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LE LONG CALVAIRE DE LA TRANSFORMATION DES PAYSANS PALESTINIENS EN PROLÉTAIRES


Content :

Le long calvaire de la transformation des paysans palestiniens en prolétaires
Du code ottoman à la grande révolte de 1933–1936
La naissance d’Israël et la guerre d’expropriation
Nouvelle curée ·expropriatrice avec la guerre de 1967
Le capital engendre ses propres fossoyeurs
Notes
Source


Le long calvaire de la transformation des paysans palestiniens en prolétaires

La création et le développement de l’État d’Israël sont évoqués par les bourgeois comme une de ces épopées idylliques pour lesquelles ils nourrissent un goût particulier. N’y a-t-on pas fait fleurir le désert grâce aux vertus jamais assez vantées du travail, du courage et de la persévérance de ce petit peuple ? Ce conte de fées complaisamment répandu cache en réalité le drame de l’expropriation de la population des campagnes. Certes, toutes les zones de la planète, qui ont été ouvertes les unes après les autres à la pénétration du capitalisme, ont connu ce drame; mais en Palestine il a été poussé – progrès oblige ! – à un degré de cynisme et de barbarie rarement égalé. Partout, les capitalistes ont tenté de nier purement et simplement l’existence de cette expropriation, afin de préserver la pureté philanthropique de leur œuvre. En Palestine, ils ont nié jusqu’à l’existence de la population expropriée : « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » ! N’est-ce pas plus simple ? « Dans les annales de l’histoire réelle », disait déjà Marx, « c’est la conquête, l’asservissement, la rapine à main armée, le règne de la force brutale, qui l’a toujours emporté […]. A leur dire il n’y eut jamais, l’année courante exceptée, d’autres moyens d’enrichissement que le travail et le droit. En fait, les méthodes de l’accumulation primitive sont tout ce qu’on voudra, hormis matière à idylle ».[1].

Le « paradis » dans le Néguev, la culture florissante des agrumes et des avocats dans les plaines côtières, tout comme le boom industriel (fût-ce à l’échelle d’un tout petit pays) présupposent le dépouillement total des paysans palestiniens. L’histoire de leur expropriation ressemble à celle de ces paysans anglais dont parlait Marx : elle « n’est pas matière à conjecture : elle est écrite dans les annales de l’humanité en lettres de sang et de feu indélébiles ».[2]

Du code ottoman à la grande révolte de 1933–1936

Le calvaire de l’accumulation primitive, ou plutôt de sa réédition palestinienne, qui n’est que l’acte le plus éclatant d’un drame qui a frappé l’ensemble de la région, remonte au milieu du siècle dernier. Plus précisément à 1858, avec l’institution du code de la propriété foncière par l’Empire Ottoman, dont la Palestine faisait partie avec d’autres pays du Proche Orient. Cet empire archaïque et suranné ne pouvait rivaliser, ne fût-ce que pour un temps, avec les puissances modernes de l’Europe, qu’en accentuant son joug sur les masses paysannes. Le but de ce code était de rendre individuelle une propriété . du sol jusque-là collective ou tribale. Les impôts, au lieu d’être payés collectivement, devaient désormais être individualisés, engageant ainsi la responsabilité personnelle en cas de non-paiement et affaiblissant par-là même la résistance à l’alourdissement de la charge fiscale par l’État.

Les paysans jouissant du fruit de la terre et de son usage, selon les règles de l’organisation villageoise ou tribale, réagirent au code de façons diverses. Certains refusèrent tout bonnement d’appliquer la loi et ne procédèrent jamais à I’inscription des terres. Ce sont ceux-là qui, lors de la création de l’état d’Israël en 1948, furent expulsés de leurs terres sous prétexte qu’ils n’avaient aucun titre de propriété. D’autres ne déclarèrent à l’État que le tiers cultivé annuellement, en laissant de côté les deux tiers en jachère. D’autres encore firent enregistrer une superficie inférieure à la partie cultivée, sachant bien que le contrôle effectif de l’État ottoman ne pouvait atteindre tout le monde. De nombreux villages enfin firent enregistrer l’ensemble de leurs terres au nom des notables, qui payaient moins d’impôts ou en étaient dispensés. Ils jouaient ainsi sur l’usage de l’empire, qui, handicapé par son éloignement, devait acheter les notables pour éviter qu’ils soient tentés de prendre la tête des révoltes paysannes contre le pouvoir central.

L’application du code mena donc au renforcement du rôle des notables : devenus propriétaires au départ " pour rendre service », il arriva inévitablement un jour où leurs héritiers cherchèrent à tirer profit de ce titre dont personne n’avait voulu. De son côté, l’État se mit à user de la règle du code en vertu de laquelle les terres sans propriétaires (en fait les terres en jachère ou non déclarées) étaient considérées comme propriété d’empire (terres miri), et il commença à vendre, en vertu de ce droit de propriété, les terres de vastes domaines à des commerçants libanais, syriens, égyptiens et iraniens. Ces derniers tentèrent, avec plus ou moins de succès selon le degré de résistance des paysans, de prendre effectivement possession des sols; ceux qui n’y arrivèrent pas conservèrent leurs titres, qu’ils devaient concéder à des prix fort intéressants, quelques années plus tard, aux organisations sionistes.

Tableau 1 :
Origine de la propriété foncière juive d’après le type de vendeur
(1920 – 1936)
Période d’achat Pourcentage des terres achetées à des propriétaires absentéistes Pourcentage des terres cédées par des grands propriétaires résidents Pourcentage des terres cédées par des fellahs
1920 – 1922 75,4 20,8 3,8
1923 – 1927 86 12,4 1,6
1928 – 1932 45,5 36,2 18,3
1933 – 1936 14,9 62,7 22,5
Sources : A. Granott,  »The Land System in Palestine« , London, 1952, cité par N. Weinstock, « Le sionisme contre Israël », Maspéro, 1969, p. 152.

Le résultat de ce processus fut une concentration accrue de la propriété foncière, bien que les structures économiques n’aient pas encore connu de profond bouleversement, étant donné que les paysans conservaient en général la possession effective du sol, même s’ils n’en avaient plus qu’en partie la propriété juridique. Tel était le tableau à la veille de la première guerre mondiale, au terme de laquelle la Sublime Porte dut céder la place à la Grande-Bretagne. L’intérêt que cette dernière accordait à la Palestine s’explique par sa position stratégique proche du canal de Suez, et par le souci de prévenir l’éclosion d’un large mouvement national anti-impérialiste par l’introduction d’un État à sa botte coupant cette zone où s’éveillait le sentiment national unitaire; le jeu de l’impérialisme britannique s’est conjugué avec les intérêts du capital sioniste pour aboutir à un projet commun consistant à créer cet État, à la fois gendarme local et entreprise coloniale.

Si le capital sioniste tenta d’installer des colonies en Palestine avant l’effondrement de l’Empire Ottoman, c’est sous le mandat britannique qu’il put réaliser son plan à grande échelle, grâce au concours en particulier de la Fondation Rothschild[3], mais en bouleversant cette fois de fond en comble les rapports de production. L’achat des terres par la J.C.A. (Jewish Colonization Association), constituée à cette fin, ne pouvait naturellement signifier que l’éviction des métayers et cultivateurs palestiniens. En effet, si les titres de propriété étaient détenus par les grands propriétaires absentéistes, qui en cédèrent sans difficulté l’écrasante majorité dès les premières années (voir les chiffres du tableau 1), la terre sur laquelle portaient ces titres étaient l’élément indispensable à l’existence de paysans palestiniens

Le fellah dépossédé devint alors ouvrier agricole sur sa propre terre. La situation d’exploitation féroce de la main-d’œuvre locale par le capital sioniste au début du siècle s’aggrava encore avec le principe du « travail juif », utilisé pour préserver le projet d’implantation colonialiste, et en vertu duquel l’immigré chassa le fellah de son travail, les fonds sionistes se chargeant de financer la différence de salaire pour permettre l’emploi de main-d’œuvre européenne. Cette situation ne pouvait se prolonger sans heurts violents, car il n’était laissé aux paysans expulsés d’autre possibilité que de crever en regardant les colons s’installer à leur place. C’est la raison des révoltes sociales quasi permanentes de 1921, 1925, 1929, 1933, 1936, etc.

En 1921, trois ans après l’arrivée des Anglais, la situation était telle qu’un véritable soulèvement éclata dans tout le pays. Les régions les plus touchées furent Safad dans le Nord, Hebron et Jérusalem dans le centre, La colère paysanne se dirigea essentiellement contre les sionistes,· dont les colonies furent durement attaquées. L’armée anglaise. se chargea de ramener le « calme et la paix » : elle a toujours manifestée un faible pour ce genre de mission. Il lui fallut, pour de nobles motifs, évidemment, réprimer la « minorité » d’irresponsables : exécutions sommaires, pendaisons, etc. Ces révoltes ont culminé avec celle de 1936, qui dura trois ans et s’accompagna d’une magnifique grève générale urbaine de six mois. La force de cette révolte n’était plus la paysannerie ou la bourgeoisie, mais déjà un prolétariat agricole dépossédé de ses moyens de travail et de subsistance et l’embryon d’une classe ouvrière essentiellement concentrée dans les ports et à la raffinerie de pétrole de Haïfa. Il est d’ailleurs à signaler que ce mouvement a pris d’abord dans les villes pour gagner ensuite rapidement les campagnes où une guérilla s’organisait, s’en prenant aux propriétaires fonciers palestiniens aussi bien qu’aux colonisateurs anglais et sionistes. Nombreux furent en effet les propriétaires fonciers visés par les révolutionnaires palestiniens pour avoir vendu la terre aux sionistes : pour les paysans dépossédés, il était clair que c’était de leur misère que s’enrichissaient les spéculateurs fonciers.

La contre-révolution stalinienne et l’absence en Europe d’un mouvement révolutionnaire prolétarien susceptible de venir en aide à la révolte palestinienne, laissa cette dernière seule face à la machine de guerre de l’impérialisme britannique. Celui-ci a néanmoins été amené à conjuguer la terreur des armes avec les promesses d’indépendance et autres manœuvres semblables pour en venir à bout. Il a même dû appeler au secours les féodaux arabes et les roitelets de la région à sa solde. Ces derniers ont « fraternellement » appelé les Palestiniens à faire taire les armes et à faire confiance aux bonnes intentions du gouvernement de Sa Majesté. Et pour les aider à mieux entendre cet appel, les frontières de la Transjordanie (où régnait le grand-père de l’actuel boucher d’Amman, le prince Abdallah, abattu en 1952 par un Palestinien) furent fermées aux maquisards qui tentèrent de s’y réfugier ou de s’y procurer armes et provisions, ainsi qu’aux volontaires de la région tentés de rejoindre les insurgés.

C’est de cette époque que datent les· lois sur la responsabilité collective des villages et districts arabes, ces délices terroristes que le semi-barbare despotisme oriental a laissé en héritage à la civilisation du capitalisme occidental. Aux termes de ces lois, les villageois sont contraints d’héberger les détachements de la police en opération punitive, et la population est considérée comme responsable des opérations menées par quiconque dans la région; celle-ci est donc placée sous la loi martiale et bénéficie du droit à la destruction des habitations où les « rebelles » se sont réfugiés, et des internements administratifs pour l’exemple. C’est ainsi qu’à la suite d’une opération qui coupa une ligne téléphonique en Galilée, trois villages furent assiégés par l’armée britannique. Tous les hommes furent alignés. On compta :, ceux. qui eurent le malheur de tomber sur le nombre 10, 20, 30, etc., furent fusillés devant tous les villageois.

C’est par de telles méthodes que l’Angleterre chrétienne et démocratique entendait en finir avec la révolte des paysans sans terre, sans pain et sans travail. 30 000 soldats furent chargés de contrôler une population qui n’excédait pas 800 000 habitants ! Tous les dirigeants de grève furent emprisonnés. L’aide apportée aux colonisateurs par les ·notables féodaux et religieux qui se mirent à la direction du mouvement fut décisive : en liaison avec le prince Abdallah de sinistre mémoire, ils ne cessèrent de poignarder la lutte dans le dos en participant avec les Anglais à la recherche d’« un dénouement » à la situation. Les Britanniques lancèrent une grande offensive pendant laquelle les villages insurgés furent bombardés (les Israéliens suivent aujourd’hui le bon exemple) et qui se solda par le bilan suivant : 5000 Palestiniens tués et 2500 emprisonnés.[4]

L’élan héroïque des ouvriers et des paysans palestiniens de ces années-là fut brisé. Le terrible isolement dans lequel la situation internationale les cantonnait empêcha tout élargissement de l’horizon, qui aurait permis à cette révolte de confluer avec la lutte de toutes les masses exploitées de la région contre le joug colonial et les anciennes classes. Elle fut également paralysée par le poids de l’arriération sociale dans laquelle végétait le pays, et qui s’est traduit dans la direction mi-féodale mi-religieuse du mouvement.

Si la classe ouvrière n’a pu jouer un rôle plus important, c’est aussi parce que le parti qui prétendait la représenter, le Parti Communiste Palestinien, était guidé par une orientation complètement fausse,· d’ailleurs accentuée par une Internationale qui n’avait plus de communiste que le nom. Au lieu de se démarquer par rapport à une direction religieuse et réactionnaire, le PCP, dans lequel militait une majorité d’ouvriers juifs antisionistes mais également un minorité d’ouvriers arabes, fut contraint par l’Internationale stalinisée de soutenir le mufti de Palestine, Hadj Amin Husseini, une espèce de Khomeini avant la lettre, si ce n’est pire encore. Une telle attitude désorienta complètement les prolétaires et favorisa des deux côtés le développement des tendances nationalistes. Les ouvriers arabes, trouvant que leur parti soutenait l’aile la plus réactionnaire du mouvement, le quittèrent pour des organisations nationalistes moins modérées; de leur côté, les ouvriers juifs ne pouvaient soutenir une telle position sans se trouver totalement désarmés par rapport à la propagande fallacieusement « antiféodale » du sionisme .. Ici comme ailleurs, la contrerévolution stalinienne a complètement détruit le parti de classe, avec d’autant plus de facilité en Palestine que le prolétariat y était encore embryonnaire et surtout terriblement divisé par la situation coloniale.

La révolte de 1933–1936, aussi courageuse qu’elle fût, finit donc par un fiasco complet. Malgré le recul momentané de la Grande-Bretagne qui fut obligée de limiter l’immigration juive pendant quelques années, -le mouvement sioniste ne cessa de se renforcer. Le mouvement palestinien sombra même dans une amertume et une déception telles que l’on peut sans doute affirmer que l’issue douloureuse de la guerre de 1948 était déjà en partie jouée en 1936.

La naissance d’Israël et la guerre d’expropriation

A la fin de la seconde guerre mondiale, le vieil empire anglais commença à céder la place au colosse impérialiste américain. Le mouvement sioniste s’en trouvait d’autant mieux que la présence anglaise lui était devenue inopportune, voire insupportable, poussant même plusieurs groupes sionistes pressés d’établir leur État dans un mouvement terroriste anti-anglais où Begin fit d’ailleurs ses premières armes. La Grande-Bretagne n’aspirait plus qu’à dégager sa responsabilité de la Palestine, et elle confia le gâteau à l’ONU, cette nouvelle « caverne de brigands » bâtie sur les cendres de la défunte société des Nations.

Les préparatifs de la constitution d’un État juif menèrent en 1947 à la guerre israélo-arabe. Pendant que les délégués des vertueuses nations bourgeoises bavardaient dans les salons somptueux de l’ONU pour savoir si un Arabe et un Juif étaient capables de vivre ensemble sans s’entr’égorger (avec ces Orientaux, mon cher, on ne sait jamais…), ou s’il valait mieux les séparer par des barbelés, l’État d’Israël fut créé le 14 mai 1948. Cela provoqua la course entre Truman et Staline pour savoir qui le reconnaîtrait le premier, mais surtout cela ouvrit en grand la chasse aux Palestiniens.

L’histoire n’avait encore donné là qu’un avant-goût de la barbarie capitaliste. Vider le pays du maximum de ses paysans ruinés était désormais l’objectif avoué. II s’agissait de la réédition en grand du calvaire des paysans écossais décrit par Marx : « … Aux yeux des land lords » [dans notre cas, des sionistes] « c’est un principe fixe, une nécessité agronomique que de purger le sol de ses indigènes comme l’on extirpe arbres et broussailles dans les contrées sauvages de l’Amérique ou de l’Australie, et l’opération va son train tout tranquillement et régulièrement ».[5]

Pour des raisons tant internationales que locales, Israël n’a pu alors occuper la totalité de la Palestine. En effet, le processus d’expropriation était moins avancé dans certaines zones que dans d’autres : c’est ainsi que le centre, plus montagneux, intéressait moins les sionistes; de plus, dans le cadre d’un partage prôné par l’ONU, l’État d’Israël ne devait se constituer que sur une partie de la Palestine. La partie occupée fut en fait plus grande que celle prévue par le plan de partage, mais la Cisjordanie et la bande de Gaza échappèrent momentanément à la conquête sioniste, la première pour échoir au prince Abdallah, qui fut par la même occasion promu roi de Jordanie par les Anglais, la seconde revenant à l’Egypte. Près d’un million de paysans et d’ouvriers palestiniens furent chassés de leurs foyers. Cette fois, la bourgeoisie se moqua bien du sacro-saint droit de propriété, de la légalité et autres attrape-nigauds. C’est la force brutale, la terreur, le massacre et l’extermination qui furent érigées en loi suprême afin de servir de base à toute la légalité ultérieure.

Inutile de décrire les conditions misérables dans lesquelles les masses palestiniennes furent parquées; elles n’avaient rien à envier aux camps de concentration d’où sortaient à peine ces centaines de milliers de Juifs, poussés là par l’impérialisme qui leur faisait miroiter l’Eden retrouvé.[20]Toujours est-il que ce million de déracinés, de chômeurs forcés, devait rompre à tout jamais le fragile équilibre régional, et devait devenir l’épicentre des révoltes sociales au Moyen-Orient.

Malgré l’acharnement des autorités israéliennes à’ expulser le •plus grand nombre possible de Palestiniens – ce qu’elles réussirent en grande partie – une minorité parvint à rester sur place : 170 000 environ en 1948, devenus aujourd’hui plus de 500 000, qui vivent à l’intérieur de l’État d’Israël. Cette population a dû supporter une oppression inouïe, qui ne trouve peut-être son égale que dans les sociétés coloniales d’Afrique. Les populations palestiniennes durent passer sous les fourches caudines d’un régime militaire extraordinairement féroce, qui n’a d’ailleurs d’autre base « légale » que les fameuses ordonnances britanniques de la période du mandat, parmi lesquelles il faut noter les Emergency Defense Regulations promulguées en 1945 pour lutter contre les mouvements de résistance juifs à l’occupation anglaise.

Voici deux témoins à charge. Pour le premier, « la question est la suivante : serons-nous tous soumis à la terreur officielle ou y aurat-il de la liberté pour l’individu ? Aucun citoyen n’est à l’abri d’un emprisonnement à vie sans procès […], le recours en appel est aboli […], les pouvoirs de l’administration d’exiler n’importe qui n’importe quand sont illimités […]. Il n’est pas nécessaire de commettre une quelconque infraction, une décision prise dans quelque bureau suffit. ». Pour le second : « l’ordre établi par cette législation est sans précédent dans les pays civilisés. Même en Allemagne nazie il n’existait pas de pareilles lois ». Ces déclarations ont été faites dans un meeting de juristes tenu à Tel-Aviv le 7 février 1946 pour protester contre la répression… coloniale anglaise, la première par Bernard Dov Joseph, futur ministre de la Justice d’Israël, la seconde par J. Shapira, qui deviendra. procureur général de la république israélienne.[6] Il n’a pas fallu deux ans pour que cette barbarie « nazie » soit utilisée par les sionistes contre les Palestiniens.

Mais cette législation barbare ne pouvait suffire à la voracité colonisatrice d’Israël, ce rejeton monstrueux de l’accouplement du sionisme et du capitalisme occidental. Il fallut encore perfectionner l’arsenal terroriste des Defense Regulations, ce qui fut fait avec les lois successives qui, sous couvert de l’état de guerre, visaient à légaliser les spoliations.

Un des chefs-d’œuvre de cette législation fut la « loi sur la propriété des absents ». Au terme de ce texte fut défini comme absent « toute personne qui dans la période entre le 19 novembre 1947 et le 19 mai 1948 était propriétaire d’une parcelle de terre située en Israël et qui à cette période était soit : – citoyen du Liban, de l’Egypte, de l’Arabie Saoudite, de la Jordanie, de l’Irak ou du Yemen; – dans ces pays ou n’importe où en Palestine à l’extérieur d’Israël; – citoyen palestinien qui a quitté son lieu de résidence en Palestine pour s’installer dans une région tenue par des forces qui ont lutté contre l’établissement de l’État d’Israël » (7).[7]

Cette période correspond aux importants déplacements de personnes qui avaient fui les zones des affrontements les plus chauds. Combien de paysans, considérés comme ’ absents alors qu’ils s’étaient seulement « déplacés » de quelques centaines de mètres, ont vu leurs terres confisquées ? Une autre vertu de cette loi fut d’accaparer les terres et biens du clergé (plus de 6%) : Dieu lui-même était absent !

Autre monument du droit : la fameuse « loi d’urgence ». Elle permet de déclarer certaines régions « zones closes » : une autorisation écrite du gouvernement militaire est alors nécessaire pour y accéder. Selon une autre disposition, si tel village est déclaré « zone de sécurité », les habitants n’ont plus le droit d’y habiter. Plus de douze villages de Galilée ont dû pour cette raison être abandonnés : telle est la loi ! D’autres règles de même nature ont été promulguées : ainsi l’une d’elles autorise à déclarer certaines régions « zones de sécurité temporaire », ce qui a pour effet d’empêcher les paysans de cultiver leurs terres, tandis qu’une autre autorise l’État à confisquer les terres non cultivées « pendant un certain temps ». Rien n’échappe à la loi…

DL’État se devait de compléter cette magnifique construction juridique par les « Ordonnances sur l’état d’urgence » de 1949, qui viennent compléter les « lois d’urgence » anglaises de 1945; elles donnent tout pouvoir à l’autorité militaire pour les besoins de la « sécurité publique », de perquisitionner et de fouiller habitations et véhicules, émettre des mandats d’arrêt, intenter des procès sommaires à huis clos et sans appel, limiter la circulation des personnes, assigner à résidence, déporter hors des frontières. Par exemple, l’article 119 autorise la confiscation des terres, tandis que l’article 109 permet à l’armée d’interdire à toute personne de se trouver dans les lieux qu’elle désigne, et de dicter des restrictions relatives aux fréquentations et à l’exercice d’un emploi. On touche ici à l’explication d’un des secrets de la démocratie : cette dernière peut se payer le luxe de couvrir la violence ouverte liée à l’oppression de classe – ici doublée d’oppression raciale et nationale – du voile hypocrite du droit.[8]

La pénurie de terrains s’étend même aux villes et aux villages où la population s’entasse et dans lesquels les terrains où on est autorisé à construire sont extrêmement limités.[9] La pénurie de terrains s’étend même aux villes et aux villages où la population s’entasse et dans lesquels les terrains où on est autorisé à construire sont extrêmement limités.

Qu’est devenue cette population encore essentiellement paysanne en 1948 et restée en Israël ? Le tableau 2 le montre :

Tableau 2 :
Répartition de la main-d’œuvre arabe entre les principaux secteurs d’activité
en % 1954 1966 1972
Agriculture 59,9 39,1 19,1
Industrie 8,2 14,9 12,5
Construction et travaux publics 8,4 19,6 26,6
Autres secteurs 23,5 26,4 41,8
  100 100 100
Source : « Annuaire statistique d’Israël », 1955 – 1973.

Il n’est pas indifférent de noter que dans le secteur industriel la quasi-totalité des Arabes sont salariés. Sur la population active agricole, 58% sont des prolétaires, ce qui signifie que moins de 10% des Arabes israéliens sont encore liés à la terre en 1972. Quant aux services, ils englobent une forte majorité de salariés, au point qu’en 1970 déjà les ouvriers et assimilés représentaient 72,6% de la population active arabe.[10] La nouvelle génération des Palestiniens vivant en Israël est donc essentiellement ouvrière, bien que continuant à habiter en milieu rural (74% de la population en 1967). Le village qui continue à les abriter ne peut plus constituer qu’un ghetto dans lequel l’État d’Israël s’efforce de les enfermer. Ces ouvriers surexploités, sous-payés (dans certains cas le rapport est du simple au double pour un même travail), sont astreints à faire des heures de trajets en autocars pleins à craquer pour aller à leur lieu de travail et en revenir.

Ces prolétaires ont subi un calvaire fait de misère, de guerres, d’humiliations et. de massacres dont ils gardent le souvenir gravé dans leur mémoire.[11] Le régime d’urgence a bien été supprimé en 1966, mais cela ne pouvait signifier la suppression des lois qui le caractérisent. Les prérogatives du pouvoir militaire ont seulement été transférées aux différents appareils de l’administration civile, et en particulier, à la police… En réalité, « quels que soient les droits et libertés reconnus par la loi ou par la coutume aux habitants d’Israël, des considérations de sécurité sont toujours susceptibles de les remettre en cause sans qu’il soit dérogé formellement à la légalité ».[12]

Les quelques paysans qui subsistaient ont été tout récemment encore victimes de cette possibilité de rétablir pour un oui ou pour un non la législation terroriste. Ainsi en 1976, on a arraché, sous couleur d’« opération de remembrement », 10 000 ha à la population arabe; cette attaque du maigre réduit qui lui restait a provoqué des manifestations de masse, des grèves et des affrontements avec la police et l’armée. Cette dernière décréta le couvre-feu et envahit de nombreux ’ villages; six Arabes furent tués et plusieurs dizaines blessés. L’épisode fut baptisé « journée de la terre ». Surtout, cette législation est aujourd’hui utilisée contre toute contestation vis-à-vis de l’État. Et qui doit « contester » le plus si ce n’est la classe ouvrière ?

En contact depuis 1967 avec la nouvelle vague d’ouvriers palestiniens vivant à leur tour sous régime d’occupation à Gaza et en Cisjordanie, elle s’éveille à la lutte plus hardiment qu’elle a d’autant trop longtemps contenu sa colère.[13]

Nouvelle curée expropriatrice avec la guerre de 1967

La Palestine tout entière est un pays minuscule : 27 000 km2, soit la taille de la Belgique. Le tiers est désertique, la culture y est très difficile et surtout très coûteuse. Israël en a occupé en 1948 près de 21 000 km2. Il est évident qu’un cadre aussi exigu ne peut satisfaire l’appétit d’un capital sioniste plein d’ambition. Dans un tel contexte, l’expansion est une nécessité, l’expansionnisme une religion d’État.

C’est ainsi qu’Israël s’est emparé en 1967 de la Cisjordanie et de Gaza, et que le phénomène de 1948 s’est répété. La bande de Gaza était habitée en 1947 par 450 000 Palestiniens dont plus des deux tiers (316 775 en janvier 1967) étaient des réfugiés venant de la plaine fertile de Jaffa d’où ils furent chassés en 1948. Plus de 100 000 habitants de Gaza, dont beaucoup prenaient le chemin de l’exode pour la deuxième fois, furent contraints de se réfugier dans les pays voisins. La Cisjordanie, qui était peuplée d’environ 850 000 personnes en 1967, c’est-à-dire avant l’occupation, n’en comptait plus que 650 000 trois ans plus tard, ce qui signifie que plus de 200 000 Palestiniens ont dû tout abandonner dans cette région pour aller s’installer dans les camps de misère appelés « camps de réfugiés ». Ainsi, plus de 300 000 personnes ont été astreintes, pour une raison ou pour une autre, à quitter leurs foyers, et par conséquent ont été frappées d’interdiction de retour en vertu de la législation israélienne, si bien adaptée au nettoyage par le vide.

La fameuse loi sur les absents a fonctionné à fond : 33 000 hectares sont tombés sous sa coupe. 16% de la totalité des terres appartenant à l’État ou aux collectivités sont automatiquement passés à l’occupant. Israël a réquisitionné aussi plus de 10 000 maisons appartenant à des « absents » transformés en réfugiés dans les camps. Mais ce procédé est somme toute habituel. D’autres, plus raffinés, ont été imaginés : c’est ainsi qu’au village d’Akraba en Cisjordanie, les sionistes ont détruit les cultures en les arrosant de produits chimiques. Est-il besoin d’ajouter que l’État a ressorti tout son arsenal terroriste déjà si bien éprouvé ? II y a eu des milliers d’expulsions, selon les déclarations devant la Knesset de l’ancien ministre de la Défense, Shimon Pérès en personne; 23 000 Palestiniens ont été fait prisonniers au cours des années 1967–73; 16 312 maisons ont été détruites entre 1967 et 1971 en vertu du principe hautement biblique de la responsabilité collective. Plusieurs villages ont été purement et simplement rayés de la carte comme par exemple Latroun, Amwas, Yllo, Beit Nouba et bien d’autres.

Sur les terres confisquées par ces procédés de gangstérisme organisé par l’État, la colonisation a pu commencer dès octobre 1967. En 1971, on comptait déjà 52 colonies dans les territoires récemment occupés.[14] Depuis, les nouvelles installations et les nouveaux projets n’ont cessé… et l’actualité en apporte une moisson périodique.[15]

Il est presque inutile d’ajouter que la population arabe est privée, plus encore qu’en Israël, de toute possibilité d’expression, d’association syndicale et politique indépendante. Le moindre soupçon d’appartenance à une organisation subversive s’est déjà traduit pour des milliers de Palestiniens par un total de plusieurs siècles d’hospitalité ô combien agréable, dans les geôles sionistes.

Sur une population totale estimée en Cisjordanie et à Gaza à près d’un million d’habitants en 1970, et sans doute davantage aujourd’hui malgré les flux massifs d’émigration vers les pays pétroliers, vraisemblablement plus de 100 000 Palestiniens vont travailler chaque jour en Israël. En 1973, un travailleur sur trois et un salarié sur deux habitant ces zones passait quotidiennement la frontière. La proportion est indiscutablement plus élevée aujourd’hui, si l’on considère que le processus de prolétarisation se poursuit dans les zones occupées tandis que l’emploi local y stagne, s’il ne diminue pas.

Ces prolétaires sont soumis à l’exploitation la plus bestiale rendue possible par l’impossibilité d’habiter Israël, les autorisations de travail et de circulation auxquels ils sont soumis, l’absence de tous droits en Israël et l’état d’urgence militaire dans les territoires occupés.

Tableau 3 :
Salaire journalier moyen des palestiniens de Cisjordanie et de Gaza (P) comparé a celui des israéliens (I)
  Moyenne générale Agriculture Industrie Bâtiment
  P I P I P I P I
1972 17,2 34,4 15,4 22,2 15,6 33,1 19,1 31,1
1973 22,9 42,8 20,6 25,7 21,6 40,7 25,1 38,1
Livres israéliennes – Israéliens : Juifs et Arabes confondus.
Source : Jamil Hilal, « Les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza », Khamsin, № 2, 1975, p. 51.

Ainsi, l’ouvrier palestinien de Cisjordanie et de Gaza qui travaille déjà dans les secteurs les plus mal rémunérés (52% travaillaient en 1973 dans le bâtiment et 19% dans l’agriculture), perçoit un salaire égal à la moitié de celui que touche l’ouvrier israélien (et ce sans tenir compte de la différence entre l’Israélien juif et l’Israélien arabe qui est déjà substantielle), comme le montre le tableau 3.

Cette discrimination est aggravée par le vol ouvert pratiqué par l’État israélien : l’ouvrier palestinien se voit en effet déduire environ 40% de son salaire sous forme de cotisations diverses, soit un taux bien supérieur à toutes les taxations auxquels on soumet le travailleur israélien, qui reçoit, lui, certains « avantages » en retour, tels la ’sécurité sociale, l’indemnité chômage, les congés payés, la retraite, etc., tandis que l’ouvrier palestinien des territoires occupés n’y a pas droit. C’est un véritable tribut que l’ouvrier est obligé de verser à l’État, alors qu’il travaille dans des conditions d’insécurité totales.

Les journaux arabes nationalistes peuvent bien remplir leurs colonnes de cris désapprobateurs à l’encontre d’Israël : « ils nous volent nos ouvriers », les ouvriers palestiniens supportent la double exploitation et la double oppression existant en Israël, pour la raison que le salaire payé par le patron arabe est encore plus catastrophique et permet encore moins de subsister. Il est en effet impossible à une bourgeoisie palestinienne invertébrée de rivaliser avec le capital sioniste. Dans le meilleur des cas elle peut être son lieutenant, même si c’est en maugréant. C’est ainsi que le capital israélien, s’apercevant du moindre coût de la force de travail à Gaza et en Cisjordanie, conclut de nombreux contrats de sous-traitance. Les deux bourgeoisies y trouvent leur beurre. La bourgeoisie israélienne profite des salaires inférieurs que les patrons palestiniens réussissent à imposer aux ouvriers et fait taire par la même occasion les faibles velléités contestataires de la bourgeoisie palestinienne; tandis que la bonne marche des affaires permet à cette dernière de « prospérer » et de continuer à exploiter toujours davantage.

Si la guerre de 1948 avait trouvé la lutte palestinienne encore sous le choc de la défaite de la révolte de 1936–39, si bien que la résistance fut faible, le déclenchement de la guerre des six jours par Israël et la colère provoquée par la pusillanimité des régimes arabes entraîna ,a révolte massive des populations palestiniennes et son armement que le Fatah en premier lieu s’est chargé de contenir dans un programme ménageant les États arabes en place. La vague fut suffisamment forte pour permettre une certaine radicalisation, qui se traduisit par la création d’organisations parlant un langage plus « ouvrier », et surtout par la fusion des intérêts des masses palestino-jordaniennes d’une part, et palestino-libanaises d’autre part.

L’objet ’de cet article n’est pas de faire l’histoire de cette vague révolutionnaire, une fois de plus hélas privée de l’appui du prolétariat des grands. centres impérialistes, combattue de plus ouvertement par tous les États" arabes, livrée par l’orientation même et les principes des différents partis qui la dirigeaient à ses bourreaux successifs, pour en arriver à l’aplatissement de tous devant l’ordre établi, international et local. L’important est de voir que les prochaines explosions révolutionnaires se produiront dans des conditions sociales – et politiques, nous l’escomptons également – déjà différentes de celles de 1948, et même de 1967.

Le capital engendre ses propres fossoyeurs

Le bilan social de la sanguinaire accumulation primitive de capital dont la Palestine a été le théâtre est en effet le suivant. La totalité de la population palestinienne réfugiée et par conséquent non soumise à la domination d’Israël, soit 2,3 millions de personnes (60% des Palestiniens), est naturellement complètement déliée de la terre. Sur cette masse de réfugiés, 40% seulement de la population en âge de travailler a un emploi, et la grande majorité des actifs est salariée (en 1970 : 73,2% des Palestiniens actifs au Liban, 79,3% en Syrie, 89,6% au Koweït) et une grande partie constituée d’ouvriers. On a donc une population fortement prolétarisée.[16]

Parmi le million et demi de Palestiniens (soit 40%) vivant sous la botte sioniste, seule une minorité possède encore la terre : le nombre d’employeurs et de travailleurs indépendants dans le secteur agricole est passé de 37 000 en 1969 à 26 100 en 1973 en Cisjordanie et de 6200 en 1970 à 4600 en 1973 à Gaza. Ces chiffres ont encore chuté ces dernières années.[17] Le processus d’expropriation se poursuit, pouvant encore par conséquent provoquer des émeutes et des révoltes agraires, surtout en période de crise économique, étant donné que dans toute la région la population ouvrière arabe est faiblement urbanisée et vit encore dans les villages devenus des dortoirs.[18]

En Cisjordanie, les ouvriers formaient en 1973 47,5% de la population palestinienne active, 55,6% à Gaza. En Israël, la proportion doit être la même, puisque 72,6% des Arabes sont salariés. Mais tous ces prolétaires palestiniens sont plus souvent ouvriers agricoles et ouvriers des bâtiments qu’ouvriers d’industrie.

Malgré les protestations hypocrites et les justifications fallacieuses des bourgeoisies israélienne et impérialistes d’Europe et d’Amérique, on imagine sans difficulté le degré d’oppression qu’ont à subir les quelque 500 000· Palestiniens habitant dans un État où existe déjà une discrimination sociale importante entre Juifs d’origine occidentale et orientale, où la nationalité repose sur la « nationalité juive » elle-même fondée sur la religion, un État qui est de plus en guerre permanente avec les États arabes voisins. Mais ces Palestiniens-là, que l’État différencie encore selon leur religion en chrétiens, druses ou musulmans, bénéficient au moins théoriquement des « droits économiques et sociaux » au même titre que les Juifs d’Israël. Quant aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, leur sort est plus effroyable encore, puisqu’ils sont carrément en situation d’état de siège ouvert.[19]

Les larges masses palestiniennes, grâce au travail desquelles fleurissent aujourd’hui les vergers d’Israël et tournent dans une proportion croissante les usines de Tel-Aviv et de Naplouse, ne peuvent plus désormais vivre et’ se défendre sans combattre le capitalisme, mais sur le terrain façonné par lui. Leur lutte se heurte immédiatement à la discrimination politique et raciale liée au privilège juif, bref à la nature coloniale de l’État d’Israël, qui utilise de plus en plus contre les luttes ouvrières les lois mêmes qu’il a utilisées hier, et continue à utiliser aujourd’hui dans les territoires occupés pour transformer les paysans en prolétaires. Pour les prolétaires modernes, ces discriminations et cet asservissement fondés sur la race et la religion sont encore plus insupportables que dans toute autre société, et démultiplient l’immense potentiel de révolte sociale nourrie par l’exploitation capitaliste et l’oppression politique qui en dérive.

Sous la démocratie esclavagiste d’Israël s’accumulent lentement les matières incandescentes d’une éruption bien plus puissante encore que celles qu’ont suscitées jusqu’ici les grandes vagues de l’expropriation des paysans palestiniens. Il s’agit de la lutte prolétarienne, que les ouvriers palestiniens de l’émigration contribueront à étendre à toute la région, et qui saura, en liaison avec la classe ouvrière des grandes métropoles impérialistes, briser le front social de la solidarité juive en Israël, entraîner dans son cours impétueux les prolétaires juifs, et prendre la tête des masses paysannes pauvres en révolte dans la lutte à mort contre l’ordre capitaliste établi local et international, qui ne sera définitivement brisé qu’avec le succès de la révolution communiste mondiale.

Anmerkungen :
[prev.] [content] [end]

  1. Marx, « Le Capital », Livre I, ch. XXVI « Le secret de l’accumulation primitive », Ed. Sociales, tome III, p. 154.[⤒]

  2. Marx, « Le Capital », Livre I, ch. XXVI « Le secret de l’accumulation primitive », Ed. Sociales, tome III, p. 155.[⤒]

  3. Voir notamment Lorand Gaspard,  »Histoire de la Palestine« , Maspéro, 1978, p. 140.[⤒]

  4. Voir notamment Nathan Weinstock, « Le sionisme contre Israël », Maspéro, 1969, pp. 179–180.[⤒]

  5. Robert Somers, « Letters from the Highlands or The Famine of 1847 », London, 1848, cité par Marx, , « Le Capital », Livre I, ch. XXVI « Le secret de l’accumulation primitive », Ed. Sociales, tome III, p. 172.[⤒]

  6. Nathan Weinstock, « Le sionisme contre Israël », Maspéro, 1969, p. 392.[⤒]

  7. « Sefer ha-Khukkim » (Législation principale), 37, 1950, p. 86.[⤒]

  8. Pour un aperçu complet de cette législation israélienne, nous renvoyons le lecteur aux ouvrages suivants : Nathan Weinstock, « Le sionisme contre Israël », pp. 374–399, Lorand Gaspard, « Histoire de la Palestine », Maspéro, 1978, pp. 187–189 et Sabri Geries, « Les arabes en Israël », Maspéro, 1969, pp. 95 à 116, ou encore « Problèmes économiques et sociaux », № 199 du 2 novembre 1973.[⤒]

  9. Sur les 475 villages arabes que comptait la Palestine occupée par Israël en 1948, il n’en reste aujourd’hui que 90. Les 385 autres ont été rayés de la carte à la dynamite et au bulldozer.[⤒]

  10. Voir dans la revue « Khamsin », № 2, 1975, les articles de Lazare Rozensztroch, « Sur les Arabes en Israël », p. 79, et de Jacqueline Farhoud Iraissaty, « La dispersion palestinienne », pp. 41 et 54.[⤒]

  11. Le 29 octobre 1956, les soldats israéliens entrèrent dans le village de Kfar Kassem pour décréter le couvre-feu. Ils annoncèrent aux villageois que tous ceux qui se trouveraient encore hors de leurs maisons une demi-heure plus tard seraient exécutés. De nombreux villageois travaillant encore à cette heure-là dans les champs et dans les chantiers israéliens à l’extérieur du village, il était impossible de les prévenir. A leur retour les soldats israéliens les ont arrêtés, alignés et fusillés. 47 villageois furent ainsi assassinés. L’État d’Israël ouvrit une enquête et prononça des peines contre les responsables. C’est ainsi que le second en grade des officiers reconnu pour responsable du massacre fut nommé en 1960 « responsable des affaires arabes » dans la région de Ramleh, dans le voisinage de Kfar Kassem…[⤒]

  12. C’est ainsi que « Problèmes politiques et sociaux », № 199 résume le sens des commentaires de Sabri Geries dans son livre « Les arabes en Israël ».[⤒]

  13. « On émet par douzaines des ordres de résidence forcées, d’arrêt à domicile, d’expulsion ou de détention administrative, mais ces mesures ne touchent que des Arabes [. .. ]. La même discrimination est perceptible dans l’attitude des autorités en ce qui concerne la liberté de la presse et la liberté d’association. Jusqu’à présent elles n’ont suspendu aucun journal hébreu ni interdit· aucun groupement politique juif, si extrémiste qu’ils soient et si éloignés qu’ils soient aussi de l’attitude officielle du régime. En revanche, aucun journal arabe ne peut être publié en Israël à moins que les autorités ne puissent compter sur l’appui ou du moins la complaisance, de ses responsables, aucune organisation arabe n’a été autorisé à participer, à quelque activité que ce soit sans le consentement et l’approbation entière des autorités » (Sabri Geries, « Democratic freedoms in Israël », « Problèmes politiques et sociaux », № 199, novembre 72). Ce passage illustre bien l’oppression subie par les Palestiniens, mais il est certain que les mêmes lois s’appliqueraient avec la même dureté aux Juifs qui en viendraient à briser le front social de la solidarité juive sur lequel repose l’hypocrisie de la démocratie israélienne.[⤒]

  14. Lorand Gaspard, « Histoire de la Palestine », Maspéro, 1978, p. 145.[⤒]

  15. La dernière implantation de colonie date de juin 1979, et ne se fait pas sans rencontrer de résistance. Selon Le Monde du 8–6–79, le point de peuplement appelé Allon Moreh a été officiellement fondé le 7 juin. Cette nouvelle colonie se trouve au sommet d’une colline « au sud de la ville de Naplouse, et s’étend sur 80 hectares de terres, propriété de résidents arabes du secteur qui ont été expropriés par le gouvernement israélien à la suite d’une décision de la cour suprême justifiant cet acte en vertu des « exigences de la défense ». Les bulldozers ont commencé à débloquer les voies d’accès. Les quelques dizaines de personnes qui forment le noyau des futurs habitants du village sont arrivés à bord de véhicules de l’armée ». Le dimanche 17, une importante manifestation a eu lieu à Naplouse contre l’installation de cette colonie, provoquant l’intervention de l’armée israélienne accueillie par des jets de pierre (voir « Le Monde » du 19–6–79).[⤒]

  16. Voir à ce sujet Jacqueline Fahroud Iraissaty, « La dispersion palestinienne », p. 44.[⤒]

  17. Voir Jamil Hilal, « Les palestiniens de Cisjordanie et de Gaza », « Khamsin », № 2, 1965, pp. 46–68.[⤒]

  18. Dans son numéro du 29 mai dernier le quotidien « Asharq Al-Awsat » paraissant à Londres, rapporte que les habitants d’une colonie juive dans le Sinaï appelé Oféra ont tenté, après avoir été délogés du Sinaï en vertu de l’accord israélo-égyptien, d’occuper un village arabe nommé Maalia en Galilée. Les colons se sont présentés au village avec leurs meubles, leurs outils et leurs tracteurs et on pouvait lire sur leurs banderoles « Galilée en échange du Sinaï » et « Oféra promet de ne plus laisser vivre un seul Arabe en Israël ». La population palestinienne a bien essayé de parlementer, mais les colons ont riposté en montrant qu’ils étaient mandatés officiellement par I’Agence Juive pour s’installer dans le village. Une vive discussion a suivi : un colon a tiré plusieurs balles au-dessus des têtes des délégués arabes afin d’intimider les villageois. Aussitôt les habitants du village ont accouru par dizaines. Il s’en est suivi une bagarre qui a duré plus de deux heures, après laquelle des colons ont été obligés d’emporter leurs affaires et de s’enfuir, laissant leurs cabanes en flammes. En arrivant, la police a posé cette question : « Est-ce le Fatah qui vous a donner l’ordre de tirer sur les Juifs ? ». Les villageois ont riposté à l’interrogatoire policier par la grève générale. Le gouvernement, surpris de rencontrer une résistance spontanée, a reculé et déclaré sur les ondes radiophoniques que l’État n’était nullement impliqué dans l’opération, menée par les seuls colons, et qu’il n’était même pas au courant de leurs intentions ! Encore une fois, seule la force peut être opposée à la force.[⤒]

  19. S’il fallait une illustration de ce fait, « Le Monde » du 6–6–79 rapporte que le lundi 4 juin au milieu de la nuit, les maisons où habitaient quatre Palestiniens soupçonnés d’appartenir à la résistance ont été encerclées par l’armée : « les familles reçoivent l’ordre de quitter immédiatement les lieux. Le mobilier est transporté dans le jardin d’El Jenieh, la maison des parents de Mell Ataf Youssef est rasée par par un bulldozer. A Ramalleh et à El Bireh, trois appartements, après l’évacuation de leurs occupants sont murés. Portes et fenêtres sont condamnées par une cloison de briques et de ciment ». Tout l’arsenal des lois terroristes est donc bien en vigueur, et en particulier les lois sur la responsabilité collective.[⤒]

  20. Il s’agit d’une comparaison manifestement fausse et donc inacceptable. Dans les camps de concentration nazis, des millions de vies étaient systématiquement détruites de manière organisée et les gens étaient maltraités à mort par le travail… Dans la traduction anglaise, cette phrase a été mieux formulée : « Leur situation n’était pas moins enviable que celle des centaines de milliers de Juifs qui venaient d’être libérés des camps de concentration et expédiés en Palestine, où l’impérialisme leur faisait miroiter la vision d’un paradis redécouvert ». (sinistra.net)[⤒]


Source : « Programme communiste », Nr. 80, Juillet 1979, p. 19–31

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