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LA FONCTION CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE DE LA DÉMOCRATIE EN ESPAGNE
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Content:

La fonction contre-révolutionnaire de la démocratie en Espagne
1930: l'instauration de la République
Les «deux années noires» (1933-1935)
Le Front Populaire (1936)
La démocratie dans la guerre civile
Bilan historique et éléments de la tactique révolutionnaire
La démocratie et l'après-franquisme
Notes
Source


La fonction contre-révolutionnaire de la démocratie en Espagne
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L'agitation sociale en Espagne s'accompagne, comme c'était inévitable, d'une activité politique qui fait ressurgir des orientations, des programmes, des principes anciens et toujours remis à neuf. Tout se passe comme si l'histoire faisait brusquement ressusciter tous les problèmes qui se sont abattus sur la péninsule ibérique pendant les années trente. Et sur la classe ouvrière s'abat à nouveau le fléau de l'«alternative historique» entre le franquisme et la démocratie accompagnée de ses inséparables satellites la social-démocratie, le stalinisme et les «nationalismes» basque et catalan.

La tragédie du prolétariat espagnol - expression de la tragédie internationale de la classe ouvrière - c'est d'abord une défaite sanglante, pratiquement sans équivalent, une défaite qui reflète le cannibalisme toujours plus féroce de la classe bourgeoise. C'est ensuite que cette défaite ait eu lieu à une époque où l'absence du parti de classe - détruit sous les coups de la réaction capitaliste mondiale, en Russie comme ailleurs - a empêché le prolétariat de tirer les terribles leçons de ces années de lutte ardente, qui auraient pu éviter à cette classe tant de fois trahie et massacrée d'avoir à reprendre en vain son interminable calvaire. En Espagne comme ailleurs, les années trente n'ont connu que des partis dégénérés; les rares courants qui les combattaient étaient ou bien trop faibles pour faire entendre leur voix, ou bien, comme le trotskisme, en train eux-mêmes de dégénérer lentement par rapport à leurs lointaines origines, et incapables de tirer des événements d'Espagne un solide bilan historique ancré aux principes originels du communisme. C'est pour cela précisément que les artisans mêmes de la défaite de l'indomptable prolétariat espagnol peuvent aujourd'hui, dans l'irrésistible renaissance de la lutte ouvrière, faire prévaloir leur voix et leur orientation, identique à celle d'hier.

La réintroduction de ce bilan historique, qui dépasse de loin les limites de l'Espagne, dans l'avant-garde prolétarienne naissante, est dialectiquement liée à la reconstruction du Parti de classe solidement ancré à la défense de la doctrine, des principes et du programme communistes. Elle est indispensable pour permettre au prolétariat de déjouer les mille et une embûches tendues par la classe dominante pour entraver sa préparation révolutionnaire, ou pour essayer de l'écraser par les armes le jour inévitable où l'histoire remettra à l'ordre du jour les «choix» décisifs.

• • •

Les années 1930-1939 furent le théâtre d'un gigantesque jeu de forces internationales, ou du moins continentales; les principaux protagonistes en étaient le fascisme, dans ses multiples variantes plus ou moins achevées (l'italienne, l'allemande, l'espagnole), la démocratie bourgeoise, la social-démocratie, le stalinisme, le centrisme sans principes et enfin l'anarchisme aux principes impuissants. Tout bilan historique de cette époque doit en particulier confirmer dialectiquement dans les aires de révolution «simple», le rôle strictement contre-révolutionnaire de la démocratie bourgeoise; le dédoublement politique de la bourgeoisie, face à l'exacerbation des antagonismes de classe, en deux formes, réaction fasciste d'une part, démocratie parlementaire de l'autre, qui convergent dans une œuvre commune de défense bourgeoise; le rôle essentiel de soutien de la démocratie joué par les forces social-démocrate et staliniennes, qui, loin de s'opposer réellement à la réaction capitaliste, en sont au contraire des pièces maîtresses ; la capitulation devant le bloc démocratico-réformiste de tous ceux qui refusent la dictature prolétarienne, la violence et la terreur centralisées par le parti préparé et décidé à les exercer de façon autoritaire et exclusive, et cherchent en vain d'impossibles voies intermédiaires entre la dictature du prolétariat et la dictature de la bourgeoisie (centristes, anarchistes); enfin il doit confirmer le rôle anti-prolétarien des courants autonomistes ou «nationalistes» espagnols, indissolublement liés à la démocratie bourgeoise.

À travers le «cas espagnol» nous nous proposons d'aborder succinctement les trois premiers thèmes. Notre polémique ne visera pas tant les partis de la démocratie bourgeoise et leurs expressions «ouvrières» qui font l'apologie ouverte du régime capitaliste comme cadre prétendument «naturel» de l'émancipation prolétarienne; elle s'exercera surtout contre ceux qui, tout en se revendiquant de la révolution communiste et de la lutte contre la bourgeoisie, croient cependant pouvoir reconnaître à la social-démocratie et au stalinisme une capacité de lutte contre l'offensive ouverte de la droite, ou pire encore préconisent une prétendue «défense révolutionnaire de la démocratie» contre le fascisme.

L'histoire du mouvement ouvrier entre les deux guerres illustre tragiquement la thèse aujourd'hui oubliée de l'Internationale de Lénine selon laquelle, dans les aires de capitalisme développé, la démocratie bourgeoise et ses partis ne peuvent plus jouer qu'un rôle contre-révolutionnaire. À cela nos adversaires n'ont jamais manqué de répondre qu'en Espagne la situation était et est différente, en raison de «conditions particulières» justifiant une «voie nationale» autonome

l'Espagne étant plus arriérée industriellement que les autres pays européens, le mouvement prolétarien espagnol pouvait soi-disant s'appuyer sur la démocratie ou du moins sur les partis «ouvriers»réformistes afin de préparer de «meilleures conditions» pour sa lutte future. Le fait que c'est la bourgeoisie espagnole elle-même qui se prépare aujourd'hui à restaurer le régime parlementaire, comme elle le fît pacifiquement en 1931, ainsi que les grandes manœuvres de l'opportunisme «ouvrier», devraient leur démontrer de façon éloquente que dans ce jeu politico-institutionnel c'est la bourgeoisie qui récolte les bénéfices. Dans l'Europe du XIXème siècle, ou dans la Russie tsariste à demi barbare, la démocratie était le drapeau de la lutte insurrectionnelle des masses contre l'Ancien Régime et ses classes dominantes. En Espagne, c'est la classe dominante et son État qui s'apprêtent à l'accorder aujourd'hui, tout comme ils l'ont instaurée hier.

1930: l'instauration de la République
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En 1930, en pleine crise économique, ce sont les forces mêmes de l'État qui congédient la monarchie et proclament la république, dotant ainsi le pouvoir bourgeois d'une plus grande souplesse stratégique et tactique. «Les monarchistes qui veulent suivre mon opinion, déclarait le roi détrôné, non seulement s'abstiendront de mettre des obstacles au gouvernement actuel, mais l'appuieront dans tous ses plans politiques» (1) ; l'Église catholique adoptait une attitude favorable au nouveau régime.

La formidable capacité de résistance contre la révolution prolétarienne que le capital tire du régime démocratique est inséparable de l'intégration dans l'appareil d'État de la social-démocratie et aujourd'hui du stalinisme, dans la mesure même où ceux-ci, en encadrant et en entraînant derrière eux de larges masses exploitées, parviennent à faire ce que la bourgeoisie du XIXème siècle n'avait pu réaliser. Au XXème siècle, l'évolution de l'opportunisme en Europe, ainsi que dans certaines aires arriérées, a suivi celle du capitalisme international. L'opportunisme a mûri, il s'est plongé dans la collaboration de classe, il a tissé avec la classe dominante des liens solides, politiques, sociaux, économiques, devenant ainsi partie intégrante des lignes de défense du statu quo politique et social (2).

En 1930, pour assurer le passage indolore de la monarchie à la république, une alliance se forma entre anciens monarchistes, républicains et socio-démocrates. Le chef du gouvernement de la nouvelle république était Alcala Zamora, ancien ministre du dictateur Primo de Rivera, et catholique fervent, tout comme Maura, le nouveau ministre de l'Intérieur. Les autres ministres étaient Martinez Barrio, franc-maçon; Azana, républicain; Fernando de los Rios, socialiste; Indalecio Prieto, leader socialiste; Largo Caballero, dirigeant socialiste, secrétaire général de l'Union Générale des Travailleurs (U.G.T.) - syndicat qui avait honteusement collaboré avec la monarchie - et ancien conseiller d'État de Primo de Rivera; Lerroux, ancien démagogue à la solde de la bourgeoisie catalane et chef de la droite; Nicolau d'Olwer, proche du mouvement catalan; Quiroga, libéral. Ce n'est pas pour rien que Calvo Serrer, dirigeant de la junte démocratique, carliste et associé du P.C.E., rappelle en toute occasion qu'aujourd'hui il s'agit de recommencer le même scénario!

La seconde république espagnole ne naît ni révolutionnaire, ni même réformiste : elle est d'emblée contre-révolutionnaire. Dans toute son histoire, aussi bien sous la direction du centre ou des «gauches»que sous celle de la droite, elle ne jouera jamais aucun rôle contre les anciennes classes ou forces sociales, dont le poids historique était d'ailleurs secondaire dès cette époque, même si leur poids social n'était pas négligeable. Elle est la base d'une stratégie efficace qui vise à désarmer les ouvriers et les semi-prolétaires et, quand cela ne sera plus possible, à les massacrer férocement. La liste des «prouesses guerrières» de la jeune république contre les exploités serait interminable; par contre le front unique catholico-républicain-socialiste ne se risquera jamais à toucher, ne fût-ce que timidement, aux scories du passé (question agraire, cléricalisme, «caciquisme»). L'ordre donné par Azana, l'apôtre du Verbe républicain, résume bien toute sa fonction historique : «Ni blessés, ni prisonniers : tirez au ventre !» (3).

Dès ce moment on pouvait dire, comme en Italie en 1921 :
«
Il fut un temps où le jeu de la gauche s'opposait à celui de la droite bourgeoise parce que cette dernière usait de moyens coercitifs pour maintenir l'ordre, tandis que la gauche entendait le maintenir par des moyens libéraux. Aujourd'hui, l'époque des moyens libéraux est close et le programme de la gauche consiste à maintenir l'ordre avec plus d'«énergie» que la droite» (4).

Dans cette stratégie bourgeoise, la fonction infâme de la social-démocratie est condensée en quelques mots par Largo Caballero lui- même : «Nous, socialistes, avons poussé la loyauté, après avoir mis toute notre force organisée au service de la révolution (pour eux, l'instauration de la république avait été une révolution, NdR) jusqu'à contribuer, un peu à contre-cœur (sic), mais avec la loyauté à laquelle nous étions obligés, à ce que le Parlement approuve l'ensemble de la législation répressive et restrictive qui existe aujourd'hui en Espagne. Législation qui sera, certainement, utilisée contre les travailleurs; mais qui était nécessaire pour le soutien du régime (...). Nous avons travaillé à empêcher des grèves qui auraient pu bouleverser l'économie du pays. Il est clair que nous ne pouvions les éviter toutes; mais, en définitive, nous nous sommes comportés loyalement» (5).

Le fait que toute l'histoire de l'Espagne des années trente ait indissolublement lié la démocratie et la social-démocratie (celle-ci étant le soutien nécessaire de celle-là) dans un des pays les plus arriérés industriellement du continent, montre que «on ne doit ni ne peut parler d'une fonction historique (sous-entendu révolutionnaire - N.d.R.) de la social-démocratie dans les pays d'Europe occidentale où le régime démocratique existe depuis longtemps et est entré dans une phase de décadence, où il n'est plus rien qu'une survivance historique. Pour nous, il ne peut y avoir d'autre passage révolutionnaire du pouvoir que des mains de la bourgeoisie à celles du prolétariat, de même qu'on ne peut concevoir d'autre forme de pouvoir prolétarien que la dictature des Conseils» (6).

Ce serait une objection banale que de soutenir qu'en Espagne la démocratie était «toute récente», car le degré de maturité historique des formes sociales et politiques ne se mesure pas pays par pays, mais à l'échelle de grandes aires géo-historiques : la preuve en est précisément la dynamique de la lutte des classes, des forces et des formes politiques espagnoles au cours de ces dix années.

Les «deux années noires» (1933-1935)
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L'exclusion temporaire du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol du gouvernement après les élections de 1933 et sa participation au Pacte d'Alliance Ouvrière et au mouvement d'Octobre 1934 (qui verra l'insurrection des Asturies) ne démentent pas notre analyse; au contraire, elles la confirment.

Deux ans après la proclamation de la république, alors que l'idylle républicaine était dissipée par le feu nourri des mitrailleuses bourgeoises et que les antagonismes de classe mûrissaient et s'exacerbaient, la bourgeoisie espagnole savait, à la veille de lancer son offensive contre le «désordre social», que le Parti Socialiste ferait un meilleur travail dans l'opposition. L'art politique suprême de la bourgeoisie ne consiste pas seulement en effet à se constituer en parti dirigeant, mais aussi à se fabriquer une opposition dont le programme et les principes ne sortent pas du cadre des institutions bourgeoises, et qui constitue un instrument d'autant plus efficace que son influence sur le prolétariat est plus grande.

En 1933, après la victoire du bloc des droites, la classe ouvrière se dresse contre la réaction en un puissant élan unitaire, renforcé par les événements d'Allemagne, puis d'Autriche. Le problème du front unique prolétarien se pose de façon brûlante. Mais au lieu de s'appuyer sur cet élan afin de forger un large front des prolétaires et de leurs organisations syndicales pour résister à l'offensive bourgeoise contre les conditions de vie et de lutte des travailleurs, au lieu de combattre au travers même de cette lutte l'influence et l'œuvre contre-révolutionnaire de la social-démocratie, les courants «extrémistes» en font une occasion pour se mettre à la remorque de cette dernière au nom de l'unité prolétarienne, ils font l'unité avec le Parti Socialiste (à l'exception du stalinisme, encore plongé dans la théorie du «social-fascisme», et de la C.N.T. catalane).

Le Pacte d'Alliance Ouvrière fut un monstrueux front unique politique dirigé en fait par le P.S.O.E., qui se parait d'un nébuleux langage extrémiste incompatible avec les principes révolutionnaires. En paroles, l'Alliance Ouvrière se proposait de barrer la route à la réaction des droites, et de «promouvoir et mener à son terme la révolution sociale». Mais elle n'avançait pour cela aucun moyen d'action et se gardait bien de préciser le terrain sur lequel le prolétariat aurait pu, nous ne disons pas conquérir le pouvoir, mais simplement se défendre. Par contre, elle affirmait la nécessité de «travailler à un commun accord (avec les socio-démocrates!) jusqu'au triomphe de la révolution sociale» et à l'instauration du socialisme! Cette Alliance fut l'instrument au moyen duquel le P.S.O.E. et les chefs de l'U.G.T. muselèrent et traînèrent derrière eux les anarchistes des Asturies, les Jeunesses libertaires, le Bloc ouvrier et paysan, et la Gauche Communiste d'Andrés Nin. Elle annonçait déjà l'alignement politique défaitiste qui se produira dans les deux premiers mois de la guerre civile, en 1936, lorsqu'on verra le P.S.O.E. montrer ce qu'il entendait en fait par «révolution sociale» - cette révolution à laquelle il invitait certains partis bourgeois (l'«Esquerra» catalane et les républicains) à s'associer «moralement»!

La perspective socialiste était clairement énoncée par son chef, Largo Caballero, ce Haase espagnol :
«
Le Parti Socialiste fut chassé du pouvoir de façon ignominieuse. Le Parti Socialiste et la classe ouvrière consciente d'Espagne ne pourront jamais oublier qu'après ce qu'ils avaient fait (en instaurant toute la législation anti-prolétarienne et en s'efforçant d'empêcher les mouvements ouvriers - N.d.R.) on les ait chassés de la manière (!) dont cela a été effectué (...). Je crois que sous la République, il se comprend parfaitement qu'on dise à la classe ouvrière de façon claire et nette qu'elle n'a pas atteint le but de ses aspirations (c'est-à-dire maintenir les socialistes au gouvernement! - N.d.R.), et qu'il lui faut aller beaucoup plus loin. Que «beaucoup plus loin» ne signifie pas abattre la République (...), mais remplacer cette République par une République sociale (démocrate - N.d.R.) (...). D'abord, lutter de tout notre possible pour amener au parlement tout ce que nous pourrons; plus il y en aura et mieux ce sera. De même dans les conseils municipaux. C'est-à-dire la lutte légale, la lutte dans le cadre de la constitution. Nous luttons dans ce cadre (...). Pour assurer la victoire, nous devons en finir avec les luttes internes à la classe ouvrière» (7).

Lorsque se produit la provocation bourgeoise de 1934, avec l'entrée des droites au gouvernement, le prolétariat des Asturies se soulève en un sursaut irrésistible qui entraîne jusqu'aux ouvriers de la base du P.S.O.E. Sa défaite sera favorisée par la trahison de celui-ci, qui en sortira pourtant avec l'auréole de la Révolution. «Le Parti Socialiste (...) gardait jusqu'au dernier moment ouverte une voie de retraite par où se réfugier dans une solution démocratique. C'est là qu'il faut chercher les causes immédiates et concrètes de l'échec de la révolution du 5 octobre (...). Dans l'activité du parti socialiste pour sa préparation à la lutte armée, la considération majeure était d'assurer la retraite si une occasion se présentait, plutôt que de prendre des mesures pour assurer la victoire si un combat éclatait. Toute cette tactique s'expliquait par le souci de retenir les masses» (8).

Et on prétend aujourd'hui présenter le Pacte d'Alliance Ouvrière comme un modèle, comme la preuve que l'opportunisme est capable de collaborer à la lutte révolutionnaire! Et cela justement sur un terrain où la condition élémentaire de la victoire est la volonté de vaincre et la longue préparation politique et organisative de l'insurrection et de la dictature!

C'est à cette époque, dans les «deux années noires» des gouvernements de droite (1933-1935) - mais celles du «centre-gauche» de 1931-1933 avaient-elles été moins sombres? - que la bourgeoisie espagnole touche au sommet de sa stratégie, un sommet déjà atteint dans les pays d'Europe où les antagonismes sociaux sont les plus exacerbés et ont un caractère chronique. Tout en offrant aux masses l'opium démocratique, en utilisant à fond la précieuse collaboration de la social-démocratie et du stalinisme (déjà lancé à corps perdu dans la politique de défense de la démocratie et des Fronts Populaires), et en les alliant par la logique même du jeu démocratique aux partis dits «libéraux» et républicains, elle prépare l'offensive généralisée de ses corps officiels de répression ainsi que des milices para-étatiques (carlistes, phalangistes).

Quinze ans auparavant, constatant les fonctions dialectiquement convergentes de la réaction fasciste et de la démocratie parlementaire, la Gauche Communiste «italienne» avait montré que dans les périodes culminantes de la lutte de classe:
«
les partis constitutionnels organisés de façon à faire sortir des consultations électorales du peuple une réponse favorable au régime capitaliste signée de la majorité ne suffisent plus. Il faut que la classe sur laquelle l'État repose assiste celui-ci dans ses fonctions selon les exigences nouvelles. Le mouvement politique conservateur et contre-révolutionnaire doit s'organiser militairement et remplir une fonction militaire en prévision de la guerre civile. Il convient à l'État que cette organisation se constitue «dans le pays», dans la masse des citoyens, parce qu'alors la fonction de répression se concilie mieux avec la défense désespérée de l'illusion qui veut que l'État soit le père de tous les citoyens, de tous les partis et de toutes les classes (...). A côté de l'État (le parti de l'ordre) va «plus vite» que le prolétariat à s'armer, il s'arme mieux aussi et il prend l'offensive contre certaines positions occupées par son ennemi et que le régime libéral avait tolérées (...).
Si la pression révolutionnaire du prolétariat s'accentue, la bourgeoisie tendra probablement à intensifier au maximum ces deux fonctions défensives, qui ne sont pas incompatibles, mais parallèles. Elle affichera la politique démocratique et même social-démocrate la plus audacieuse, tout en lâchant les groupes d'assaut de la contre-révolution sur le prolétariat pour le terroriser
» (9).

Le Front Populaire (1936)
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Pour la bourgeoisie espagnole, ce rôle fut joué par l'accord électoral du Front Populaire de 1936, signé par la Gauche Républicaine d'Azana, l'Union Républicaine, le P.S.O.E., l'U.G.T., le P.C.E., les Jeunesses Socialistes, le Parti Syndicaliste et le P.O.U.M., et appuyé par les dirigeants de la C.N.T. anarchiste - accord qui réaffirmait les principes les plus classiques de la conservation politique, économique et sociale.

La victoire électorale du Front Populaire ouvre la voie à un gouvernement présidé par Azana et ouvertement favorisé par la droite, qui s'est abstenue de présenter un candidat à la présidence. Face à une agitation sociale croissante des masses qui ne sont pas disposées à renoncer à leurs aspirations matérielles en échange d'illusions démocratiques, ce gouvernement déclenchera une effroyable répression contre les prolétaires ainsi que contre les paysans pauvres d'Estramadure, prodiguant mitraille, lois martiales, arrestations en masse, fermant les locaux de certaines organisations ouvrières, et déclarant illégales les grèves et les manifestations, tandis que phalangistes, carlistes et même socialistes multiplient les attaques contre les ouvriers anarchistes.

Parallèlement, le gouvernement d'Azana, au courant des préparatifs de l'offensive finale militaro-fasciste, couvrira le putsch en gestation (10), montrant ainsi que la démocratie n'est pas. un rempart contre le fascisme mais bien une citadelle de l'offensive bourgeoise contre le prolétariat. C'est Mola, chef de la Sûreté de Madrid sous le dernier gouvernement de la monarchie, étroitement lié à Gil Robles (qui supervisa la répression des Asturies) et futur «chef historique» du coup d'État franquiste, qu'Azana nomme à la tête de l'armée - ce même Azana qui le 4 avril, à un journaliste qui lui demandait : «Pourquoi ne faites-vous pas une purge dans l'armée?», répondait : « Pour quoi faire?» (11).

Pendant ce temps, la social-démocratie «de gauche» faisait de la démagogie «révolutionnaire» en sollicitant le gouvernement républicain de «laisser la place» à la révolution sociale, et en revendiquant une «dictature du prolétariat» sans conseils ouvriers, à réaliser par le... retour du P.S.O.E. au gouvernement (12)!

S'il est un pays qui aurait dû constituer un terrain d'élection pour confirmer la thèse de nos adversaires, celle de la «potentialité historique» de la démocratie, c'est bien l'Espagne des années trente, où le «putsch de Kapp» bourgeois de Franco entraînait derrière lui toutes les scories antilibérales du passé. Et à en croire les mêmes théories, le caractère fascisant du franquisme n'aurait-il pas dû susciter - surtout après la victoire sanglante du nazisme - la réaction de la social-démocratie pour réaliser la mobilisation combattante des masses?

Pourtant, les événements des années trente en Espagne apportent le plus cinglant démenti à une théorie déjà abattue par les armes de la critique et par l'histoire de la lutte de classe en Italie et en Allemagne.

Alors que le putsch avait déjà commencé, le gouvernement, qui ne s'était pas mobilisé le moins du monde pour le combattre, démentit les rumeurs de coup d'État et promit la peine de mort pour qui armerait les travailleurs. Puis, tandis que le «golpe» progressait à toute allure et qu'on ne pouvait déjà plus cacher son existence, il prétendit encore avoir obtenu le «retour à la normale» (13). De leur côté, socialistes et staliniens montraient ce qu'ils étaient capables de faire devant la réaction. Le 18 juillet, ils publièrent la déclaration suivante :
«
Le moment est difficile mais non désespéré. Le gouvernement est sûr d'avoir des moyens suffisants pour écraser cette tentative criminelle. Au cas où ces moyens se révéleraient insuffisants, la république peut compter sur la promesse solennelle du Front Populaire. Celui-ci est décidé à intervenir dans la lutte à partir du moment où on lui demandera son aide (!). Le gouvernement commande, le Front Populaire obéit (!)» (14).

Et ce, au moment précis où le bloc gouvernemental proposait à Mola d'entrer dans le prochain gouvernement en qualité de... ministre de la guerre et se déclarait disposé à accepter toutes les conditions des militaires!

Là où les masses ouvrières firent confiance aux déclarations hypocrites de la République et aux directives de ses fidèles laquais «ouvriers» - qui attendaient pour se mobiliser que la bourgeoisie le leur demande ! - l'offensive militaro-fasciste put progresser sans encombre et préluda à de terribles massacres (Andalousie, Galice, Navarre, Saragosse). Là où les fascistes ne sont pas passés (Asturies, Pays basque, Madrid et surtout Catalogne) ce fut parce que le prolétariat releva courageusement le défi de la bourgeoisie, en passant par-dessus les menaces de la République et les consignes socialo-staliniennes, en se lançant à l'assaut des casernes, en disloquant l'armée, en battant les milices para-étatiques dans la moitié la plus importante du territoire, bref, en réalisant l'armement prolétarien, les milices ouvrières, condition nécessaire bien que non suffisante de la Révolution.

En l'absence d'un parti capable de conduire le prolétariat à la conquête du pouvoir et à l'instauration de sa dictature, et de détruire l'influence du réformisme sur les masses, ce dernier joua sur une vaste échelle son rôle contre-révolutionnaire, et ce au moment même où la guerre civile faisait sauter tous les amortisseurs périmés de la démocratie (défendue par lui) et où l'armement des masses ouvrières rendait encore plus illusoire le pacte que le gouvernement républicain (appuyé par lui) aurait voulu conclure avec les droites et l'armée pour mener à bien la répression généralisée du prolétariat espagnol (15).

• • •

Faisant allusion au rôle joué par la social-démocratie devant l'offensive fasciste en Italie - mais il s'agit d'un phénomène de portée internationale - la Gauche communiste d'Italie avait affirmé :
«
Le P.S.I. refuse de se placer du point de vue communiste selon lequel le fascisme n'est qu'un autre aspect de la violence que l'État bourgeois oppose à la violence révolutionnaire du prolétariat et qui constitue son dernier argument défensif et contre-offensif. Le P.S.I. voudrait une stagnation de la situation qui permettrait un retour à la vie normale dans laquelle il pourrait continuer l'œuvre pacifique traditionnelle à laquelle sa structure est adaptée. La politique de désarmement et de participation électorale n'ayant pas suffi à mener à ce résultat, le P.S.I. est conduit à des tractations directes avec les dirigeants fascistes. Leur échec actuel ne veut rien dire. Le seul fait de les avoir engagées après avoir spontanément renoncé officiellement à la lutte armée signifie que le P.S.I. se prépare à d'autres concessions qui seront la conséquence logique de sa fatale prémisse «pacifiste». Cela implique un pacte de ce genre nous avons désarmé, que le fascisme s'engage à en faire autant; que la répression des violences privées incombe à nouveau aux forces légitimes de l'ordre, à l'État. Le social-démocratisme aspire avec une ardeur stupide et néfaste à cet illusoire retour à la légalité. Il est donc logique et vraisemblable que le P.S.I. ait aussi proposé que les deux parties s'engagent à dénoncer tous ceux, quels qu'ils soient, qui attenteraient à cette légalité, et si ce n'est pas encore fait, ça se fera» (16).

Paroles prophétiques, qui trouveront leur pleine et entière confirmation historique dans l'Espagne de 1936-1938 convergence de la démocratie bourgeoise, de l'armée et des bandes blanches dans la lutte anti-prolétarienne aussi bien avant qu'après le «pronunciamento» franquiste, retour - avant l'armement du prolétariat qui coupera en deux le territoire de l'État - à la légalité bourgeoise dans les zones «républicaines», renforcement de l'État ébranlé, plus tard répression impitoyable du prolétariat révolutionnaire, désarmement des ouvriers et, enfin, après que la classe ouvrière ait été vaincue dans ses derniers bastions par la mitraille des forces coalisées de la social-démocratie et du stalinisme à la tête de l'État républicain, nouvelle proposition de pacte de pacification avec le fascisme - refusée à l'époque, en passe d'être acceptée aujourd'hui.

La démocratie dans la guerre civile
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Relevant dans un élan gigantesque le défi de la bourgeoisie et comprenant que la guerre civile exige et la transformation de l'industrie et la répression de l'ennemi, le prolétariat espagnol - et avant tout le prolétariat catalan - établit le contrôle ouvrier sur la production et instaure une justice expéditive. Le semi-prolétariat agricole et les paysans pauvres lui font écho en distribuant les terres des grand propriétaires fonciers et des capitalistes. Pourtant, bien qu'armée militairement, la classe ouvrière se trouve totalement désarmée politiquement.

Dans leur majorité, les travailleurs sont alors divisés en deux courants hégémoniques : l'anarchisme (avec la F.A.I. et la C.N.T.), dominant en Catalogne, et la social-démocratie. Le stalinisme et le P.O.U.M., parti centriste surtout implanté dans la province catalane, sont très minoritaires et sans influence notable sur les masses.

Au cours des semaines qui suivent immédiatement les événements de juillet 1936, alors que le premier élan du prolétariat a encore toute sa force, le personnel démocratique de la République, la social-démocratie et le stalinisme sont impuissants à désarmer les ouvriers et doivent subir les événements, se laisser porter par le courant sous peine d'être noyés; tandis qu'ils testent la capacité révolutionnaire de l'anarchisme (ou plutôt son impuissance historique à détruire la domination bourgeoise) les partis socialiste et stalinien restent en dehors du gouvernement. Pendant ce temps, ce dernier, dirigé par le républicain Giral avec leur soutien actif, ne fait rien pour combattre l'offensive militaire: disposant d'importantes ressources monétaires, il n'achètera pas une arme durant les deux premiers mois précédant les accords internationaux de «non-intervention». Par contre il s'évertuera de son mieux à consolider et à restaurer les rouages endommagés de l'État.

L'une des premières mesures adoptées par le gouvernement au début du mois d'août est la mobilisation, qui conduira peu à peu à la reconstitution de l'armée régulière dans la «zone républicaine». La C.N.T. capitulera devant cette mesure qui exclut les comités ouvriers et qui pose ouvertement le problème du pouvoir. La mobilisation sera suivie par la restauration de la censure, à laquelle se soumettent également la C.N.T. et le P.O.U.M.

La non-destruction de l'État par l'anarchisme - alors que toute la Catalogue se trouve pratiquement entre ses mains - l'absence du principe de la destruction de l'État chez le centrisme, amènent inexorablement ces deux courants à des capitulations en chaîne au nom de la «lutte unitaire antifasciste», dans une période de guerre civile qui exclut par nature les détours et les tergiversations. Depuis le mois d'août, la C.N.T. participe à la Junte de Défense du Pays basque dirigée par le Parti nationaliste basque, qui constitue le véritable gouvernement de la province, tandis que le P.O.U.M. participe au gouvernement de Valence. Le 11 août, la C.N.T. et le P.O.U.M. entrent au Conseil Économique de Catalogne pour coordonner l'activité économique de la région en collaboration avec le gouvernement de la Generalidad dirigé par l'Esquerra. De plus, le 5 août s'était constitué un Comité de Liaison formé par la F.A.I., le P.S.U.C. stalinien, l'U.G.T. et la C.N.T.

Tout ceci était la preuve aveuglante de la faillite totale de l'anarchisme - qui reniait tous ses principes - ainsi que du centrisme, et révélait le suivisme de ces deux courants vis-à-vis de la démocratie et du réformisme, suivisme qui s'était développé et avait même mûri au cours des années précédentes. Désormais sans principes, ils ne feront plus que tourner comme des girouettes entre les soubresauts des masses ouvrières et la capitulation devant ceux qui possèdent des principes… solides, certes, mais contre-révolutionnaires.

Le 4 septembre, la social-démocratie et le stalinisme passent à l'offensive avec la formation du gouvernement présidé par Largo Caballero, en avançant ouvertement comme programme le retour au statu quo de 1936. Jesus Hernandez, directeur de l'organe central du P.C.E. «Mundo Obrero», écrivait le 6 août 1936 :
«
Il est absolument faux que le mouvement ouvrier ait actuellement pour objectif l'instauration de la dictature du prolétariat quand la guerre sera terminée. On ne peut pas dire que nous ayons un motif social pour justifier notre participation à la guerre. Nous, communistes, nous sommes les premiers à rejeter cette hypothèse. Nous n'avons qu'un désir : défendre la république démocratique».

Début août, «L'Humanité» publiait la déclaration suivante :
«
Le Comité central du Parti communiste espagnol nous demande d'informer l'opinion publique, au sujet des déclarations imaginaires et tendancieuses publiées par certains journaux, que le peuple espagnol n'est pas en train de lutter pour l'instauration de la dictature du prolétariat, mais ne connaît qu'un seul but la défense de l'ordre, de la république, dans le respect total de la propriété privée» (17).

Et c'est à Santiago Carrillo qu'il reviendra d'affirmer au Congrès National de la Jeunesse, tenu à Valence en janvier 1937 : «Nous ne sommes pas une jeunesse marxiste. Nous luttons pour une république parlementaire et démocratique» (18). La formation en Catalogne d'un nouveau gouvernement auquel participent, aux côtés de ce parti bourgeois et farouchement anti-prolétarien qu'est l'Esquerra, le P.S., le P.S.U.C., la CN.T. et le P.O.U.M., puis l'entrée de la C.N.T. au gouvernement central de Madrid le 4 décembre 1936, assurent à la réaction «antifasciste» la collaboration inconsciente de l'anarchisme et du centrisme à l'offensive dirigée contre le prolétariat en armes.

Au cours des événements de mai 1937, quand la violence de la démocratie s'abattra sur le prolétariat de Barcelone (ce même prolétariat qui avait vaillamment repoussé l'offensive militaro-fasciste de 1936), une dirigeante anarchiste, Federica Montseny, présentera un dossier sur les accords conclus par l'Esquerra, le P.S.U.C. et le gouvernement basque en vue de détruire le P.O.U.M. et la C.N.T., et d'ouvrir la voie à une paix négociée sous l'égide des puissances mondiales. Quelques jours auparavant, selon le journaliste stalinien Louis Fischer, «un représentant du gouvernement espagnol qui assistait au couronnement de George V présenta au ministre des Affaires étrangères Eden un plan pour faire cesser la guerre civile. Il fallait conclure un armistice. Toutes les troupes étrangères et volontaires des deux fronts devraient être immédiatement retirées d'Espagne. Durant l'armistice, aucune ligne de front ne devrait être déplacée. Une fois éliminés les non-Espagnols, la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Union Soviétique devaient préparer un plan, que le gouvernement espagnol se déclarait prêt à accepter d'avance, de sorte que la volonté de la nation espagnole en ce qui concerne son devenir politique et social pouvait être décidée d'autorité» (19). Voilà qui montre bien le fondement anti-prolétarien de la politique de la République, d'abord sous Largo Caballero, ensuite sous Negrin.

Pour ne pas provoquer d'«incidents internationaux» désagréables pour l'Angleterre et la France, le gouvernement, dès septembre 1936, envoie dans le Golfe de Gascogne l'ensemble de la marine militaire espagnole (que le putsch n'a pas pu conquérir, grâce à l'insubordination des marins, qui ont exécuté des officiers et pris le commandement des navires). Il laisse ainsi la voie libre au débarquement des légionnaires et des régiments venus du Maroc. Non seulement il ne proclame pas l'indépendance du Maroc, qui aurait favorisé une révolte nationale à l'arrière et dans les troupes de Franco, non seulement il repousse les offres de collaboration dans ce sens du chef nationaliste Abd-el-Krim (ce qui aurait soulevé un vent de sédition dans toute l'Afrique colonisée par les puissances démocratiques), mais il va jusqu'à proposer à la France de lui céder une partie du Maroc «espagnol» (20).

Parallèlement à la reconstitution de l'armée dans les régions où les ouvriers sont armés, le gouvernement renforce et réorganise ses corps de mercenaires. La Garde Civile exécrée est rebaptisée Garde Nationale Républicaine. Les hommes qui lui restent, de même que ceux de la Garde d'Assaut, sont retirés du front et envoyés à l'arrière. On forme une nouvelle garde prétorienne de 40.000 hommes et on prétend que c'est pour s'occuper... des frontières!

Pendant ce temps, le front d'Aragon (province conquise par les ouvriers dirigés par des anarchistes et des poumistes) est délibérément boycotté par le gouvernement, bien que militairement cela signifie laisser la voie libre aux troupes franquistes de Navarre pour avancer jusqu'au Pays basque. Et la République a si peur des élans révolutionnaires du prolétariat des mines des Asturies qu'elle lui refuse les armes qui auraient permis de conquérir Oviedo, occupé par l'armée de Franco.

Au Pays basque, le gouvernement «nationaliste» à participation socialo-stalinienne non seulement s'abstient de convertir la puissante industrie lourde de Bilbao en une industrie de guerre, mais il déclenche une offensive contre les milices ouvrières et cède sans combat San Sebastian, après avoir débarrassé la ville des travailleurs armés.

D'autre part, en octobre 1936, on décrète la militarisation des milices, qui passent sous les ordres du commandement militaire d'État. Des décrets d'octobre 1936, février et mars 1937 amènent au désarmement des ouvriers non militarisés. Dès avril, les milices de Madrid et de Valence se voient retirer leurs fonctions de police. Tout ceci préludait à l'offensive anti-prolétarienne générale annoncée par le stalinisme international. Dans la «Pravda» du 17 décembre 1936, on pouvait lire : «En Catalogne, la purge des trotskistes et des anarcho-syndicalistes a commencé elle sera menée avec la même énergie qu'en Union Soviétique» (21) - cette Union Soviétique où les procès de Moscou achevaient d'assassiner ce qui avait été l'avant-garde du prolétariat révolutionnaire mondial.

Ce sera à Barcelone que le bloc démocratique rencontrera des résistances dans son œuvre de désarmement des ouvriers, commencée le 17 avril 1937 dans une ville occupée militairement par les Gardes d'Assaut, après que les staliniens et les nationalistes catalans se soient retirés des milices. L'offensive finale était déjà mûre. Les corps de répression et l'armée étaient reconstitués; la CNT. et le P.O.U.M. avaient, des mois durant, largement participé à l'œuvre démocratique, c'est-à-dire à la collaboration de classes, à laquelle ils s'étaient intégrés sous le drapeau infâme de l'«unité antifasciste»; enfin, la désillusion était croissante parmi les masses, privées d'un parti décidé à la lutte révolutionnaire. Le bloc démocrates-socialistes-staliniens avait toutes les cartes en main pour mener à bien le «retour à la normale» souhaité. Mais pour cela il fallait écraser ouvertement le prolétariat qui avait été le fer de lance du puissant sursaut de 1936 et qui, bien que trompé et trahi, gardait encore des velléités de révolte.

L'offensive sera déclenchée en mai 1937, lorsque les corps militaires du stalinisme prendront l'initiative de désarmer les milices ouvrières de Barcelone, suscitant une vigoureuse riposte prolétarienne dans toute la capitale catalane et provoquant un affrontement généralisé. Livré à lui-même par les appels incessants de la C.N.T. et du P.O.U.M. à la «réconciliation du front antifasciste», séparé des milices anarchistes et poumistes militarisées - qui s'efforceront d'avancer vers Barcelone pour le secourir, mais seront arrêtées par les assurances mensongères de leurs chefs politiques qui prétendaient que tout était «rentré dans l'ordre» - le prolétariat révolutionnaire catalan subira une terrible répression et une défaite définitive infligée par le bloc démocratique, qui réussira ainsi ce que la réaction militaro-fasciste n'avait pas pu faire.

Des centaines de morts, des milliers de blessés et de disparus, tel sera le bilan physique de ces féroces journées qui inaugureront une purge systématique des prolétaires d'avant-garde, au front comme à l'arrière (22).

Le dernier obstacle à la «normalisation démocratique» une fois éliminé, Largo Caballero est destitué: la conservation sociale n'a plus besoin, désormais, de la phrase de la démagogie extrémiste, mais de la violence anti-prolétarienne à grande échelle, et la République accélère le processus avec le gouvernement Negrin.

Répression massive des prolétaires; déchaînement des bandes para-étatiques du stalinisme qui s'étaient développées à une vitesse vertigineuse et qui avec leur implacable décision contre-révolutionnaire devaient rassembler autour d'elles une grande partie des réserves sociales anti-prolétariennes de la «zone républicaine» (23); abolition, commencée au cours des mois précédents, du contrôle ouvrier de la production et de la distribution; offensive visant à soumettre les paysans misérables qui étaient passés par-dessus les décrets du gouvernement Largo Caballero confirmant le statu quo à la campagne (24), alors que la révolution agraire aurait soulevé les grandes masses paysannes (45 % de la population active de l'époque) en une marée irrésistible: voilà la réalité de la démocratie espagnole en ces mois qui ouvrent la voie au retour du parlementarisme (que la République n'avait plus osé pratiquer depuis le 16 juillet) et aux tentatives de pacification avec la réaction franquiste.

Les Cortes se réunissent le 1er octobre 1937, unissant en une accolade fraternelle des social-démocrates, des staliniens, des républicains, des nationalistes basques et catalans, ainsi que des représentants des partis gouvernementaux du «bienio negro»: Maura et Portella Valladares. Cette association de serviteurs inconditionnels de la conservation bourgeoise était, selon les propres paroles de Valladares, «la raison d'être de la République, la justification de la République» espagnole.

Irujo, ministre de la justice et représentant du gouvernement basque, qui avait livré sans résistance les provinces de sa juridiction à l'armée franquiste, mais qui avait été gardé dans le gouvernement central parce que la démocratie espagnole était organiquement inséparable des «nationalismes» basque et catalan, ne tarda pas à montrer que la «normalisation démocratique» était indissociable de la «réconciliation nationale». C'est à cette époque qu'on publiait quotidiennement les listes de fascistes libérés, tandis que se déroulaient les procès et les purges de prolétaires révolutionnaires; parallèlement, on démantelait les vestiges des tribunaux populaires, on interdisait de dénoncer des fascistes sans accord préalable de la justice officielle, on donnait à l'Église catholique, fer de lance du franquisme, une nouvelle liberté d'action, enfin on dissolvait les comités antifascistes qui agissaient au sein des corps constitués de l'État (25). Une fois «normalisée» la zone que les gouvernementaux avaient entre leurs mains, il ne leur restait plus qu'à proposer ouvertement la paix.

A la session des Cortes d'octobre 1937, Negrin affirmait qu'il fallait «préparer la paix au cours même de la guerre». Le 20 novembre, les deux parties acceptent le principe du retrait des volontaires; «Azana et Giral étaient certains que cette acceptation amènerait la suspension des hostilité, qui pourraient ne plus reprendre ensuite» (26). Avant le Conseil des ministres du 16 mars 1938, «Negrin appela Prieto et Zugazagoitia (...) et leur demanda leur appui si quelqu'un mentionnait lors de la réunion la possibilité de réaliser des négociations. Tous deux se montrèrent d'accord. (...) Prieto suggéra de bloquer les avoirs de la République à l'étranger, afin de pouvoir aider ceux qui se verraient contraints à l'exil après une paix de médiation. Negrin répondit qu'on s'en préoccupait déjà» (27). Enfin, le 1er mai 1938, Negrin publia ses «treize points»: renonciation ( !) à la guerre, amnistie pour les ennemis, arrêt de toute représaille, suffrage universel. Quoi de plus naturel, une fois le prolétariat battu? A quoi bon se déchirer entre serviteurs du même maître? Pourquoi ne pas s'entendre, au contraire, sur la base de cette même République qui, dans ses premières années d'existence, avait abrité aussi bien la réaction de droite que la réaction de la gauche démocratique?

Les treize points de Negrin reçurent l'appui du stalinisme. Dans son discours du 23 mai 1938 à la Session plénière du C.C. du P.C.E., la Pasionaria demanda à tous «ceux qui se sentent fiers d'être Espagnols, et qui se trouvent de l'autre côté du front, de lutter pour les treize points en tant que base pour réaliser une nouvelle Espagne» (28). Litvinov, représentant du gouvernement russe, affirma que celui-ci serait très satisfait de se retirer d'Espagne sur la base d'une «Espagne aux Espagnols», et Ilya Ehremburg, dans la «Pravda» du 17 juillet, tendait «la main de la réconciliation» aux phalangistes, qu'il appelait «les patriotes espagnols» (29).

Le 2 octobre, Negrin «prononça un discours dans lequel il déclarait que tous les Espagnols devaient arriver à un accord. Il demanda publiquement si les nationalistes étaient décidés à continuer la guerre (qui pour ces Messieurs n'avait déjà plus de raison d'être - N.d.R.) jusqu'à ce que la nation soit détruite» (30). Ainsi, le désarmement et l'écrasement du prolétariat ouvraient la voie à la «réconciliation nationale», en visant à restaurer une démocratie de fer appuyée sur ses bastions «ouvriers» et sur ses corps de répression - «démocratiques» aussi bien que phalangistes - réunifiés sous l'aile terroriste de l'État.

Si le pacte proposé par les forces de la démocratie fut alors repoussé par le franquisme, c'est parce que la reconstruction économique d'un capitalisme dévasté par la guerre civile, à laquelle venaient s'ajouter les conséquences chroniques de la crise internationale, nécessitait de la part de la classe dominante une volonté unitaire inébranlable, éliminant le plus possible les frictions intestines et secondaires, et une tension maximum des forces qui lui étaient subordonnées. Ceci exigeait par conséquent d'éliminer jusqu'à ces faux-frais de la domination bourgeoise que sont le parlementarisme et le «réformisme» ouvrier car, pour être efficace, celui-ci suppose des organisations de masse qui, dans la situation de l'époque, auraient représenté un terrain d'autant plus dangereux et gros de forces centrifuges que la social-démocratie et le stalinisme avaient ouvertement joué leur rôle anti-prolétarien jusqu'à ses ultimes conséquences.

Sur le terrain militaire, la guerre civile espagnole n'échappe pas à cette vérité que toute guerre est le prolongement de la politique, dont elle renforce les caractères et concentre les effets. Les seules victoires militaires remportées contre l'armée de Franco furent les victoires initiales des ouvriers qui étaient passés par-dessus la légalité bourgeoise. Les seules offensives victorieuses furent celles des milices ouvrières des Asturies et de Catalogne qui en occupant l'Aragon soulevaient au passage les paysans pauvres. Mais dès que l'élan prolétarien fut canalisé «pour la défense de la République», dès que les milices furent militarisées par l'État démocratique, l'histoire militaire de celui-ci fut une suite croissante de retraites qui reflètent sur le plan militaire sa fonction générale.

Après San Sebastian, le reste du Pays basque fut livré sans combat par l'armée républicaine après des mois d'inactivité militaire totale et après le désarmement des milices ouvrières. Avec la défaite irrémédiable de mai 1937 à Barcelone, la démocratie bourgeoise, ainsi que le nationalisme basque, avaient achevé leur mission. La bourgeoisie basque changea alors de camp, une fois que l'Angleterre, puissance influente dans la région, eût passé des accords avec le gouvernement franquiste.

Malaga tombe à cause de trahisons au sein de l'armée «loyaliste». Gijon est livré sans combat et les ouvriers sont désarmés. Le front d'Aragon est détruit par le sabotage total des milices par le gouvernement : il devient une effroyable boucherie de travailleurs qui supportent le feu nourri de l'armée franquiste, tandis que la République leur refuse tout secours en moyens aériens et en artillerie lourde. L'armée républicaine - dont la reconstruction devait soi-disant «assurer la victoire totale» - se retire de Barcelone, cœur du prolétariat espagnol, sans combat.

Seules la défense de Madrid en 1936 et l'offensive de l'Ebre en 1938 virent une réelle mobilisation, non pas tant des autorités gouvernementales, qui s'enfuirent comme des rats, que du bloc socialo-stalinien. Ici aussi, cependant, il s'agit d'autant de maillons d'une même chaîne contre-révolutionnaire. Il suffit de jeter un coup d'œil à la carte géo-politique de l'Espagne de 1936 pour comprendre que la chute de Madrid signifiait la liquidation du centre national de l'influence social-démocrate et stalinienne, et que dans cette hypothèse la Catalogne, donc le binôme anarcho-poumiste, serait devenue le centre politique et militaire de la lutte contre le franquisme. Jusqu'alors (octobrenovembre 1936), la C.N.T. et le P.O.U.M. n'avaient pas encore totalement montré jusqu'où ils pouvaient aller dans la collaboration de classes et dans la capitulation, et la chute de Madrid pouvait représenter un danger difficile à évaluer. Pour assurer la subordination du prolétariat catalan aux ordres de la République, la stratégie de la démocratie exigeait la conservation de Madrid. Sans compter que la défense de la capitale et la mobilisation internationale qui l'accompagna furent un des moyens par lesquels le stalinisme couvrit le spectacle honteux des procès de Moscou.

Quant à l'offensive de l'Ebre, ce fut une dernière tentative pour forcer la négociation : il suffit de dire que les brigades internationales furent retirées du front au milieu de la bataille, comme on l'avait convenu avec les puissances alliées lors de leurs précédentes négociations avec Franco.

Après la militarisation des milices, et surtout à partir de mai 1937, les fronts militaires ne seront plus que le théâtre des «trahisons» des armées loyalistes et d'un effroyable massacre de prolétaires. Pendant ce temps, la démocratie et ses partis en tiraient des arguments pour une impossible négociation, et les dirigeants anarchistes répétaient jusqu'à la nausée la nécessité de réaliser le «front unique antifasciste»et de «tout subordonner à la victoire».

Bilan historique et éléments de la tactique révolutionnaire
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Bien qu'elle soit le fondement essentiel de toute politique révolutionnaire, la démolition des thèses doctrinales de principe de nos adversaires, ne suffit pas à délimiter strictement l'action du prolétariat communiste : elle doit s'accompagner d'un ensemble d'indications qui établissent avec précision les frontières de sa tactique, c'est-à-dire de son attitude pratique face à la revendication de la «défense de la démocratie» avancée par le «bloc des gauches», face à l'alternative entre droite bourgeoise et «gauche» démocratique, et enfin face à la perspective d'un «gouvernement ouvrier» social-démocrate ou stalinien. Les trois problèmes - que le prolétariat espagnol dut précisément affronter pendant les années trente, comme avaient dû le faire avant lui les prolétariats italien et allemand - sont dialectiquement liés dans la mesure où, depuis plus d'un demi-siècle, la démocratie bourgeoise suppose l'existence de «blocs des gauches» et de partis «ouvriers» bourgeois.

Il est sûr que le prolétariat espagnol ne fut pas vaincu seulement à cause des erreurs tactiques des partis qui le dirigeaient, mais aussi et surtout parce que ces partis représentaient soit des courants contre-révolutionnaires, comme la social-démocratie et le stalinisme, soit des courants soi-disant extrémistes et en réalité impuissants, comme l'anarchisme et le centrisme. Autrement dit, le prolétariat espagnol a été vaincu avant tout à cause de l'absence d'un parti communiste solidement ancré aux principes et au programme révolutionnaires, possédant une longue expérience de lutte et une influence sur les masses ouvrières qui lui aurait permis de capitaliser les élans de la classe et de se porter à sa tête. Ce parti, comme devait le dire Trotsky, aurait trouvé un terrain favorable pour soulever dans tout le pays les masses prolétariennes et paysannes contre le fascisme et la démocratie en mai 1937. Mais cette absence résulte de facteurs historiques qui ne sont pas tant nationaux qu'internationaux. En ce sens, les indications concernant la tactique qui peuvent être tirées de cette période sont nécessairement limitées; elles n'en sont pas moins suggestives en raison des confirmations qu'elles apportent à des thèses valables à l'échelle mondiale.

Il est incontestable que l'anarchisme s'est liquidé historiquement en Espagne en faisant la preuve que «le sectarisme n'est que le bouton où peut éclore la fleur de l'opportunisme», comme le dit Trotsky dans une image frappante; de même, le P.O.U.M. a illustré l'éternelle faillite du centrisme. Mais constater cela ne suffit pas si on ne montre pas comment, par quels moyens la stratégie politique de la bourgeoisie est progressivement parvenue à ce résultat irrévocable d'amener l'anarchisme - qui repousse l'exigence révolutionnaire de l'État prolétarien au nom de son opposition de principe à tout État - à contribuer à la restauration et à la gestion de l'État bourgeois; comment elle a pu amener les chefs anarchistes et poumistes - qui avaient dénoncé des années durant la social-démocratie et le stalinisme comme agents de la contre-révolution internationale - à revendiquer par principe l'«unité ouvrière antifasciste», y compris après que la mitraille de la «démocratie sociale» eût déchiré les voiles qui masquaient son hideux visage anti-prolétarien.

Comment ne pas voir que le chemin concret qui devait mener l'anarchisme et le POUM à la capitulation avait été préparé depuis des années, depuis le pacte de San Sebastian jusqu'au Front Populaire de 1936 en passant par le Front Unique de l'Alliance Ouvrière, par la politique des appuis «tactiques» à la démocratie - qui lorsqu'ils ne seront pas synonymes de «défense révolutionnaire de la République» se traduiront en banales combinaisons et appuis électoraux - et par l'orgie ininterrompue de fronts uniques avec des partis «ouvriers» (voire avec des partis ouvertement bourgeois) qui avaient montré mille fois leur nature contre-révolutionnaire?

A notre thèse tactique du refus des fronts uniques politiques dans l'aire euro-américaine (en particulier avec la social-démocratie et aujourd'hui avec le stalinisme) face à l'offensive bourgeoise, on a souvent opposé l'exemple des bolchéviks et de l'accord qu'ils passèrent avec les menchéviks contre Kornilov (mais qui ne signifie pas, rappelons-le, une alliance avec le gouvernement de Kerenski!). Trotsky lui-même défendit cette tactique pour ses partisans en Espagne. Le parallèle était pourtant tout à fait malheureux, car en Russie cette alliance temporaire ne risquait de renforcer ni la démocratie ni les partis opportunistes. La bourgeoisie, au pouvoir depuis quatre mois, n'avait pas encore réussi à asseoir solidement sa domination et son appareil d'État. Elle n'avait pas de racines sociales profondes et n'avait pas réussi à tisser un réseau solide et stable au sein de la jeune et vigoureuse classe ouvrière. Le prolétariat n'avait pas été corrompu par le virus de la démocratie qui, en quatre mois d'existence, n'avait jamais présenté que le visage de l'ennemi, et par conséquent l'opportunisme n'avait pas réussi à entraîner de façon stable et conséquente de larges couches ouvrières sur la voie de la collaboration de classe.

Il en allait tout autrement en Italie, en Allemagne, et même - ce qui est d'autant plus significatif - dans l'Espagne relativement arriérée de l'époque. Ici, en effet, la bourgeoisie était non seulement profondément enracinée dans la société, mais elle avait aussi des agents puissants implantés depuis longtemps au sein de la classe ouvrière. Les traditions démocratiques bourgeoises avaient pénétré les masses exploitées, elle avaient infecté jusqu'aux anarchistes et s'exprimaient également dans de forts courants centristes (qui n'avaient eu qu'un poids infime dans la révolution russe). Dans ces conditions, les alliances politiques, même temporaires, avec les partis «ouvriers» bourgeois ne pouvaient pas amener un accroissement de l'influence révolutionnaire parmi les masses au contraire, elles constituèrent un facteur de désorganisation, de confusion, d'oscillations, et enfin de défaite des forces révolutionnaires.

Comment ne pas tirer de la lutte des classes en Espagne une nouvelle confirmation du terrible enseignement que la Gauche Communiste d'Italie avait tiré des années ardentes du premier après-guerre :
«
La social-démocratie a une fonction spécifique dans ce sens qu'il y aura probablement, dans les pays occidentaux, un moment où les partis sociaux-démocrates iront au gouvernement, seuls ou avec des partis bourgeois. Mais là où le prolétariat n'aura pas la force de l'éviter, un tel intermède ne représentera pas une condition positive, une condition nécessaire à l'avènement des formes et des institutions révolutionnaires, une préparation utile à l'assaut prolétarien : ce sera au contraire une tentative désespérée de la bourgeoisie pour le priver de sa force et le dévier et, au cas où il resterait à la classe ouvrière assez d'énergie pour se révolter contre le légitime, l'humanitaire, le bon gouvernement social-démocrate, pour l'écraser impitoyablement sous les coups de la réaction.
On ne peut donc prévoir aucune espèce de transition entre la dictature actuelle de la bourgeoisie et la dictature prolétarienne, mais on peut et, si l'on est communiste, on doit prévoir une forme ultime et insidieuse de la dictature bourgeoise qui justifiera la remise de tout l'appareil d'État et donc de défense du capitalisme aux social-traîtres par la nécessité de quelque changement formel et purement apparent des institutions.
Du point de vue tactique, les communistes qui font cette prévision ne se résignent nullement à ce qu'elle se réalise, justement parce qu ils lui dénient le caractère d'une nécessité historique universelle. Forts de leur expérience internationale, ils se proposent de démasquer par avance le jeu insidieux de la démocratie, et de commencer leur attaque contre la social-démocratie sans attendre que sa fonction contre-révolutionnaire se soit révélée avec éclat dans les faits mêmes. Ils essaieront donc de préparer le prolétariat à étouffer dans l'œuf ce produit monstrueux de la contre-révolution, sans exclure qu'il faille donner l'assaut final à un gouvernement à prétentions socialistes venu au pouvoir comme ultime recours de la bourgeoisie.
Quant aux propositions tactiques tortueuses de communistes passés de l'autre côté de la barricade, et qui consistent à favoriser l'accession des sociaux-démocrates au pouvoir, non seulement elles montrent une totale incompréhension des problèmes tactiques tels que la méthode marxiste les pose, mais elles dissimulent le pire piège. Il est nécessaire de détacher le prolétariat des hommes et du parti destiné à remplir la fonction contre-révolutionnaire de la social-démocratie en séparant par avance les responsabilités de la façon la plus tranchée. Naturellement, cela découragera ces hommes et ces groupes et retardera le moment où ils accepteront l'invitation de la bourgeoisie à assumer le pouvoir, mais il est bon précisément qu'ils s'y résignent seulement à la dernière extrémité, parce qu'alors même cette manœuvre sera impuissante à enrayer le processus de décomposition de l'appareil d'État bourgeois. Même s'il est presque certain que la bataille finale sera livrée à un gouvernement d'ex-socialistes, notre tâche n'est nullement de leur faciliter l'accession au pouvoir; elle est au contraire de préparer le prolétariat à les accueillir d'emblée par une déclaration de guerre, au lieu de voir en eux une promesse de trêve dans la lutte des classes et de solution pacifique des problèmes de la révolution. Or, on ne pourra préparer les masses à cela qu'à condition d'avoir par avance dénoncé devant elles les méthodes et les desseins du mouvement social-démocrate, si bien que ce serait une erreur colossale de sembler consentir à une expérience de gouvernement socialiste.
Pour toutes ces raisons, nous disons que la tactique révolutionnaire doit être fondée sur une expérience non seulement nationale, mais internationale, et que, grâce à l'œuvre infatigable des partis de l'Internationale Communiste, le martyre des prolétariats de Hongrie, de Finlande et d'autres pays devrait suffire à épargner au prolétariat occidental d'apprendre à son tour au prix de son sang quelle est la véritable fonction de la social-démocratie dans l'histoire. Le socialdémocratisme tentera fatalement de suivre sa voie jusqu'au bout, mais les communistes doivent se proposer de la lui barrer le plus tôt possible, avant qu'il soit parvenu à planter le poignard de la trahison dans les reins du prolétariat
» (31).

La démocratie et l'après-franquisme
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L'histoire ultérieure des forces de la démocratie espagnole ne fait que confirmer nos positions caractéristiques sur tous les plans que nous avons abordés.

Même la terrible défaite militaire et le massacre impitoyable de l'ensemble du prolétariat organisé, qui fit plus d'un million de morts, ne pouvaient détourner la social-démocratie et le stalinisme de leur cours historique, déterminé par des forces encore plus puissantes et plus profondes. Pour ne citer que quatre dates marquant une même trajectoire en février 1956, le P.C.E. relance son objectif de «réconciliation nationale»; à la fin des années soixante, il repropose son «Pacte pour la liberté»; en 1974, il entre avec des monarchistes et des maoïstes dans la Junte Démocratique. Il s'agit de nouvelles éditions de la proposition du gouvernement Negrin, que, quarante ans plus tard, la bourgeoisie espagnole accepte dans son principe ; en mars 1976, toute l'«opposition démocratique» s'unifie dans un nouveau «Pacte de San Sebastian» qui rassemble staliniens, social-démocrates, maoïstes, «nationalistes», monarchistes, démocrates-chrétiens (anciens franquistes et anciens membres de la C.E.D.A., dirigés par Ruiz Giménez, ministre de Franco, et Gil Robles, dont l'entrée au gouvernement en 1934 avait provoqué l'insurrection des Asturies) (32).

Les raisons de ces rapprochements sont bien connues. Le franquisme s'est montré impuissant à barrer la route à la renaissance irrésistible d'un puissant mouvement ouvrier de défense, consécutive à la reconstruction d'une économie capitaliste obligée de s'intégrer à un marché international marqué par des déséquilibres et des antagonismes croissants. Si le fascisme a pour la bourgeoisie cet énorme avantage de centraliser au maximum sa volonté de classe, il a l'inconvénient de mettre à nu la nature de l'État et de supprimer les amortisseurs qui contribuent à sa défense.

Du moment que - comme aiment à le répéter les démocrates de la dernière heure et les staliniens de toujours - plus de 70 % de la population espagnole n'ont pas vécu les terribles événements des années trente et que les tendances centrifuges propres à la société bourgeoise, au sein de la classe dominante comme au sein de la classe dominée, font éclater les structures politiques et sociales du régime franquiste, qu'y a-t-il de mieux pour la défense du statu quo social qu'une démocratie blindée intégrant l'appareil d'État de toujours et les forces socialo-staliniennes?

Le «pacte de pacification» que les social-démocraties italienne et espagnole proposèrent à leurs fascismes respectifs, mais que la lutte prolétarienne et le caractère explosif de l'époque firent voler en éclats, tend aujourd'hui à se concrétiser avec le retour pacifique de la démocratie parlementaire - «pacifique» en ce sens qu'il se réalisera sans affrontements violents au sein de la classe dominante et de son État; mais pour la classe exploitée, il signifiera comme toujours violence et mitraille.

Historiquement, la boucle est bouclée. Un autre arc historique est en train de s'ouvrir. C'est à nous qu'il incombe de préparer son issue victorieuse pour le prolétariat, en rejetant à l'avance la prétendue antithèse historique entre démocratie et fascisme, et en n'accordant aucun crédit dans la lutte contre la réaction bourgeoise aux complices naturels de la démocratie, les réformismes social-démocrate et stalinien.

Notes:
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  1. Hugh Thoma,s, «La guerra civil espanola», Paris (Ed. Ruedo Iberico), p. 36. [back]
  2. C'est cette même maturation (qui atteint déjà le niveau de la putréfaction) qui amène Camacho, dirigeant du P.C.E. dans la clandestinité, et pratiquement emprisonné depuis 1968. à déclarer lors de sa récente libération : «Malgré mes longues années de prison, je ne garde rancune à personne. Je ne cherche aucune sorte de revanche. L'heure est arrivée pour tous les Espagnols, sans discrimination, de lutter ensemble pour que dans notre patrie, nous puissions tous vivre en commun» («Le Monde», 2 décembre 1975). [back]
  3. Peirats, «Los anarquistas en la crisis politica espanola», Buenos Aires, 1904, p. 90. [back]
  4. «Du gouvernement», «Il Comunista», 2 décembre 1921. Réédité dans «Communisme et fascisme», Editions Programme Communiste, p. 63. [back]
  5. «Discours aux travailleurs», cité dans P. Broué, «La révolution espagnole», Flammarion, p. 112. [back]
  6. «La fonction de la social-démocratie en Italie», «Il Comunista», 6 février 1921. Réédité dans «Communisme et fascisme», p. 36. [back]
  7. «Discours aux travailleurs» dans Broué, op. cit., pp. 112-113. [back]
  8. Fersen «La défaite de l'Octobre espagnol», «New International», décembre 1934, pp. 136-137, cité dans «La révolution espagnole» de Léon Trotsky, Editions de Minuit, p. 267.
    De son côté Manuel Grossi écrit dans son journal de l'insurrection des Asturies : «
    A notre grande surprise les travailleurs de la capitale (des Asturies) restent absolument passifs. Voilà déjà trente heures que nous soutenons une lutte victorieuse dans le bassin des houilles, et les ouvriers d'Oviedo ne semblent informés de rien (...). Qui en porte la responsabilité? Nous savons que les ouvriers d'Oviedo voulaient entrer en action le 5 déjà, mais, simple constat, ce sont les dirigeants qui s'y sont opposés» («L'insurrection des Asturies», Ed. EDI, Paris, p. 68). À Madrid, le P.S.O.E. - qui est là aussi le parti dirigeant - non seulement n'a pas préparé les ouvriers, mais il ne cherche même pas à renforcer les grèves qui éclatent tandis que la répression commence à s'abattre sur les prolétaires de plus en plus désorientés. Le massacre de travailleurs des Asturies sera effroyable : 3000 travailleurs tués, 7.000 blessés, 40.000 prisonniers. C'est en toute cohérence que, plus tard, Largo Caballero niera avoir inspiré l'insurrection. Avec d'autres dirigeants socialistes, il sera absous par les tribunaux bourgeois. [back]
  9. «Le fascisme», «Il Comunista», 17 novembre 1921. Réédité dans «Communisme et fascisme», pp. 53-54. [back]
  10. «En avril 1936, (le colonel) Mangada publia une brochure amplement documentée, qui non seulement dénonçait le complot fasciste, mais prouvait de façon exhaustive que le président Azana était absolument au courant du complot lorsque le 18 mars 1936, à la demande de l'État-Major, son gouvernement avait donné à l'armée un certificat de bonne conduite. Se référant à des «rumeurs persistantes concernant l'état d'esprit des officiers et des sous-officiers de l'armée, le gouvernement de la république a pris connaissance avec douleur et indignation de l'attaque injuste dirigée contre les officiers de l'armée». Le cabinet Asana refusa d'ajouter foi à ces rumeurs, en décrivant les conspirateurs comme «absolument éloignés de toute lutte politique» et comme de «fidèles serviteurs du pouvoir établi pour garantir le respect de la volonté populaire»; plus, il déclara que «seul le désir perfide et criminel de miner l'armée pouvait justifier les insultes et les attaques écrites et orales qui ont été dirigées contre elle». Et il concluait : «le gouvernement de la république applique et appliquera la loi contre quiconque persistera dans cette attitude antipatriotique»» (P. Morrow, «L'opposizione di sinistra nella guerra civile spagnola», Samona e Savelli, 1970, pp. 18-19). [back]
  11. H. Thomas, op. cit., p. 116. Pour plus de détails, voir les mémoires de Gil Robles, «No fue posible la paz». [back]
  12. P. Broué, op. cit., p. 61, et F. Morrow, op. cit., p. 46. [back]
  13. Le 14 juillet, trois jours avant le début des opérations militaires, Casares Quiroga, président du Conseil, «assura dans la réunion de la commission parlementaire des travaux publics que la rumeur selon laquelle le général Mola avait été arrêté était fausse, ajoutant que Mola était un général loyal à la République et que propager des rumeurs de ce genre ne servait qu'à démoraliser le régime (...). (Le 17, le même Quiroga) annonçait que quiconque remettrait des armes aux ouvriers sans ordres de sa part serait fusillé» (H. Thomas, op. cit., pp. 145 et 152). Le 18, après l'occupation militaire totale du Maroc, de Séville, de la Navarre et de Saragosse, le gouvernement, qui n'avait pris aucune mesure pour s'y opposer, publia un premier communiqué «pour confirmer la tranquillité absolue de toute la Péninsule ( !). Le gouvernement (...) déclare que la meilleure aide qu'on peut lui apporter est de garantir la normalité, afin de donner un nouvel exemple de sérénité et de foi dans les moyens militaires de l'État ( !). Grâce aux précautions prises par les autorités, on estime qu'un vaste mouvement d'agression contre la république a été décapité; celui-ci n'a pas rencontré d'écho dans la Péninsule et il n'a trouvé de partisans que dans un secteur de l'Armée stationnée au Maroc (...). Ces mesures, conjointement aux ordres impartis aux forces armées du Maroc, qui travaillent activement à écraser l'insurrection, nous permettent d'affirmer que l'action du gouvernement suffira à rétablir l'ordre» (F. Morrow, op. cit., p. 22). Et Azana avouera plus tard que la riposte ouvrière «commença sous un gouvernement qui ne voulait ni ne pouvait lui donner sa caution» (Broué, op. cit., p. 133). [back]
  14. Peirats, «La CNT. en la revolucion espanola», tome 1, p. 139 sq. Gil Robles, op. cit. [back]
  15. Après la tentative avortée de constituer un gouvernement avec la participation de Mola, «lors d'une réunion du Cabinet à laquelle assistaient Prieto et Largo Caballero, (Sanchez Roman) exposa son plan. Celui-ci consistait en une retraite générale sur les positions du 19 juillet, l'amnistie (des mutins !), le désarmement (des ouvriers!), l'interdiction des grèves ( !), la formation d'un gouvernement national constitué par tous les partis politiques, la dissolution des Cortes, etc. Cette Initiative ne fut pas acceptée par le gouvernement récemment formé, et il était probablement impossible de la réaliser» (H. Thomas op. cit., p. 162). [back]
  16. «Les voies qui conduisent au noskisme». «Il Comunista», 14 juillet 1921. Réédité dans «Communisme et fascisme», p. 47. [back]
  17. Cité par F. Morrow, op. cit., pp. 40-41. [back]
  18. H. Thomas, op. cit., p. 417. [back]
  19. «Nation», 4 septembre 1937. Cité par F. Morrow, op. cit., p. 210. Le représentant du gouvernement espagnol était le leader socialiste Basteiro. [back]
  20. La note fut rédigée le 9 février 1937 par Alvarez del Vaya (F. Morrow, op. cit., pp. 58 et 179). [back]
  21. Cité par F. Morrow, op. cit., p. 80. [back]
  22. Le P.O.U.M. sera totalement détruit, moins par la terrible répression qui s'abattra sur lui, que par sa faillite politique. La C.N.T. anarchiste, dont l'organisation était plus solide, ne sera plus qu'un cadavre sans principes et sans honneur, que le temps se chargera de liquider. [back]
  23. H. Thomas, op. cit., p. 408. [back]
  24. Dans sa lettre à Staline du 12 février 1937, Largo Caballero écrivait : «Malheureusement, on n'a pas pu éviter, surtout au début, que certains excès se produisent (pour ces messieurs, la lutte de classe est toujours l'expression des «excès des masses» que «malheureusement» les laquais de la bourgeoisie ne peuvent pas toujours éviter), mais nous avons bon espoir qu'ils ne se reproduiront plus». Uribe, ministre stalinien de l'agriculture, fut déclaré «ennemi public Nr. 1» par la Fédération paysanne U.G.T. de la province du Levant, du fait de sa lutte contre les associations syndicales et économiques de paysans pauvres et de l'aide qu'il prêtait aux paysans riches et aux anciens «caciques» pour récupérer leurs terres. Après les journées de mai, des dizaines de milliers de gardes d'Assaut attaqueront les villages l'un après l'autre, détruisant les associations paysannes et restituant aux anciens exploiteurs leurs privilèges (F. Morrow, op. cit., pp. 142 et 160). [back]
  25. F. Morrow, op. cit., p. 140. [back]
  26. H. Thomas, op. cit., p. 591. [back]
  27. H. Thomas, op. cit., pp. 616-617. [back]
  28. H. Thomas, op. cit., p. 631. [back]
  29. H. Thomas, op. cit., p. 639. Sur le plan international, la «lutte gigantesque entre la Démocratie et le Fascisme» qui se cristallisa dans un comité de... non-intervention aussi hypocrite que le slogan cité, recouvrait des appétits de rapine impérialiste et de conservation sociale. Tandis que l'Allemagne et l'Italie intervenaient alternativement pour aider à étouffer la rébellion prolétarienne, pour essayer leur matériel et leurs techniques militaires, et pour accéder aux gisements miniers de la péninsule ibérique, les États-Unis fournissaient à l'armée franquiste tout le combustible dont elle avait besoin. La France, elle, faisait de la guerre civile un «test pour le matériel aérien français», selon les propres paroles de Léon Blum en 1942 au procès de Riom. Quant à l'Angleterre, elle attendait de la dévastation économique du pays le prologue à une demande massive de crédits; ce qui devait précisément arriver. Pour la Russie, la participation savamment graduée à la guerre fut le rideau de fumée a l'aide duquel elle s'efforça de couvrir sa criminelle politique intérieure et extérieure. Non seulement l'«aide» militaire russe fut payée en or, mais elle ne commença qu'après la militarisation des milices et se tarit progressivement après 1937, ce qui démontre bien qu'elle était étroitement liée aux infâmes procès de Moscou. Elle ne servit à armer que les régiments qui furent le fer de lance de la reconstruction de l'armée bourgeoise, et ses vicissitudes doivent encore être mises en rapport avec celles des alliances militaires russes. Enfin, last but not least, la Russie, tout comme les démocraties occidentales, utilisa la guerre d'Espagne comme levier de la préparation idéologique du prolétariat mondial à la guerre impérialiste. [back]
  30. H. Thomas, op. cit., p. 6.15. [back]
  31. «La fonction de la social-démocratie en Italie » op. cit., pp.. 31-38. [back]
  32. Cf. «La burguesia y el oportunismo preparan el posfranquismo», «El Programa Comunista» Nr. 19, janvier 1976. [back]

Source: «Programme Communiste» Nr. 71, septembre 1976.

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