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LA FOIRE D'EMPOIGNE ÉLECTORALE, DIVERSION À LA LUTTE PROLÉTARIENNE
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La foire d'empoigne électorale, diversion à la lutte prolétarienne
L'extrême-gauche, auxiliaire de la conservation bourgeoise
Pour la reconstitution du parti de classe!
Notes
Source


La foire d'empoigne électorale, diversion à la lutte prolétarienne
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«La conquête électorale des communes et des administrations locales, qui présente le même inconvénient que le parlementarisme mais à un degré plus élevé encore, ne peut être acceptée comme un moyen d'action contre le pouvoir bourgeois, d'une part parce que ces organismes n'ont pas de pouvoir réel mais sont subordonnés à la machine d'Etat, d'autre part parce qu'une telle méthode, bien qu'elle puisse donner aujourd'hui quelque embarras à la bourgeoisie dominante en affirmant le principe de l'autonomie locale, d'ailleurs opposé au principe communiste de la centralisation de l'action, préparerait à la bourgeoisie un point d 'appui pour sa lutte contre l'établissement du pouvoir prolétarien.» (Thèses de la Fraction communiste abstentionniste, mai 1920) (1)

Depuis des semaines voire des mois, l'orgie électorale bat son plein. Pour les états-majors des grands partis politiques bourgeois, de droite ou de gauche, la conquête ou la sauvegarde des municipalités sont un enjeu non négligeable en raison des possibilités d'«implantation» locale (lire: clientélisme) qu'elles assurent, tout particulièrement en prévision des élections présidentielle et législative de l'année prochaine, et des retombées financières juteuses auxquelles elles donnent accès: les scandales qui éclatent avec une régularité d'horloge montrent que tous ces partis sont également concernés par les pots de vin lors de l'attribution des grands ou moins grands marchés publics. Lorsqu'il s'agit d'aller à la soupe les différences politiques s'évanouissent en un clin d'œil...

Par leur «proximité» avec électeurs, les élections municipales constituent sans doute le maillon le plus solide du mécanisme de la démocratie bourgeoise, celui qui intègre le mieux l'électeur potentiel dans ses filets en lui faisant paraître que ce sont les problèmes locaux les plus concrets qui dépendent de son vote, et non des questions politiques complexes dont la solution, réservée aux experts et technocrates des partis, lui échappe inévitablement. C'est pour cette raison que les élections municipales, surtout dans les villes moyennes et petites, sont celles où le taux d'abstention est le plus faible. Les couches moyennes sont celles qui sont les plus intéressées, parce que leurs aspirations ne vont pas au-delà de quelques aménagements de leur cadre de vie, et ce sont donc leurs représentants qui se font les apôtres les plus enthousiastes de la démocratie municipale, de la participation à la vie de la cité, de l'engagement citoyen et autres fadaises du même acabit, avec lesquelles elles essayent d'entraîner y compris les prolétaires dans l'impasse électorale lorsque les thèmes politiques classiques ne suffisent plus.

Pour le prolétariat en effet les élections municipales constituent un leurre, une diversion, tout autant sinon plus encore que les autres élections. Les possibilités réelles dont disposent les municipalités sont des plus réduites et leurs décisions soumises au contrôle de légalité des préfectures (contrôle qui serait, on s'en doute, immédiat et tatillon, si d'aventure une municipalité s'avisait d'empiéter sur les intérêts bourgeois généraux). Ce n'est pas par la démocratie municipale même la plus parfaite (définie ainsi dans un journal démocratique:
«
la reconnaissance de la multiplicité des acteurs et du nécessaire partage du pouvoir dans le processus de décision») (2),
que peuvent être discutés et résolus les problèmes fondamentaux des prolétaires - l'exploitation capitaliste et la lutte pour sa suppression - ni même que peuvent être obtenus des améliorations significatives de leur condition. Ni l'émancipation du prolétariat, ni la défense de ses intérêts ne peuvent passer par l'utilisation (ou la conquête) des institutions représentatives de l'Etat bourgeois, même périphériques et locales. Le seul moyen réel, le seul moyen efficace pour assurer la défense de ses conditions de vie et de travail réside dans la lutte ouverte, organisée, classiste, contre la classe bourgeoise, son Etat et toutes ses institutions.

L'extrême-gauche, auxiliaire de la conservation bourgeoise
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Ceci est également vrai pour ce qui touche à la vie quotidienne, au logement, aux transports, etc., questions «locales» qui sont agitées lors des campagnes électorales municipales. L'expérience démontre qu'une action véritable utile au prolétariat sur ces terrains est très difficile en l'absence d'organisations de classe s'appuyant sur une forte mobilisation, capables dans ces conditions d'entraîner alors les couches plus larges de la population laborieuse au lieu de se laisser engluer par elles dans le marais réformiste et interclassiste.

Alors que le besoin de la lutte de classe est toujours plus pressant et que le prolétariat, anesthésié par des décennies d'opium électoral et de collaborationnisme démocratique, éprouve toujours les plus grandes difficultés à retrouver le chemin de cette lutte, il est plus impératif que jamais pour les révolutionnaires de dissiper les moindres hésitations sur la possibilité d'utiliser les élections municipales au profit des intérêts prolétariens. C'est évidemment l'inverse qu'ont choisi de faire les organisations trotskistes, selon leur habitude. Fortes de leurs derniers succès électoraux et des scores promis par les sondages, chacune à leur façon, la LCR et LO ont fait tous leurs efforts pour ramener vers l'électoralisme les éléments désillusionnés par les partis de gauche traditionnels.

Plus souple que sa rivale et visant davantage un public petit-bourgeois, la LCR s'est profondément engagée dans la cuisine électorale classique avec ses listes «100 % à gauche», aux côtés des éléments les plus divers (si à Montpellier elle a refusé le strapontin que lui offrait le maire PS, elle présente dans quelques communes des listes d'union avec des éléments du PCF et elle a clairement indiqué qu'elle appellerait à voter au second tour pour les listes gouvernementales). Avec comme emblème l'exemple de Porto Alegre (grande ville du Brésil dotée d'une municipalité de gauche qui comporte quelques trotskistes) où les comités de quartier réaliseraient, paraît-il, la perspective de Lénine de gestion de l'Etat par la simple ménagère (3), elle avance un catalogue de propositions pour la démocratie municipale: tout ce qu'on peut en dire est qu'il est intégralement réformiste, excluant implicitement la lutte anti-capitaliste et la nécessité de renverser l'Etat bourgeois pour que puissent se réaliser les aspirations des exploités.

LO garde une apparence plus radicale; elle ne s'est pas mise à élaborer un programme municipal et elle rappelle au contraire que les choses essentielles ne sont pas du ressort de la commune. Non pas pour montrer le rôle de l'Etat bourgeois, vous n'y pensez pas!, mais pour affirmer que tout dépend de décisions gouvernementales. C'est un principe, chez LO: ne jamais attaquer ni critiquer l'Etat, ni montrer ce qu'il est vraiment (c'est-à-dire, du point de vue marxiste, l'instrument de domination de la classe bourgeoise), mais faire croire que c'est une structure au-dessus des classes qui peut favoriser tantôt les bourgeois, tantôt les prolétaires, selon la politique gouvernementale du moment. C'est très exactement ce principe qui définit le réformisme, même quand il se prétend «communiste» ou «ouvrier». Par conséquent, c'est tout naturellement qu'après avoir affirmé que les élections ne peuvent changer le sort de la population laborieuse (rappel rituel qui ne peut passer auprès de ses électeurs que pour une marotte sans signification), LO appelle à voter pour ses listes afin que ses élus refusent la politique des «plus riches», obligent la mairie à prendre des initiatives en faveur des travailleurs et à «changer les possibilités d'action de la population» (4): les élections sont donc un moyen pour obtenir satisfaction!

Pour la reconstitution du parti de classe!
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La reconstitution du parti de classe, l'organe indispensable à la classe ouvrière, pour sa lutte quotidienne de résistance à l'exploitation des patrons et à la répression de l'Etat bourgeois comme pour sa lutte révolutionnaire générale contre le système capitaliste, ne passe pas par l'utilisation du terrain bourgeois des élections et du parlementarisme. Sur ce terrain les énergies révolutionnaires ne peuvent que se dépenser en pure perte: non seulement parce qu'il n'est qu'un faux-semblant, les structures réelles du pouvoir et les centres de décision effectifs étant complètement distincts des assemblées élues, mais surtout parce que la participation électorale, fût-ce seulement par tactique- pour saper de l'intérieur le mécanisme démocratique en montrant aux masses son inutilité foncière, ou plus prosaïquement pour se faire connaître - revient toujours, à renforcer cette très efficace institution de duperie des masses, à la légitimer aux yeux des quelques éléments qui s'en détournent, à s'en faire complice, quelques soient les intentions originelles.

Dans les années vingt, lorsque se formaient les nouveaux partis communistes à partir de fragments entiers des vieux partis réformistes, notre courant soutenait que le refus de la participation électorale - non par refus de la politique à la manière de l'abstentionnisme anarchiste justement condamné par le marxisme, mais pour déplacer les énergies militantes sur un autre terrain, celui de la préparation de la lutte prolétarienne révolutionnaire - constituait un critère de sélection particulièrement efficace pour écarter les nombreux éléments incertains et surmonter les inerties héritées de la pratique parlementariste ancienne.

Dans une situation différente, le refus de la participation électorale représente aujourd'hui et représentera toujours demain un critère de sélection des forces appelées à reconstituer le parti révolutionnaire, classiste et par conséquent anti-démocratique: le critère de la rupture avec l'idéologie et la pratique démocratiques, le critère de la reconnaissance non en paroles mais en pratique de la lutte de classe comme seule voie pour le prolétariat. Des décennies et décennies d'intoxication démocratique dans les pays capitalistes développés font que cette rupture ne sera pas facile, qu'il ne sera pas facile de combattre le piège insidieux de la participation électorale, qu'il ne sera pas facile de faire comprendre que la politique révolutionnaire, fondée sur la défense exclusive des seuls intérêts prolétariens, ne doit ni ne peut se mener dans les institutions et par les mécanismes de la politique bourgeoise, constitués pour diluer et faire disparaître ces intérêts.

Musique de l'avenir, nous dira-t-on. Sans doute; mais cette musique-là, pour pouvoir la faire entendre un jour, c'est dès aujourd'hui qu'il faut en apprendre les notes et commencer à en travailler les airs. Pour une organisation qui se prétend marxiste et révolutionnaire, se joindre - seulement pour un moment - à l'assourdissant chœur officiel qui nous serine en permanence les vertus de la démocratie et des élections, signifie capituler face à la politique bourgeoise, renoncer pour toujours à contribuer à la reconstitution du parti de classe, passer de l'autre côté de la tranchée sociale.

La démonstration de ce théorème de la lutte de classe, ce sont les trotskistes qui nous la fournissent, tout honte bue. C'est contre eux que se reconstituera le futur parti international du prolétariat, c'est contre eux que se développera la lutte prolétarienne.

Notes:
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  1. cf «Défense de la continuité du programme communiste», Textes du P.C.Int. numéro 7, p. 25. [back]
  2. cf «Premières victoires pour la démocratie participative» in «Le Monde Diplomatique», mars 2001. La démocratie consiste justement à faire disparaître les antagonismes de classe dans la myriade d'individus ou d'«acteurs» autonomes, et à faire croire au partage possible du pouvoir. [back]
  3. Lénine parlait de l'Etat révolutionnaire, de l'«Etat-commune» que devait être la dictature du prolétariat, après donc la prise du pouvoir et la destruction de l'Etat bourgeois. Les trotskistes de la LCR parlent, eux, de la gestion de l'État bourgeois. Petite différence! cf «Rouge» numéro 1909. [back]
  4. cf l'«Edito des bulletins d'entreprise» de Lutte Ouvrière (26/2/01). [back]

Source: «Le Prolétaire», numéro 456, janvier 2001

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