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LE PARTI DEVANT LA QUESTION SYNDICALE
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Le parti devant la question syndicale
I - Points de principe
II - Évolution historique et perspectives des organisations intermédiaires de la classe ouvrière
III - Directives pour l'action pratique
Notes
Source


Le parti devant la question syndicale

I - Points de principe
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1. «La juste praxis marxiste enseigne que la conscience de l'individu ou même de la masse suit l'action et que l'action suit l'impulsion donnée par l'intérêt économique. C'est seulement dans le parti que la conscience, et dans certaines phases, la décision d'action précèdent le heurt de classe. Mais cette possibilité est organiquement inséparable du jeu moléculaire des impulsions physiques et économiques initiales». («Le renversement de la praxis»).

Renversant le schéma idéaliste d'interprétation des événements humains, le marxisme voit dans l'histoire l'arène de luttes entre les classes que leurs besoins et intérêts matériels poussent à agir sur des fronts antagonistes. C'est seulement après, poussées par le cours même de ces luttes, qu'elles prennent conscience de la direction dans laquelle elles se meuvent.

Le «Manifeste» a esquissé toute l'échelle ascendante qui va des premières réactions instinctives contre l'exploitation capitaliste jusqu'à la constitution du prolétariat en classe, et donc en parti, et à l'organisation de la classe en classe dominante par la prise du pouvoir et l'exercice de la dictature. Non seulement toute cette échelle ascendante a ses racines nécessaires dans des déterminations économiques élémentaires qui sont à leur tour un reflet de la pression des forces productives contre l'enveloppe des rapports de production, mais c'est de ces poussées qu'elle tire un continuel aliment. Il est vrai que l'on ne fait pas les révolutions, mais qu'on les dirige: il est tout aussi vrai qu'on ne les dirige qu'autant que les grandes masses prolétariennes sont contraintes à les faire, et que ce qui les y détermine n'est ni une conscience et une volonté explicites de leur part, ni même le fait que cette conscience et cette volonté leur auraient été transmises dans leur totalité par le Parti.

2. «L'interprétation dialectique de la formation de la conscience de classe et de l'organisation unitaire du parti de classe implique que celui-ci déplace une avant-garde du prolétariat du terrain des mouvements spontanés et partiels déterminés par des intérêts de groupes sur celui de l'action prolétarienne générale; de même, il n'y parvient pas en niant les mouvements élémentaires, mais il en assure l'intégration et le dépassement dans l'expérience même de la lutte, en poussant à leur réalisation en y prenant une part active, et en les suivant attentivement dans tout leur développement» («Thèses de Rome», III, 11).

Il en résulte a) que l'œuvre de propagande et de prosélytisme d'une part et d'autre part l'importance numérique du parti et son influence réelle sur des couches plus ou moins larges du prolétariat sont inséparables
«
de la réalité de l'action prolétarienne, du mouvement prolétarien dans toutes leurs manifestations»;
b) que c'est «
une erreur banale de considérer que la participation à des luttes pour des résultats contingents et limités est en contradiction avec la préparation à la lutte révolutionnaire finale et générale».

Une thèse fondamentale du marxisme, et donc de notre courant, affirme que cette liaison, tantôt large et profonde, tantôt restreinte et épisodique selon les circonstances objectives, ne peut jamais être obtenue au moyen d'expédients tactiques détachés des principes, mais représente en toutes circonstances une des tâches fondamentales du parti, et que d'autre part, c'est seulement grâce à ce lien que la lutte économique prolétarienne peut s'élever au-dessus du niveau trade-unioniste - le plus élevé auquel elle puisse atteindre par ses seules forces (Lénine) –, et atteindre le niveau d'une lutte de toute la classe exploitée contre toute la classe exploiteuse, et, quand les conditions objectives nécessaires le permettent, le niveau de la lutte révolutionnaire pour le renversement du pouvoir d'Etat concentré et dictatorial du capitalisme et pour l'instauration du pouvoir centralisé et dictatorial du prolétariat.

3. Pour les mêmes raisons de principe, la participation du parti, par l'intermédiaire de ses groupes, à la vie de toutes les formes d'association économique du prolétariat ouvertes aux travailleurs (et seulement aux travailleurs) de toute appartenance politique fait partie intégrante de cette tâche - ces associations économiques étant, selon le «Manifeste» et selon tous les textes du marxisme, le produit nécessaire de ces luttes.

Les affirmations suivantes comptent parmi les positions fondamentales du parti:
a) le syndicat ouvrier n'est jamais révolutionnaire par lui-même, pas plus d'ailleurs qu'aucune autre forme d'organisation immédiate, même non exclusivement économique: bien au contraire, du fait même de son immédiateté et de la présence d'intérêts contingents variant d'un groupe d'ouvriers à l'autre, il tend à s'enfermer dans les limites mesquines et corporatistes d'une action minimaliste et réformiste; mais il peut toutefois devenir un instrument vital de la révolution, et tout d'abord, de la préparation révolutionnaire du prolétariat, dans la mesure où le parti conquiert une influence considérable dans son sein, c'est-à-dire parmi les masses organisées.
b) Pour la bonne réalisation de cette tâche et pour l'action finale révolutionnaire elle-même, qui présuppose entre autres la centralisation des forces ouvrières, il est souhaitable qu'il soit unitaire, c'est-à-dire qu'il comprenne tous les travailleurs placés dans une situation économique spécifique. Le corollaire de cette thèse est qu'on ne remédie pas aux tendances des organisations économiques à dégénérer, ni à leur dégénérescence en cours, par la création d'organismes immédiats ayant une forme différente, et surtout pas par des organismes locaux ou limités à l'entreprise; l'apparition de ceux-ci est bien une donnée nécessaire du développement des conflits sociaux et parfois un symptôme positif du dégoût des masses pour la pratique opportuniste ou même contre-révolutionnaire des centrales syndicales, et le Parti peut dans certaines circonstances s'appuyer sur eux en les centralisant, mais, pris en eux-mêmes, ils reproduisent sur le plan organisationnel les lacunes, les limites et les faiblesses des luttes économiques partielles.

4. Conformément à la tradition marxiste, la Gauche marxiste italienne a donc toujours considéré, et le parti considère comme des conditions de son existence en tant que facteur agissant de la préparation du prolétariat à l'assaut révolutionnaire et de sa victoire.
a) l'apparition de luttes économiques à vaste échelle et sous une forme non épisodique - et l'intense participation du parti, pour les raisons sus indiquées, à ces luttes.
b) l'existence d'un réseau qui ne soit ni éphémère ni même épisodique d'organisations intermédiaires entre le parti et la classe et l'intervention du parti dans ces organisations, pour y conquérir non pas nécessairement la majorité et donc la direction, mais assez d'influence pour pouvoir les utiliser comme une courroie de transmission de son programme parmi les masses ouvrières organisées, et pour en imprégner au moins les couches ouvrières les plus combatives.

Poser comme condition d'adhésion aux syndicats et de travail politique révolutionnaire de parti en leur sein qu'ils soient purs de toute influence contre-révolutionnaire et opposer aux syndicats dirigés par des partis soi-disant ouvriers des associations composées de seuls communistes n'est pas dans la ligne marxiste. Cette position a même de toute évidence une origine idéaliste, car des organisations immédiates ne peuvent jamais atteindre une telle pureté, le parti lui-même n'étant pas par essence préservé des influences contre-révolutionnaires.

«Le syndicat ouvrier comprend des travailleurs qui appartiennent individuellement à différents partis, ou à aucun parti; les communistes ne proposent ni ne provoquent la scission des syndicats du fait que leurs organes directeurs sont conquis et détenus par d'autres partis mais ils proclament de la façon la plus ouverte que les syndicats ne remplissent complètement leur fonction que lorsque c'est le parti de classe du prolétariat qui dirige les organisations économiques.» («Plate-forme politique» de 1945 du Parti communiste internationaliste d'Italie).

Cela s'applique même à la lutte pour des améliorations économiques immédiates, et pas seulement à la lutte révolutionnaire finale dans laquelle soit les syndicats soit d'autres organisations intermédiaires risquent de jouer un rôle contre-révolutionnaire s'ils ne sont pas dirigés ou même seulement influencés par le parti. Au cas contraire, leur rôle peut être positif, mais il n'est ni suffisant ni déterminant: le Parti ne suffit pas non plus pour remporter la victoire, mais lorsque les conditions sont favorables, son rôle est certainement décisif.

Le parti considère cependant et apprend aux ouvriers à considérer les revendications et les luttes économiques non comme des buts en soi mais comme des moyens nécessaires pour la préparation, l'entraînement et l'organisation du prolétariat en vue de ses objectifs finaux, car si elles devenaient des buts en soi, elles ne feraient que perpétuer le salariat au lieu de tendre à le détruire. De même, le parti considère - et déclare ouvertement qu'il considère - les formes d'organisation immédiate des ouvriers non comme le but de la lutte d'émancipation des travailleurs, mais comme un instrument qui le parti peut et doit utiliser pour atteindre le but suprême du communisme. Pas plus qu'aucune autre forme d'organisation, elles ne sont pour autant un fétiche sacré et. intangible à ses yeux.

II - Évolution historique et perspectives des organisations intermédiaires de la classe ouvrière
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1. Les considérations ci-dessus établissent les points de principe sans lesquels il est impossible de donner les moindres directives pratiques précises. Elles seraient cependant incomplètes sans une analyse du cours historique que l'associationnisme ouvrier a suivi depuis la victoire du mode de production capitaliste jusqu'à sa phase sénile impérialiste, et que notre parti à caractérisé avec précision dans ses textes de base du second après-guerre.

Dans une phase initiale, la bourgeoisie victorieuse interdit et dispersa par la force les premières associations ouvrières de résistance, les poussant par contrecoup sur le terrain de la lutte politique ouverte et violente. C'est pourquoi la Première Internationale put naître en partie comme regroupement d'associations économiques dirigées par le Conseil Général en fonction d'un programme visant à préparer l'assaut révolutionnaire contre le pouvoir politique des classes dominantes, rempart de leur pouvoir économique.

Dans la phase suivante par contre, la bourgeoisie jugea plus opportun et même nécessaire pour la stabilité de sa domination de tolérer, puis de permettre les coalitions de salariés, tout en s'efforçant de les attirer dans son orbite politique grâce à ses relations et ses compromis avec les dirigeants syndicaux réformistes et en s'appuyant sur une aristocratie ouvrière intéressée au maintien de l'ordre politique et social d'où elle tirait des privilèges plus ou moins illusoires, mais néanmoins désastreux pour la conscience et la combativité de classe.

Cette expérience provoqua des réactions au sein même des syndicats de la part de courants socialistes de gauche combatifs. Surtout en Italie, en France et aux Etats-Unis, elle alimenta aussi par contrecoup l'illusion anarcho-syndicaliste qu'on pouvait se préserver de l'opportunisme minimaliste en opposant aux organisations économiques existantes d'autres organisations «congénitalement» révolutionnaires. Pendant la première guerre mondiale, elle aboutit dans la plupart des pays à une collaboration des classes parallèle à l'Union sacrée des partis, et dons une petite minorité de pays, à une neutralité timorée et rien moins que convaincue, et très peu de dirigeants syndicaux, même anarcho-syndicalistes, échappèrent à la dégringolade générale.

2. Dans le premier après-guerre, on vit les grandes Centrales syndicales s'aligner sur le front de la social-démocratie (dont elles constituaient d'ailleurs, avec les groupes parlementaires, les principaux piliers), c'est-à-dire sur le front de la conservation sociale: c'est ainsi que les syndicats allemands collaborèrent avec les gouvernements social-démocrate dans la répression des mouvements prolétariens, que les syndicats américains sabotèrent les grèves et défendirent l'ordre établi en fonction des intérêts de la main-d'œuvre qualifiée, tandis qu'ailleurs, par exemple en Italie, les syndicats pacifistes et minimalistes se rapprochaient de façon plus ou moins larvée des institutions de la démocratie parlementaire bourgeoise.

L'extraordinaire vitalité de la classe, la persistance d'une tradition de lutte syndicale, l'afflux dans les organisations traditionnelles de masses considérables poussées à l'action par la terrible crise d'après-guerre et composées surtout d'ouvriers non qualifiés, eurent cependant ce résultat que l'opportunisme qui, par l'intermédiaire des directions syndicales, jouait le rôle d'une courroie de transmission des idéologies et donc des pratiques bourgeoises dans les organisations ouvrières, fut impuissant à empêcher que les syndicats vivent d'une vie intense, même politiquement, la «base» étant, dans certains pays, perpétuellement en ébullition, enflammée qu'elle était, à des degrés divers, par l'Octobre rouge de Russie, et donc accessible à la propagande révolutionnaire des communistes. Ainsi, quoique reflétant les tendances objectives de la phase impérialiste, l'opportunisme ne put jouer alors son rôle actuel d'agent de la soumission directe des syndicats à l'Etat bourgeois.

C'est pourquoi l'internationale reconstruite sur la base de la doctrine marxiste intégralement restaurée non seulement souligna la nécessité pour les communistes de faire un travail révolutionnaire dans les syndicats, «même les plus réactionnaires», par tous les moyens légaux et illégaux, mais put ne pas exclure leur conquête par le Parti, sauf dans des cas semblables à celui de l'American Federation of Labour, fermée non seulement à la propagande révolutionnaire, mais à la grande masse des salariés. La façon dont cette conquête devait ou plutôt pouvait être réalisée dépendait de chaque cas spécifique, mais de toute façon la conquête elle-même ne pouvait résulter que de violentes batailles contre l'opportunisme installé non seulement à la direction, mais dans de larges couches ouvrières, c'est-à-dire «à la base» des organisations existantes. En même temps, l'I. C. donna à ses membres la directive d'appuyer les organisations qui s'étaient constituées en opposition aux centrales officielles sous la pression du dégoût que la pratique des «bonzes» inspirait aux prolétaires combatifs, et de leur volonté de se battre sur le terrain de la lutte de classe ouverte et directe. Elle entendait les aider ainsi à se libérer de leurs préjugés anarcho-syndicalistes, n'hésitant pas lorsque cela s'imposait pour des raisons objectives, à favoriser à l'échelle générale la scission des vieilles organisations économiques complètement pourries (cf. Thèses du IIe Congrès sur les syndicats, les conseils d'usine, etc., 1920).

3. La situation en Italie était particulièrement claire à cet égard et si nous en parlons, c'est parce qu'elle nous aide, mieux qu'aucun exemple de cette époque, à bien comprendre les changements qui se sont produits plus tard sous la double influence de la victoire du fascisme et de la féroce vague contre-révolutionnaire stalinienne.

Les trois organisations qu'on pouvait à bon droit appeler rouges, CGL (Confédération Générale du Travail), USI (Union Syndicale Italienne), SF (Syndicat des Cheminots) - s'opposaient aux associations d'origine clairement patronale qu'on qualifiait de «jaunes» et de «blanches»: nées sur l'initiative de partis et de courants ouvertement de classe, elles prônaient les méthodes de la lutte de classe et de l'action directe contre le patronat, et dans la mesure où cela était compatible avec les tendances opportunistes de leurs dirigeants, elles les appliquaient. Elles tendaient à l'autonomie par rapport au pouvoir et à l'administration de l'Etat, et elles n'auraient jamais pu accepter de la sacrifier; la tradition qu'elles avaient derrière elles était donc tout autre chose qu'une formule abstraite ou un article de statut: elle s'incarnait à la fois dans des masses combatives et dans un réseau structuré et serré de ligues et de bourses du travail où toutes les catégories ouvrières se rencontraient et se mêlaient tout naturellement. Ces Bourses étaient souvent le local du cercle ouvrier et parfois même le siège du Parti. Dans tous les cas, c'étaient des forteresses interdites au curé comme au fonctionnaire ou, ce qui revient au même, au policier et, au besoin, on les défendait l'arme au poing contre les assauts conjugués des forces de l'ordre démocratique et des bandes fascistes. L'influence de cette tradition réelle et matérielle ne s'exerçait pas seulement de l'extérieur, mais, à un degré inimaginable aujourd'hui, à l'intérieur même des organisations syndicales, et c'est elle qui imposait des limites précises aux dirigeants opportunistes eux-mêmes. Ouvertes à tous les salariés de toute conviction politique ou religieuse, et donc également à l'influence du parti révolutionnaire marxiste, ces organisations étaient, en dépit de leur direction opportuniste, des syndicats de classe. La preuve de leur nature organique de syndicats rouges nous est fournie par une double série de faits: d'une part, la classe bourgeoise, qui cherchait désespérément à rassembler ses «membres épars» dans une organisation centralisée et centralisatrice, et donc à supprimer en premier lieu l'autonomie du mouvement ouvrier, dut prendre d'assaut les locaux des syndicats, ligues et Bourses du Travail et, après les avoir conquis, détruire le réseau des organisations traditionnelles pour en construire un nouveau pour son usage personnel; d'autre part, dons la phase finale de l'affrontement avec les fascistes, la Gauche put lancer le mot d'ordre de défense des syndicats rouges traditionnels et de la nécessité de les reconstituer, une fois qu'ils auraient été détruits, en sabotant ouvertement les syndicats corporatistes et d'Etat (cf. «Thèses de Lyon», III, 11) (1). Il n'est pas question de donner un brevet prolétarien aux chefs syndicaux réformistes de l'époque, mais il faut
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fournir des faits utiles à la compréhension du développement du régime capitaliste et des réactions du mouvement ouvrier, qui, dans ses formes d'organisation comme dans ses tendances, ne peut pas ne pas se ressentir de ce développement» (cf. «Les scissions syndicales en Italie» 1949).

Ce qu'il s'agit de comprendre est la chose suivante: dans les années 1921-1923, le problème qui se posait au Parti dirigé par la Gauche marxiste italienne de travailler dans les syndicats pour établir un lien avec les masses, les gagner au Communisme et renverser les directions opportunistes (la propagande pour l'unification des deux centrales autonomes avec la CGIL n'avait pas d'autre but) se résolvait de lui-même: les rapports et les conflits sociaux, les formes d'organisation et de lutte, tout dans la réalité d'alors répondait de façon évidente et naturelle à ces positions de principe.

4. Après la seconde guerre mondiale, sans rien changer aux positions de principe et même en les réaffirmant de façon encore plus nette et plus tranchante face au démantèlement non seulement du mouvement communiste, mais du mouvement ouvrier en général dans le monde entier, le parti a constamment nié que la phase ouverte par la fin du conflit puisse être interprétée comme une reproduction mécanique de la situation sociale du premier après-guerre.

En réalité, au cours des vingt années 1926-1945, les rapports de forces entre les classes avaient été bouleversés par l'action conjuguée de la dévastation stalinienne et de la réorganisation du monde capitaliste dans un sens totalitaire, centralisateur et, pour tout dire, fasciste, même là (nous disions: surtout là) où subsistait l'hypocrisie des consultations démocratiques et des libertés civiques.

Malgré la cassure de l'Union sacrée et du soutien que l'opportunisme apporta dans la majorité des pays à la politique de défense nationale, la première guerre mondiale elle-même n'avait pas réussi à briser la continuité programmatique et tactique dans laquelle le marxisme a toujours vu la condition et, si l'on veut, la garantie de la reprise de classe. malgré. cette cuisante défaite politique du prolétariat, cette continuité s'incarna partout dans des groupes d'opposition communiste, même restreints, qui permirent la constitution de l'I.C.

Par contre, en détruisant physiquement cette I.C. (bien avant de la dissoudre formellement), en pratiquant la politique des Fronts populaires, en faisant entrer l'U.R.S.S. dans la Société des Nations, le stalinisme a mis le prestige du pseudo socialisme de l'U.R.S.S. au service de la soumission intégrale du mouvement ouvrier politique et syndical à la classe dominante, livrant finalement le prolétariat au massacre impérialiste, soit comme victime désarmée, soit pis encore, comme chair à canon volontaire.

Cette terrible œuvre de destruction fut incomparablement plus grave, par ses conséquences durables, que n'importe quelle défaite physique sur le champ de bataille. C'est grâce à elle que l'évolution du capitalisme dans le sens de la centralisation et de la discipline a pu faire des pas de géant. On ne peut mesurer toute la portée de ce phénomène qu'à la condition de ne pas concentrer toute son attention sur le fascisme ou le nazisme qui n'en fut jamais que la manifestation la plus nette, et d'en suivre au contraire la progression dans les U.S.A. de Roosevelt, dans la France du Front populaire, dans la démocratie suisse classique, dans la démocratie «socialisante» des pays scandinaves, et plus tard dans l'Angleterre du «Welfare». Dans tous ces pays, la pratique qui s'est imposée est de type éminemment totalitaire et consiste à
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attirer le syndicat ouvrier parmi les organismes d'Etat, en le disciplinant par un ensemble de mesures juridiques qui peuvent prendre différentes formes»
(il suffit de penser à la «paix du travail» helvétique, à la réglementation du droit de grève en Scandinavie, en Amérique, et récemment en Grande-Bretagne) et à le priver d'une part considérable de son rôle d'assistance, de protection, de négociation, en faveur d'organismes étatiques spécialisés, placés au besoin sous l'égide d'une démocratie progressive (cf. la France de Blum!) à laquelle l'anti-fascisme rendit une virginité, avec la bénédiction du Kremlin.

Dans tous ces pays existait un longue tradition réformiste dont le stalinisme redora le blason et sur laquelle il vint se greffer. C'est elle qui permit de passer sans douleur et de façon presque insensible aux formes les plus modernes d'administration centralisée (et même de gestion économique directe) de la domination capitaliste. Ce n'est pas un hasard si dans les deux pays où après la première guerre la menace de la révolution prolétarienne avait été la plus imminente, l'Italie et l'Allemagne, cette tâche fut au contraire confiée au fascisme, dans lequel la Gauche marxiste italienne reconnut d'ailleurs dès le début non seulement l'aboutissement nécessaire, mais la réalisation historique pleine et entière du «réformisme social». Dans les deux cas, le résultat fut identique: destruction de la dernière marge d'autonomie du mouvement ouvrier là où il n'avait pas été écrasé dans le sang, et possibilité pour la classe dominante de
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manœuvrer et diriger par les moyens les plus divers, non seulement les organismes constitutionnels inter-classistes de la démocratie, mais aussi les associations qui ne regroupent que des prolétaires», grâce au «contrôle étroit et même à l'absorption totale» de ces associations, «de sorte que toutes leurs fonctions traditionnelles, techniques, syndicales, économiques et politiques, sont de plus en plus exercées par des organes et des bureaux de l'appareil d'Etat officiel» («Analyse des facteurs objectifs qui pèsent sur la reprise du mouvement prolétarien», 1950).

C'est sous le signe de la domination totalitaire des Etats monstrueux sortis vainqueurs de la «croisade anti-fasciste» de la seconde guerre mondiale, quoique vaincus sur le terrain politique et social, puisqu'ils agissaient en parfaite continuité avec le fascisme, que «se reconstituèrent» en Italie la CGL et dans la France naguère occupée par le nazisme, les trois centrales «historiques» (ou plutôt les deux centrales, car la troisième, F.O., ne se forma qu'en avril 1948).

La CGIL est née sur un terrain dont le stalinisme avait balayé toute tradition syndicale de classe et où pullulaient par contre les organisations d'assistance et d'assurance sociale d'Etat héritées du fascisme grâce à un
«
compromis non entre trois partis prolétariens de masse, qui n'existent pas, mais entre trois groupes de directions, de cliques non prolétariennes, prétendant à la succession du régime fasciste»;
le parti déclara dès 1944 qu'une telle solution devait être combattue
«
en invitant les prolétaires à renverser cet appareil opportuniste de contre-révolutionnaires professionnels».
La CGIL est donc née comme la projection sur le plan syndical des CLN (Comités de Libération Nationale) de la nouvelle alliance contre-révolutionnaire placée sous le signe de la démocratie, et comme un instrument (qui s'est révélé tout à fait efficace) de reconstruction de l'économie au prix de la sueur et, au besoin, du sang des prolétaires. La centrale française, qui ne se divisa qu'en avril 1948, était contrôlée par les mêmes forces associées au gouvernement, et avec le même objectif. Dès lors, il n'existait plus de confédération rouge, même sous contrôle réformiste: il existait une confédération tricolore, et, selon le Parti, cette réalité n'a pas été modifiée par les scissions de 1948 en France et de 1949 en Italie, qui eurent lieu pour des raisons totalement étrangères à toute délimitation de classe, et liées à des ruptures dans l'ancienne alliance de guerre des impérialismes.

A l'absence des conditions minima qui auraient permis aux organisations économiques existantes d'avoir une certaine autonomie de classe s'ajoutaient deux autres facteurs: a) un assujettissement presque total du, prolétariat aux forces de l'opportunisme qui se trouvait aggravé par le poids matériel tant de la Russie et de ses agences politiques que des forces d'occupation alliée et dont la manifestation fut l'absorption d'idéologies petites-bourgeoises ou même bourgeoises par le prolétariat; b) un «changement du rapport entre employeur et ouvrier salarié», qui, grâce à toute une «gamme de mesures réformistes d'assistance et de prévoyance», fait que l'ouvrier possède une «petite garantie patrimoniale (...) et donc quelque chose à risquer, ce qui le rend hésitant et même opportuniste au moment de la lutte syndicale (...) et surtout au moment de la grève et de la révolte» (cf. «Parti révolutionnaire et action économique», 1951).

Nous n'en avons jamais conclu et nous ne serons jamais tentés d'en conclure, à la façon de Marcuse, que la classe ouvrière est «définitivement embourgeoisée» et donc que sa mission historique objective est finie. Pourtant, il est sûr que ce fait a constitué et constitue un frein à la reprise de l'action non seulement révolutionnaire, mais même économique, même si, demain, il se change en un facteur de déséquilibre supplémentaire dans les conditions d'insécurité totale où se trouveront les salariés lorsque la crise en aura fait à nouveau des «sans-réserves». C'est également pourquoi l'opportunisme est et nous apparaît aujourd'hui mille fois plus virulent qu'à n'importe quelle époque de l'histoire des conflits sociaux: il pénètre par mille voies, non plus seulement dans la couche relativement mouvante et restreinte de l'aristocratie ouvrière, mois dans le sein même d'un prolétariat déjà «infesté de démocratisme petit-bourgeois jusqu'à la moelle» (cf. «Considérations», 1965).

Après la guerre, la situation mondiale de l'associationnisme ouvrier est donc la suivante: ou bien des syndicats directement insérés dans les rouages de l'appareil d'Etat, comme dans le bloc capitaliste de l'Est, ou bien des syndicats intimement liés à eux par des liens d'autant plus efficaces qu'ils sont plus hypocritement dissimulés, comme dans le bloc capitaliste de l'Ouest, sans parler des syndicats que les jeunes bourgeoisies des anciennes colonies du Tiers-Monde ont constitués et qui, dépendant directement de l'Etat, ne sont que des instruments de «mobilisation» et de disciplination de la force de travail. Le fait que dans quelques pays existent encore des Centrales distinctes n'ôte rien à cette réalité constamment dénoncée dans les textes fondamentaux du parti. Il le peut d'autant moins que, comme en Italie, ces centrales se préparent à une réunification qui n'est nullement un retour à la situation des Comités de Libération nationale, dont elles n'ont jamais abandonné l'idéologie, mais un aveu ouvert du fait qu'en dépit des apparences, elles sont restées les mêmes qu'à cette époque, c'est-à-dire qu'elles forment un unique bloc contre-révolutionnaire, courroie de transmission d'idéologies, de mots d'ordre et de programmes bourgeois.

5. Nous avons dit en 1949, et nous le répétons aujourd'hui, que ce processus est tout aussi irréversible que l'évolution totalitaire et centralisatrice du capitalisme impérialiste tant en économie qu'en politique, et que c'est lui qui donne
«
la clé de l'évolution des syndicats dans tous les grands pays capitalistes».
Mais nous avons la certitude scientifique que le processus qui depuis plus de trente ans sépare la classe de son Parti et lui fait considérer le communisme comme invraisemblable ou même impossible est, lui, réversible; nous avons la certitude scientifique que si la dynamique de la phase impérialiste implique
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l'assujettissement de plus en plus complet du syndicat à l'Etat bourgeois»,
elle implique aussi le déclenchement à l'échelle mondiale de la crise économique et l'explosion de la reprise généralisée de la lutte de classe, pour éloignée qu'elle puisse apparaître aujourd'hui. La véritable conquête, durable et fondamentale, d'une telle reprise, sera le retour sur la scène historique, en tant que facteur agissant, de l'organisation sévèrement sélectionnée et centralisée du parti, mais elle s'accompagnera aussi nécessairement de la renaissance d'organisations de masse, intermédiaires entre la large base de la classe et son organe politique. Ces organisations peuvent ne pas être les syndicats. Dans la perspective d'un tournant brusque vers l'assaut révolutionnaire, ce ne seront pas les syndicats: dans la révolution russe, ce ne sont pas eux, mais les soviets qui, dans une situation de dualité virtuelle du pouvoir ont constitué le chaînon intermédiaire entre le Parti et la classe. Mais à l'échelle mondiale, il est des pays où la Révolution mûrira péniblement au lieu de se propager à la vitesse d'un incendie. Là il n'est pas exclu que renaissent des organisations économiques au sens étroit du terme, où règnera non pas le calme apparent de la période «démocratique» du capitalisme, mais plus encore qu'après la première guerre mondiale, la haute tension politique qui caractérise les grands tournants de l'histoire, puisque l'aggravation de tous les antagonismes provoque nécessairement au sein même de la classe ouvrière de profondes fractures, des conflits exaspérés entre l'avant-garde de la classe et ses arrière-gardes hésitantes et rétives.

Dans tous les cas, le problème n'est pas celui des formes (2) que prendra la reprise de la lutte de classe et des modes d'organisation qu'elle tendra à se donner: c'est celui du processus qui engendrera ces formes et ces modes et qui sera d'autant plus tumultueux et fécond que toutes les contradictions, tous les paroxysmes propres au mode de production bourgeois se seront davantage accumulés au cours de sa phase suprême, l'impérialisme. Si ce processus aboutit à la prise du pouvoir par le prolétariat et à l'instauration de sa dictature révolutionnaire, la forme syndicat ne disparaîtra pas; non seulement elle devra renaître au cas où elle aurait été supplantée par d'autres organismes intermédiaires plus conformes aux exigences de la lutte révolutionnaire, mais c'est alors que, pour la première fois dans l'histoire du mouvement ouvrier, elle constituera un maillon capable de souder solidement au Parti la classe que sa structure lui permet d'organiser centralement dans sa totalité. Le chemin qui conduira du capitalisme au communisme ne pouvant qu'être long, difficile et tourmenté, semé de luttes gigantesques à l'échelle mondiale, un tel maillon sera d'importance vitale, car même là où la victoire politique aura été remportée, il ne sera pas possible de vaincre l'inertie des formes mercantiles ni de les extirper du jour au lendemain.

Toutes ces raisons de principe sont gravées dans nos textes fondamentaux et cette perspective est inséparable des bases mêmes du Marxisme. C'est pourquoi il est tout aussi vrai que nous n'avons rien à défendre dans les syndicats d'aujourd'hui et que nous devons affirmer contre eux le principe permanent de l'associationnisme ouvrier qui est un facteur du développement des luttes de classe, tout en soutenant qu'il en est aussi un produit et que la réalisation de ce principe est conditionnée par ce développement.

III - Directives pour l'action pratique
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1. Le paradoxe du cycle historique actuel (qui n'est d'ailleurs qu'apparent étant donnés les facteurs décrits plus haut) est que face à l'accumulation des contradictions et des ruptures du capitalisme mondial, la classe ouvrière est tombée à un niveau plus bas encore que celui considéré dans le «Que faire?» de Lénine. Alors en effet il s'agissait d'importer dans la classe la conscience politique, le socialisme; maintenant il s'agit de la tâche difficile de souder l'intervention politique du parti. à une action économique qui, spontanément, n'atteint même pas le niveau de ce que Lénine appelait la «conscience trade-unioniste» et qui, sauf des cas tout à fait exceptionnels, garde un caractère sporadique, corporatiste, sectoriel, et nous dirons même contestataire.

Le parti ne peut certes pas susciter la lutte de classe, mais il a pour tâche d'en rappeler constamment, au cours des luttes économiques, même sporadiques et partielles, les conditions élémentaires et indispensables en défendant des méthodes et des mots d'ordre généraux qui tendent à unir les prolétaires de toutes les usines, de toutes les catégories et toutes les localités: extension des grèves; dénonciation des grèves tournantes; revendication d'augmentations de salaires plus fortes pour les catégories les moins payées; réduction massive de la durée du travail; abolition des primes, des stimulants matériels, du travail aux pièces; salaire intégral aux chômeurs.

Le Parti doit donc dénoncer le travail de sabotage et de division des syndicats qui, et ce n'est pas un hasard, repoussent ces revendications, sans toutefois renoncer un seul instant à l'agitation et à la propagande des objectifs suprêmes du mouvement prolétarien. Il doit s'attacher à montrer à la classe ouvrière à quel point les faits confirment la position marxiste, affirmant que même si une lutte économique vigoureusement menée peut. apporter un soulagement temporaire aux ouvriers et atténuer les formes les plus odieuses de l'exploitation capitaliste, jamais elle ne pourra émanciper le prolétariat de sa condition de classe exploitée et opprimée. Présentant donc toujours à celle-ci le but final, le Parti doit également lui montrer la nécessité de l'organisation politique, ainsi que, pour le développement coordonné des luttes économiques, d'un réseau intermédiaire d'organisations de classe. placées sous son influence.

2. Le Parti doit comprendre clairement et avoir le courage de proclamer que, pour remonter de l'abîme de la contre-révolution, la voie de la reprise prolétarienne de classe passera nécessairement par des expériences douloureuses, de brusques contrecoups, d'amères déceptions, et des tentatives confuses de la classe pour secouer le joug écrasant d'un demi-siècle d'ignoble pratique opportuniste. Le Parti ne peut condamner les épisodes de grèves sauvages, de constitution de comités de grève ou «de base», etc., phénomènes qui reviennent d'ailleurs périodiquement dans l'histoire du mouvement ouvrier, indépendamment des noms qu'ils ont pu prendre. Il ne peut pas s'en désintéresser sous le prétexte qu'ils ne rentrent pas dans le schéma harmonieux d'un combat organisé centralement et livré sur tous les fronts.

Il y reconnaît au contraire le symptôme d'une réaction instinctive du prolétariat contre l'impuissance à laquelle les syndicats condamnent ses luttes et ses revendications. Il doit en profiter pour inculquer à une couche même restreinte d'exploités la conscience que leurs efforts, pour généreux qu'ils soient, sont condamnés à demeurer stériles si la classe ne trouve pas en elle-même la force d'accomplir un, revirement politique total pour se diriger vers l'assaut direct et général du pouvoir capitaliste.

En 1920 l'attitude de la Fraction abstentionniste qui fonda le Parti Communiste d'Italie ne fut pas différente, face à des épisodes comme l'occupation des usines ou le lancement de certaines grèves à vaste échelle en opposition ouverte avec la direction de la Confédération, car tout en estimant ceux-ci stériles pour les objectifs poursuivis, elle les jugeait fertiles en enseignements politiques grâce à l'action opiniâtre du parti.

De même (et avec les réserves imposées par le fait que la crise capitaliste reste toujours une crise «rampante» et que nous ne pouvons donc avoir d'influence réelle que dans des cas épisodiques d'importance négligeable), les militants ouvriers du parti ne refuseront pas de partager la responsabilité de comités ou d'autres organes temporaires, pourvu qu'ils ne soient pas manœuvrés au départ par des forces politiques étrangères à la tradition de classe, et qu'ils expriment une combativité ouvrière réelle. Ils ne négligeront cependant aucune occasion de rappeler la nécessité de dépasser les limites de l'usine ou de la localité, et d'utiliser l'énergie de classe à renforcer le parti révolutionnaire et à faire renaître des organismes de classe intermédiaires, chose que seule une vigoureuse reprise prolétarienne rendra possible. Ils ne devront jamais tomber dans l'erreur de théoriser ou d'admettre qu'on théorise des organes locaux et temporaires comme le modèle de la future association économique ou intermédiaire en général.

3. Quels que soient les syndicats auxquels nos militants seront affiliés dans tel ou tel pays, (c'est là un problème contingent), il doit être clair que le Parti ne décerne par là à aucun d'entre eux le titre de «syndicat de classe», car aucun ne le mérite aujourd'hui à l'échelle mondiale (3).

En Italie et en France, où subsistent plusieurs syndicats, la place de nos militants et de nos groupes communistes est dans la CGIL et la CGT. Ce n'est pas que le parti les considère comme des syndicats «de classe»; ce n'est ni seulement ni surtout parce qu'ils rassemblent le plus grand nombre d'ouvriers puisque désormais les autres centrales regroupent elles aussi de forts pourcentages de purs salariés: c'est parce qu'ils constituent le champ d'action spécifique du pire agent de la bourgeoisie dans les rangs du prolétariat, cet ultra-opportunisme stalinien qui, après avoir achevé son œuvre de destruction du mouvement ouvrier, est devenu directement un pilier de la conservation sociale en adoptant et en pratiquant des principes dignes aussi bien de la «Charte du Travail» mussolinienne, que de l'Encyclique pontificale «Rerum Novarum». Cet ultra-opportunisme faisant passer sous un étiquette glorieuse un programme et des méthodes contre-révolutionnaire, nous devons lui opposer polémiquement la tradition de classe des anciennes confédérations syndicales unitaires, c'est-à-dire un passé dont les autres centrales ne peuvent pas se targuer puisqu'elles sont ouvertement d'origine patronale.

Représentant non pas une «fraction» du mouvement ouvrier (ce qui impliquerait qu'on reconnaisse au moins en partie une nature de classe à l'organisation syndicale à laquelle on appartient), mais le seul courant politique prolétarien, les militants et les groupes communistes développeront le programme du parti dans les syndicats chaque fois que cela sera possible. Ils rassembleront autour d'eux un cercle, même restreint, d'ouvriers organisés, et - dans la mesure où ils pourront compter sur l'appui de prolétaires décidés à les soutenir - ils participeront à des assemblées et réunions et y interviendront, même lorsqu'ils en auront été formellement exclus soit, comme en Italie, pour ne pas avoir accepté de signer la «delega» (4), soit sous tout autre prétexte. Dans tous les cas ils fonderont leur intervention directe sur un examen objectif des rapports des forces, fait par la section, par le groupe, ou au besoin par le centre. Là où, comme en France, de telles interventions sont pratiquement interdites à 'heure actuelle et où l'atonie des masses organisées ne laisse aucune possibilité concrète de pénétration clandestine, on peut tolérer l'affiliation individuelle de militants à d'autres organisations économiques que la CGT.

En Italie, la réunification syndicale en cours rendra sans aucun doute notre travail plus difficile, puisque l'exclusion de tout courant politique du sein du nouvel organisme est expressément prévue. Mais la critique de cette réunification doit être fondée sur la démonstration du caractère mensonger de toute prétention de la CGIL à être un syndicat de classe, et non sur la thèse inverse que par cette fusion avec les deux autres organisations, le soi-disant syndicat «rouge» renierait ses «principes» et changerait de nature. D'ailleurs, dans la mesure où l'unification syndicale reproduirait à un stade plus avancé du développement capitaliste la situation du CLN, elle peut même avoir une influence positive (de même que le maintien de l'alliance politique de 1945 aurait permis la liquidation dès apparences «prolétariennes» du stalinisme et des organisations qui en dépendaient) et nous fournir des arguments polémiques susceptibles d'être utilisés avec fruit dans notre propagande.

Dans d'autres pays, la situation objective peut soulever d'autres problèmes et imposer d'autres solutions et il incombera au parti, dans la mesure où il y sera implanté, de décider de la ligne pratique à suivre, hors de tout volontarisme bruyant comme de tout fatalisme aveugle.

4. Comme cela s'est déjà produit en Italie, les fonctions auxquelles nos. militants peuvent être appelés directement par les ouvriers, comme celle de délégué d'atelier ou autres, peuvent fournir un utile banc d'essai pour la soudure entre l'action politique et l'action syndicale au sens étroit du terme. Malgré le danger (auquel d'ailleurs toute activité syndicale est toujours exposée) de se laisser enfermer dans une pratique purement minimaliste et corporatiste, ces fonctions, lorsque les camarades les assument sur la base de rapports de force favorables, peuvent constituer un des cas prévus par les «Thèses caractéristiques du parti»:
«
Lorsque n'a pas été exclue la dernière possibilité virtuelle et statutaire d'y mener une activité autonome de classe»,
notre pénétration dans une organisation économique, même périphérique, est souhaitable dans le cadre d'une orientation rigoureuse sur le plan politique et programmatique. Ils s'efforceront donc de promouvoir des assemblées ouvrières fréquentes, des initiatives de luttes étendues et illimitées dans le temps, des formes de prosélytisme même au niveau individuel, des prises de position ouvertes contre les pratiques des commissions mixtes ou les «études sur les cadences» et autres manœuvres patronales avalisées par le syndicat tricolore. Lorsque l'appareil syndical central réservera aux délégués «rebelles» le sort bien prévisible de l'expulsion, ils n'accepteront jamais de la subir passivement, mais feront appel, contre elle, à l'unique «autorité» devant laquelle nos militants puissent se considérer comme responsables: les, prolétaires. qui les auront désignés et dont ils auront défendus les intérêts, comme tout militant du Parti y est toujours décidé en toutes circonstances.

5. Pour développer de façon méthodique et en profondeur toutes ces formes d'activité pratique, notre presse, qui a (comme Lénine le disait dans «Que faire?») le rôle d'un organisateur collectif pour la classe comme pour les militants du parti, doit (c'est une condition primordiale) défendre régulièrement et de façon toujours plus tranchante les principes énumérés dans notre première partie et beaucoup mieux exposés dans des textes fondamentaux comme «Parti révolutionnaire et action économique». Elle doit dénoncer le caractère non seulement futile, mais contre-révolutionnaire des formes de lutte pratiquées et des objectifs visés par les centrales existantes, même aux seules fins économiques. Elle doit montrer les limites de l'action revendicative et la nécessité de la dépasser dans la lutte révolutionnaire générale. Elle doit combattre les tendances à se limiter à la corporation, l'entreprise ou la localité qui se manifestent toujours à nouveau dans le prolétariat lui-même, et stigmatiser la pratique obscène que l'opportunisme encourage et qui consiste à implorer l'intervention paternelle de l'Etat ou d'une «opinion publique» dûment «sensibilisée». Elle doit proclamer l'impossibilité d'un syndicalisme politiquement «neutre» et revendiquer des associations de classe ouvertes à l'influence décisive du parti révolutionnaire marxiste et susceptibles d'être conquises par lui. Elle doit souligner l'importance vitale de l'unification internationale des luttes et des organisations économiques, et plus généralement, dans une phase ultérieure, des organisations intermédiaires. Enfin, tout en rappelant aux ouvriers les grandes étapes de leur mouvement de classe, ses glorieuses victoires et ses défaites riches d'enseignements, elle doit suivre avec le maximum d'attention le développement actuel des luttes prolétariennes dans le monde, subordonnant de la façon la plus stricte son combat et ses directives à ses positions programmatiques.

Notes:
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  1. De même, en 1944, dans sa «Plate-forme politique» le Parti communiste Internationaliste d'Italie (noyau du petit parti communiste international d'aujourd'hui) revendiquait
    «
    La reconstruction de la confédération syndicale unitaire, autonome par rapport à la direction de l'administration d'Etat, agissant selon les méthodes de la lutte de classe et de l'action directe contre le patronat, depuis les revendications locales et catégorielles jusqu'aux revendications générales de classe».
    Cette reconstruction supposait une reprise au moins partielle des luttes de classe dans le second après-guerre dont, presque trente ans plus tard, il n'est que trop facile de constater qu'elle ne s'est pas produite. Le Parti avait d'ailleurs formulé les doutes les plus explicites sur la possibilité prochaine d'une telle reprise, mais il ne pouvait s'arroger le droit de l'exclure, et c'est pourquoi il put revendiquer cette reconstruction.
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  2. Ce n'est pas un hasard si un des textes fondamentaux du parti, rappelant que dans la perspective révolutionnaire il est
    «
    indispensable organiquement d'avoir entre les masses des prolétaires et la minorité encadrée dans le parti une autre couche d'organisations, qui soient accessibles constitutionnellement aux seuls ouvriers», affirme que les lignes générales de cette perspective «n'excluent pas que l'on puisse avoir les conjonctures les plus variées dans la modification, la dissolution, la reconstruction d'associations de type syndical en ce qui concerne toutes celles qui se présentent aujourd'hui dans les divers pays» (Réunion de Rome, 1-2, IV, 1951). [back]
  3. Ceci concerne l'épicentre de l'impérialisme, l'aire euro-américaine. La situation dans les secteurs périphériques comme l'Asie et l'Afrique méritera une étude à part. [back]
  4. «La delega», c'est la délégation au patronat du droit de percevoir les cotisations syndicales par retenue sur le salaire qui a été proposée par les trois centrales italiennes et bien entendu acceptée. [back]

Source: «Programme Communiste», n°53-54, octobre 1971 - mars 1972

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