Lors du tout dernier congres national du PCI à Rome (ce n’était pas un congrès, il n’y avait pas de parti qui d’ailleurs n’était pas communiste, et si nous ne nous fichions pas totalement de l’adjectif italien, nous dirions qu’il n’était pas non plus italien), un livourniste de 1921 écoutait le rapport d’un délégué sur les projets concernant les prochaines élections administratives dans sa ville. Les délégués à ce genre de rassemblements ne peuvent, ne savent ou ne veulent rien dire de projets nationaux ou bien, que Dieu nous en préserve, internationaux. Ils nous écoutent de la tribune, un peu détogliattisés, un peu assommés, dédaignant d’écouter les bruits des terracini et des terroncini.
Le délégué parlait et il avait fait précéder son discours, pensons-nous, d’une « platée » de pizza colla pummarola (dans laquelle nous pouvons pour une fois réussir à apprécier l’alliance du rouge de la tomate avec le vert du persil et le blanc de l’ail). Il proposait qu’afin de contrecarrer la victoire démocrate-chrétienne, on présente un projet d’accord à tous les partis populaires, y compris les partis monarchistes, néo-fascistes et autres, qui là-bas, parait-il, sont tout disposés à se payer la tête du maire et de tous les saints qu’il a en Paradis.
Notre livourniste, qui, du fait de son ingénuité filiale, ne mériterait pas un nom zoologique, mais plutôt un nom botanique et floral, n’avait pas lu notre « Fable socialiste à la manière d’Esope » c’est pourquoi il fit passer à la table des grands hommes le petit billet suivant : mais c’est le bloc de 1913 !
Nous sommes certains que personne n’y a bronché : les uns parce qu’ils ne savent rien de 1913, les autres parce qu’ils n’avaient pas alors d’orientations politiques qui allaient au-delà de la marche royale et de la première communion, les plus profonds parce qu’ils n’imaginent pas qu’on puisse mettre en doute le fait que le bloc populaire d’Azzuria était, à la lumière de leur tactique d’aujourd’hui, une chose juste et digne, l’œuvre des précurseurs de la « bolchévisation » et de la méthode « élastique ».
Notre livourniste ne voit probablement pas comment l’orientation actuelle des staliniens, du fait de son opportunisme, de son droitisme, de son défaitisme, a pu descendre au-dessous de celle des partisans du bloc, tant couverts d’injures, de ce temps lointain.
Jetons-y un petit coup d’œil.
Nous, de la gauche marxiste, nous serions des « négateurs du compromis », et nous ferions la grimace devant toute proposition d’alliance avec d’autres partis et mouvements. Cette attitude découlerait de la façon « fossile » avec laquelle nous avons intégré la formule dogmatique de certains principes, ce qui nous empêcherait de ne rien comprendre à la méthode qui permet de démêler, dans les différentes périodes et dans les différents pays, la réalité vivante et la complexité de l’histoire (c’est bien ainsi que l’on dit ?). Ce serait, semble-t-il, une position non dialectique, non scientifique, et une pose caractérisée par l’intellectualisme, par un idéalisme creux, par un esthétisme idiot, qui mèneraient à l’inaction et à la stérilité absolue : advienne que pourra du prolétariat et de la révolution, pourvu que je ne me salisse pas les mains dans la mixture des blocs.
Afin de montrer au contraire que nous suivons une méthode parfaitement expérimentale, qui correspond totalement à la réalité et qui se nourrit uniquement de faits et non de schémas cérébraux, nous allons mettre en relief la façon avec laquelle, depuis cent ans, les plus vulgaires champions de l’arrivisme personnel et de l’enrôlement au service des classes exploiteuses et dominantes, chantent cette chanson, tout en exploitant d’une manière on ne peut plus usée les noms de Marx, d’Engels et de Lénine.
En ce qui concerne toutes les activités de parti et de classe (doctrine, organisation, propagande, élections, syndicats, attitude envers la guerre), nous avons pour objectif de démontrer que la gauche admet parfaitement que des données historiques et sociales différentes, même dans le vaste cadre où l’histoire et la société connaissent l’existence de la bourgeoisie et du prolétariat (au moins depuis 1800 jusqu’à aujourd’hui, de la Terre de Feu au Spitzbergen [Svalbard]), conduisent à poser et à résoudre de façons différentes le problème des alliances de parti et de classe.
Celui qui rappelle que dans la situation de l’Europe en 1848, selon le Manifeste, la tactique des communistes est une tactique d’alliance avec certains partis de la bourgeoisie et parfois de la petite-bourgeoisie, sauf en Angleterre et en France, enfonce donc des portes grandes ouvertes.
Cela est très clair si l’on se réfère à la lutte politique en Allemagne, où la révolution bourgeoise était encore à accomplir en 1848, et où elle se déroula d’une façon particulièrement tortueuse. Nous avons dans ce cas une analyse complète et profonde des forces en jeu, fondée sur une véritable circulaire tactique que la Ligue des Communistes adressa aux prolétaires allemands en vue de l’insurrection, écrite par Marx et citée à outrance par les partisans des blocs. La formule de Marx est très simple. En Allemagne, nous avons une industrie naissante et une bourgeoisie naissante, mais qui est particulièrement engourdie vis-à-vis des pouvoirs de l’Empire féodal. Il est donc urgent de manœuvrer de manière qu’elle soit poussée à la lutte, et si elle tente de faire tomber les piliers de l’État traditionnel, de l’aider. Nous avons aussi une petite-bourgeoisie qui semble plus à gauche que la peu nombreuse bourgeoisie riche et qui pourrait être entraînée à attaquer les Bastilles, comme les boutiquiers de Paris en 1789, mais sur laquelle les marxistes ont une idée bien établie. « Indulgente et servile sous un gouvernement monarchique et féodal fort, elle se tourne vers le libéralisme quand la bourgeoisie est en ascension, elle est prise de violents accès de libéralisme dès que la bourgeoisie a assuré sa suprématie, mais elle retombe dans l’abattement d’une répugnante couardise dès que la classe qui se trouve au-dessous d’elle, le prolétariat, tente un mouvement indépendant ».
Toujours dans ce bilan de 1848 la classe ouvrière allemande est « aussi arriérée relativement à celle de France et d’Angleterre que l’est la bourgeoisie allemande vis-à-vis de la bourgeoisie de ces pays ». Telles sont les données de l’analyse. Les conséquences en sont évidentes « le mouvement-même de la classe ouvrière n’est jamais indépendant tant que toutes les fractions de la bourgeoisie, et en particulier sa fraction la plus progressiste (écoutez ! écoutez ! – traduction de Palmiro Togliatti, éditions Rinascita), c.-à-d. les grands industriels, n’ont pas conquis le pouvoir politique ».
Ergo le marxiste de gauche, à savoir le seul marxiste, qui, se plaçant au-delà non seulement du carriérisme mais aussi de tout individualisme subjectif et … existentialiste, est un militant politique centenaire, et qui affirme dialectiquement que le personnel de parti est en principe, après une quinzaine d’années révolutionnaires, usé et à jeter; le marxiste, disions-nous, si on lui donne ce lieu et cette époque, comprend qu’on peut et qu’on doit parler d’alliance de lutte avec la petite-bourgeoisie, même s’il sait par avance que le centre de l’idéologie et du programme de son parti est la lutte de classe des salariés contre les capitalistes.
La circulaire est très simple : quand nous la lûmes en mars 18 (eh prote, il s’agit bien d’un huit) 50, nous n’eûmes pas la moindre hésitation « infantile ». Marx décidait qu’« en cas de lutte contre un ennemi commun, et s’agissant d’une coïncidence temporaire, il n’est pas besoin d’une union spéciale. Les communistes se comporteront de manière à impulser le mouvement démocratique et, dans le même temps, à mettre en place les conditions de sa dissolution ». Bien, Maître, et aucun sectarisme ou esthétisme ne nous amènera à nous priver de la joie de faire tomber, en suivant cette voie, démocrates et démocratie les quatre fers en l’air.
Sans changer de poil et sans abandonner nos mauvaises habitudes[1], nous passons à une Europe totalement industrialisée et bourgeoise, hérissée d’usines et empestée de chambres parlementaires, telle qu’elle se présentait en l’an de grâce 1914.
Au Congrès d’Ancône du Parti Socialiste, un élu d’Azzuria que nous avons déjà cité, parla en faveur du bloc administratif. Il était partisan du bloc, mais il n’était ni un idiot ni un âne, et il mâchait solidement le marxisme; de plus, c’était un orateur agréable, tandis que les partisans actuels des blocs s’expriment par des discours qui résonnent comme de l’eau sale s’évacuant dans l’évier. Il essayait de prouver qu’il y avait à Azzuria, étant donné l’existence d’une administration cléricale, des conditions féodales comme dans la France du XVIIIème siècle ou dans l’Allemagne de 1848, et il prétendait par conséquent que le parti prolétarien ne pouvait pas donner pour toute l’Italie une même norme tactique qui fasse abstraction de ces conditions locales. Laissez-nous faire, disait-il, nous appliquerons ensuite la circulaire de Marx. Mais avec qui voulez-vous vous allier ? lui crièrent les délégués qui savaient que le bloc en question s’étendait jusqu’aux giolittiens et aux monarchistes. Avec le diable ! répondit-il; de la même façon, les staliniens prétendent aujourd’hui que cela aurait été dit par Lénine. Et il finit par arracher, sinon des votes, beaucoup d’applaudissements : un vieil amour doit être célébré par une grande fête nuptiale, les invitations ont été envoyées, l’attente est générale, et l’allégresse de la foule irréfrénable. Que nous demandez-vous au nom de la discipline de parti ? Après de longues déclarations passionnées, après avoir conduit l’épouse à l’autel, et lui avoir passé l’anneau à son doigt gracile, sur le seuil de l’alcôve, l’époux se retire… parce qu’il est impuissant !
Le bloc demeura en place et gagna, à Azzuria. L’époux ardent dissipa les insinuations sur sa virilité. Puis, comme nous le savons aujourd’hui, il mourut de la syphilis.
Mais si l’orateur partisan du bloc de 1914 avait demandé si la situation politique de l’époque autorisait un marxiste à faire alliance avec d’autres partis de gauche aux élections politiques, de voter pour un gouvernement bourgeois, de devenir ministre, d’accorder les crédits pour une guerre « démocratique », il aurait lui-même répondu avec horreur que non. Alors que ceux à qui on a passé le petit billet, eux n’ont pas répondu non.
Epoques ! Situations ! Pays ! crient les staliniens. Mais en fonction de quoi ? En fonction d’une vision générale de la lutte historique qui soit capable de s’adapter au développement de la structure productive, et tienne compte du degré de diffusion et d’intensité internationales de l’industrialisation et du capitalisme, ou bien vulgairement, en fonction de ce qui vous arrange ?
Tactique bolchévique ! Il est incontestable que la situation de la Russie en 1917, du fait de l’existence d’un pouvoir féodal, était analogue « nationalement » à celle de l’Allemagne en 1848. Lénine utilisa par conséquent, jusqu’à la victoire complète, la tactique de la circulaire de Marx : il conclut des alliances occasionnelles avec tous les mouvements « progressistes », de Lvov à Kerenski et à Axelrod, il les compromit et il les roula tous, un par un. Les nouvelles d’Octobre 1918 transformèrent en véritable exultation ce qui, en 1848, nous avait seulement fait venir l’eau à la bouche.
Mais qui, si ce n’est Lénine, martela que la situation générale de 1914 était celle de l’impérialisme et imposait une lutte générale pour abattre les bourgeoisies dans le monde entier, interdisant ainsi que la formule d’alliance politique puisse, la phase 1789–1871 illustrée à maintes reprises une fois terminée, s’appliquer encore soit aux partis et aux pouvoirs des Empires allemands, soit à ceux des démocraties de l’Entente ? Qui, si ce n’est lui, écrasa les socialistes traîtres qui avaient passé des alliances patriotiques ou démocratiques avec les bourgeois en guerre ? Qui, si ce n’est lui, dispersa la défense (qui était axée sur les mêmes arguments, utilisés en « fausse position » de situation et de cadre historiques, que ceux des partisans des blocs aux alentours de 1900 dans leur manie électoraliste), que mirent en avant les traîtres allemands pour cause de péril moscovite, les traîtres anglo-français pour cause de péril teutonique, périls qui menaçaient les conquêtes communes, la civilisation commune des prolétaires et des bourgeois ?
Mais, dans la « Maladie infantile du communisme », Lénine a écrit que le refus du compromis n’est pas un argument marxiste. C’est très connu. Lénine est mort relativement jeune, mais nous écririons volontiers sur le recueil de ses œuvres : Lutte contre la maladie sénile du communisme; et chacune de ses lignes peut être appliquée comme un cautère brûlant aux pestiférés d’aujourd’hui.
Si le refus du compromis a priori n’est pas un argument marxiste, et n’est pas un argument tout court, sont cependant des arguments constants chez Lénine : le stade de développement technique et économique, la diffusion de par le monde de l’impérialisme, la dénonciation de la « démocratie en général » en tant que « dictature de la bourgeoisie », les différences incomparables et irréversibles entre le monde de la première guerre mondiale, et celui des révolutions de mise en place du système bourgeois, parallèle à celui des guerres de mise en place du système national.
La déformation d’interprétation qui a conduit à la prétendue tactique « bolchévique » d’aujourd’hui, ne peut être mise en relation, dans un texte court, avec les discussions complexes des congrès communistes à l’époque de Lénine et après. Mais il est facile de la mettre en relation avec les faits historiques.
De même que les données générales du cadre de 1914 : développement industriel semblable en France et en Allemagne – alors qu’il était tout différent en 1848 –, conduisirent à démontrer l’absurdité de la définition de la guerre menée par la France comme une guerre de « libération nationale et démocratique »; de même, ces données étaient décisives lorsque la guerre de 1939 éclata. Nous disons toujours que si Hitler a bien mis le feu au Reichstag, il ne l’a pas fait avec les usines Krupp d’Essen. Ce qui est clair dans l’analyse doctrinale, ne doit et ne devait pas l’être moins dans la politique du parti.
Et en effet ! Lorsque la seconde guerre éclata, les communistes français s’alignèrent sur cette position. Sale guerre impérialiste et bourgeoise que celle de la France et de l’Angleterre capitalistes ! On souhaite la défaite de la France bourgeoise des « deux cents familles ». Consigne aux prolétaires : la désertion. On cite le Liebknecht de 1914 : l’ennemi est à l’intérieur du pays, non à l’extérieur. On cite même un mot véritablement puissant de Guesde en 1883 : une défaite militaire de l’Angleterre serait un dénouement heureux ! – document qui prouve la continuité du marxisme de gauche. Une lutte féroce éclate entre le parti communiste français et les partis de la démocratie : le PCF est dissous et poursuivi.
Alors, tout est bien ? Bien, des nèfles ! Bien pour Marx, bien pour Lénine, bien pour Liebknecht, bien pour le Guesde de 1883 (et non pour le chauviniste ignoble de 1914), des nèfles, pour Thorez et compagnie. Ces derniers avaient avant tout bu jusqu’à la lie le calice des alliances avec leur politique, menée durant plusieurs années, de « front populaire » contre la menace du « fascisme en France ». Ainsi que tout le stalinisme, infecté jusqu’à la moelle par la maladie des blocs, ils sont en fait désormais totalement incapables de positions classistes s’ils invoquent : Marx dans sa circulaire de 1848 et Lénine dans le Gauchisme, c’est pour appliquer – on remarquera que c’est en pleine déclaration théorique que la guerre est impérialiste ! – la théorie de l’allié occasionnel à l’armée d’Hitler, dont ils invoquent la victoire : et ils l’appuient en « revendiquant » la paix entre le gouvernement français et Hitler, et non le sabotage contre tous les belligérants ! Lénine a bien permis d’aller même avec le diable ! affirment-ils. Et ils vont avec sa pale copie de Berchtesgaden.
Guesde aurait, lui, saboté la guerre de la France contre l’Angleterre à l’époque de Fachoda ! Liebknecht ne conclut certainement pas un pacte avec « Poincaré-la-guerre »[2] ! Marx et Engels n’ont eu que des jets de venin envers la bourgeoisie prussienne et ses victoires nationales ! Même le parti socialiste italien, qui ne voulut rien savoir de la guerre démocratique, repoussa avec dédain les Sudekum allemands sociaux-patriotes qui venaient le féliciter ! Lénine démolit la coalition tsariste face aux troupes du Kaiser, mais il ne conclut pas de pacte avec ce dernier : à moins que les staliniens soient descendus si bas qu’ils ramassent l’excrément du wagon plombé, dans lequel Vladimir, pour ne pas être empesté par la fumée des cigarettes, organisa l’utilisation par roulement des toilettes entre les fumeurs et ceux qu’il définissait comme des « usagers normaux ».
Lorsqu’on perd la voie classiste pour se retrouver sur la voie chronique des alliances, tout est perdu, et on « fait tourner à l’envers la roue de l’histoire ».
Après deux années d’hitlérophilie et d’injures contre la France et l’Angleterre démocrates-impérialistes (il est intéressant de noter, aujourd’hui que nous en sommes à la troisième rétroversion de l’utérus, que le méprisable capitalisme des États-Unis ne recevait pas alors sa part d’injures puisque, si Moscou n’était pas en guerre avec l’Allemagne, Washington non plus ne l’était pas encore), la scène change brutalement.
Mais c’est la situation qui a changé ! Un peu de dialectique marxiste et léniniste, parbleu ! Si jusqu’à maintenant les régimes de l’Axe fasciste attaquaient les puissances impérialistes, à partir de ce moment, ils attaquent l’État prolétarien !
Alors quoi ? la guerre cesse d’être impérialiste et devient une guerre prolétarienne révolutionnaire ? Non, pas même ça. Le grand parti stalinien international a une théorie, une doctrine, beaucoup d’académies, d’instituts qui impriment par trentaines de volumes les œuvres complètes de Marx, d’Engels, de Lénine et … de Staline. Il se met alors à éditer de nouveaux textes, cahiers et journaux, qui proclament, non pas que la guerre a changé de nature, mais que cette seconde guerre mondiale est « dès le début »[3], depuis le premier moment, depuis le 10 septembre 1939, une guerre de libération et de démocratie !!
Monsieur Thorez ! La chaire de chef de la gauche marxiste vous revient ! Vous n’avez pas été seulement le déserteur d’une guerre impérialiste, mais aussi celui d’une guerre de libération nationale.
1941 : Thorez en tète, on se réunit à nouveau avec les radicaux et les francs-maçons bourgeois de France, on rompt avec Pétain et Laval, on passe à la « Résistance ».
Aujourd’hui on rompt à nouveau. Les deux cents familles françaises sont toujours là. Mais la guerre qu’elles font, impérialiste en 1939, de libération en 1941, s’annonce à nouveau impérialiste et donc à saboter en 1951.
La recette est donc toujours la même : trouver l’allié. Celui-ci peut être occasionnel, mais la manie de l’alliance est permanente. Front démocratique-bourgeois, axe nazi, mouvement de libération nationale, il leur faut toujours la couverture d’un front, d’un bloc, d’un faisceau. Marcher seuls, jamais ! C’est ainsi que comme remède à la lutte possible de la seule armée russe contre celles de France, d’Angleterre, d’Amérique, d’Allemagne, du Japon et d’autres pays moins importants, il n’existe qu’une tactique « de bloc ». Amis de la paix, hommes de bonne volonté, bourgeois sains et honnêtes, intellectuels de couleur vaguement populiste ou philanthropique, rejoignez-nous dans le front des partisans de la paix; notre capacité d’alliance est si grande qu’on ne refuse personne.
Mentionner à l’intention des chefs du stalinisme italien le bloc de 1913 comme une couleuvre à avaler, c’est ignorer qu’ils sont en train d’ingurgiter un crocodile.
Ce bloc, de l’époque pré-fasciste et d’obédience maçonnique, fut formé, comme nous l’avons raconté, contre les « réactionnaires cléricaux-modérés », et battait le rappel de quiconque en disait du mal.
Nous croyions que Marx avait découvert que l’histoire est irréversible, sauf si l’infrastructure matérielle est détruite; et que nous avions mis les pieds à la place de la tête une fois pour toutes. Aujourd’hui il n’en est rien, tout se renverse à nouveau, à condition qu’on appuie sur la touche du Moustachu. Ou bien il en est ainsi, ou bien c’est que, mes jolis, vous êtes passés tout entiers de l’autre côté et que vous regardez l’histoire depuis le bord de l’anti-révolution. Nous croyons à ce dernier point; et non pas au metteur en scène moustachu.
Prenez le communiqué de la direction du PCI et apprenez que l’histoire se répète, comme le sait tout vétéran dégourdi et sarcastique du métier politique, à notre honte de « théoriciens ».
« Les communistes hostiles à toute position sectaire ou exclusive à l’encontre des autres forces démocratiques et populaires, se réclament de la lutte qui, depuis des décennies, a été menée en Italie pour arracher les administrations locales aux vieilles coteries réactionnaires et cléricales » … « il n’y a pas que les travailleurs qui soient intéressés à la réalisation de ces objectifs, mais aussi les artisans et les commerçants, les propriétaires petits et moyens, les producteurs indépendants de la petite et moyenne industrie, les professions libérales, les intellectuels et les artistes ».
Tout ce ramassis ne vaut pas mieux que celui que Marx décrit en 1848. Prêt à courir derrière le vainqueur, comme il le faisait avec la bourgeoisie d’il y a un siècle face aux pouvoirs féodaux, en cas de tempête, il change de camp. Fasciste quand Mussolini avait le vent en poupe, il se retrouva dans les comités de libération quand les forces américaines débarquèrent et que charges et places étaient en vue dans le nouvel appareil. Il serait capable d’applaudir pour la même raison si « le Moustachu arrivait », mais si le Moustachu est attaqué et recule, il ne fera rien pour l’aider.
La politique révolutionnaire peut comprendre qu’on ait des alliés occasionnels dans des périodes de transition; mais son point d’appui ne peut consister dans l’attente de la venue de quelqu’un, mais plutôt dans le mouvement et la marche par ses propres moyens.
Cette politique erratique non seulement n’est pas révolutionnaire, mais elle est aussi, même de ce côté, peu reluisante et défaitiste.
Car il est évident que les petites mafias locales se sont, après un minimum de mise en ordre qui a suivi la victoire occidentale, cristallisées autour de ces groupes qui sont dirigés par le gouvernement américanophile : le cléricalisme ou le non-cléricalisme n’ont rien à y voir. Compte tenu, sur le plan local, de la nouvelle formule de formation des blocs, qui, partant du nœud nuptial, en arrive à l’apparentement « suggestif », et puisqu’il s’agit d’assiettes au beurre à offrir et de clientèles qui, dans les centres grands ou petits, se résument à quelques cercles, le gros parti de gouvernement est certain de rafler les cinq sixièmes des sièges du conseil et des communes avec seulement les deux tiers des voix. Les opposants auraient plus d’esprit s’ils encaissaient avant la lettre cet échec retentissant et s’ils repoussaient leur revanche au moment où le Moustachu viendra, ou bien à l’endroit où ils peuvent manipuler les blocs, les déblocages, les apparentements et les greffes chirurgicales sur la « libre volonté populaire ».
Cette revanche, ils ne pourraient l’annoncer que dans des élections politiques, avec une probabilité très faible, et certainement pas de déplacer le rapport de pouvoir, lequel ne se déplace pas avec le bulletin mais avec l’acier. Cette très faible probabilité est celle qui consisterait à obliger quelques pays (peu nombreux sont ceux désormais en cause) à organiser de façon ouverte un type d’escroquerie politique, puisque certains partis et certains regroupements de forces sont interdits par la police, afin de pouvoir ensuite s’en plaindre auprès des partisans de la liberté qui se trouveraient encore à errer dans les espaces interplanétaires. Dans les élections politiques en effet, il reste le refuge du scrutin de liste, de la grande circonscription, il reste une certaine latitude non pas pour négocier directement, mais pour bourrer les crânes et leur débiter des boniments. Il est encore possible que le pauvre affamé, à qui on a tout fait pour lui ôter ses illusions sur la possibilité de « mouvements indépendants » à laquelle il rêvait depuis 1848, parvienne à ne pas louer et vendre sa voix à un représentant des boutiques, de la petite industrie ou à quelqu’un possédant le titre de professeur.
Après quoi, il se dirigera vers d’autres formules. L’alliance occasionnelle mesurée, dont l’histoire européenne devait se terminer en 1871, et l’histoire mondiale en 1919, continue à vivre sous forme de bloc, de mariage politique ratifié et consommé, de front unique, de faisceau, d’union populaire, et fait la noce aujourd’hui sous forme d’« apparentement ».
Ces formules géniales, on les demande à des spécialistes d’agences de publicité, qui fournissent les slogans de la même façon que lorsqu’on lance le Coca Cola ou le dentifrice du dentiste.
Après l’exploitation de tant de synonymes du mariage et de l’hybridation, que trouvera-t-on d’autre dans le dictionnaire politique et dans les recueils de « confessions sexuelles » ? Peut-être le vocable suggestif d’inceste.
Si nous étions vraiment dans un pays clérical, ce mot obscène d’apparentement entre étrangers ne serait pas passé à la Commission de l’Index.
Celle-là aussi, vous me l’avez bolchévisée.[4]
Notes :
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Référence au proverbe « Il lupo perde il pelo ma non il vizio » : le loup crève dans sa peau (NDT). [⤒]
En français dans le texte (NDT). [⤒]
En français dans le texte (NDT). [⤒]
Notes des traducteurs :
A propos du titre, nous aurions pu traduire « Développements de la pathologie bloccardiste » ou « Haut et bas du tabès bloccardien » l’original « Decorsi della spinite bloccarda ». Le tabès est un terme médical, il désigne une maladie de la dégénérescence de la moelle épinière.
La pizza colla pummarola est la pizza aux tomates.
Les « terracini » et les « terroncini » : Terracini est le leader du PCI stalinien, ancien compagnon de Bordiga, et terroncini est un diminutif de « terroni » qui est terme méprisant par lequel les hommes et les femmes du nord de l’Italie désignent ceux du sud de l’Italie.
Le manifeste de mars 1850 de Marx et Engels se trouve dans Marx – Engels, Textes sur l’organisation, éditions Spartacus. [⤒]