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PAUVRE URANIUM… APPAUVRI !


Content :

Pauvre uranium… appauvri !
C’est l’industrie qui enrichit ou appauvrit l’uranium !
La connaissance scientifique dépend d’intérêts de puissances et de marchés
Notes
Source


Pauvre uranium… appauvri !

Les maladies contractées par les soldats occidentaux lors de la guerre contre la Serbie ont mis en lumière le rôle de l’uranium appauvri qui était utilisé dans des munitions destinées à percer le blindage des chars. Depuis lors il est apparu que cette variété d’uranium est également couramment utilisée dans les avions de ligne, sans que personne (et surtout pas les agences officielles en charge de la sécurité de l’aviation civile, apparemment plus soucieuse de la sécurité des profits des industriels et des compagnies) ne se soucie des conséquences éventuelles sur les passagers et sur les personnels.

Après l’hécatombe de morts et de mutilés, après les horribles mutations génétiques provoquées par les bombes atomiques lancées par la plus grande Démocratie du monde, les États-Unis, sur les civils de Hiroshima et Nagasaki pour faire plier définitivement le Japon, les bourgeois jurèrent de plus utiliser des moyens de destruction aussi terribles (comme ils l’avaient fait pour les gaz asphyxiants après la première guerre mondiale). Mais les vainqueurs de la guerre impérialiste, américains, russes, anglais et français poussèrent au maximum la recherche scientifique dans le domaine militaire (la recherche scientifique civile ayant toujours été le parent pauvre de la recherche militaire), y compris en prenant aux pays vaincus leurs scientifiques. La recherche sur l’application militaire de l’énergie atomique, les applications civiles n’étant qu’un sous-produit, se sont poursuivies pendant des décennies sans jamais être à court de financement.

Les connaissances sur la radioactivité ont progressé parallèlement à la mise au point de normes de radioprotection. Dès le début du siècle qui vient de s’achever les radiobiologistes avaient constaté qu’on ne pouvait utiliser en biologie les mêmes lois qu’en physique, les variables biologiques étant trop nombreuses pour qu’on puisse les contrôler toutes. Différentes unités de mesure des radiations ont été ainsi établies : le Roentgen, puis le Rad, puis le Rem qui mesure la dose absorbée par l’organisme. Mais une même dose de rem peut avoir des effets variables selon la partie de l’organisme qui est touchée. Il a donc été nécessaire de lui ajouter les notions d’effets prévisibles et effets imprévisibles.

Les radiations peuvent être assimilées à de minuscules particules dotées de grande énergie qui interagissent avec les atomes et les molécules de la matière qu’elles traversent. Si la matière est le corps humain ces interactions au niveau atomique et moléculaire provoquent des troubles de l’« équilibre » corporel, c’est-à-dire des dommages et des maladies plus ou moins graves. Ces effets sont classés en trois catégories : 1) effets somatiques précoces prévisibles : radiodermites (brûlures de la peau), cataracte, infertilité, syndrome aiguë d’irradiation. Ils ont une période de latence brève (jours, semaines), ils dépendent de la dose reçue et il est donc possible d’identifier une dose-seuil. 2) effets somatiques tardifs, imprévisibles : tumeurs solides, leucémies. Ils se manifestent au bout d’années et de décennies. 3) effets génétiques, imprévisibles : mutations génétiques, aberrations chromosomiques; ils se manifestent dans la descendance. Ces deux dernières catégories sont du type tout ou rien, indépendamment des doses reçues; il n’est donc pas possible d’établir une dose-seuil. La base du critère de radioprotection qui a été choisie est l’alternative la plus néfaste pour la santé, c’est-à-dire que chaque dose provoque un effet, bien qu’en réalité il est impossible de prévoir de façon exacte les conséquences de l’irradiation. Après l’expérience des bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki et du réacteur nucléaire de Tchernobyl[1] (sans parler d’autres épisodes moins importants), le « monde scientifique » a pris position contre l’utilisation militaire de substances radioactives. Cela n’a pas empêché, ni la poursuite des recherches scientifiques en matière d’armements nucléaires, ni l’utilisation des armes à uranium appauvri lors des guerres du Golfe et des Balkans : qu’il le veuille ou non, le « monde scientifique » est au service des intérêts du capital. Et de même que les sociétés humaines divisées en classes ont évolué à travers les conflits et les guerres, de même la science bourgeoise n’a pu progresser de façon significative qu’à travers les guerres.

C’est l’industrie qui enrichit ou appauvrit l’uranium !

Les isotopes de l’uranium, tous radioactifs, présents dans la nature, sont l’uranium 238, 235 et 234[2]. L’uranium soluble introduit dans l’organisme est éliminé en partie par les urines; la partie non éliminée se retrouve dans les os où elle précipite sous forme de micro-cristaux. La toxicité de l’uranium naturel est moins grande que celle de l’uranium chimique qui se manifeste par une forte précipitation de protéines dans le sang et par une altération des cellules tubulaires des reins jusqu’à provoquer la mort. L’utilisation principale de l’uranium est comme combustible nucléaire, de façon « contrôlée » pour l’usage pacifique, de façon incontrôlée pour les usages militaires (bombe atomique).

Les autres isotopes, 232, 237 et 233, sont obtenus artificiellement pour réduire le degré d’appauvrissement du combustible nucléaire. L’enrichissement de l’uranium, nécessaire pour son utilisation comme combustible, est un processus qui comporte différentes phases au cours desquelles apparaissent diverses formes chimiques qui ont une haute toxicité et qui ont provoqué des accidents mortels[3]. Pour chaque unité d’uranium enrichi on obtient neuf unités de déchets, dont la radioactivité est de 40 % inférieure à l’uranium naturel, qui a une densité élevée (semblable à celle du tungstène). Ce déchet, qui donc coûte très peu cher, est précisément ce fameux uranium appauvri (U.A.)

Il existe des centaines de publications sur les possibles effets biologiques de l’U.A., mais à peine une trentaine ont une réelle valeur « scientifique ». Ces études démontrent que pendant la guerre du Golfe les enfants irakiens ont souffert des graves maladies dues à la conséquence de plusieurs causes concomitantes : stress, infections, médications, expositions aux agents chimiques et biologiques de l’état de guerre, toxicité de l’U.A. et surtout dépression du système immunitaire (la défense du corps contre les maladies)[4]. Une étude basée sur la modélisation mathématique des quantités de radiation ionisantes présentes à la fin de la guerre démontre qu’une particule d’ U.A. d’un diamètre d’un micron a un rayon d’action de 10 km, que l’U.A. émet plusieurs types de radiations (chacune avec des effets différents). On estime que 950 000 projectiles à l’U.A. ont été tirées dans la guerre du Golfe, 10 800 en Bosnie et 31 000 au Kosovo : cela donne une idée des dommages causés aux populations et à l’environnement de ces régions pour des décennies

Une autre étude rapporte que 10 % des soldats américains lors de la guerre du Golfe ont présenté de l’asthénie, des douleurs musculaires et articulaires, de la perte d’équilibre, des symptômes sensoriels, des manifestations nerveuses, diarrhées, dysfonctions rénales, troubles de la sudation de la respiration gastro-intestinaux, des maladies cutanées. Dans ce cas aussi plusieurs causes sont invoquées : pesticides, organophosphorés, insecticides et U.A.[5]. De plus, dans la même publication on démontre qu’au bout de 10 ans les vétérans présentaient des niveaux toxiques d’U.A. dans les os (ce qui laisse présager l’apparition de leucémies, étant donné que la moelle osseuse fabrique les cellules sanguines), dans les reins, dans les poumons, dans l’appareil génital, dans l’intestin[6].

L’ensemble décrit ici est appelé syndrome du Golfe et il serait semblable à celui décrit récemment pour la guerre des Balkans dont il a pris le nom. En résumé la science officielle admet la toxicité chimique de l’U.A. en conjonction avec d’autres causes, mais refuse de se prononcer sur sa toxicité radioactive en l’absence d’études supplémentaires, longues et approfondies. Peut-être faudra-t-il attendre de nouvelles guerres radioactives pour étudier l’U.A. ?

La connaissance scientifique dépend d’intérêts de puissances et de marchés

On peut avancer l’hypothèse qu’un projectile à l’U.A., en absorbant de l’énergie cinétique, émet une quantité plus grande de radiations lorsqu’il est tiré et à plus forte raison au moment de l’impact avec le blindage des chars russes en dotation dans l’armée serbe. Ceux-ci possèdent une couche protectrice à l’U.A. qui pourrait déclencher lors de l’impact une petite réaction nucléaire avec émission de plutonium radioactif (plus toxique que l’U.A.) ou d’uranium 223, également plus radioactif.[7]

La radioactivité est une activité dynamique, elle varie avec le temps et la valeur d’activité attribuée à un radio-isotope est toujours une quantité moyenne. En outre tous les pays n’ont pas les mêmes normes pour les mesures de radioactivité et tous les scientifiques ne se tiennent pas au courant de ce qui se passe en dehors de leur étroit secteur d’activité. En définitive, la radioactivité mesurée après coup pourrait être différente de celle qui aurait été mesurée au moment de l’impact. Dans ce cas le temps de latence pour l’apparition de tumeurs (leucémies) pourrait être beaucoup plus bref. De plus même si l’on acceptait les affirmations des militaires, il n’existe pas encore d’instruments de mesure idoines. Les cas donc de leucémie rencontrés d’abord parmi les soldats américains de la guerre du Golfe, puis sur le soldats européens faisant partie des contingents en Bosnie ou au Kosovo pourraient relever de ce terrible cocktail d’U.A. et d’agents chimiques de divers types.

Il s’agit ici en outre à des sources occidentales qui se désintéressent systématiquement de l’état de santé des populations bombardées. Nous ne connaissons pas l’étendue des conséquences sur les bosniaques, kosovars, serbes ou croates des guerres « propres » des occidentaux. Nous ne connaissons pas la dimension de la véritable tragédie infligée à la population irakienne qui depuis 10 ans a vu s’ajouter à l’oppression et la répression bestiales de sa bourgeoisie les effets terribles de l’embargo occidental et des conséquences de la guerre, U.A. y compris : la mort par famine ou manque des médicaments les plus élémentaires est le présent et le futur que lui réserve l’impérialisme occidental.

Par ailleurs la connaissance des effets biologiques des radiations est relativement plus grande que celle des produits chimiques qui, il faut le souligner, sont plus dangereuxpour le corps humain. En outre dans les derniers 10–15 ans les ressources financières consacrées aux recherches sur les dommages dus aux radiations ont subi une diminution importante dans les pays développés. Les fonds pour la recherche étant limités, on comprend que la disposition changeante des administrations financières à soutenir des projets de recherche font qu’à tout moment il y a des thèmes et des domaines qui sont financés au détriment d’autres, non selon leur importance théorique ou sociale, mais selon les orientations de la production et reproduction du capital.

Il est vain d’en appeler au savant intègre, parce que ce ne sont pas les bonnes intentions qui décident, mais le marché. Il est utopique d’espérer que le progrès des connaissances scientifiques résoudrait les problèmes ou de s’étonner que le contrôle scientifique soit toujours en retard. Dans une société qui a comme but exclusif le profit, l’industrie de la production est toujours en avance par rapport à l’industrie du contrôle, étant donné les changements improvisés dans la production imposés par la concurrence sur le marché. Le contrôle lui-même d’autre part est délégué aux pouvoirs publics qui à leur tour dépendent de l’industrie et de la finance.[8]

Mais dans toute cette histoire, quelle est la faute de l’uranium ?

Né sous de bons auspices en 1789, il avait trouvé une place sûre dans le Tableau de Mendeleïev en 1871; enrichi en 1939, il explosa en 1945 et fut envoyé à la guerre en 1991 et 1996. Au fond, au fond… il serait plutôt sympathique parce qu’il sera contraint de se révolter s’il ne veut pas passer pour un criminel et redevenir naturel…

Il n’est pas besoin d’être radiologue pour comprendre que dans une société où il n’existe pas de « paix propre », il ne peut y avoir à plus forte raison de « guerre propre ». Il faudrait espérer en l’avenir, mais l’avenir est passé parce que depuis Marx et Engels l’avenir du capitalisme – la trajectoire et la catastrophe de la société bourgeoise – est connu. Il n’ y a pas d’avenir dans le développement du capitalisme, parce qu’il ne va que dans une seule direction : plus se développe la puissance du capital et plus s’accroissent les facteurs de crises et de catastrophes générales. Il n’y a pas d’issue dans le cadre de la société capitaliste dont l’analyse marxiste a décrit le futur : ce sera la révolution des affamés, des exploités, des esclaves salariés, en un mot des prolétaires qui réglera son compte au mode de production capitaliste et à la classe bourgeoise et qui ouvrira aux hommes libérés de l’esclavage salarié et du capital leur propre histoire. Ce n’est qu’alors que les sciences seront enfin au service du développement de l’humanité et non plus au service du profit capitaliste.

Notes :
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  1. cf. A. Rindi, M. Quintiliani, M. Di Pofi, « Chernobyl, un anno dopo », « Medicina », volume 7, nn.3/4, Firenze 1987. [⤒]

  2. Les isotopes d’un corps sont les variétés qui ont un nombre différent de neutrons dans leur noyau, mais ont les mêmes propriétés physico-chimiques. A l’état naturel, l’uranium se compose ainsi de 3 isotopes : 99,28 % d’uranium 238 protons dans le noyau atomique), 0,71 % d’uranium 235, 0,006 % d’uranium 234. L’enrichissement consiste à augmenter la proportion d’uranium 235, le seul isotope naturel de l’uranium à pouvoir être utilisé dans des réactions nucléaires. [⤒]

  3. B. L. Carson, H. V. Ellis III, J. L. Melana, « Toxicology and Biological Monitoring of Metals in Humans », 1986, Lewis, Chelsea, Michigan.[⤒]

  4. « Desert Storm syndrome : sick soldiers and dead children ? », « Med War », 1994 Jul-Sep., 10 (3), pp.183–194.[⤒]

  5. « Gulf War syndrome model for the complexity of histological and environmetal in the human health ». « Adverse Drug Reactions and Toxicological Reviews » 1998, Mar. 17 (1), pp. 1–17.[⤒]

  6. « Health effect of Depleted Uranium on exposed Gulf War veterans ». « Environmental Research 2000 », Feb. 82 (2), pp. 168–180.[⤒]

  7. « Mutagenesis », 1998, Nov. Pp.643–648.[⤒]

  8. « Marxismo e scienza borghese ». Reprint de « Il Comunista », 1986, pp. 28–33. [⤒]


Source : « Le Prolétaire », numéro 456, Mai 2001.

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