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UNE BYZANCE SOCIALISTE ? !


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Une Byzance socialiste ? !
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Sur le fil du temps

Une Byzance socialiste ? !

Hier

Pour la presse de toutes les époques et en toutes les langues, c’est un lieu commun que d’ironiser sur les interminables discussions des congrès et des tendances socialistes, et aussi de se réjouir avec ostentation que cette manie de couper les cheveux en quatre et d’éplucher avec pédantisme les documents et les travaux des autres, qui affligerait les chefs du mouvement prolétarien, ait provoqué des divisions et des scissions à jet continu, lesquelles, en affaiblissant finalement le mouvement, servaient à rassurer ses adversaires. C’est passé, dirait le bourgeois à la fenêtre, après qu’il ait ôté les barreaux; là aussi c’est passé, mais pas seulement grâce au Christ et au Préfet de Police, mais bien plus grâce au diable de la discorde, à l’esprit subtil et défaitiste de la super-critique et de la dissension.

C’est une vieille histoire et c’est aussi un vieil argument de commentaires infinis pour les journalistes bourgeois, qui étaient invités aux congrès prolétariens dans des loges confortables; ils s’en payaient une tranche quand ça se bagarrait au parterre ou que l’orateur à la tribune était accablé de lazzi et de sifflets, parmi les protestations des partisans de sa faction. Vieille histoire, mais qui suscitait cependant l’intérêt le plus large et le plus attentif de cette presse, des partis bourgeois, du gouvernement et de ses organes, et la diffusion la plus ample des nouvelles; ce qui, somme toute, dissimulait mal qu’on reconnaissait de façon substantielle la grande importance des partis au sein desquels, sur le plan national et international, ces débats et ces crises s’étaient développés.

Les interprétations différentes d’une doctrine commune et d’un programme commun, et les propositions différentes concernant les décisions d’action à prendre, la vivacité, l’âpreté et la violence parfois des désaccords, n’ont certainement pas été propres au seul mouvement socialiste moderne et n’ont pas eu pour théâtre seulement une époque ou un pays elles sont un fait historique, ou même un facteur historique, général et primaire.

Si l’on voulait réellement raconter l’histoire des heurts entre les différentes écoles et sous-écoles, églises et chapelles, partis et sectes politiques publiques et occultes, on finirait par devoir exposer toute l’histoire humaine, et on devrait reconnaître que les interminables polémiques et diatribes ne furent pas seulement une fin en soi ou de simples manifestations et éruptions de cerveaux exaltés ou de foies malades, mais aussi qu’elles présentèrent, pour celui qui sait entendre, la véritable superstructure des contradictions réelles de force, de pouvoir et, au fond encore plus, d’intérêts entre les groupes sociaux.

Nous nous sommes sans aucun doute écartés du problème du mouvement du prolétariat moderne afin d’établir que, si l’on veut le définir comme une Byzance, il ne faut pas s’en prendre uniquement aux socialistes italiens de cette moitié de siècle, mais à ceux de tous les pays depuis qu’on s’est mis à parler de socialisme.

Concernant le socialisme tel que nous l’entendons aujourd’hui et dont personne, parmi les partisans, les interprètes de cent nuances et les adversaires de tous bords, ne nie désormais l’importance, comment ne pas reconnaître que son histoire ne dirait rien à celui qui la lirait si l’on faisait abstraction des heurts incessants entre les tendances ?

Proudhon était pour ses contemporains un révolutionnaire extrémiste et un ennemi de l’ordre social en vigueur parmi les plus radicaux; et pourtant, bien avant le Manifeste, Marx l’attaqua en l’écorchant proprement dans une polémique où il déclara comme réactionnaires ses vues historiques, philosophiques, économiques et politiques, et en soumettant ses énonciations à une dissection impitoyable.

Le Chapitre du Manifeste Communiste de 1848 sur la « littérature » socialiste et communiste fait partie intégrante de ce bloc de granit. Le mouvement des travailleurs qui ne possèdent rien, et qui sont également pauvres en instruction et en culture, car ces dernières sont aussi des privilèges qui découlent de la possession de biens et sont disputées au miséreux de la même façon que le pain et ce que l’on mange avec; le mouvement qui ne fait plus désormais appel à des bienfaiteurs, à des esprits éclairés, ou à des princes et des seigneurs bien intentionnés, mais qui bat uniquement le rappel des déshérités, des ignorants et des analphabètes du travail manuel; ce mouvement se préoccupe donc prioritairement non seulement de sa littérature, mais surtout de la séparer et de la sélectionner sévèrement par rapport aux « littératures » non conformes et illégitimes, c-à-d marque les limites rigoureuses et infranchissables entre sa doctrine et ses principes et ceux de tant de faux socialismes qui sont déjà en circulation au moment où le socialisme authentique rédige son propre acte de naissance et fixe ses caractéristiques.

Depuis lors, aucun mouvement de masses n’a pu avancer sans définir sa théorie, et, d’aucune façon, n’a pu définir de la sorte sa théorie sans un travail critique consacré à la « réfutation des écoles adverses ». Toutes les étapes de ce processus, même quand il a été nécessaire de tailler dans le vif et d’infliger le fer rouge, ont été des étapes vives et utiles du chemin révolutionnaire : chaque fois qu’on a donné libre cours aux lieux communs insinuants qui désapprouvent le sectarisme, pleurnichent sur la division des forces, invoquent les étreintes corruptrices de forces hétérogènes dans une fausse unité, et font baisser le rideau sur les silences complaisants et réciproques de chefs qui ont pour préoccupation suprême leur carrière personnelle et non la victoire de leur parti, la défaite glaçante s’est profilée. Même Dante, esprit partisan on ne peut plus farouche, choisît, parmi tant de salauds et de traîtres à toute chose sacrée et profane, le trou le plus profond de l’Enfer pour y laisser tomber l’infâme Bouche des Abbés, qui trahit son parti et vendit ses compagnons à la faction ennemie. Dante en arrive, envers ce seul damné, le seul qui ait honte de décliner son nom, à l’outrage physique et il le lui extorque en le saisissant par les cheveux et en les lui arrachant avec férocité, oublieux pour un instant de l’incorporalité des trépassés…

La tolérance en politique est la plus réactionnaire des positions.

Il y a un siècle, il fallait donc déjà établir une frontière entre les communistes et une série de doctrines fausses. Les chapitres du Manifeste vibrent encore aujourd’hui d’une vie puissante : ils définissent trois groupes de « socialismes » : les réactionnaires, les conservateurs, les utopistes. En 1848, tout mouvement qui s’opposait à la révolution bourgeoise contre la noblesse terrienne et légitimiste, était réactionnaire. Les défenseurs de l’ancien régime cherchèrent avec audace dans le « socialisme féodal » à utiliser contre les apologies du nouveau système libéral et démocratique bourgeois, les dénonciations de l’exploitation patronale en provenance des premiers groupes ouvriers de la nouvelle industrie, et les premières critiques prolétariennes au mensonge de la démocratie bourgeoise. Cette position est réactionnaire sur le plan théorique pour la vision marxiste de l’histoire, et elle est réactionnaire en politique dans la mesure où elle voudrait l’alliance invraisemblable des ouvriers et des nobles contre les bourgeois. Mais il existe un second type de socialisme réactionnaire, celui-là bien plus dur à mourir, c’est le socialisme « petit-bourgeois », qui veut surmonter l’injustice et l’inégalité sociales à l’aide d’un système de gestion corporative des usines et patriarcale-familiale de la terre; c’est le socialisme que les prêtres et les chrétiens ont actuellement fait leur, et qui – comme l’écrivit Marx – mérite de finir dans un « miaulement stupide ». Une troisième espèce en est le socialisme « allemand » d’avant 1848, qui mettait en avant la minuscule bourgeoisie germanique, artisanale et commerciale, imbue d’hypocrisie et de préjugés, et prête à faire le jeu des pouvoirs absolus, dans la période où n’avait pas encore commencé la puissante évolution de l’économie allemande vers l’une des premières places du grand industrialisme mondial. Le second paragraphe s’en prend au socialisme « bourgeois », et donc conservateur de la société de classe actuelle, qui s’engage à l’« améliorer », à faire en sorte que les travailleurs y aient un meilleur traitement : c’est la sale doctrine toujours vivante des sociaux-démocrates, des travaillistes et des réformistes depuis que Marx l’a couverte de honte chez Proudhon, père du faux extrémisme, elle a eu mille éditions et se manifeste par des formes pathologiques plus nombreuses que celles que fait naître la syphilis sur les organismes animaux.

Le troisième paragraphe correspond à la critique des utopistes; elle est menée avec respect vis-à-vis de quelques grands précurseurs qui furent sensibles à l’influence des premiers mouvements ouvriers, mais en démontrant que ces écoles, qui refusaient le moyen de la lutte révolutionnaire et soutenaient celui de la persuasion pacifique, se placent hors de la route de la lutte des classes et tombent dans le socialisme réactionnaire et bourgeois.

Pour fonder en 1864 la première Internationale, Marx et Engels doivent conduire une lutte farouche contre les tendances humanitaires, philanthropiques et pacifistes de petits-bourgeois radicaux qui cherchent obstinément un soutien dans les rangs ouvriers; et ce n’est pas une mince affaire que de les en expulser, et d’employer les antidotes contre leur action théorique corruptrice, dans une période où ils participent, dans divers pays d’Europe, à des luttes armées qui se situent indiscutablement sur la voie révolutionnaire générale.

Non moins difficile est l’action dans le mouvement ouvrier allemand dans lequel domine, jusqu’à sa mort à un âge relativement jeune, la forte figure de Lassalle, qui se déclare disciple de la théorie de Marx, mais qui la diffuse de manière inadéquate, et qui, malgré un tempérament batailleur, prépare longtemps à l’avance, du fait de sa surestimation du suffrage universel, même par rapport à une révolution bourgeoise accomplie, la ruine du prolétariat allemand dans le marais social-démocrate. Alors que le rappel des polémiques entre lassalliens et eisenachiens serait interminable, les interventions de Marx et d’Engels contre les erreurs non seulement doctrinales, mais aussi tactiques et organisationnelles du parti grandissant et même des chefs de l’aile « marxiste », furent, elles, rares mais décapantes.

Dans les années qui précédèrent et suivirent la Commune, une autre lutte prend de l’ampleur : la lutte contre les tendances libertaires et fédéralistes de Bakounine, laquelle, au Congrès de La Haye en 1872, conduisit à la scission de l’Internationale au travers de polémiques qui, du domaine de la théorie et de la méthode, en arrivèrent à des attaques très violentes et même à des accusations de provocation policière.

On a beaucoup pleuré sur cette polémique et les prétendues histoires du mouvement ont même mis sottement, et pendant des décennies, au premier plan les antipathies personnelles, les ambitions du bouillant Bakounine, le caractère bilieux et sectaire que les imbéciles attribuaient à Karl Marx, homme désintéressé s’il en fut, non seulement devant le succès personnel et la conquête de charges suprêmes, mais aussi face à l’avis de l’opinion publique proche ou lointaine et à la cour que lui faisaient la masse et même le cercle de ses partisans. Dans les décennies qui suivirent, le double révisionnisme, celui des réformistes du type Bernsteins et celui des syndicalistes du type Sorels, en attaquant les points fondamentaux du marxisme, fit apparaître un malentendu colossal : l’orientation « autoritaire » de Marx se situerait à droite par rapport à l’orientation « communiste libertaire », et pourrait donc servir de plate-forme aux concessions possibilistes et de conciliation de classe, à l’utilisation de l’État bourgeois et libéral pour fabriquer, à l’aide de lois, des morceaux de socialisme. Ce n’est que lorsqu’arrivèrent, dans la théorie, « L’État et la Révolution » de Lénine, dans l’histoire, le pouvoir des Soviets en Russie, et dans l’organisation, la fondation de la Troisième Internationale après la trahison des socialistes de guerre, qu’il fut possible d’expliquer très clairement combien il était crétin de traiter de « potin » l’acte d’accusation contre la secte bakouniniste et l’Alliance de la démocratie socialiste, qui opposa à l’Internationale ouvrière un fatras de petits-bourgeois romantiques et d’anarchistes. La victoire prolétarienne a besoin de centralisme, dit Marx, cohérent en cela à la lettre avec chaque page du Manifeste et de ses œuvres historiques aussi bien qu’économiques, de même qu’il a besoin d’autorité; sans ces moyens, il ne pourra pas terrasser le pouvoir et l’économie du Capital. Mais seuls les idiots lisent que le Centre étatique et l’Autorité étatique elle-même puissent devenir le champ d’une action pacifique au cours de laquelle les classes opposées font preuve d’« émulation » (ainsi que le veulent aujourd’hui les staliniens dans leur plan officiel : paix mondiale, action légale dans les pays occidentaux, bloc de classes en Orient, idylle partout). La Révolution ne peut abattre le Centre politique bourgeois et son État organisé qu’à l’aide d’un organe central de guerre civile, le Parti communiste dans le monde entier. Une fois tombé ce Centre ennemi dans la guerre de classe, on ne peut donner libre cours à la conception puérile et défaitiste des « Communes économiques et politiques libres et autonomes », mais il faut réduire en miettes la machine institutionnelle bourgeoise en créant une machine opposée, c-à-d la machine centrale de l’État révolutionnaire de classe, et, avec le poids « despotique » de sa dictature, arracher au Capital, une à une, ses griffes et ses dents, dans le domaine de la production et de l’économie sociale.

C’est ce discours, et pas un autre, que doit faire le communisme, aussi bien face à la dynamite apprivoisable de Michel Bakounine qu’à la colombe rapace de Joseph Staline; entre ces deux-là, s’insère parfaitement la désertion des socialistes de la seconde Internationale, guerriers au service de la bourgeoisie, pompiers des insurrections prolétariennes, et enfin bourreaux de la révolution.

Si on devait compléter ce coup d’œil, en laissant entièrement de côté une histoire spécifique des luttes de tendance du socialisme italien qui reste à faire, comment mieux le couronner si ce n’est avec l’enseignement historique de la révolution russe ? Combien de subdivisions d’écoles et combien de partis différents, qui se réclamaient tous des prolétaires, étaient opposés à la puissante unité étatique du tsarisme et de la bourgeoisie en Russie ? Populistes, menchéviks, internationalistes, bolchéviks, socialistes-révolutionnaires de droite, socialistes-révolutionnaires de gauche, anarchistes individualistes, anarchistes communistes, nihilistes, et ainsi de suite. Quel meilleur jeu pour la contre-révolution, quelle désunion fatale, quel défaitisme fratricide On peut enterrer ces lieux communs en compagnie des cadavres de la famille impériale, et les disperser à la suite des derniers honorables députés de l’Assemblée constituante, qui furent défenestrés à coups de crosse de fusil par les marins communistes insurgés.

Aujourd’hui

Le parti pléthorique qui, en Italie, porte le nom de communiste, et que rien ne distingue, dans la pratique, de l’autre gros parti socialiste (alors que naviguent à leur « droite » deux petits partis sociaux-parlementaires dont on ne sait pas en quoi leur position doctrinale diffère de celle des premiers) s’occupe aujourd’hui à grand bruit de commémorer un des tournants les plus typiques de ce processus de sélection des méthodes et des organismes de lutte que fut la scission de Livourne en l92l.

Il est très remarquable que tout ce qui a été dit, par tous les bords, contre l’événement et la politique de Livourne, correspond à la pratique, à la méthode et aux slogans dans lesquels les commémorateurs officiels d’aujourd’hui s’enveloppent.

La scission de Livourne fut accusée d’être la plus injuste, la plus extrême, la plus sectaire et la plus ruineuse des scissions; elle fût maudite, à l’époque et aujourd’hui, comme une folle erreur, par tous les partisans des fronts unis, des accolades unitaires, des blocs démocratiques, des comités de libération, de la chasse aux adhésions de masse, payées à n’importe quel prix. Pourquoi alors exalter Livourne ?

Dans la discussion enflammée et souvent tumultueuse qui eut lieu, les partisans de l’unité à tout prix nièrent désespérément qu’il y eût les classiques « deux âmes » dans le parti qui se brisait; ils se proclamèrent révolutionnaires, communistes, léninistes et bolchéviks autant que tout autre, ils se déclarèrent pour la Troisième Internationale de Moscou et contre la Seconde de Bruxelles, pour la dictature prolétarienne et contre la social-démocratie, pour l’utilisation de la violence et contre le social-pacifisme; ils firent en outre les plus grands efforts pour soutenir que les « droitiers italiens » valaient mieux que « ceux des gauches des autres pays », disculpant ainsi Turati et compagnie de l’accusation d’être des opportunistes et des sociaux-traîtres pour la raison qu’ils avaient refusé leur appui au gouvernement bourgeois, en temps de paix comme en temps de guerre.

De leur côté, tous les partis du radicalisme bourgeois et de la petite bourgeoisie, dont les états-majors venaient d’être emportés par la tourmente fasciste, désapprouvèrent la scission en tant que rupture du front uni qui devait servir, conformément à leurs intérêts, à s’opposer à l’arrivée de Mussolini au pouvoir, en y soutenant les trucs traditionnels de la bourgeoisie italienne. Inutile de rappeler que peu après Livourne, le 3 août 1921, tous ces partis, dénoncés comme traîtres par le jeune parti communiste, souscrivaient au sale pacte de pacification avec les fascistes, collaborant ainsi à désarmer les prolétaires assaillis par les agressions quotidiennes des chemises noires.

Dans les rangs de la droite de l’Internationale Communiste, laquelle commençait déjà lentement à se replier par rapport aux traditions révolutionnaires des grandes années rouges, on fit également des critiques ouvertes à Livourne : la sectaire fraction communiste italienne avait coupé trop à gauche et avait de la sorte abandonné des positions importantes d’organisations, de représentations politiques, de presse et ainsi de suite, au vieux parti. La tradition de Livourne et du mouvement communiste italien de 1921 correspondait à une position de gauche au sein du mouvement communiste international lui-même et telle fut donc la position compacte du parti lors des congrès de 1921 et de 1922, dans lesquels il fut en désaccord avec la tactique générale de l’Internationale de Moscou, et avec les tentatives faites en Italie pour « corriger l’erreur de Livourne »; tentatives qui, du reste, avortèrent puisque, bien que le parti socialiste se fût scindé en plusieurs morceaux au cours de crises successives, une petite minorité seulement des soi-disant « terzini » réintégra l’Internationale; le parti communiste italien s’opposa également à cette « fusion », bien qu’il s’y conformât par pure discipline.

Le « livournisme » subit ensuite des traitements énergiques, qui conduisirent, avec beaucoup de difficultés, à l’éliminer du parti italien. Quoique la situation créée par le fascisme et le sens absolu de la discipline aient facilité à partir de 1923 le remplacement de la direction de gauche, c-à-d celle qui était sur la « ligne de Livourne », par une direction centriste qui accepta progressivement la tactique des fronts unis avec les socialistes, puis des blocs avec la démocratie bourgeoise antifasciste, le parti, consulté encore en 1924, et en 1926, se prononça majoritairement pour la « politique de Livourne », dont les vicissitudes ultérieures ont ensuite dispersé, pour les versions officielles, jusqu’aux dernières traces.

Et alors, que faut-il donc rappeler, commémorer, exalter ?

A Livourne, on repoussa avec indignation et avec violence l’excuse selon laquelle les chefs parlementaires comme Treves et Modigliani n’avaient pas accepté, en temps de guerre, de voter pour les ministères d’union nationale et pour les crédits – les commémorateurs actuels, comme les Togliatti et les Scoccimarro, ont été ministres en 1945 dans des cabinets qui menaient la guerre anti-allemande, de même qu’avait été anti-allemande et démocratique celle menée par Salandra et Orlando.

A Livourne, on proclama que ces vieux socialistes, non dénués d’un passé décent, ne pouvaient pas pourtant éviter l’épithète infamant d’opportunistes, même s’ils avaient constamment refusé le possibilisme ministériel et l’entrée dans les gouvernements bourgeois qui promettaient des réformes sociales – les actuels partis commémorateurs de Livourne s’écrient à tout instant que, malgré la situation mondiale présente, ils n’aspirent pas à une autre politique que la participation à un gouvernement « national », qui accueille en eux les « représentants des travailleurs » pour mettre en œuvre d’un commun accord les « réformes de structure ».

A Livourne, les communistes conclurent sans hésiter dans les motions, les manifestes et les discours, en faveur de la disposition de forces déclarée suivante : contre tous les partis bourgeois coalisés avec le parti socialiste, lutte pour renverser le pouvoir de la bourgeoisie italienne; les partis commémorateurs actuels, de front en bloc, d’alliance en coalition, ont invoqué la concorde et l’union nationales, non seulement dans la phase des comités antifascistes et dans celle du gouvernement tripartite, mais également aujourd’hui. Ils prétendent ouvertement que, dans la campagne pour la paix et la neutralité, doivent se joindre à eux non seulement les travailleurs des villes et des campagnes, non seulement les masses pauvres comme les paysans-propriétaires, non seulement les couches moyennes et la petite bourgeoisie, mais aussi les bourgeois « intelligents » et sainement guidés par l’amour de la patrie et de l’indépendance italienne. Si demain il y a la guerre, ils se garderont bien de dire : faisons une politique de rupture nationale et de défaitisme pour que gagne la Russie, que nous proclamons prolétarienne, contre l’Amérique bourgeoise, et pour qu’après la victoire il soit possible de pendre les bourgeois locaux; mais ils diront : nous appelons à l’action partisane pro-russe tous les Italiens, même les riches, les capitalistes et les bourgeois : la défaite de l’Amérique n’est pas un succès prolétarien, elle est une affaire nationale italienne !

Truman est un mauvais protecteur et De Gasperi un chef encore pire, non seulement pour les masses travailleuses mais même pour les capitalistes italiens, qui sont invités à en repousser les flatteries et à réclamer, s’ils sont de vrais patriotes, une carte du parti communiste italien, le seul qui soit vraiment sensible à l’intérêt de la nation !

Dans la salle du théâtre Goldoni, il y a trente ans, la représentation communiste frémissant d’intempérance bouillonnait comme un volcan à la seule allusion d’un pont jeté vers Serrati, qui proposait un pont jeté vers Turati.

Aujourd’hui, des milliers de délégués écouteront sans frémir, dans une mise en scène bien préparée de passivité conformiste, la proposition qu’on jette un pont qui, pour la Paix de Picasso ou la guerre de Rokossovski, atteigne jusqu’au dernier bourgeois italien.

Quel progrès, en trente ans, par rapport aux méthodes dépassées et vieillies d’alors ! La ville tyrrhénienne et toscane ne sera plus comparée à Byzance, mais à Gomorrhe.

Les moines de la chasteté révolutionnaire sont désormais anéantis. Place à vous, ô prêtres de l’amour politique contre nature ![1]

Notes :
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  1. Note des traducteurs :
    Rokossovski, d’origine polonaise mais russe, était à l’époque ministre de la défense polonaise et vice-président du Conseil du gouvernement polonais. De plus il était membre du bureau politique du comité central du parti ouvrier polonais. [⤒]


Source : « Battaglia Comunista » Nr. 2 – 1951. Traduit dans Invariance, Mai 1993. Traduction incertaine, se refferrer au texte original.

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