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SUR ANTON PANNEKOEK
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Sur Anton Pannekoek: Marxisme contre idéalisme ou le parti contre les sectes
Bases doctrinales de l'idéalisme révolutionnaire
La vision idéaliste de la lutte de classe
Parti marxiste ou secte socialiste?
La vision idéaliste «révolutionnaire» de la révolution sociale
La vision idéaliste «révolutionnaire» de la dictature du prolétariat
La critique idéaliste «révolutionnaire» de l'opportunisme social-démocrate
La critique idéaliste «révolutionnaire» de l'Internationale Communiste
Sur la tactique
Sur le «parlementarisme révolutionnaire»
Sur la question syndicale
Les leçons de la contre-révolution
Notes
Source


Sur Anton Pannekoek: Marxisme contre idéalisme ou le parti contre les sectes
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Au vingtième siècle, chaque vague de dégénérescence réformiste du parti de classe a donné lieu à une renaissance du mouvement anarchiste revêtant des formes diverses. C'est dans la lutte politique contre ces deux déviations symétriques du mouvement prolétarien que le parti marxiste s'est trempé et reconstitué.

C'est ainsi que les premières manifestations de la lèpre opportuniste dans la IIme Internationale provoquèrent une réaction syndicaliste révolutionnaire. Tout en combattant le réformisme et le crétinisme parlementaire qui étaient à l'origine de cette déviation, la Gauche marxiste du Parti Socialiste d'Italie dut donc mener aussi une lutte ininterrompue contre cette dernière.

La «gauche allemande», elle, apparut en réaction à la banqueroute de la IIme Internationale sur des positions bien différentes de celles de Lénine et de l'Internationale communiste naissante qui, tout en menant un dur combat politique et militaire contre l'impérialisme mondial et ses laquais social-patriotes, social-opportunistes et centristes, durent croiser le fer avec elle.

Si non seulement Lénine, mais toutes les forces vraiment marxistes se préoccupaient en 1920 de rétablir la juste doctrine marxiste contre les déformations que cette «gauche» leur faisait subir, c'est parce qu'ils étaient conscients que le parti mondial du prolétariat ne peut remplir les tâches auxquelles il est appelé s'il est lui-même le résultat d'un marchandage sur les principes.

Mais la gauche marxiste ayant été vaincue dans l'internationale communiste elle-même, celle-ci subit à son tour une involution qui ne pouvait manquer de provoquer un sursaut de ladite «gauche», dont la principale caractéristique est le rejet de l'organe parti et de la dictature du prolétariat, sinon en paroles, du moins dans leur acception marxiste, sur le plan politique, et sur le plan doctrinal, l'idéalisme.

Aujourd'hui, en pleine contre-révolution, il est normal que les tendances anarchisantes pullulent. Se réclamant toutes plus ou moins de ce théoricien de la gauche allemande que fut Anton Pannekoek, elles veulent marier (le plus souvent sans s'en rendre compte) anarchisme et marxisme, idéalisme et matérialisme dialectique. C'est pourquoi ce travail a pour but de démontrer l'opposition irréductible qui sépare en général le matérialisme marxiste de l'idéalisme, aussi «révolutionnaire» qu'il soit en paroles, et en particulier, la gauche marxiste italienne dont notre parti est sorti, et les prétendues «gauches allemandes».

La clarté sur ces questions est en effet une nécessité vitale pour restaurer le parti communiste international dont les réflexes doivent se former et se perfectionner par la critique théorique et la bataille politique longtemps avant que les forces sociales s'affrontent à nouveau.

Bases doctrinales de l'idéalisme révolutionnaire
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Le courant de la «gauche» allemande et son théoricien Pannekoek ont toujours déclaré adhérer à la conception matérialiste de l'histoire.

Il est vrai qu'ils n'ont pas contesté la vision marxiste selon laquelle l'évolution de la société humaine se ramène à la succession de divers modes de production, le capitalisme lui-même étant historiquement transitoire, les lois fondamentales et les tendances de la société présente la condamnant à faire un jour place à un mode de production supérieur, par une révolution de la classe opprimée.

Cela ne suffit pourtant pas à caractériser le matérialisme historique: ce n'est pas, en effet, le marxisme qui a découvert les classes et la lutte des classes, d'abord; ensuite, même la social-démocratie a admis, du moins en paroles, le caractère transitoire du capitalisme.

Ce que le marxisme a découvert grâce à son analyse de la dynamique propre aux modes de production, c'est la vision matérialiste de la lutte des classes et de leurs agents (les partis et les États), et c'est cette vision qui lui a permis de définir exactement les caractéristiques du passage révolutionnaire menant du capitalisme au socialisme.

La vision idéaliste de la lutte de classe
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Pour Pannekoek, «la transformation du capitalisme en communisme est liée à l'action de deux forces, dont l'une procède de l'autre, une force matérielle et une force spirituelle. Le développement de l'économie permet de comprendre le cours réel des choses et ceci, à son tour, engendre une volonté révolutionnaire». (1)

D'après cette école, le capitalisme rend possible la formation d'une conscience et d'une volonté socialistes des masses qui seraient à la base du mouvement ouvrier révolutionnaire. Déjà dans la polémique qui l'opposa à Kautsky en 1912, le théoricien du K.A.P.D. disait:
«
L'organisation du prolétariat (...) ne doit pas être confondue avec la forme de ses organisations et de ses associations du temps présent (...) La nature de cette organisation (du prolétariat en classe, N.D.L.R.) est quelque chose de spirituel, c'est la transformation totale de la mentalité du prolétaire (souligné par l'auteur).» (2)

De ces prémisses, Pannekoek tire tout naturellement la conclusion que la révolution sociale est mûre quand les masses ouvrières ont atteint un haut développement de la conscience socialiste. Une des conditions de la révolution serait «la révolution des idées»:
«
Une révolution s'accompagne toujours d'un bouleversement profond des idées dans les masses; elle crée ainsi sa condition préalable, laquelle, à son tour, la conditionne (...).» (3)

D'après Pannekoek, pour que la révolution ait lieu
«
il est nécessaire que le prolétariat, les masses immenses, discernent clairement la voie et le but» (4)
et c'est dans une parfaite continuité doctrinale que l'auteur, reprenant cette même question après la victoire du stalinisme, affirmera:
«
(La révolution communiste) ne peut cependant être atteinte par une masse ignorante. (...) Il faut pour cela que les ouvriers eux-mêmes, la classe entière, comprennent les conditions, les voies et les moyens de leur combat (...)(5)

Faisant de la révolution un problème de conscience, Pannekoek et toute la «gauche» allemande se placent résolument sur le terrain de l'idéalisme. Que cette conscience des masses soit le résultat de la lutte des classes ne change rien à la question. C'est le marxiste Plékhanov qui le dit très justement:
«
Mais comment qualifier l'idée que se font de l'histoire des hommes qui tout en affirmant que le facteur économique l'emporte dans la vie sociale, demeurent en même temps persuadés que le dit facteur, c'est-à-dire l'économie de la société, est à son tour le fruit des conceptions et du savoir humain? On ne saurait la qualifier autrement que d'idéaliste. Et il en résulte que le matérialisme ne suffit pas à exclure l'idéalisme de l'histoire. (...) Nous disons: ne suffit pas à exclure l'idéalisme; il faudrait dire: peut être, et jusqu'aujourd'hui le plus souvent, a été une simple variété de l'idéalisme.» (6)

Tout comme la vieille démocratie bourgeoise, Pannekoek prétend que le sort du prolétariat et, plus généralement, de la société, est déterminé par le degré d'éducation et de la conscience des problèmes sociaux des masses. «Eduquez-vous et votre sort changera!» disent-ils. La nuance entre les uns et les autres réside dans le type d'éducation dont ils auraient besoin: bourgeoise pour la première, socialiste pour le second. Pannekoek et l'école de la «gauche» allemande prétendent être «extrémistes» parce que pour eux «l'illumination socialiste des masses» serait le résultat de la lutte de classe qu'ils appellent de leurs vœux. On est ainsi ramené à lutter (en l'an de grâce 1972!) contre les variantes modernes des néo-hégéliens de gauche et de leurs héritiers les anarchistes.

Faire de l'éducation socialiste des masses un préalable à la révolution, c'est renier la révolution elle-même, parce que cette prétendue éducation est impossible en régime capitaliste.

Contre les néo-hégéliens, profondément éducationnistes, Marx affirmait:
«
Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes. (...) La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l'un dans l'autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante. Les pensées dominantes ne sont pas autre chose que l'expression idéale des rapports matériels dominants(7)

La destruction de l'idéologie bourgeoise dans les masses travailleuses présuppose que les rapports capitalistes de production soient déjà détruits, que les moyens de la production tant matérielle qu'intellectuelle aient déjà été arrachés à la classe capitaliste, que la révolution communiste ait déjà vaincu. La conscience socialiste sera la conscience dominante quand les nouveaux rapports matériels de la production socialiste se seront instaurés, et c'est alors que les hommes pourront faire consciemment leur histoire. (Engels).

Du point de vue doctrinal, toute la «gauche» allemande est tributaire de l'idéologie bourgeoise et, en particulier, de la doctrine social-démocrate. Elle partage avec cette dernière la vision démocratique et culturaliste de la révolution et du mouvement ouvrier.

Kautsky, le marxologue en chef de la social-démocratie, affirmait:
«
(...) La marche du progrès devient subitement rapide dans des temps d'effervescence révolutionnaire. C'est avec une vitesse incroyable que la grande masse de la population s'instruit alors et qu'elle acquiert une conception nette de ses intérêts de classe(8)

Dans toutes les théories démocratiques de la lutte politique il s'agit de rendre l'homme (pour les bourgeois) ou l'ouvrier (pour les «socialistes humanistes») capable de faire sa propre histoire. Les forces sociales et les forces politiques, même collectives, ne sont que la somme des volontés individuelles souveraines. Et, comme il se doit aujourd'hui, la dernière maladie du mouvement ouvrier, le stalinisme, met sur le compte de «l'ignorance des masses» les continuelles défaites de la classe ouvrière.

Pour tous ces idéologues, idéalistes, qu'ils soient des social-démocrates ou des «gauches» allemandes, la lutte politique, la révolution et la «révolte» s'identifient à la lutte pour l'IDEE qui doit vaincre, pour l'idée socialiste; pour eux, la révolution a lieu quand les masses luttent consciemment pour la réalisation de la société communiste, quand leur objectif immédiat est le socialisme. (9)

Pour le matérialisme marxiste, la révolution n'a rien à voir avec ces rêveries de l'illuminisme bourgeois teinté de socialisme. Pour lui, la révolution est un fait matériel et physique, c'est la résultante des heurts entre les classes poussées à la lutte par l'antagonisme entre les forces productives et les rapports de production
«
On doit même affirmer qu'une révolution est vraiment mûre lorsque l'exigence de destruction d'un système de production devient un fait réel et physique, de sorte que ce système entre en contradiction avec les intérêts matériels non seulement de la classe opprimée, mais même de larges couches de la classe privilégiée. (...) La nécessité économique concentre la pression et les efforts de tous ceux qui sont opprimés et étouffés par les formes cristallisées d'un système donné de production. lis réagissent, se débattent, se dressent contre ces limites (...).»
«
Depuis des années, on nous reproche de vouloir une révolution d'inconscients.»
«
Nous pourrions répondre que pourvu que la révolution balaye l'amas d'infamies accumulé par le régime bourgeois et pourvu que soit brisé le cercle formidable des institutions qui oppriment et mutilent la vie des masses productives, cela ne nous gêne pas du tout que les coups soient portés à fond par des hommes non encore conscients de l'issue de la lutte.» (10)

C'est pour cela que «les ouvriers n'ont pas à suivre des cours de philosophie et autres, mais seulement à combattre pour leur classe» («La Gauche»), parce que nous sommes pour la «révolution des inconscients», parce que nous sommes pour la révolution tout court!

La pensée de Pannekoek représente l'expression la plus achevée du matérialisme bourgeois. La bourgeoisie révolutionnaire a introduit le matérialisme dans les sciences de la nature, mais elle s'est arrêtée au seuil des sciences sociales et historiques, prétendant que les hommes faisaient librement leur histoire.

Pannekoek reconnaît le matérialisme en ce qui concerne l'analyse des modes de production et des sociétés, mais l'idéalisme montre l'oreille dès qu'il traite du passage du capitalisme à la société socialiste. Il affirme bien que la nature humaine a un caractère historique, nullement figé, mais il fait dépendre la transformation révolutionnaire de la société du changement de «la nature humaine du prolétaire». Pour le matérialisme scientifique, au contraire, le changement de la nature humaine est le résultat - et non le préalable - du changement d'un mode de production, d'une société déjà constituée.

Dans la mesure où le matérialisme bourgeois de la «gauche» allemande correspond à une déviation idéaliste dans le mouvement ouvrier, nous préférons le définir comme un idéalisme prolétarien ou «révolutionnaire», non moins éloigné du marxisme que tout autre idéalisme.

• • •

Contre la démocratie bourgeoise, contre la social-démocratie et contre l'idéalisme «révolutionnaire» qui font de la conscience politique des masses l'agent des transformations sociales, le marxisme affirme que l'agent conscient de la révolution est le parti politique de classe, le parti communiste. Pour lui, les sujets de l'histoire ne sont ni les individus ni les conglomérats informes d'hommes, les multitudes, mais les classes sociales dont la lutte s'identifie à celle des organes sociaux et historiques dans lesquels elles s'organisent, les partis et les États qui représentent leur volonté et leur conscience :
«
La clef de notre système réside justement dans le fait que ce n'est pas l'individu que nous considérons comme le siège de (la conscience théorique du mouvement); nous savons fort bien au contraire que dans la généralité des cas, les éléments de la masse lancée dans la lutte ne pourront pas avoir dans leurs cerveaux les éléments de la vision théorique générale. Poser une telle condition serait purement illusoire et contre-révolutionnaire. Ce rôle revient au contraire non à des groupes d'individus supérieurs envoyés pour le bien de l'humanité, mais à un organisme, à un mécanisme différencié au sein de la masse, utilisant les individus comme les cellules qui composent les tissus et les élèvent à une fonction qui, sans ce complexe de relations, n'aurait pas été possible. Cet organisme, ce système, ce complexe d'éléments dont chacun a des fonctions propres est l'organisme de classe, analogue à l'organisme animal dans lequel concourent des systèmes compliqués de tissus, de vaisseaux, etc...»
«
(...) Nous avons toujours prévu que (la clarté et la conscience doctrinale du mouvement communiste) se formeraient dans des organisations surgissant au sein de la masse indifférenciée, dans des minorités décidées, qui reliées d'un pays à l'autre et situées dans la continuité historique générale du mouvement, assumeraient la fonction de direction de la lutte des masses, alors que celles-ci participent à cette lutte pour des mobiles économiques bien avant d'avoir rejoint la force et la clarté d'opinions cristallisées dans le parti dirigeant(11)
«
Quand la masse est poussée à l'action, ce sont ces petits groupes qui seuls prévoient le but à atteindre, qui soutiennent et dirigent l'ensemble. (...) Bien qu'il ne comprenne qu'une partie de la classe, c'est le parti seul qui lui donne l'unité d'action et de direction parce qu'il regroupe les éléments qui, surmontant les limites de catégories et de régions, expriment et représentent la classe.» (12)
«
En tant qu'organe au travers duquel s'expriment la continuité et la persistance du mouvement de classe, le parti communiste a pour tâche de diffuser dans les masses la conscience révolutionnaire, d'organiser les moyens matériels d'action et de diriger le prolétariat dans le développement de la lutte.» («Thèses de Rome»). (13)
Le matérialisme marxiste affirme en outre que «
la conscience individuelle n'est pas à la base de la formation du parti: non seulement il est impossible que chaque ouvrier soit conscient et encore moins domine culturellement la doctrine de classe, mais cela n'est même pas vrai de chaque militant, et rien ne garantit que ce le soit davantage de chaque chef. Cette garantie réside non dans des individus, mais dans l'unité organique du parti». (14)

Rien ne subsiste donc dans le marxisme de la doctrine illuministe qui fait de l'individu le sujet de l'histoire.

L'idéologie bourgeoise est imperméable à la vision d'un organe social possédant une conscience collective, mais dans la nature le moindre phénomène nous en donne mille exemples. Ainsi, dans le règne biologique, l'homme est un sujet avec conscience, mais cette conscience n'est pas celle des cellules ni celle du cerveau, mais celle de l'unité organique. Nous pourrions transposer l'image et affirmer que le parti représente le système nerveux central de la classe. Il est indéniable que la lutte des classes a une influence sur les hommes et par conséquent sur leur conscience individuelle. En particulier la conscience individuelle de l'ouvrier est le résultat de son intégration à la lutte collective de la classe. C'est cette conscience qui le pousse à adhérer au parti de classe, mais la conscience communiste est plus un résultat qu'une condition de cette adhésion, qui intègre le militant dans une continuité historique et une organisation internationale: dans les deux cas - l'ouvrier dans la classe; le militant dans le parti - la conscience résulte de l'action du tout sur la partie, de l'organe sur une de ses cellules.

Chez l'ouvrier socialiste, «la conviction est fille de l'enthousiasme et du sentiment, et il y a quelque chose qui empêche ce sentiment de s'éteindre, c'est la solidarité instinctive des exploités. Celui qui n'a plus confiance en elle et veut la remplacer par la petite école théorique, l'étude, la conscience des problèmes pratiques se trouve, croyons-nous, tristement loin du socialisme(15)

Le marxisme revendique donc bien haut pour le parti la conscience critique du mouvement social, mais nie en même temps que celle-ci résulte du développement culturel de chacun de ses membres:
«
Nous estimons que la culture ouvrière peut figurer dans les programmes de la démocratie, mais qu'elle a peu de valeur aux fins de l'action subversive du socialisme.
Cela ne veut pas dire que nous reniions la culture socialiste. Au contraire, nous croyons que la seule façon de l'encourager est de l'abandonner à l'action individuelle au lieu de l'enfermer dans les limites odieuses d'un système scolaire; car cette action ne peut être encouragée que si les jeunes prolétaires se jettent dans le feu de la lutte sociale qui développe en eux le désir de devenir plus aptes au combat.
» (16)

Ainsi, le problème de la constitution et du développement du parti communiste est celui de l'encadrement et de l'intégration des forces qui se portent sur le terrain général de la lutte contre le capitalisme en constituant un organe vivant et unitaire dans son orientation. Et c'est en participant à la lutte de classes que cet organe acquiert les réflexes et la 'capacité d'entraîner les masses ouvrières s'insurgeant contre la classe dominante et ses institutions sur la voie qui mène à la transformation socialiste. Il s'agit d'un processus historique et matériel, et non pas intellectuel ni volontariste. (16')

Tout autant contre la déviation culturaliste que contre le volontarisme, la gauche marxiste italienne a affirmé de façon lapidaire que ni les partis ni les révolutions ne se font; on les dirige, on ne les crée pas, car ils sont des résultats matériels du choc des forces sociales. Et on les dirige dans les voies prévues par la doctrine de classe en fonction de l'histoire du mouvement communiste international.

Dans la conception marxiste, il n'existe donc pas de contradiction entre l'anticulturalisme le plus farouche et l'intransigeance la plus absolue dans le domaine de la doctrine et des principes. Bien au contraire, la gauche marxiste a toujours affirmé l'existence d'un lien solide entre théorie, programme, tactique et organisation. Comme le disait Lénine,
«
il n'y a pas d'action révolutionnaire sans théorie révolutionnaire».

Le marxisme entend par là que le parti est un résultat de sa propre action (c'est-à-dire de sa tactique) et que celle-ci est orientée vers ses objectifs (le programme) suivant une vision doctrinale de l'ensemble des forces qui agissent au sein de l'histoire. C'est dans ce sens que le marxisme est à la base du mouvement communiste (17)

C'est pour cela même que la gauche affirme l'invariance historique du marxisme et qu'elle tire des nouveaux événements des confirmations de sa doctrine. Si un seul des membres de son corps doctrinal monolithique était infirmé par les faits matériels, c'est que sa conscience critique aurait été «mystifiée» et elle deviendrait du même coup inapte à accomplir ses tâches: dans ce cas, aucun empirisme, aucun rafistolage doctrinal ne pourrait apporter de remède!

La lutte des courants marxistes a été un combat ininterrompu contre toutes les déviations qui empêchent l'organe-parti de remplir ses tâches historiques, c'est-à-dire contre tous les dangers de dégénérescence.

Parti marxiste ou secte socialiste?
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La conscience socialiste des masses étant le prétendu préalable à l'accomplissement des tâches révolutionnaires par le prolétariat, selon la «gauche» allemande, le parti révolutionnaire - en tant qu'organisation différenciée de la masse - aurait pour seule fonction de lui fournir cette conscience:
«
Un parti révolutionnaire a pour tâche de propager à l'avance des connaissances claires, pour qu'apparaissent au sein des masses des éléments capables, dans ces moments-là (les grands événements de la politique mondiale), de savoir ce qu'il convient de faire et de juger de la situation par eux-mêmes(18)

Ainsi, pour le théoricien du K.A.P.D., le parti n'a pas à diriger, mais «orienter» spirituellement la classe; il n'a pas une révolution à conduire, des forces sociales à entraîner vers un but bien défini à l'avance, un pouvoir à exercer, mais des conseils à donner.

Faire de l'activité théorique et «aller parier aux ouvriers» (19): nulle part ailleurs que dans cette formule, Pannekoek n'aura exprimé plus synthétiquement et plus nettement la fonction du parti tel qu'il le conçoit!

Suivant cette école, ce qui déterminerait l'adhésion à ce «parti» serait une claire conscience de l'individu; ainsi, ce «parti» ne serait rien d'autre que l'organisation d'une élite qui a «compris» et qui est disposée «à aider les autres à comprendre» pour les rendre capables de «faire la révolution» et qui se fondrait de plus en plus dans la masse révolutionnaire, à mesure que la conscience socialiste s'emparerait de celle-ci au cours de la lutte.

Cette conception centrale de l'adhésion des masses révolutionnaires à la doctrine et à la vision générale préconisées par une élite éclairée, qui fait de la révolution un processus de «sectarisation des masses», la classe tout entière devenant une grande secte, est la clé de voûte de toutes les doctrines des sectes socialistes.

Ici nous ne pouvons faire la critique que d'une seule sorte de ces sectes: celle pour qui la sectarisation des masses ouvrières aurait lieu dans des organisations intermédiaires (soviets, conseils d'usine, unions, etc.). L'autre sorte croit au contraire que cette sectarisation devra prendre la forme d'une adhésion et intégration croissante des masses à un cercle d'initiés. Dans le premier cas, on peut parler de «dissolution de la secte dans la masse», dans le deuxième, d'intégration des masses dans la secte, mais il n'existe pas d'opposition véritable entre ces deux «options». Toutes les deux sont incapables, dans leur utopisme, de saisir le processus matériel de la constitution du prolétariat en classe et puis en classe dominante.

Le «parti» dont parle Pannekoek n'est pas un parti au sens marxiste, et notre école est née précisément en se démarquant de cette sorte de «partis» qui ne sont que des sectes socialistes. Le fait que ces «partis» aient pu regrouper des milliers d'hommes - tout comme l'anarchisme - ne change rien à la réalité: ce ne sont que des annonciateurs de «vérités», des prôneurs d'idées, des «pédagogues révolutionnaires». (20)

La vision idéaliste «révolutionnaire» de la révolution sociale
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Toute doctrine idéaliste s'accompagne nécessairement d'une conception gradualiste de la destruction du pouvoir politique de la classe dominante. La doctrine de Pannekoek n'échappe pas à la règle. Pour lui, la révolution est un «mouvement-processus» au cours duquel les masses ouvrières développent leur lutte et leur conscience, s'emparent des moyens de production et organisent la nouvelle société, tandis que le pouvoir bourgeois se désagrège progressivement:
«
La révolution sociale est le processus de la dissolution progressive de tous les éléments de force de la classe dominante, notamment l'État, le processus de l'édification continue de la puissance du prolétariat jusqu'à son achèvement le plus complet.» (21)

C'est ainsi que Pannekoek s'attache à ridiculiser et à caricaturer l'orthodoxie marxiste :
«
Nombreux sont ceux qui persistent à concevoir la révolution prolétarienne (...) comme une série de phases s'engendrant les unes les autres: d'abord la conquête du pouvoir politique et la mise en place d'un nouveau gouvernement; puis l'expropriation par décret de la classe capitaliste; enfin, une réorganisation du processus de production (... mais) pour que le prolétariat puisse devenir réellement le maître de son destin, il lui faut créer simultanément et sa propre organisation et les formes de l'ordre économique nouveau. Ces deux éléments sont inséparables et constituent le processus de la révolution sociale». (22)

Pour le marxisme, bien au contraire, la révolution n'est que l'accouchement d'une société dont les conditions existent déjà dans l'ancienne; elle n'a rien à construire, elle n'a qu'à détruire des entraves et pour cela elle a besoin d'une force centralisée qui puisse s'exercer à l'échelle de la société, et qui est celle de l'État prolétarien. La série est donc: destruction de l'État capitaliste, dictature prolétarienne, intervention despotique dans les rapports de production. Il n'y a de gradualisme ni pour la constitution du prolétariat en classe dominante ni pour la destruction du pouvoir politique de la bourgeoisie. La constitution du prolétariat en classe dominante conditionne et précède la destruction du capitalisme dans l'économie. Affirmer le contraire revient à nier la période de transition, la dictature du prolétariat.

La vision idéaliste «révolutionnaire» de la dictature du prolétariat
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Depuis que Marx traça dans sa critique du programme de Gotha les phases de transition qui doivent mener à la société communiste en passant par la dictature du prolétariat et le socialisme inférieur, le révisionnisme, tout en prétendant s'y référer, en altère le contenu. Voici ce que Pannekoek nous débite sur la première phase, la dictature du prolétariat:
«
Les conseils ouvriers sont la forme d'organisation propre à la période de transition pendant laquelle la classe ouvrière lutte pour le pouvoir, anéantit le système capitaliste et organise la production sociale(23)

Mais il ne s'agit pas là d'une recette organisative; le «conseillisme» est un principe et non pas une forme d'organisation:
«
(...) «Conseils ouvriers», cela ne désigne pas une forme d'organisation fixe, élaborée une fois pour toutes et dont il resterait seulement à perfectionner les détails; il s'agit d'un principe, le principe de l'autogestion des entreprises et de la production(24)

Voilà la vision achevée de l'idéalisme «révolutionnaire». La révolution s'identifierait avec la lutte des masses, embrassant «l'idée sacrée», le socialisme (la sectarisation «socialiste» des masses, les rend donc capables d'organiser spontanément la production sociale!). Seule l'histoire pourra révéler les voies qui y mènent.

«Pour mener ce combat, les travailleurs ont donc besoin de formes d'organisations nouvelles dont ils conservent par-devers eux les éléments de force. il serait vain de vouloir construire ou imaginer ces formes nouvelles; elles ne peuvent surgir en effet que de la lutte effective des ouvriers eux-mêmes(25)

La critique marxiste de l'idéalisme «révolutionnaire» n'a aucune, difficulté à mettre en évidence le lien entre les différentes expressions de ce courant qui, partant de Proudhon et Bakounine, est réapparu d'abord dans le syndicalisme révolutionnaire pour resurgir encore une fois dans la «gauche» allemande et dans le gramscisme italien.

Pour cette école petite-bourgeoise, culturaliste et idéaliste, la révolution n'est rien d'autre que la «libération» du travailleur, et le puissant antagonisme entre production sociale et mercantilisme est réduit à un antagonisme entre «ceux d'en bas» et «ceux d'en haut», entre producteurs et profiteurs, entre travailleurs et «parasites», entre masse et chefs, entre «liberté» et oppression. La révolution n'est plus que le processus de la libération des travailleurs de toute contrainte (la bonne vieille «liberté» chère à Bakounine), contre la discipline de l'usine, de l'État, des syndicats ou des partis; elle n'est qu'une tentative de «prendre sa vie en main» selon la vision impuissante et stérile de la petite-bourgeoisie.

La «gauche» allemande n'a fait qu'actualiser ses positions d'après les principes immuables de l'anarchisme. C'est Pannekoek lui-même qui, finalement, le reconnaît:
«
En ce temps où les ouvriers se voient soumis toujours davantage à la tyrannie écrasante de l'État bourgeois, il est naturel que l'anarchisme éveille des sympathies accrues, en raison de la propagande qu'il mène pour la liberté. (...) (!!) semble avoir des possibilités de développement plus grandes aujourd'hui, à l'époque où le capitalisme d'État se trouve en pleine expansion. (...) (Mais il porte) l'empreinte de conditions primitives (sic!), celles du XIXme siècle. Le principe de la liberté, né dans les conditions bourgeoises qui prévalaient au début du capitalisme, la liberté du commerce et la liberté de l'entreprise, ne peut pas suffire à la classe ouvrière. Le problème et le but, en ce qui la concerne, c'est d'allier la liberté et l'organisation. L'anarchisme, en se fixant pour but la liberté, oublie que la société libre des travailleurs ne peut exister que grâce à un puissant sentiment d'appartenance à la collectivité, base même de la mentalité propre aux producteurs associés. Cette mentalité nouvelle, qui prend déjà la forme d'une solidarité vigoureuse dans les luttes ouvrières, est le fondement de l'organisation sans contrainte imposée d'en haut. Issue de la coopération entre travailleurs libres cette organisation autogérée sert également de base à leur liberté personnelle, en d'autres termes, à leur sentiment d'être maîtres de leur travail.» (26)

Bref, l'anarchisme - non seulement prématuré, mais encore primitif du XIXme siècle - trouverait «finalement» dans le capitalisme «moderne», celui du XXme, non seulement sa possibilité historique de réalisation, mais son expression achevée. Pannekoek ne fait qu'actualiser Bakounine d'après l'évolution du capitalisme qui fait pénétrer la coopération capitaliste sous sa forme moderne aussi bien dans les activités sociales les plus diverses que dans l'usine, en même temps qu'il chasse de plus en plus les capitalistes de la sphère productive pour en faire de simples «tondeurs de coupons». La vieille opposition anarchiste entre «liberté» et «oppression», entre producteurs et «parasites» - qui chez les syndicalistes révolutionnaires revêt la forme de l'opposition entre syndicats et patrons - prend ici l'aspect de l'antagonisme entre masses et «bureaucraties» ou «appareils»: vision populiste qui fait pendant à celle, chère aux opportunistes social-démocrates ou staliniens, qui oppose le «peuple» aux trusts, le «bloc historique» de Gramsci ou de Garaudy aux monopoles! Misère de l'anarchisme!

En faisant du «conseillisme» non pas une question de formes d'organisation, mais un principe, à la limite, Pannekoek pourrait se réclamer formellement de la thèse marxiste: «la révolution n'est pas un problème de formes d'organisation». Mais l'incompatiblité entre l'antiformalisme du marxisme et celui de l'idéalisme est totale.

Bien que les deux écoles ne préjugent pas des formes que revêtira la violence révolutionnaire de la classe ouvrière, c'est-à-dire des organisations de masse qui surgiront (27), le marxisme affirme que seul le parti peut leur donner l'unité de volonté et de conscience révolutionnaires [au moyen de la centralisation, de la direction et de l'exercice du pouvoir par le parti de classe] et les rendre capables d'accomplir les tâches historiques de la transformation sociale et de l'anéantissement des classes ennemies.

La «gauche» allemande, par contre, oppose les organisations de masse et leurs fonctions au parti et à son rôle. Plus encore, elle affirme que c'est seulement si les organisations de masse peuvent se débarrasser de la direction de tout parti qu'elles seront capables de devenir les organes de la transformation sociale. C'est ainsi que pour Pannekoek, le «parti»-secte qu'il conçoit
«
est donc également à cent lieues d'avoir le but de tout parti politique (...): prendre directement en main la machine de l'État» (28).
A quoi bon la dictature dirigée par une secte si les masses révolutionnaires se sectarisent, en effet?!

D'après Pannekoek, si au sein de la masse révolutionnaire, une minorité (entendez par là le parti communiste) centralise et exerce le pouvoir, c'est que «la grande masse» ne serait pas préparée pour «faire par elle-même» et que la révolution serait donc impossible! Et cela devrait mener «inéluctablement» à la domination d'une bureaucratie sur les masses! (29)

Pour cette école, le parti révolutionnaire tel que le conçoit l'orthodoxie marxiste représente un héritage bâtard de la période bourgeoise:
«
Par rapport à la révolution prolétarienne, un «parti révolutionnaire» représente une contradiction dans les termes. On pourrait le dire d'une autre manière, à savoir dans l'expression «parti révolutionnaire», le terme révolutionnaire désigne forcément une révolution bourgeoise. Chaque fois en effet que les masses sont intervenues pour renverser un gouvernement et ont confié ensuite le pouvoir à un nouveau parti, on s'est trouvé face à une révolution bourgeoise, au remplacement d'une catégorie dominante par une autre(30).

L'argumentation du théoricien du K.A.P.D. contre le rôle du parti communiste est la même que celle de Bakounine contre l'État prolétarien: il faudrait être contre tout État, parce que jusqu'à aujourd'hui tous les États ont représenté la domination d'une classe sur une autre et le maintien d'une société de domination.

Le marxisme en a fini pour toujours avec les rêves informes des idéologues petits-bourgeois: la liberté qu'ils réclament à cors et à cris dans leur horreur congénitale de toute autorité et de toute discipline ne peut être matériellement autre chose que la liberté du capital et du mercantilisme. Les partis et les États ont toujours été et seront toujours les instruments d'une classe dominante; le parti et l'État du prolétariat seront les instruments de la destruction de la dernière société de classe. Toute doctrine qui refuse l'organisation et la direction de la dictature du prolétariat par le parti soutient du même coup une vision démocratique de la révolution et de l'exercice du pouvoir, brise la dynamique matérielle de l'histoire en refusant aux avant-gardes centralisées la fonction que celle-ci les contraint à remplir, et ceux qui y adhèrent renient non seulement le marxisme, mais la révolution.

Il est vrai que le mouvement communiste a fait usage dans le passé de la formule de «démocratie ouvrière», mais c'était dans un sens polémique, contre la bourgeoisie qui prétendait que la démocratie parlementaire était un moyen d'atténuer les inégalités de classe. Il affirmait pour sa part que celle-ci n'est qu'une forme de la dictature de la bourgeoisie et que le sens profond de la revendication égalitaire est la disparition des classes qui a pour condition politique la constitution du prolétariat en classe dominante.

Mais il n'y a aucun sens scientifique à identifier dictature du prolétariat et démocratie ouvrière parce que ce n'est pas l'égalité politique - aussi formelle qu'utopique - de tous les ouvriers, même s'il ne s'agit que des ouvriers révolutionnaires, qui rend possible cette dictature, mais l'exercice de la contrainte révolutionnaire pour l'accomplissement des tâches historiques du prolétariat. La révolution n'a pas de droits abstraits à reconnaître: tous ceux dont l'action ira à l'encontre des besoins révolutionnaires devront être neutralisés.

La critique idéaliste «révolutionnaire» de l'opportunisme social-démocrate
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Lorsque la «gauche» allemande est née, elle a prétendu qu'elle retournerait aux sources de l'orthodoxie marxiste contre la praxis minimaliste et réformiste de la social-démocratie et contre son opportunisme croissant. Même le syndicalisme révolutionnaire a prétendu la même chose à ses débuts. Or rien n'est plus faux.

Dans le passage suivant - véritable morceau d'anthologie «gauche allemande» - le théoricien du K.A.P.D. essaye de tracer les limites qui séparent la social-démocratie du «communisme» de style «gauche» allemande:
«
Ce n'est pas le but (!) qui distingue la social-démocratie du communisme: ils se donnent en effet pour but, l'un (?) comme l'autre, la prise du pouvoir social par la classe ouvrière. Ce n'est pas non plus le fait que les communistes entendent y parvenir au moyen d'une révolution, tandis que les social-démocrates tablent sur une évolution (!!!) car ils prévoient eux aussi la possibilité d'une lutte puissance contre puissance, classe contre classe. (...) Cela ne vient pas non plus de ce que les communistes pensent qu'au lieu d'attendre cette transcroissance, il faudrait prendre le pouvoir d'un seul coup: telle n'est pas la pensée des communistes (!!!).
La différence fondamentale entre ces deux tendances tient dans l'idée (!) qu'elles se forment respectivement des moyens, des organes par lesquels le prolétariat prendra le pouvoir.
La social-démocratie a toujours vu dans le parti (lié aux syndicats) l'organe servant à mener la révolution à bonne fin. Ceci ne veut pas dire forcément l'emploi exclusif des méthodes électorales; pour sa fraction radicale, le parti devait utiliser la pression conjointe des moyens parlementaires et de moyens extra-parlementaires tels que les grèves et les manifestations, afin de faire valoir la puissance du prolétariat. Mais en fin de compte c'était tout de même le parti qui dirigeait la lutte. (...) Et si la chape oppressive du pouvoir d'État venait à sauter, c'est encore le parti, en sa qualité de représentant du prolétariat, qui devait prendre le pouvoir. (...) L'évolution de la social-démocratie avant, pendant et après la guerre a démontré qu'il était impossible de réaliser ce projet; avec l'appareil de permanents correspondant, (le parti) prend un caractère conservateur, sa bureaucratie ne peut que redouter une révolution. Au sein d'un parti démocratique de ce type, la masse des militants (...) n'a pas les moyens d'imposer sa volonté à une bureaucratie disposant de tous les éléments de force
(31)

Le passage cité est lumineux. Lumineusement anarchiste. D'après l'auteur, la social-démocratie a fait faillite parce qu'elle était un parti, parce qu'elle «s'assignait pour mission spécifique de diriger et de gouverner». Les chefs n'ont pu que s'imposer aux militants, «l'appareil» ne pouvait que s'imposer aux masses! La «leçon» que la «gauche» allemande tire de la dégénérescence de la social-démocratie est la suivante: en fin de compte, c'est Bakounine qui avait raison contre le courant marxiste.

Le passage cité montre clairement que - en doctrine - la «gauche» allemande a été incapable de faire autre chose qu'une critique démocratique de la social-démocratie. Elle reconnaît que la social-démocratie - après que celle-ci ait glissé dans la collaboration de classe pendant la guerre et assumé directement la défense de l'ordre bourgeois contre les insurrections ouvrières en Europe centrale - se fixait comme but le socialisme; elle concède à la social-démocratie l'aspiration à la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, après qu'elle ait montré en doctrine et dans les faits qu'elle ne se fixait comme objectif que la défense de la démocratie bourgeoise contre la révolution prolétarienne; elle affirme que révolution contre évolution n'est pas une alternative historique! Misère de l'anarchisme!

Il ne s'agit pas là d'un égarement passager. Et c'est l'auteur lui-même qui nous donne la clé de sa position quand il affirme que la différence fondamentale entre ces deux courants tient dans l'idée qu'ils se font respectivement des moyens et des organes de la lutte pour la conquête du pouvoir. Suivant sa vision idéaliste des luttes sociales, il accuse la social-démocratie de donner des «mauvaises idées» aux ouvriers, idées qui poussent les organisations qui «s'en emparent» à jouer un rôle contre-révolutionnaire.

Le nœud de leur critique se trouve là. Le reste n'est que du folklore.

Quelle «leçon» de l'histoire! Les «idées» prônées par le social-démocratie étaient «bonnes» sauf celles qui concernaient le rôle de direction du parti. Il suffirait «donc» de faire de la propagande contre cette idée tout en gardant les autres!

L'idéalisme «révolutionnaire» n'a pas fait la moindre analyse tant soit peu sérieuse de l'opportunisme social-démocrate; pour toute explication, il se contente de dénoncer la corruption des «appareils» et la théorie du substitutionnisme (c'est-à-dire l'action des appareils, parlementaires ou syndicaux à la place et au nom de la classe ouvrière, parce qu'ils se sont emparés de l'idée de diriger!).

Ce courant politique se prétend «extrémiste» parce qu'il revendique contre la social-démocratie la destruction de l'État, tandis que cette dernière ne parlait que de «déplacement des forces au sein de l'État». Mais il s'agit là de la revendication anarchiste anti-étatique qui - comme l'histoire l'a toujours mis en évidence - n'est qu'un faux radicalisme poussant jusqu'à l'absurde les propres postulats de la démocratie petite-bourgeoise.

D'après elle, face à la monstrueuse force contre-révolutionnaire de la social-démocratie, le mouvement ouvrier n'aurait plus qu'à se faire hara-kiri dans le style même de la petite bourgeoisie écrasée par les «appareils», le pouvoir, l'autorité. La «leçon» que la «gauche» allemande tire de l'histoire n'est pas qu'il faille constituer une puissante armée dont la force centralisée et autoritaire (résultant non pas d'on ne sait quelle «dictature sur la classe» mais de la dynamique matérielle de la lutte des classes elle-même) soit capable d'abattre tous les obstacles à la révolution: c'est une attitude moralisante qui sent à plein nez le philistinisme mensonger du libéralisme, du démocratisme, du calvinisme «révolutionnaire», présenté comme l'expression la plus achevée du radicalisme prolétarien.

Le communisme n'a rien à voir avec tous ces mensonges de «liberté»: le mouvement ouvrier est le dépassement de la revendication de la liberté de l'individu (qu'il soit citoyen ou ouvrier) et la négation de tout principe démocratique. Il n'existera jamais une «liberté de la classe ouvrière», mais seulement la domination politique du prolétariat qui lui permettra de disparaître plus tard comme classe grâce à la destruction du capitalisme. Le règne de la liberté sera celui de l'espèce arrivée au communisme.

Loin de ces eaux puantes du démocratisme, l'Internationale Communiste montrait les racines de la dégénérescence des partis social-démocrates qui, d'organes de la lutte révolutionnaire pour l'émancipation prolétarienne à leur origine, étaient devenus des organes de la conservation sociale de par leur praxis réformiste, qui avait avachi leurs muscles, déformé leur conscience critique et dénaturé leur fonction.

La critique marxiste de la social-démocratie n'est pas celle de la forme parti, mais du parti qui ne revendique plus que des «réformes». Il est vrai que le marxisme ne rejette pas la lutte pour les réformes par principe. Il s'agit là d'un problème qui dépend des aires géographiques et historiques. Cette lutte est reconnue et acceptée pour l'Europe jusqu'à 1914 où elle l'écarte pour toujours. Mais pour le marxisme, cette lutte était un moyen qui devait permettre l'épanouissement de la lutte des classes, la constitution du prolétariat en classe et donc en parti. Dans la vision marxiste, on luttait pour les réformes afin de hâter la destruction de la société bourgeoise; cette lutte devait aider à liquider tout l'héritage social et politique des étapes antérieures de la société capitaliste et démontrer ainsi que le capitalisme était à détruire aussi démocratique que fût l'État. Le but n'était pas la démocratie, mais sa négation: la révolution et la dictature de classe du prolétariat.

La gauche marxiste a montré que la dégénérescence opportuniste dans le mouvement ouvrier est arrivée quand les partis socialistes ont commencé à présenter la révolution socialiste comme le prolongement de la lutte pour les réformes et pour la démocratie et non plus comme sa négation dialectique (32).

Lénine a montré que les racines profondes - économiques et sociales - de cette maladie du mouvement ouvrier sont l'impérialisme et l'aristocratie ouvrière. C'est l'impérialisme qui réussit à constituer les couches plus ou moins larges des ouvriers corrompus par les miettes tirées de la rapine impérialiste et coloniale et qui trouvent dans l'opportunisme et le social-pacifisme l'expression politique de leur tendance objective à la collaboration et aux alliances de classe (33). Et l'opportunisme réussit à s'imposer au sein de l'organisation de classe parce que la lutte pour les réformes avait perdu son contenu subversif, ce qui s'est traduit par la perte de capacité révolutionnaire de l'organe qui la menait. C'est pour cela que l'opportunisme put revendiquer une continuité historique par rapport à la praxis de la IIme Internationale, tandis que la IIIme s'est débarrassé de l'héritage minimaliste de la lutte pour les réformes.

C'est la déviation démocratique et réformiste qui est à la base du reniement doctrinal du marxisme par la social-démocratie. Ce que la gauche marxiste critique dans la doctrine de cette dernière n'est pas qu'elle revendique le pouvoir politique, mais qu'elle entende conquérir pacifiquement l'État au moyen de la majorité parlementaire, au lieu de le détruire pour le remplacer par l'État nouveau du prolétariat en armes, instauration qui n'admet pas de gradualisme; elle ne critique pas l'idée de l'exercice du pouvoir prolétarien par un parti, mais affirme qu'il s'agit d'une dictature et non pas d'une démocratie.

La critique idéaliste «révolutionnaire» de l'Internationale Communiste
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Il a existé un profond malentendu dans l'adhésion de la «gauche» allemande et en particulier de Pannekoek à la Révolution d'Octobre et à l'internationale Communiste. Mais ce malentendu a été vite dissipé Le K.A.P.D. participe au IIIme Congrès de l'I.C. en attaquant l'ensemble des résolutions du IIme Congrès - son véritable congrès constitutif - et en accusant l'I.C. d'opportunisme.

La divergence éclata tout de suite sur un problème fondamental de doctrine: nature et rôle du parti de classe, et se refléta immédiatement dans les différentes questions tactiques débattues dans l'I.C. Mais avant d'entrer dans ces questions de tactique, relevons que Pannekoek attaque l'I.C. sur un autre problème: les scissions au sein des partis socialistes qui laissaient entrer dans l'Internationale de larges couches d'opportunistes centristes et de social-patriotes «repentis», les Serrati d'une part et les Cachins de l'autre.

L'histoire de la lutte contre l'opportunisme social-démocrate a montré qu'il ne suffit pas de se réclamer du combat contre cette pathologie du mouvement ouvrier pour se situer dans la tradition révolutionnaire communiste. Le syndicalisme révolutionnaire de Sorel - avant de révéler ouvertement son caractère révisionniste - prétendait représenter un retour aux sources contre le crétinisme parlementaire. Voyons donc sur quelle base Pannekoek fait cette critique:

«Et, pendant la révolution, le parti doit établir le programme, les mots d'ordre et les directives que les masses, agissant spontanément, reconnaissent comme justes, parce qu'elles y retrouvent sous une forme achevée, leurs propres buts révolutionnaires et parviennent, grâce à eux, à voir plus clair: c'est dans ce sens que le parti dirige la lutte. Tant que les masses sont inactives, ses efforts peuvent sembler vains; mais les principes ainsi propagés atteignent cependant des éléments nombreux, qui se tiennent provisoirement à l'écart du parti, et, au cours de la révolution, ces principes se révèlent une force active contribuant à orienter ces éléments dans la bonne voie. En revanche, édulcorer les principes afin de pouvoir former au préalable un parti plus grand, à l'aide de coalitions et de concessions, c'est laisser à des éléments confus la possibilité d'acquérir, en temps de révolution, une emprise dont les masses n'arrivent pas à se débarrasser en raison de leurs carences(34)

En d'autres termes, la «gauche» allemande se réclame des scissions plus à gauche parce qu'elle veut des «partis»-sectes capables de remplir le rôle que l'idéalisme «révolutionnaire» leur attribue: élaborer la théorie, le programme et les mots d'ordre qui puissent «éclairer» les masses le moment venu, ce qui serait impossible si des «impurs» entraient dans ce «parti».

La véritable critique marxiste des scissions trop à droite qui donnèrent lieu aux sections nationales de l'I.C. fut faite par la gauche italienne sur d'autres bases et pour un tout autre but. Cette préoccupation de la gauche découle de sa claire conscience que le Parti Mondial ne peut pas se constituer et se développer organiquement sur la base de greffes de courants hétérogènes ayant des programmes, des traditions, des conceptions critiques différentes. Mieux valait un organe même restreint capable de remplir ses tâches et donc de se développer, que des fusions qui ne pouvaient manquer de rendre sa lutte révolutionnaire difficile ou impossible - comme ce fut très souvent le cas.

Il est superflu d'ajouter que selon la conception de la gauche, le courant Kapédiste n'aurait pas trouvé de place non plus dans l'I.C. comme elle le dira dans les «Thèses de Lyon».

Sur la tactique
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La polémique entre la «gauche» allemande et l'I.C. ne concernait pas les problèmes tactiques, bien que - à première vue - elle les touchât. En fait, l'abîme qui les séparait était de principe. Et c'est ce que nous nous attacherons à démontrer.

Pour Pannekoek, «le problème de la tactique (...) peut s'énoncer ainsi: comment extirper des masses prolétariennes le mode de pensée traditionnel bourgeois, qui les paralyse?» (35) Et ce «problème» était, selon lui, d'autant plus aigu que la contre-révolution n'avait pas d'autre fondement:
«
(En Allemagne, en 1918) c'est parce que les masses demeurent encore totalement soumises à un mode de pensée bourgeois, qu'après l'effondrement de la domination bourgeoise, elles l'ont rétablie de leurs propres mains» (36).
Et pour l'auteur, le mode de pensée bourgeois chez les masses ouvrières est représenté par l'idéologie social-démocrate qui est élevée ainsi au rang de cause de l'esclavage du prolétariat et de la puissance de la bourgeoisie. En fait, l'idéologie social-démocrate - ou aujourd'hui la stalinienne - représente pour les courants idéalistes «révolutionnaires» du XXme siècle ce que la religion représentait pour les anarchistes au XIXme. Voilà donc des idées ou des puissances spirituelles élevés au rang d'agents actifs de l'histoire ou de causes des périodes de contre-révolution
(37). Quel «matérialisme»! Et c'est sur ces bases idéalistes que le courant kapédiste sera anti-parlementaire, pour les scissions syndicales par principe, contre le front unique même syndical (38).

Dans la vision marxiste, le problème de la tactique se ramène à celui de la préparation des conditions subjectives de la révolution, s'appuyant sur les conditions objectives.

La gauche italienne définissait le point de vue marxiste sur le problème de la tactique quand elle affirmait:
«
Les conditions de la réalisation des buts révolutionnaires de l'I.C. sont de nature objective dans la mesure où elles résident dans la situation du régime capitaliste et dans les phases de la crise qu'il traverse. Elles sont de nature subjective dans la mesure où elles se rattachent à la capacité de la classe ouvrière à lutter pour le renversement du pouvoir de la bourgeoisie et pour l'organisation de sa propre dictature en développant une unité d'action, c'est-à-dire en parvenant à subordonner tous les intérêts partiels de groupes limités à l'intérêt général de tout le prolétariat et au but final de la révolution.
Les conditions subjectives sont de deux ordres, à savoir
a) L'existence de partis communistes doués d'une claire vision programmatique et d'une organisation bien définie qui assure l'unité d'action,
b) Un degré d'influence (suffisant) du parti communiste sur les masses des travailleurs et sur leurs organisations économiques, de sorte que le parti communiste prévale sur les autres tendances politiques du prolétariat.

Le problème de la tactique consiste à rechercher les moyens qui permettent le mieux aux partis communistes de réaliser simultanément ces conditions révolutionnaires de nature subjective, en s'appuyant sur les conditions objectives et sur le cours de leur développement» (39).

L'opposition entre ces deux courants ne peut pas être plus éclatante Bien que les courants culturalistes (social-démocrates, anarchistes, «gauche» allemande) se réclament de la vision marxiste du «catastrophisme», - qui est celle de la révolution prolétarienne, résultant d'une part des contradictions du système bourgeois et de l'autre de la maturité et de la force du prolétariat - pour ces courants cette deuxième condition se mesure à l'extension de la «conscience socialiste» dans les masses, tandis que pour le matérialisme marxiste elle se mesure au degré d'influence du parti communiste sur le mouvement social, c'est-à-dire au degré de constitution du prolétariat en classe.

C'est sur la base de cette vision matérialiste du problème tactique, qui est indissolublement lié à la conception de la nature et du rôle de l'organe parti que la gauche italienne, elle, donnera une appréciation négative du «parlementarisme révolutionnaire», qu'elle rejettera la tactique des scissions syndicales par principe, et - dès avant 1919 - le front unique des organisations politiques tout en le préconisant dans les organisations intermédiaires de la classe; et enfin qu'elle adhèrera de façon inconditionnelle à la tactique arrêtée au IIme Congrès dans la question nationale et coloniale (cf. l'article de la gauche «Le communisme et la question nationale», dans «Prometeo», 1924).

Nous ne traiterons ici que de la question parlementaire et syndicale, en relevant la profonde divergence des positions entre les deux courants cités.

Sur le «parlementarisme révolutionnaire»
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Pour Pannekoek, il faut combattre le «parlementarisme révolutionnaire» préconisé par l'I..C. et adopter la tactique abstentionniste parce que:
«
Le parlementarisme constitue la forme typique de la lutte par l'intermédiaire des chefs, où les masses elles-mêmes n'ont qu'un rôle subalterne. Dans la pratique, il consiste à remettre la direction effective de la lutte à des personnalités à part, des députés; ceux-ci doivent donc entretenir les masses dans l'illusion que d'autres peuvent à leur place mener le combat» (40).

Selon Pannekoek, ce qui s'oppose n'est pas la lutte communiste et révolutionnaire, d'une part et, de l'autre, l'absence de lutte, le remplacement de la lutte effective par les pratiques parlementaires. Non! c'est «la lutte des masses» et... «la lutte par l'intermédiaire des chefs»!

Par contre, au IIme Congrès de l'I.C., la gauche marxiste a fait la critique de la tactique parlementaire de l'internationale en Occident du point de vue des tâches du parti communiste:
«
Alors que l'appareil exécutif militaire et politique de l'État bourgeois organise l'action directe contre la révolution prolétarienne, la démocratie constitue un moyen de défense indirecte en répandant dans les masses l'illusion qu'elles peuvent réaliser leur émancipation par un processus pacifique et que l'État prolétarien peut lui aussi prendre la forme parlementaire, avec droit de représentation pour la minorité bourgeoise. Le résultat de cette influence démocratique sur les masses prolétariennes a été la corruption du mouvement socialiste de la IIme Internationale dans le domaine de la théorie comme dans celui de l'action.
Actuellement, la tâche des communistes dans leur oeuvre de préparation idéologique et matérielle de la révolution est avant tout de libérer le prolétariat de ces illusions et de ces préjugés répandus dans ses rangs. (...) Dans les pays où le régime démocratique existe déjà depuis longtemps et s'est profondément ancré dans les habitudes des masses et dans leur mentalité tout comme dans celle des partis social-démocrates traditionnels, cette tâche revêt une importance particulière et vient au premier rang des problèmes de la préparation révolutionnaire
.» («Thèses de la fraction communiste abstentionniste du PSI», points 4 et 5).

Dans ces conditions, la préparation des conditions subjectives de la révolution exige le boycott parce que:
«
a) La clarté de la propagande, non moins que la préparation efficace de la lutte finale pour la dictature exigent que les communistes mènent une agitation pour le boycottage des élections des ouvriers (point 7);
b) Le problème central étant devenu la conquête révolutionnaire du pouvoir par le prolétariat, toute l'activité politique du parti de classe doit être consacré à ce but direct (point 8);
c) Le dégoût du prolétariat Pour cette pratique de trahison (le crétinisme parlementaire des socialistes traditionnels) a préparé le terrain favorable aux erreurs des syndicalistes et des anarchistes qui dénient toute valeur à l'action politique et aux fonctions du parti. C'est pourquoi les partis communistes n'obtiendront jamais un large succès dans la propagande pour la méthode révolutionnaire marxiste s'ils n'appuient pas leur travail direct pour la dictature du prolétariat et pour les Conseils ouvriers sur l'abandon de tout contact avec l'engrenage de la démocratie bourgeoise (point 9);
d) La très grande importance attribuée en pratique à la campagne électorale et à ses résultats, le fait que pour une période fort longue le parti lui consacre toutes ses forces et toutes ses ressources (hommes, presse, moyens économiques) concourt, d'un côté, malgré tous les discours publics et toutes les déclarations théoriques, à renforcer la sensation que c'est bien là l'action centrale pour les buts communistes et, de l'autre, provoque l'abandon presque complet du travail d'organisation et de préparation révolutionnaire donnant à l'organisation du parti un caractère technique tout à fait contraire aux exigences du travail révolutionnaire légal ou illégal (point 10);
e) Pour les partis qui, par décision de la majorité, sont passés à la IIIme Internationale, le fait de continuer l'action électorale interdit la sélection nécessaire; or, sans l'élimination des éléments social-démocrates, la IIIme Internationale manquera à sa tâche historique et ne sera pas l'armée disciplinée et homogène de la révolution mondiale (point 11);
f) La nature même des débats au parlement et autres organes démocratiques exclut toute possibilité
de passer à la critique de la politique des partis adverses (point 12).»

Tous les arguments avancés ici visent à rendre le parti apte à remplir les tâches révolutionnaires, à l'arracher à l'affaiblissante praxis réformiste, à rendre possible sa claire délimitation politique et à permettre à la masse en lutte contre le capitalisme de trouver dans le parti l'organe capable de la diriger, car le parti est aussi un résultat matériel de sa propre action. Pour la gauche, il s'agit de définir clairement les bases qui permettront de forger un solide parti communiste et non pas de «créer» des conditions qui permettraient aux masses de se passer de leur parti de classe!

Sur la question syndicale
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La «gauche» allemande a été scissionniste, ou boycottiste par principe en ce qui concerne les organisations de masse dirigées par les réformistes. Cette position découle de considérations qui, malgré leur diversité, ont pour dénominateur commun le révisionnisme.

Le premier argument tient à la «forme syndicale»:
«
C'est bel et bien la forme d'organisation (du syndicat) elle-même qui réduit les masses à l'impuissance ou tout comme et qui leur interdit d'en faire l'instrument de leur volonté» (41).
D'autre part, «
son mode de fonctionnement (...) ne permet pas de l'utiliser comme un instrument de la révolution prolétarienne» (42).

Ces passages ne résistent pas à la moindre critique marxiste. D'une part, la forme syndicale n'a fait que changer au cours de l'histoire, et de l'autre, affirmer par principe que, par nature, toute organisation qui a pour but spécifique la défense de la force de travail est incapable de devenir l'instrument de la volonté ouvrière et un levier de la révolution, revient à affirmer «tout simplement» que le prolétariat est incapable de lutter de façon conséquente pour sa survie et que cette lutte - et l'antagonisme qui la provoque - est une entrave à la révolution! C'est bien ce que Pannekoek soutient quand il affirme:
«
Au sein d'un système ascendant et prospère, l'organisation de conseils est impossible, les ouvriers se soucient alors uniquement d'améliorer leurs conditions d'existence, ce qui permet l'action syndicale et politique. Dans un capitalisme décadent, en proie à des crises, ce dernier type d'action est vain et s'y raccrocher ne peut que freiner le développement de la lutte autonome des masses, de leur auto-activité» (43).

Voilà un exemple éclatant de ce que cette école politique appelle «marxisme»! Si ce que Pannekoek affirme était vrai, la révolution serait un résultat étranger aux intérêts «bassement» économiques du prolétariat. Le socialisme se transformerait alors dans cette «idée morale» chère à tous les idéalistes (Bernstein y compris!) dans le style de tous les rêves petits-bourgeois («vivre mieux», s'«autogérer», liberté - égalité - fraternité!).

En fait, l'argumentation du théoricien du K.A.P.D. est parfaitement cohérente avec sa vision gradualiste de la révolution: à quoi bon les organisations de défense économique si la révolution est ce processus au cours duquel le salariat disparaît? La défense du salariat reviendrait alors à défendre le capitalisme (!)... Misère de l'idéalisme «révolutionnaire»!

L'analyse matérialiste ne peut être qu'une analyse historique. Voici les arguments «historiques» de Pannekoek en faveur de la tactique scissionniste:
«
La forme d'organisation en syndicats (...), originaire de la période du capitalisme ascendant, ne présente plus la moindre utilité» (44).

Cette affirmation entraîne nécessairement cette autre: les syndicats - organisations de défense de la force de travail - n'ont plus de raison d'être «à l'époque de l'impérialisme». Autrement dit, les lois propres au système capitaliste ne sont plus valables pour l'impérialisme; l'impérialisme ne serait alors plus une phase du capitalisme mais un mode de production spécifique!!! Passons...

«En ce qui concerne les ouvriers - et c'est le deuxième argument «historique» avancé par Pannekoek - les conditions de lutte se sont détériorées. La puissance de la classe capitaliste s'est accrue énormément (...), la coalition des patrons eux-mêmes place les syndicats devant un pouvoir désormais beaucoup plus fort et souvent presque inexpugnable. En outre, la concurrence féroce à laquelle les capitalistes de tous les pays se livrent (...) exige que des parts croissantes de la plus-value aillent à la fabrication d'armements et à la guerre; la baisse du taux de profit oblige dès lors les capitalistes à augmenter le taux d'exploitation, c'est-à-dire à diminuer les salaires réels. Ainsi donc, les syndicats se heurtent à une résistance accrue, les anciennes méthodes deviennent de moins en moins utilisables (par contre, la «loi d'airain des salaires de Lassalle» est de «plus en plus» valable... N.D.R.)» (45).

Ce paragraphe met en lumière le pacifisme profond de tous les idéalistes «révolutionnaires», pacifisme que Marx relevait à propos des néo-hégéliens «de gauche» qui croyaient bouleverser le monde avec leur phraséologie «révolutionnaire». Pannekoek ne fait que constater l'accroissement potentiel des antagonismes au sein de la société capitaliste et, au nom d'un radicalisme purement verbal, il en tire la conclusion qu'il faut se désintéresser de la lutte syndicale parce que la classe ouvrière rencontre une opposition accrue! Pourquoi alors ne pas se détourner de la lutte politique si l'État capitaliste n'a fait qu'accroître toujours plus ses moyens de résistance?

Le dernier des arguments de Pannekoek est profondément «pratique». Il s'appuie sur le rôle culturaliste du «parti»-secte, qui est de
«
radicaliser les esprits, éclairer par la parole et par l'action en s'efforçant, pour cette raison, d'opposer avec la plus grande vigueur les principes nouveaux aux idées anciennes» (46).
L'argument est d'une extrême «simplicité». Pour mieux «éclairer» les ouvriers, il faudrait réunir ceux qui ont déjà «commencé à comprendre» (leur nombre augmente en période révolutionnaire et diminue en période de contre-révolution) hors des syndicats. Ainsi leur lutte, plus libre sans la «bureaucratie», permettrait au «parti»-secte de leur fournir cette conscience socialiste et de donner l'exemple aux ouvriers embrigadés par l'opportunisme en leur montrant «comment il faut faire». Les conditions matérielles aidant, la révolution-processus serait déclenchée. Voilà pourquoi les «communistes» style K.A.P.D. ne peuvent s'intéresser aux luttes immédiates de la classe que quand ces luttes sont directement branchées sur un processus révolutionnaire; dans le cas contraire, «les masses ne pourraient pas être réceptives au socialisme». Voilà pourquoi les organisations de la révolution doivent être «pures» (les Unions demandaient à leurs adhérents de reconnaître la nécessité de la dictature du prolétariat...) et ne «s'intéresser» à la lutte des masses que dans la mesure où les masses «s'intéressent» à la révolution!
(47)

Loin de nous l'idée de nier la cohérence de la tactique de la «gauche» allemande avec ses principes et son programme. De principes idéalistes, on ne peut pas tirer une tactique communiste. Cette cohérence idéaliste confirme une fois de plus la position marxiste qu'il n'existe pas de problème tactique en soi; la tactique n'est jamais un ensemble de «recettes». La gauche marxiste a toujours soutenu que la tactique communiste doit être conforme à la doctrine et au programme communistes en ce sens que la tactique, étant le mode d'intervention du parti dans la lutte des classes, doit s'accorder avec la vision matérialiste des forces qui y participent et avec les objectifs poursuivis.

C'est dans le domaine des organisations intermédiaires de la classe que cette cohérence est particulièrement saillante. Selon la conception marxiste, la conscience des entraves à la satisfaction des besoins matériels suit l'action pour satisfaire ceux-ci. Il s'en suit que la lutte pour des objectifs contingents est une des conditions, un des préalables pour que le parti communiste puisse opposer valablement et sur une vaste échelle sa propre propagande, son prosélytisme et son action à ceux des autres courants politiques au sein du mouvement ouvrier, ce qui fait naître autour de lui
«
un réseau plus vaste d'organisations (de parti) relié à la fois aux couches les plus profondes des masses et au centre directeur du parti lui-même. C'est de cette façon qu'on prépare une discipline unitaire de la classe ouvrière» (48).

D'autre part, la révolution présuppose la mise en mouvement de masses gigantesques dont les besoins matériels ne sauraient être satisfaits sans le renversement de tout l'ordre bourgeois. Le rôle du parti est de canaliser les forces qui combattent pour des objectifs partiels, contingents, afin de constituer une avalanche qui puisse emporter tous les obstacles qui s'opposent à la naissance de la nouvelle société. C'est en remplissant cette tâche que le parti se développe et développe son influence sur les masses. Ceci l'oblige à prêter la plus grande attention aux formes de lutte et aux formes d'organisation que cette lutte doit nécessairement susciter (49). Le parti communiste n'invente ni les unes ni les autres,
«
il se borne à généraliser, organiser, rendre conscientes les formes de lutte des classes révolutionnaires qui surgissent spontanément dans le cours même du combat»,
à centraliser ces combats et ses expressions organisées.

C'est sur cette base que l'I.C. et la gauche italienne se sont trouvées en parfaite identité de vues en 1920 dans la question de l'attitude à prendre face aux organisations des masses contrôlées par les réformistes. Dans la mesure où ces organisations restent ouvertes aux masses ouvrières - et sont donc susceptibles de devenir l'expression organisée de leur combat - le parti ne renonce pas à travailler en leur sein. Quand la scission se justifie, c'est aussi pour des raisons qui découlent de la doctrine matérialiste: quand les grandes masses sont exclues des syndicats alors que la classe marque une tendance générale à l'organisation.

Il s'agit là d'une position de principe qui touche l'ensemble des organisations intermédiaires de la classe, et pas seulement les syndicats. Par ailleurs, le marxisme ne théorise jamais une forme d'organisation comme étant «la forme révolutionnaire» qui servira, par nature, à l'insurrection et à la conquête du pouvoir. En 1871 ce fut la Commune; en 1917, ce furent les Soviets; en Italie, les Bourses du Travail auraient pu le devenir; d'après Trotsky, en Allemagne en 1923, les comités d'usine auraient pu être la courroie de transmission de la révolution.

Les leçons de la contre-révolution
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La critique de la gauche marxiste italienne envers la tactique suivie à partir de 1922 (front unique politique, gouvernement ouvrier, gouvernement ouvrier et paysan) répond - dans la mesure où le problème se plaçait sur le terrain tactique - aux mêmes préoccupations qui l'avaient conduite à définir les conditions de la préparation subjective de la révolution.

Les idéalistes «révolutionnaires» se demanderont où finit la question tactique et où commence la question de doctrine. Pour sa part, le marxisme affirme que le parti n'a pas de «libre arbitre» dans le choix tactique, et que ce choix est déterminé par les buts inscrits dans son programme et par le rapport des forces de classe au sein de la société où le parti doit agir.

Les adeptes de la «gauche» allemande - pour qui la base de l'existence du parti est un fait de conscience - crieront victoire. D'après eux, si l'I.C. s'est trompée dans le choix des moyens tactiques, ce serait le résultat d'une doctrine fausse. Misère du culturalisme!

Pour le matérialisme scientifique, le maintien de la cohérence entre théorie et action, entre doctrine et tactique, dépend des conditions historiques et matérielles dans lesquelles se forge l'organe-parti. Dans l'I.C., il ne s'est pas dégagé de direction unitaire dans la mesure même où elle s'est constituée sur la base de courants qui se sont sauvés grosso modo de la banqueroute de la IIme Internationale et qui se sont fondus à la chaleur de la victoire de la Révolution d'Octobre, mais sans avoir une tradition historique unitaire. Il s'agit là d'un fait matériel, historique pour tout dire. L'I.C. aurait dû devenir le parti mondial; l'histoire ne l'a pas permis. Nous avons à en tirer les leçons en matérialistes pour savoir où on a commis des erreurs qui ont rendu possible ou favorisé la dégénérescence du parti de façon que - à la lumière des grandes victoires et des grandes défaites - la prochaine cristallisation de forces révolutionnaires permette la reconstitution d'un parti mondial capable d'éviter les mille et un pièges que la société bourgeoise tend au prolétariat communiste. Il s'agit de forger l'organe qui dans ses réflexes conditionnés par toute l'histoire passée de la lutte de classe, dans sa praxis et dans sa direction, soit capable de remplir sa tâche historique.

La critique développée par la gauche italienne a été cruellement confirmée par les événements d'Allemagne en 1923 où le parti communiste se discrédita comme parti révolutionnaire et par ceux d'Italie en 1924, après l'assassinat de Matteoti, où, tombé dans les mains du centrisme, il fut incapable de se porter résolument sur le terrain de la lutte de classe.

En 1926, avec les «Thèses de Lyon», la gauche ne fera que confirmer par la dure réalité de sept ans d'expérience internationale les positions qui ont été à la base de la constitution du Parti Communiste, section italienne de l'I.C.; et elle le fera au nom des bases constitutives de l'Internationale elle-même, transmettant ainsi au futur mouvement communiste les leçons dégagées de presque cent ans d'histoire.

La «gauche» allemande n'a fait, pour sa part, que tirer de la contre-révolution la confirmation de ses positions tant de principe que tactiques qu'elle défend en tant que courant distinct - dès la première décennie du siècle:
«
Ceux-là donc qui songent à un «Parti révolutionnaire» ne tirent qu'à moitié les leçons du passé. N'ignorant pas que les partis ouvriers, le P.S. et le P.C. sont devenus des organes de domination, servant à perpétuer l'exploitation, ils en concluent seulement: «Il n'y a qu'à faire mieux!». C'est fermer les yeux sur le fait que l'échec des divers partis est dû à une cause beaucoup plus générale encore, à savoir: la contradiction fondamentale existant entre l'émancipation de la classe, dans son ensemble et par ses propres forces, et la réduction à néant de l'activité des masses par un nouveau pouvoir pro-ouvrier (...). Toute soi-disant avant-garde cherchant, conformément à son programme, à diriger et à régenter les masses au moyen d'un «Parti révolutionnaire», se révèle un facteur réactionnaire, en raison même de cette conception» (50).

Bref, «vive Bakounine, à bas le marxisme!», «vive la révolution, à bas la constitution de la classe en parti», «vive les soviets... sans les bolcheviks!».

Avec la victoire de la contre-révolution actuelle, le cannibalisme qui accompagne toute contre-révolution s'est élevé à des hauteurs inconnues tant en ce qui concerne l'oppression du prolétariat que l'offensive générale contre la doctrine communiste. Et parmi ses flancs-gardes les plus écœurants se trouvent tous ceux qui - au nom du prolétariat et de la révolution socialiste - modulent leur plainte sur la même longueur d'onde démocratique que la bourgeoisie, la social-démocratie et les staliniens partisans de la «coexistence pacifique», pour dénoncer les principes mêmes du bolchevisme (le marxisme tout court!) et de l'I.C. comme la matrice de la contre-révolution stalinienne.

Nous n'avons rien à ajouter aujourd'hui à ce que notre courant avait déjà soutenu non seulement pendant les glorieuses années du premier après-guerre, mais tout de suite après sa naissance, en 1847. Notre appréciation des courants idéalistes «révolutionnaires» ne dépend pas de la période historique, mais de leur nature même. «Le Manifeste» les avait déjà déclarés dépassés par l'histoire. Aujourd'hui, leur existence est bien un indice de la profondeur de la contre-révolution dans laquelle ils puisent leur raison d'être, et les paroles cinglantes du «Manifeste» gardent toute leur valeur:

«L'importance du «socialisme des sectes» est fonction inverse du développement historique. A mesure que la lutte des classes s'accentue et prend forme, cette façon de s'élever au dessus d'elle par l'imagination, cette opposition imaginaire qu'on lui fait, perdent toute valeur pratique, toute justification théorique. (...) Ils cherchent donc, et en cela ils sont logiques, à émousser la lutte des classes et à concilier les antagonismes. Ils continuent à rêver la réalisation expérimentale de leurs utopies sociales. (...) Petit à petit, ils tombent dans la catégorie des socialistes réactionnaires ou conservateurs (...) et ne s'en distinguent plus que par un pédantisme plus systématique et une foi superstitieuse et fanatique dans l'efficacité miraculeuse de leur science sociale.

Ils s'opposent donc avec acharnement à toute action politique de la classe ouvrière, une pareille action ne pouvant provenir, à leur avis, que d'un manque de foi aveugle dans le nouvel évangile» (51).

L'histoire a déjà secrété les courants, les forces historiques divergentes qui, dans les périodes de contre-révolution, préparent les armes doctrinales qui devront guider le mouvement social de demain.

D'une part, les social-démocrates (de Louis Blanc au stalinisme, en passant par Kautsky et les centristes) qui veulent marier la démocratie parlementaire et la constitution du prolétariat en classe dominante, le peuple et la classe ouvrière, les réformes et le socialisme et qui se regroupent tous sous l'étendard toujours renouvelé et contre-révolutionnaire du «passage pacifique au socialisme».

D'autre part, l'anarchisme, qui prétend guider l'émancipation du prolétariat et détruire le capitalisme, tout en reniant les armes essentielles de la lutte révolutionnaire - Parti et État, terreur centralisée et dictature - embrassant du même coup la vision démocratique et gradualiste de la révolution, de l'exercice du pouvoir et des transformations sociales et qui, de Proudhon à Bakounine, des syndicalistes révolutionnaires à la «gauche» allemande (et ses multiples épigones) lancent les mêmes mots d'ordre trompeurs de «liberté», «autonomie», «souveraineté».

Après chaque vague contre-révolutionnaire, le parti marxiste a dû se reforger en combattant ces deux déviations pathologiques du mouvement ouvrier, qui prétendent toujours sortir victorieuses de chaque défaite de la révolution. De Marx à Lénine, de la Ire à la IIIme Internationale, le combat a toujours été le même pour défendre le parti de classe contre les tentatives des «innovateurs» et des «critiques», en les débarrassant de toutes les déformations démocratiques ou libertaires.

Au cours de la dernière vague contre-révolutionnaire, il a appartenu à la gauche italienne de revendiquer l'invariance historique du marxisme. Confirmant toutes ses armes théoriques et doctrinales, elle a démontré que rien n'est à revoir dans le bagage marxiste et que les erreurs qui ont été à la base de la dégénérescence de la IIIme Internationale ne se relient pas au marxisme, mais aux doctrines des classes ennemies.

On ne crée pas de doctrines à volonté; elles surgissent lors des grands affrontements des forces de classe dont la société bourgeoise est grosse et qui l'ont secouée à quatre reprises: 1848, 1871, 1905 et 1917. Les nouvelles forces qui se portent sur le terrain de la lutte politique ne peuvent que s'intégrer à l'une de ces traditions irréconciliables, qui aujourd'hui s'affrontent en théorie, avec les armes de la critique, et qui demain s'affronteront sur le terrain social avec la critique des armes, selon la loi écrite en lettres de feu par le déterminisme matérialiste, par l'histoire des classes sociales et des révolutions.

Notes:
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  1. Toutes les citations de Pannekoek sont extraites - sauf exception expresse - de «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. Nous donnerons la date de l'article cité et la page concernée: 1920, page 163. [back]
  2. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1912, page 109. [back]
  3. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1920, page 169. [back]
  4. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1920, page 215. [back]
  5. «Lénine philosophe», page 109, Editions Spartacus. [back]
  6. «La conception matérialiste de l'histoire», dans «Œuvres philosophiques», vol. 2, page 233. [back]
  7. Marx: «L'Idéologie allemande» («Deutsche Ideologie»), page 75, Editions Sociales. [back]
  8. «Le Chemin du pouvoir», page 99, Editions Anthropos.
    La naissance du mouvement communiste et sa longue et plus que centenaire lutte contre la dégénérescence social-démocrate et libertaire, est indissolublement liée à la lutte contre le culturalisme comme il serait aisé de le démontrer avec les exemples de Marx et Engels contre les néo-hégeliens de gauche et contre l'anarchisme ou encore celui de Lénine contre l'économisme.
    Et la gauche marxiste italienne s'affirme historiquement en livrant, à partir de 1912, une de ses grandes batailles contre le culturalisme tant «prolétarien» que bourgeois qu'elle reprendra en 1922 dans «Le principe démocratique» et, plus de vingt ans plus tard - après que la contre-révolution eut traîné le mouvement ouvrier dans le bourbier de la démocratie parlementaire - dans «Force, violence, dictature dans la lutte de classe». Elle affirmera que
    «
    Le développement intellectuel de l'ouvrier est la conséquence directe de sa condition économique. C'est pourquoi le socialisme s'intéresse à l'émancipation intellectuelle de l'ouvrier parallèlement à son émancipation économique, mais en considérant toujours que la première est une conséquence de la seconde (...).
    (Le réformisme et la démocratie) voient dans la culture ouvrière non pas la conséquence parallèle de l'émancipation économique, mais le moyen principal et la «condition nécessaire» de cette émancipation.
    Qu'une telle conception soit réactionnaire et antimarxiste, il ne faut pas de longs discours pour le démontrer. Si nous croyons que l'idéologie d'une classe est la conséquence de la place qui lui est assignée par le système de production à une époque historique donnée, nous ne pouvons pas «attendre» que la classe ouvrière soit «éduquée» pour croire que la révolution est possible, car nous admettrions du même coup que la révolution ne viendra jamais.
    Cette prétendue éducation culturelle du prolétariat n'est pas réalisable dans le cadre de la société actuelle
    ». («Il problema della cultura» (1913), dans «Storia della Sinistra», vol. 1).
    Et c'est toujours contre ces mensonges de l'éducationisme - aussi «révolutionnaire» qu'il soit en paroles - que la gauche reprendra cette position cardinale du matérialisme marxiste
    «
    Bref, et pour aller vite, la loi du déterminisme économique dit qu'à une époque donnée, la pensée politique, philosophique et religieuse la plus accréditée et la plus suivie est celle qui correspond aux intérêts de la minorité dominante qui détient le privilège et le pouvoir (...).
    Du fait de la force d'inertie, du fait des formidables moyens dont toute classe dominante dispose pour fabriquer les opinions, la masse ne changera d'idéologie, de philosophie, de religion que longtemps après la chute de l'ancien système de domination
    .» («Force, violence, dictature dans la lutte de classes», 1946). [back]
  9. Il n'est pas déplacé de répéter ici les coups portés par Marx contre ces «révolutionnaires»:
    «
    Il faut remarquer en outre que toutes sortes d'illusions antérieures de notre bonhomme ont contribué à la genèse de la «révolte» selon Sancho (lisez: selon le théoricien du KAPD). Ainsi, entre autres choses, il croit que les individus qui font une révolution sont unis par un lien idéologique, que leur «levée de boucliers» se réduit à hisser sur le pavois un nouveau concept, idée fixe, fantôme, spectre - le sacré». («L'idéologie allemande», page 418). [back]
  10. «Force, violence et dictature dans la lutte des classes», (1946). [back]
  11. «Force, violence et dictature dans la lutte des classes», (1946). [back]
  12. «Parti et classe» (1921). [back]
  13. Marx, dans son discours pour le 7 me anniversaire de la I re Internationale en 1871 affirmait nettement et de façon aussi brève que tranchante:
    «
    Le rôle de l'Internationale est d'organiser et de concentrer les forces prolétariennes pour le combat qui les attend». [back]
  14. «Thèses caractéristiques» (1951). [back]
  15. «Storia della Sinistra», vol. 1, page 188, 1912. [back]
  16. «Storia della Sinistra», vol. 1, page 188, 1912. [back]

    (16') L'erreur volontariste constitue la déviation démocratique complémentaire du culturalisme. Il a attribué la volonté révolutionnaire aux individus, soit à ceux de la masse (déviation ouvriériste), soit à ceux du parti (blanquisme ou encore la déviation de l'I.C. avec la bolchévisation). Le volontarisme ne comprend pas que la volonté révolutionnaire de la classe s'exprime dans la volonté d'un organe historique et social, le parti de classe, et dont la volonté collective ne peut pas être réduite à l'addition des volontés des militants tout comme la volonté d'un individu n'est pas celle de ses muscles et de ses membres mais celle de l'unité organique.
    Marx nous fournit un passage remarquable démolissant l'attribution d'un rôle quelconque dans l'histoire à l'addition des volontés individuelles:
    «
    A propos de l'Internationale, le grand succès qui a couronné jusqu'alors ses efforts, est dû à des circonstances qui dépassent le pouvoir de ses membres eux-mêmes. La fondation de l'Internationale elle-même a été le résultat de telles circonstances et n'est pas due aux efforts des hommes qui se sont attachés à cette oeuvre. Ce n'est donc pas le fruit d'une poignée de politiciens habiles: tous les politiciens du monde réunis n'auraient pu créer les conditions et les circonstances qui furent nécessaires pour assurer le succès de l'Internationale.» («Discours pour le VIIme anniversaire de l'A.I.T.», dans «La Commune de 1871», Editions 10/18). [back]
  17. Cette vision matérialiste de la lutte des classes est énoncée lumineusement par Engels quand il affirme à l'adresse de Heinzen:
    «
    Le communisme n'est pas une doctrine mais un mouvement, il ne part pas de principes mais de faits.» La doctrine - le marxisme - «est l'expression théorique des conditions de libération du prolétariat» elle est la conscience critique du parti, ce qui permet d'affirmer avec Marx et Lénine que «le marxisme n'est pas un dogme (à révéler aux masses) mais un guide pour l'action». [back]
  18. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1920, page 169. [back]
  19. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1954, page 266.
    En ce qui concerne l'activité théorique de cette école, elle ne voit dans le marxisme qu'une «méthode de recherche» dont les résultats sont en élaboration continuelle.
    Ce n'est pas le premier courant qui aura voulu singer une certaine «méthode» marxiste tout en faisant fi de l'unité matérielle et matérialiste qui dans le marxisme lie la méthode, la doctrine et l'action. Bakounine affirmait déjà que
    «
    Marx comme penseur est dans la bonne voie D'un autre côté, Proudhon avait compris et senti la liberté beaucoup mieux que lui. (… Il) avait le vrai instinct révolutionnaire» («La liberté», pages 141-142).
    En d'autres termes, Marx représentait «l'arme de la critique», tandis que l'anarchisme représentait «la critique par les armes»...
    [back]
  20. Les termes de la polémique entre le marxisme et l'idéalisme «révolutionnaire» sont restés inchangés depuis plus d'un siècle. Ecoutons d'abord Bakounine:
    «
    (Les communistes et les anarchistes) sont également partisans de la science qui devra détruire la superstition et remplacer la foi; mais les premiers veulent imposer (sic!) la science au peuple, alors que les (anarchistes) essaient de répandre la science et la connaissance parmi le peuple, en sorte que les différents groupes de la société humaine, après avoir été convaincus par la propagande, soient à même d'organiser et de former spontanément des fédérations, conformément à leurs tendances naturelles et à leurs intérêts réels, mais jamais selon un plan tracé d'avance et imposé aux masses ignorantes par quelques esprits «supérieurs».» (Bakounine, «Choix de textes», Ed. Seghers, page 171).
    Et voici comment Marx ridiculisait ce plan culturaliste des anarchistes:
    «
    Pour faire de la classe ouvrière la véritable représentante des intérêts nouveaux de l'humanité, il faut que leur organisation soit guidée par l'idée qui doit triompher. Dégager cette idée des besoins de notre époque, des tendances intimes de l'humanité par une étude suivie des phénomènes de la vie sociale, faire ensuite pénétrer cette idée au sein de nos organisations ouvrières, tel doit être le but, etc. Enfin, il faut former, au sein de nos populations ouvrières, une véritable école socialiste révolutionnaire.
    Ainsi, les sections autonomes d'ouvriers se convertissent tout d'un coup en écoles, dont ces messieurs de l'Alliance seront les maîtres. Ils dégagent l'idée par des «études suivies» (...). Ils la «font ensuite pénétrer au sein de nos organisations ouvrières». Pour eux, la classe ouvrière est une matière brute, un chaos, qui, pour prendre forme, a besoin du souffle de leur Esprit Saint.
    » («Les prétendues scissions dans l'internationale», Circulaire de l'A.I.T. du 5 mars 1872). [back]
  21. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1912, page 111. [back]
  22. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1938, page 272. Laissons la parole à cet autre maître de l'idéalisme «révolutionnaire», Bakounine:
    «
    Puisque toutes les institutions et toutes les autorités politiques n'ont été créées, en définitive, qu'en vue de protéger et de garantir les privilèges économiques des classes possédantes et exploitantes contre les révoltes du prolétariat, il est clair que la révolution sociale devra détruire ces institutions et ces autorités non avant, ni après, mais en même temps qu'elle portera sa main audacieuse sur les fondements économiques de la servitude du peuple (...)». («La Liberté», J.J Pauvert, 1965, page 223). [back]
  23. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1946, page 298. [back]
  24. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1952, page 290. [back]
  25. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1938, page 273. [back]
  26. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1948, pages 254-255. [back]
  27. Sans revendiquer aucun droit d'auteur, nous pourrions même devancer l'évolution inéluctable de cette école et affirmer que rien ne peut la contraindre à soutenir que les organisations de masse devront être des organisations d'usine. Au contraire, si elle mettait à jour ses postulats, elle devrait affirmer qu'avec l'évolution du capitalisme - qui socialise de plus en plus toutes les activités humaines - les organisations qui devront matérialiser le principe du conseillisme devront se situer hors des usines. [back]
  28. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1919, page 154. [back]
  29. «Comment fera-t-il (le parti révolutionnaire) pour vaincre la classe capitaliste? La réponse va de soi: parce qu'il y aura eu soulèvement des masses; seules en effet des attaques en masse, des luttes et des grèves de masse permettent de renverser la vieille domination. Ainsi, le «parti révolutionnaire» n'arrivera jamais à rien sans l'intervention des masses. Dès lors, de deux choses l'une. Ou bien les masses persistent dans l'action. (...) Dès ce moment, un conflit surgit de façon inéluctable entre les masses et le nouveau parti désireux d'être le seul à détenir le pouvoir. (...) Il se peut alors que le mouvement de classe ait acquis une puissance qui lui permette de passer outre le parti. Mais il se peut aussi que le parti, allié à des éléments bourgeois, écrase les travailleurs. Quoi qu'il en soit, dans un cas comme dans l'autre, le parti s'est révélé un obstacle à la révolution. Parce qu'il se veut autre chose qu'un organe de propagande et de clarification. Parce qu'il s'assigne pour mission spécifique de diriger et de gouverner. (...) Ou bien les masses ouvrières se conforment à la doctrine du parti et lui abandonnent la direction du cours des choses. (...) Et de la sorte le parti, privé de la puissance de masse, propre a une classe révolutionnaire, se transforme en agent de conservation du pouvoir bourgeois.» 1936, page 264.
    Ainsi, ce courant présente comme «marxisme dernier modèle» les vieilles âneries d'un Bakounine:
    «
    Prétendre qu'un groupe d'individus seront capables de devenir la pensée, l'âme, la volonté dirigeante et unificatrice du mouvement révolutionnaire et de l'organisation économique du prolétariat de tous les pays, c'est une telle hérésie contre le sens commun et contre l'expérience historique, qu'on se demande avec étonnement comment un homme aussi intelligent que M. Marx a pu la concevoir (...) et que dire d'un ami du prolétariat, d'un révolutionnaire qui ose rêver l'assujetissement du prolétariat de tous les pays à une pensée unique et je me demande comment (Marx) fait pour ne point voir que l'établissement d'une dictature (...) qui ferait en quelque sorte la besogne d'un ingénieur en chef de la révolution mondiale (...) suffirait à lui seul pour tuer la révolution, pour paralyser et fausser tous les mouvements populaires?» («La liberté», pages 212-214). [back]
  30. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1936, page 265. [back]
  31. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1927, pages 230-231. [back]
  32. «Affirmer l'affinité entre socialistes et idées démocratiques, les faire passer pour deux branches issues du même tronc et qui tendent à se rejoindre, à croître parallèlement, est (...) un sabotage déplorable de la doctrine socialiste. (...) S'il y a une négation totale de la théorie et de l'action démocratiques, c'est bien le socialisme.» («Democrazia e Socialisme», 1914, dans «Storia della Sinistra», vol. 1). [back]
  33. La gauche marxiste italienne a fait sienne cette analyse: «L'opportunisme est un fait social, un compromis entre les classes qui s'étend en profondeur, et ce serait folie de l'ignorer». («Les fondements du communisme révolutionnaire»). [back]
  34. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1920, page 169. [back]
  35. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1920, page 178. Les féroces sarcasmes de Marx contre les objectifs «révolutionnaires» n'ont rien perdu (hélas!) de leur actualité:
    «
    Jusqu'à présent, les hommes se sont toujours fait des idées fausses sur eux-mêmes, sur ce qu'ils sont ou devraient être.(…) Ces fruits de leur cerveau ont grandi jusqu'à les dominer de toute leur hauteur. (…)Libérons-les donc des chimères, des idées, des dogmes, des êtres imaginaires sous le joug desquels ils s'étiolent. Révoltons-nous contre la domination de ces idées. Apprenons aux hommes à échanger ces illusions contre des pensées correspondant à l'essence de l'homme, dit l'un, à avoir envers elles une attitude critique, dit l'autre, à se les sortir du crâne, dit le troisième, et la réalité actuelle s'effondrera.
    Ces rêves innocents et puérils forment le noyau de la philosophie actuelle des Jeunes-Hégéliens (et nous pourrions dire aujourd'hui de tous les disciples de la «gauche» allemande [lisez: de la situation contre-révolutionnaire d'aujourd'hui!, N.D.R.]) qui, en Allemagne, n'est pas seulement accueillie par le public avec à un respect mêlé d'effroi, mais est présentée par les héros philosophiques eux-mêmes avec la conviction solennelle que ces idées d'une virulence criminelle constituent pour le monde un danger révolutionnaire. Le premier tome de cet ouvrage se propose de démasquer ces moutons qui se prennent et qu'on prend pour des loups (...) et que les fanfaronnades de ces commentateurs philosophiques ne font que refléter la dérisoire pauvreté de la réalité allemande
    .» («L'idéologie allemande» [«Deutsche Ideologie»], page 33, Editions Sociales). [back]
  36. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1920, page 171. [back]
  37. Ainsi, on renverse complètement la question à la façon idéaliste. En réalité, la puissance incontestée de la bourgeoisie, de ses États et de ses partis sur la société, et la domination politique du stalinisme ou des mouvements bourgeois sur les masses ouvrières ne sont que la conséquence de la contre-révolution, c'est-à-dire de la défaite matérielle du mouvement révolutionnaire (qui a eu - entre autres - comme résultat la dégénérescence de l'organe révolutionnaire, l'I.C., qui a pris la forme du stalinisme). Si nous ne sommes pas encore sortis de cette période noire, ce n'est pas dû à une «domination idéologique», mais à des déterminations matérielles. [back]
  38. Nous laisserons de côté la position de ce courant par rapport à la question nationale et coloniale. Ses disciples se rangent tous sur le front de l'indifférentisme, c'est-à-dire de la position qui affirme que cette sorte de luttes ne concerne pas le prolétariat révolutionnaire, ce qui est en parfaite cohérence avec leur idéalisme doctrinal et avec la conception sectaire du «parti» qui en découle.
    Il en a toujours été ainsi pour tout courant idéaliste «révolutionnaire» - (cf. le proudhonisme et l'anarchisme dans la Ire Internationale). Le mouvement communiste - de par la vision matérialiste des conditions historiques dans lesquelles se déroule la lutte de classes ainsi que de la nature et du rôle du parti - a toujours dû se reforger en combattant les déviations frontiste et indifférentiste.
    [back]
  39. «Projet de Thèses présenté au IVme Congrès de l'I.C.» [back]
  40. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1920, page 177. [back]
  41. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1920, page 180. [back]
  42. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1920, page 180. [back]
  43. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1938, page 274. [back]
  44. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1938, page 273. [back]
  45. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1938, pages 270-271. [back]
  46. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1920, page 161. [back]
  47. Le passage suivant constitue un autre véritable morceau «choisi» d'anthologie «gauche» allemande:
    «
    Le but de l'A.A.U (Union générale des travailleurs), c'est que dans les phases révolutionnaires tous les syndiqués des diverses centrales aillent dans son sens. (...) Et la propagande claire pour cette idée ne pourrait qu'échouer si l'A.A.U. se posait en concurrente des autres confédérations, au lieu d'agir en vecteur d'une tactique qui transcende leurs buts à toutes.
    (...) Il a été dit parfois que l'A.A.U. était la vectrice d'un principe d'organisation, l'organisation d'usine, supérieure aux syndicats de métiers.
    »
    Mais il ne s'agit pas pour autant d'un instrument pour ranimer une combativité de type syndicale:
    «Se donner cet objectif, serait se transformer en organisation vouée nécessairement à revenir (...) dans la voie réformiste. (...) Si, contre le gré des syndicats, les ouvriers entrent en lutte contre les patrons, l'A.A.U. doit les soutenir de ses avis, de ses explications, mettre à leur disposition des moyens d'agitation, mais sans jamais adopter cependant le point de vue de celui qui cherche à battre ses concurrents, à ravir des adhérents aux syndicats. Et donc aussi sans adopter le point de vue d'une organisation nouvelle qui se place à la tête des ouvriers, mais en cherchant tout au contraire à faire valoir les principes nouveaux». 1927, pages 235-236. [back]
  48. («Projet de Thèse présenté par la Gauche au IVme Congrès de l'I. C.», dans «In difesa della continuità del programma comunista»). [back]
  49. «Premièrement, le marxisme diffère de toutes les formes primitives au socialisme en ce qu'il ne rattache pas le mouvement à quelque forme de lutte unique et déterminée. Il admet les formes de lutte les plus variées, et il ne les «invente» pas: il se borne à généraliser, organiser, rendre conscientes les formes de lutte des classes révolutionnaires, qui surgissent spontanément dans le cours même du mouvement. (...) Le marxisme exige que l'on considère attentivement la lutte de masse en cours, qui (...) engendre sans cesse de nouveaux procédés, de plus en plus variés, de défense et d'attaque. (...) En aucun cas, il n'entend se limiter aux formes de lutte possibles et existantes dans un moment donné: il reconnaît qu'un changement de la conjoncture sociale entraînera inévitablement l'apparition de nouvelles formes de lutte. (...) Le marxisme, sous ce rapport, s'instruit, si l'on peut dire, à l'école pratique des masses; il est loin de prétendre enseigner aux masses des formes de lutte que les «faiseurs de systèmes» imaginent au fond de leur cabinet de travail....
    En second lieu, le marxisme exige absolument que la question des formes de lutte soit envisagée sous son aspect historique. Aux différents moments de l'évolution économique, en fonction des différentes conditions politiques, nationales, culturelles, d'existence, etc., des formes de lutte se placent au premier plan pour devenir les principales; par suite, les formes de lutte secondaires, accessoires se modifient à leur tour. Essayer de résoudre par oui ou par non à propos d'un moyen déterminé de lutte, sans examiner en détail les circonstances concrètes du développement qu'il a atteint, ce serait quitter complètement le terrain marxiste
    ». (Lénine, «La Guerre des Partisans»). [back]
  50. «Pannekoek et les conseils ouvriers», EDI, Paris, 1969. 1936, page 265. [back]
  51. Dans cet article déjà assez long, nous ne pouvons pas traiter d'une autre question à propos de laquelle on a prétendu qu'il existait une «analogie» entre les positions de la gauche italienne et celle de la «gauche» allemande. La gauche marxiste affirme le caractère double de la révolution russe (révolution antiféodale dirigée par le prolétariat) et la nature capitaliste de la société et de l'État russes actuels. La «gauche» allemande l'affirme «aussi». Ce sera l'objet d'un prochain travail de parti que de mettre en évidence le profond abîme doctrinal qui sépare leur analyse respective de la question russe. [back]

Source: «Programme Communiste», numéro 56, juillet-septembre 1972

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