[2]) doit précéder la révolution ou du moins, à son apogée, coïncider avec elle; il faut aussi que ce soit une auto-con quête, une acquisition que la classe fait par ses propres forces, un « saut de qualité » accompli par le sujet-classe dans son ensemble. Autrement, on retomberait dans la dichotomie masses-chefs, le grand sujet de scandale des tribunistes hollandais et donc des kaapédistes allemands, la « véritable » raison (selon eux) pour laquelle le prolétariat a capitulé au déclenchement de la guerre, renonçant à son initiative historique de sujet agissant et conscient pour la confier aux « chefs », aux Führer, ainsi promus d’instruments de l’histoire au rang d’artisans de l’histoire. Si donc l’existence du parti a encore un sens pour Pannekoek, c’est seulement celui de « propager à l’avance des connaissances claires, pour qu’apparaissent au sein des masses des éléments capables, dans les grands moments de la politique mondiale, de savoir ce qu’il convient de faire et de juger de la situation par eux-mêmes » [«Pannekoek…», p. 169]. Le parti n’a plus pour tàche que de conseiller, d’éduquer, d’éclairer les masses, ou plutôt de les aider à prendre conscience d’elles-mêmes, à redécouvrir cette science qu’est le marxisme.

Il n’est plus cet organe de combat qui guide les masses, il n’est plus cette arme d’unification de l’instinctive révolte prolétarienne qui dirige un mouvement réel dont le parti, en tant que collectivité, a la notion, et au grand jamais, il n’exerce le pouvoir ou nom des masses. Ces prétendus « marxistes » n’avaient pas compris et ne comprendront jamais que la classe ne pourra arriver à la conscience du mouvement réel qu’après avoir agi on détruisant l’appareil de son exploitation économique et sociale, c’est-à-dire après s’être émancipée aussi d’un esclavage intellectuel qui, de toute façon, sera la dernière de ses chaînes à être brisée.

On comprend alors pourquoi l’expression authentique de l’assaut révolutionnaire et, plus encore, de la réalisation du socialisme, est représentée pour les kaapédistes par les Conseils, les Räte ou, à un niveau plus élevé, les Soviets, en tant que formes d’organisation révolutionnaires en soi, même lorsqu’on admet – extrême concession – qu’elles soient flanquées du Parti comme « expert » et « conseiller » : c’est que la soudure entre les masses et leur autoconscience-autoactivation est entière et « transparente ». Ces formes sont révolutionnaires en soi parce qu’elles « permettent aux travailleurs de décider par eux-mêmes sur tout ce qui les concerne ».

Pour la même raison, Pannekoek considère la dictature du prolétariat telle que la conçoivent les bolcheviks comme la dictature arbitraire d’une « étroite minorité révolutionnaire », ou plutôt de « son centre » : « une dictature exercée à l’intérieur même du parti, dont il expulse qui bon lui semble et exclut toute opposition par des moyens mesquins »; bref, comme une nouvelle forme de blanquisme, comme une résurrection du spectre de la Führerschaft (autorité des chefs) qui foule aux pieds ses sujets sans défense. Il lui oppose l’idée d’un parti, ou mieux d’une secte de gens éclairés qui « est à cent lieues d’avoir le but de tout parti politique… : prendre directement en mains la machine de l’État » [«Pannekoek…», p. 154].

Ainsi, c’est l’antithèse masses-chefs qui vient se substituer à l’antagonisme entre les classes. Si Pannekoek et Gorter repoussent le parlement, ce n’est pas parce qu’il est l’organe spécifique de la domination de classe de la bourgeoisie, mais parce qu’il est « la forme typique de la lutte par l’intermédiaire des chefs où les masses n’ont qu’un rôle subalterne » [«Pannekoek…», p. 177]. Ainsi « le communisme, au lieu de comprendre toute la classe, devient un nouveau parti, avec ses propres dirigeants, qui s’ajoute aux partis existants, perpétuant ainsi la division politique du prolétariat »; sa destruction est donc « une étape essentielle sur la voie qui conduit à l’autonomie et à l’autolibération ». De même, en ce qui concerne les syndicats, « c’est leur forme d’organisation elle-même qui interdit d’en faire un instrument pour la révolution prolétarienne », c’est cette forme qui « réduit les masses à l’impuissance » et qui « leur interdit d’en faire l’instrument de leur volonté » [«Pannekoek…», p. 180]; dans les organisations d’usine, au contraire, Gorter explique que « les ouvriers ont en leur pouvoir les dirigeants et donc la ligne politique […] tout ouvrier a un pouvoir […] dans la mesure où la chose est possible on régime capitaliste, il est même l’artisan et le maître de son destin; et, puisque cela est valable pour tous, c’est la masse qui déclenche et dirige la lutte ».

On remarquera que ni Pannekoek ni Gorter ne nient que l’idée « bolchevique » (autrement dit l’idée marxiste, notre idée) du parti ait une justification. Mais, pour eux, elle correspond à la situation historique de la Russie, engagée dans une révolution double, mi-prolétarienne, mi-bourgeoise : soit que la masse inerte de la paysannerie ait besoin d’être dirigée (d’où la nécessité d’un « nouveau blanquisme »), soit que l’existence conjointe de deux poussées révolutionnaires différentes rende nécessaire l’art de la manœuvre, privilège des « chefs ». Cette idée du parti ne serait pas applicable par contre en Occident, où « le prolétariat est seul et doit faire la révolution seul contre toutes les autres classes », où « il doit posséder les armes les meilleures pour la révolution », et où, « devant faire la révolution tout seul et sans aucune aide, il doit s’élever spirituellement et intellectuellement à une grande hauteur, en se débarrassant des chefs, des partis politiques au sens courant du terme, des syndicats de métier et, pour la même raison, des institutions parlementaires. Répandus dans les rangs du prolétariat, les communistes « s’efforcent avant tout d’élever les masses, comme unité et comme somme d’individus, à un degré de maturité beaucoup pîus élevé; d’éduquer les prolétaires, un à un, pour en faire des lutteurs révolutionnaires, en leur montrant clairement (non seulement par la théorie mais surtout par la pratique), que tout dépend de leurs propres forces, qu’ils ne doivent rien attendre de l’aide extérieure des autres classes, et très peu des chefs ». On remarquera que, tout en courtisant les masses, Pannekoek les réduit à n’être qu’un troupeau d’inconscients qu’on doit éduquer à… ne plus avoir besoin d’aucun éducateur ! D’où la célèbre opposition, dont Lénine se moque dans « La maladie infantile » :

« Deux partis communistes se trouvent maintenant en présence : l’un est le parti des chefs, qui entend organiser la lutte révolutionnaire et la diriger par en haut […]; l’autre est le parti des masses, qui attend l’essor de la lutte révolutionnaire d’en bas […]. Là, c’est la dictature des chefs; ici, c’est la dictature des masses ! Tel est notre mot d’ordre ».

C’est de cette idéologie, dont l’homogénéité n’est pas diminuée par des nuances personnelles insignifiantes, que s’inspirent l’« appel » et le « programme » approuvés au congrès constitutif du KAPD. L’appel prend acte de la « faillite politique et morale » du KPD qui est devenu la proie d’une « clique de chefs agissant par tous les moyens de la corruption » et décidés à « saboter la révolution dans l’intérêt de leurs buts égoïstes ». Il déclare que le nouveau parti n’est pas un parti au sens traditionnel » (« Exprimer en toute circonstance l’autonomie de l’ensemble des adhérents, tel est le principe fondamental d’un parti qui n’est pas un parti au sens traditionnel ». Il faut dire qu’on revient ici d’une part à Bakounine, d’autre part à Proudhon, bref à la vieille polémique contre l’« autorité », le « Conseil général », la « dictature de Marx », etc.).

« Il n’est pas un parti de chefs; son principal [nota bene !] travail consistera à appuyer de toutes ses forces le prolétariat allemand dans sa lutte pour se libérer de toute dépendance par rapport aux chefs », – moyen le plus efficace pour cette unification du prolétariat dans l’esprit du conseillisme, qui est le « véritable but de la révolution ». Quant au programme, il refait l’historique des luttes de classe dans le monde depuis la fin de la guerre et, dénonçant la crise mortelle dans laquelle le capitalisme se débat, il voit la cause du retard des facteurs subjectifs de la crise révolutionnaire sur les facteurs objectifs dans le fait que « la psychologie du prolétariat allemand est encore sous l’influence de facteurs idéologiques bourgeois ou petits-bourgeois ». C’est pourquoi « le problème de la révolution, c’est le problème du développement de l’auto-conscience du prolétariat allemand ». Déclarant la guerre aux méthodes de lutte opportunistes, au parlement et aux syndicats (« seule la destruction des syndicats donnera le champ libre à la marche en avant de la révolution »), le programme met au centre de l’action révolutionnaire « l’organisation d’usine », où « la masse est l’appareil moteur de la production », où « la lutte intellectuelle, le révolutionnement des consciences s’accomplit, dans un affrontement incessant d’homme à homme, de masse à masse », et qui a pour tâche essentielle, entre autres, « la préparation à la construction de la société communiste », dont elle est « le commencement ». A cette organisation, « épine dorsale des conseils d’usine », peuvent appartenir « tous les ouvriers qui se déclarent pour la dictature du prolétariat »; le KAPD y fera sa propagande en « décidant avec elle les mots d’ordre » et en s’organisant de façon à ce que « le parti lui aussi prenne de plus en plus un caractère prolétarien… et obéisse aux critères de la dictature par en bas ». On permettra ainsi – « et l’organisation d’usine en est la garantie – qu’avec la victoire, c’est-à-dire avec la conquête du pouvoir par le prolétariat, commence la dictature de la classe, et non la dictature de quelques chefs de parti et de leur clique ». Il est inutile d’ajouter que « la forme d’organisation politique de la communauté communiste sera le système des conseils »; les kaapédistes tombent ici dans l’erreur où étaient tombés, de bonne ou de mauvaise foi, peu importe, les Indépendants; c’est-à-dire qu’ils supposent que la « société communiste » aura une forme d’organisation politique particulière, calquée de surcroît sur un « type d’organisation » né de la lutte des classes en plein régime bourgeois.

De cette rapide analyse de l’idéologie « kaapédiste », il résulte – et nous le disions dès cette époque – qu’elle est, sur le plan de la théorie et des principes comme sur le plan de la tactique, aux antipodes de la position qui fut constamment défendue par les communistes abstentionnistes italiens et condensée dans les « Thèses » de la Fraction de juin 1920, ainsi que dans la série sur la constitution des Soviets en Italie en polémique avec l’« Ordine Nuovo » et dans d’autres articles de la même période. Il n’y a aucun point de contact entre ces deux positions, pas même sur la question de l’abstentionnisme. Pour Gorter et Pannekoek, celui-ci a la valeur d’un principe, comme pour les anarchistes, et au même titre que la négation de l’« autorité » pour ces derniers. Pour nous, au contraire, l’abstentionnisme est une solution tactique en rapport avec une phase donnée du capitalisme et de la lutte prolétarienne, et non une solution valable toujours et partout dans l’absolu. Même aujourd’hui où, après un amer bilan historique, nous avons le droit de considérer cette question comme une question non « secondaire », mais primordiale de la tactique communiste dans les aires de capitalisme avancé, nous n’aurions pas l’idée saugrenue d’affirmer la même chose pour les pays qui en sont à peine à accomplir leur « révolution bourgeoise » et où le parlement, à cause de l’évolution mondiale dans un sens totalitaire, est sans doute une arène plus secondaire encore que les bolcheviks ne le considéraient à l’époque, mais reste cependant encore l’un des champs de bataille où s’affrontent les différentes classes. Et puis le KAPD et ses théoriciens mettent – en toute logique d’ailleurs – la « question parlementaire » et la question « syndicale » dans le même sac : c’est-à-dire qu’ils mettent sur le même plan d’une part une institution comme le parlement, qui constitutionnellement est une institution d’État et qui est à la fois l’expression de la domination de la classe exploiteuse et – comme le veut son idéologie – la représentation, factice, peu importe, de plusieurs classes, et d’autre part une forme d’association, le syndicat ouvrier, qui peut bien être absorbée par l’appareil d’État bourgeois (et qui l’est d’ailleurs de plus en plus), mais qui ne rassemble que des salariés, qui reflète nécessairement la poussée des déterminations économiques, racine de la lutte politique, et qui lorsqu’elle est conquise (ou reconquise) par le parti, constitue pour lui un domaine nécessaire d’action, de propagande et surtout d’agitation dans les rangs de la classe ouvrière qui, d’une manière ou d’une autre, est organisée par le syndicat (même par un espion tzariste, aurait dit Lénine).



Notes :
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  1. Serge Bricianer, « Pannekoek et les conseils ouvriers », EDI 1969, p. 171.[⤒]

  2. Il serait plus juste de parler d’auto-activité dans le sens de « agir par soi-même, de sa propre initiative ». (sinistra.net)[⤒]


Source : « Le Prolétaire », Nr. 137, 30 octobre au 12 novembre 1972.

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