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COUP D'ÉTAT EN CÔTE D'IVOIRE
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Coup d'État en Côte d'Ivoire
Les liens de l'impérialisme
Rivalités impérialistes
Notes
Source


Coup d'Etat en Côte d'Ivoire
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Le 24 décembre dernier, le président de la Côte d'Ivoire, Henri Konan Bédié, était renversé par un coup d'Etat - le premier dans ce pays dont les impérialistes louaient jusqu'ici la «stabilité», notamment sous l'interminable règne d'Houphouët Boigny - à l'issue d'une mutinerie des soldats réclamant le paiement de leur solde.

Peuplé de plus de 15 millions d'habitants, premier producteur et premier exportateur mondial de cacao (43 % de la production mondiale), gros exportateur de café, de bois tropicaux, bananes et autres produits agricoles, la Côte d'Ivoire est en général décrite comme le pays le plus prospère et le plus prometteur des anciennes colonies françaises d'Afrique noire. En dépit de l'indépendance, l'impérialisme français y a maintenu, comme dans les autres pays de la zone franc, une influence de premier plan: les investissements français constitueraient le tiers des investissements privés du pays, et la moitié des investissements étrangers; la France fournit 41,1 % des importations ivoiriennes, très loin devant ses concurrents (Italie: 7,5%, Chine: 6,9%, Etats-Unis: 6,8%, Allemagne: 5,7%, etc.) (1); des milliers de français sont présents pratiquement à tous les niveaux de la vie économique et des centaines de militaires y stationnent en permanence. La Côte d'Ivoire est l'un des plus gros destinataires de l'«aide» française aux pays en développement (le deuxième après l'Egypte selon les derniers chiffres publiés), c'est-à-dire des flux de capitaux accordés par l'impérialisme pour consolider ou accroître sa présence économique et politique. Rien de ce qui se passe d'important en Côte d'Ivoire ne laisse donc l'impérialisme français indifférent. Il a livré d'importantes batailles commerciales pour tenir à l'écart les impérialismes concurrents; c'est ainsi que depuis le milieu des années 80 il a réussi par deux fois à faire échec aux tentatives de la multinationale américaine Cargill de mettre la main sur le cacao ivoirien. Cependant dans la période récente les intérêts non français se sont renforcés sensiblement, notamment dans le cacao avec l'implantation de Cargill, de la première société mondiale de négoce du cacao, l'américaine Archer Daniel Midlands (ADM) et de l'hispano-brésilienne Esteve (deuxième mondiale), etc. Mais l'automne dernier un responsable de l'Ambassade de France, après avoir décrit cette «montée des investissements étrangers», pouvait écrire, avec un optimisme prudent, que si, à la différence des entreprises françaises de tailles très diverses et présentes dans les secteurs les plus variés (reflet de l'héritage colonial, pouvons nous affirmer),
«
les sociétés étrangères sont actives dans des secteurs à haute intensité capitalistiques» - «sans que, pour l'instant les liens très étroits existant entre la PC! et la France soient remis en cause dans leur nature ou dans leur étendue» (2)...

Les liens de l'impérialisme
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Parler de liens très étroits est un triste euphémisme. Le régime d'Houphouët Boigny (qui avant l'indépendance avait eu des responsabilités ministérielles sous de Gaulle), très «lié» au système Foccart de sinistre mémoire, garantissait le maintien des liens qui enchaînent ses anciennes colonies à l'impérialisme français. A la mort du vieux cacique - que la presse française avait baptisé le «sage de l'Afrique» en raison des services rendus aux intérêts tricolores - Paris appuya l'accession du premier ministre Bédié à la présidence, face à son concurrent Ouattara, lui-même ancien premier ministre et ancien dauphin, tombé en disgrâce, d'Houphouët. L'opposant Ouattara et son parti le RDR, ne constituaient ni ne constituent cependant en aucune façon une force d'opposition à l'impérialisme français; ils ne défendent d'ailleurs aucune orientation politique ou économique différente de l'Etat ivoirien: il s'agit d'une rivalité inter-bourgeoise fondée sur des oppositions d'intérêts, qui s'est étendue ensuite sur le plan ethnique.

Les élections présidentielles prévues cette année ne devait être qu'une formalité pour le clan Bédié, disposant de la machinerie de l'ancien parti unique (le PDCI) et surtout de tous les leviers du clientélisme que donne le pouvoir. Mais c'était sans compter avec le mécontentement croissant et généralisé, y compris parmi les couches bourgeoises, en conséquence de la crise économique provoquée par l'effondrement du prix des exportations agricoles (le prix du cacao à l'exportation avait baissé de 50 %) et par les mesures d'austérité imposées par les institutions financières internationales pour assurer le paiement de la dette extérieure et rétablir les comptes de l'Etat. La baisse d'activité des entreprises est estimée à 20 % environ dans les derniers mois.

La «libéralisation» des filières agricoles (suppression programmée de la Caisse de stabilisation, la «Caistab», grâce à laquelle l'Etat empochait une partie de la rente, etc.) était un point important du programme du FMI et de la Banque Mondiale, officiellement pour favoriser les producteurs, mais aussi pour laisser la voie libre aux grandes sociétés internationales. Effectuée au moment où les cours chutaient sur le marché mondial, cette réforme qui signifiait aussi la fin du prix d'achat garanti par la Caistab, a provoqué la colère des planteurs; depuis le début de l'automne les producteurs de cacao, puis ceux d'autres produits s'étaient mis en grève pour demander l'abrogation de la réforme ou une hausse des prix d'achat (3). En dépit de l'action des pompiers syndicaux larbins du pouvoir (Bédié était venu en personne saluer les chefs syndicaux lors du dernier congrès de l'UGTCI), des grèves sauvages ont éclaté, comme celles des dockers du port d'Abidjan en décembre. Obligé de payer les arriérés de sa dette extérieure (le service de la dette absorbait 40 % du budget de l'Etat), le gouvernement ivoirien ne trouvait d'autre solution que de multiplier... les arriérés de paiement des fonctionnaires! C'est à peu près dans la même période qu'éclatait le scandale du détournement de 18 milliards d'aide européenne par les plus hauts responsables du ministère de la Santé, révélant au grand jour la réalité de l'affairisme le plus débridé des dirigeants alors que la population se débat dans les plus graves difficultés.

Pour tenter de se redonner une assise populaire, ces mêmes autorités vendues à l'impérialisme s'étaient lancées depuis plusieurs mois dans des campagnes d'exaltation de l'«ivoirité», qui n'était rien d'autre que des appels à la haine raciale et xénophobe, dans un pays où sont recensées plusieurs dizaines d'ethnies différentes. Il faut savoir que le développement de la production agricole d'exportation n'a été possible que par le recours à une main d'œuvre bon marché, venue essentiellement du Burkina voisin (ces burkinabés avaient été aussi autorisés à déchiffrer la forêt et nombre d'entre eux étaient devenus des petits producteurs). Mais il y avait aussi un véritable esclavage d'enfants sur les plantations, fait reconnu par le nouveau gouvernement après un rapport de l'UNICEF selon lequel ce trafic de plusieurs milliers d'enfants maliens s'était intensifié au cours des 5 dernières années en raison du coût élevé de la main d'œuvre locale; après avoir transité dans des «centres de stockage» qui «ressemblent à dés comptoirs d'achat de la traite négrière», ces enfants étaient achetés environ 375 FF par les planteurs aux «négociants»; théoriquement ils recevaient un salaire de 800 à 1000 FF par an, salaire qui la plupart du temps n'était jamais versé...

La campagne gouvernementale, qui visait aussi le rival Ouattara, accusé d'être né au Burkina, s'est traduite par de véritables pogroms de burkinabais au cours d'affrontements meurtriers dans le centre du pays, tandis que la répression contre l'opposition se manifestait par l'interdiction des manifestations, des affrontements avec la police, la condamnation à des peines de prison de responsables du RDR.

La dégradation de la situation politique et sociale finissaient à la fin de l'année dernière par susciter l'inquiétude parmi certains cercles impérialistes; le gouvernement américain et des responsables français émettaient ainsi des protestations plus ou moins nuancées contre la répression envers le RDR, tandis qu'en réaction le gouvernement Bédié était vivement défendu - au nom de la non-ingérence dans les affaires africaines! - par des ténors du parti gaulliste et par la présidence de la République.

Le régime Bédié est tombé comme un fruit mûr, après la mutinerie des soldats du rang et quelques heures d'émeute (au cours desquelles des entreprises appartenant à la famille Bédié ont été incendiées), lorsque le général Gueï et les autres chefs militaires se sont mis à la tête du mouvement.

Si la «communauté internationale» a condamné ce coup d'Etat au nom des grands principes démocratiques et constitutionnels, agitant la menace de sanctions et de la suppression des aides économiques, la condamnation de façade a rapidement laissé la place au soulagement. Après quelques premières déclarations malencontreuses, le général Gueï a réaffirmé que l'énorme dette extérieure continuerait à être remboursée, que la priorité irait à l'assainissement des finances publiques (et donc non pas à la satisfaction des besoins des masses et des revendications des salariés) et les nouvelles autorités, qui affirment vouloir faire la lumière sur la corruption des anciens dirigeants, ont même réussi à rembourser à l'Europe l'aide détournée. Les sanctions européennes ont donc été levées avant même d'avoir été mises en application, le FMI et la Banque Mondiale se sont félicités de la sagesse du nouveau pouvoir, dans lequel les observateurs bourgeois internationaux voient une nouvelle chance pour la Côte d'Ivoire (4).

Rivalités impérialistes
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La position française est un peu plus ambiguë, en raison d'une divergence entre le gouvernement et la présidence de la République dont nous avons évoqué le soutien sans faille à la clique Bédié. Lors du coup d'Etat, l'impérialisme français a montré les dents en mobilisant des troupes, envoyées démonstrativement dans des pays voisins, mais n'a pas réellement tenté de s'opposer aux événements - ce qui d'ailleurs était probablement difficile. Ceci a alimenté les rumeurs selon lesquelles le général Gueï, lors d'une récente visite en France, avait obtenu le feu vert du gouvernement Jospin à une éventuelle action contre Bédié (5).

Le gouvernement provisoire, auquel s'est rallié en un clin d'oeil le PDCI, est constitué en grande partie d'éléments proches d'Ouattara, mais il comporte aussi des ministres du «Front Populaire Ivoirien» de Laurent Gbagbo, très lié au PS français (bien que, à la grande fureur de Gbagbo, le fructueux Ministère des ressources minières lui ait échappé au dernier moment). Une élection présidentielle devrait avoir lieu dans quelques mois, après qu'une nouvelle constitution ait été promulguée. Il semble que les Etats-Unis aient fait savoir qu'ils étaient partisans de ne pas précipiter cette élection - par crainte d'une victoire dut «socialiste» Gbagbo, redouté en fait comme étant l'homme de Paris. Les Etats-Unis qui profitent de la période actuelle pour pousser leurs pions (des grandes sociétés américaines viennent par exemple de reprendre les parts de la famille Bédié dans Sifca, le plus grand groupe agro-industriel à majorité ivoirienne: 50% du commerce du café et du cacao sera ainsi entre les mains des entreprises américaines), craignent une remise en cause des privatisations et des investissements récents qui lui ont permis de s'établir solidement dans le pays.

La lutte pour les richesses africaines n'est donc pas terminée et le vieil impérialisme français rapace ne veut pas lâcher sa proie, même si la pression des rivaux se fait de plus en plus rude.

Mais il est un élément que les vautours impérialistes et leurs serviteurs «socialistes», «communistes» ou autres, n'ont pas pris en compte dans ces rivalités sordides: la lutte des prolétaires et des masses exploitées. Selon un organe impérialiste:
«
Un mouvement de grève sans précédent se répand en Côté d 'Ivoire depuis quelques semaines dans de nombreuses entreprises du secteur privé» (6): à la Solibra (brasserie), dans des sociétés diverses, des conserveries de poisson, de nombreuses entreprises du plastique, etc: «Les entreprises sont des poudrières» selon un syndicaliste. Des prises d'otage de patrons et des grèves sauvages se multiplient; des grévistes cités par l'agence Reuters affirment que l'UGTCI avait
«
pactisé avec l ancien pouvoir Toutes nos revendications étaient étouffées dans l 'oeuf par l 'UGTCI. Nous rattrapons le temps perdu».

C'est cette lutte des prolétaires qui est la seule à pouvoir donner de l'espoir aux masses ivoiriennes écrasées par leur propre bourgeoisie et par la bourgeoisie impérialiste; c'est cette lutte que les prolétaires d'ici doivent soutenir sans réserve et de la seule manière efficace en entrant à leur tour en lutte contre, en retrouvant la voie de la lutte de classe contre la bourgeoisie, son système et son Etat impérialiste.

Notes:
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  1. cf. le «Moniteur du Commerce International» n°1 409 (39/9/99). [back]
  2. cf. «Commerce et investissement: la France conforte sa première place», M.O.C.I. («Moniteur du Commerce International»), n°1, op. cit., p.35. [back]
  3. le 22 novembre, à l'issue d'une réunion infructueuse avec le Premier Ministre où il était venu demander la suppression de la libéralisation, le président de la Fédération Ivoirienne des Producteurs de Cacao/café accusait le FMI et la Banque Mondiale d'avoir
    «
    libéralisé pour leurs frères, les grandes sociétés internationales comme Cargill, Dafci, ADM ou Tropival».
    L'impérialisme français n'a plus depuis longtemps la capacité de subvenir à lui seul aux besoins en capitaux de ses anciennes colonies; il lui faut laisser opérer le FMI et la Banque Mondiale bien que cela ait pour conséquence d'ouvrir ses chasses gardées aux autres impérialismes.
    [back]
  4. cf. «Financial Times», 6/1/2000. Pour sa part, le président de la Coface (organisme qui assure les exportateurs français), estimait qu'avec son coup d'Etat, Gueï a joué le rôle de pompier pour le pays. Bien entendu quand les bourgeois parlent de chance, les prolétaires doivent savoir qu'ils ne songent qu'à la bonne marche de leurs affaires. [back]
  5. Le journal «Le Nouvel Afrique-Asie» détaille ce «scénario» dans son n° l 25 (février 2000). De son côté Gueï a déclaré au «Monde» (4/1/2000) qu'il avait discuté avec un haut responsable militaire français, chef de cabinet de plusieurs Ministres de la Défense, «de droite» ou «de gauche». [back]
  6. cf. «Marchés Tropicaux et Méditerranéens», 11/2/2000. [back]

Source: «Le Prolétaire», No.452, Janv.-Févr.-Mars 2000

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