BIGC - Bibliothèque Internationale de la Gauche Communiste
[home] [content] [end] [search] [print]


LE PARTI COMMUNISTE ALLEMAND


Content :

Le parti communiste allemand[1]
Notes
Source


Le parti communiste allemand

« Ce qu’est et ce que veut la Ligue Spartacus », publié le 15 décembre 1918 dans « Die Rote Fahne », avant la sortie du Parti Socialiste Indépendant d’Allemagne.
« Programme de la Centrale du Parti » approuvé à la Conférence d’octobre 1919.
« Thèses sur le parlementarisme » de la même conférence.

Dans tous les pays, les communistes ne peuvent que s’intéresser au plus haut point à tout ce qui concerne le Parti communiste d’Allemagne. Le sort de la révolution mondiale dépend étroitement du sort de la lutte révolutionnaire que ce grand parti mène au cœur de l’Europe et du monde capitaliste après le martyre de ses glorieux fondateurs, Liebknecht et Luxembourg. Le socialisme est une pensée et un fait internationaux, mais la contribution que le mouvement allemand lui a donnée et lui donne dans le domaine de la doctrine et dans celui de la lutte n’en est pas moins un facteur de première importance. Cela ne signifie pas que, comme on l’entend parfois dire sottement, il existe un socialisme « allemand » qui devrait être imposé aux autres pays comme article d’exportation. Cela signifie qu’à travers toutes les crises que le prolétariat allemand a traversées au cours des cent dernières années, la pensée et la méthode révolutionnaire de Karl Marx ont été continuées par des héritiers dignes de lui. Surtout par contraste avec les défections des renégats, elles se présentent comme une merveilleuse construction aux lignes sévères et harmonieuses que l’histoire ne peut pas ne pas couronner par le triomphe de la lutte émancipatrice du prolétariat et de la société communiste.

Il est donc pour nous de grande importance de comprendre la situation actuelle du KPD (Kommunistische Partei Deutschlands). Il nous est presque impossible de nous tenir au courant de sa lutte quotidienne et des phases de la bataille révolutionnaire qu’il mène et même de répondre à l’angoissante question de savoir s’il a ou non lancé le mot d’ordre d’une action générale. Mais cela ne doit pas nous empêcher d’étudier une chose qui n’est pas moins importante pour nous, à savoir l’orientation des tendances qui se sont formées en son sein, et ce que cela apporte à une élaboration toujours meilleure du programme et de la tactique communistes. Et comme nous ne l’étudions pas avec la froideur d’historiens, il ne nous sera pas possible de faire abstraction de la façon dont les mêmes problèmes ont été résolus en Italie, tant par nous que par d’autres.

• • •

Il est généralement connu qu’à la conférence du parti en décembre 1919, les partisans et les adversaires de l’action parlementaire se sont vivement affrontés et que ces derniers ont non seulement été battus, mais exclus du parti. C’est trop peu pour pouvoir juger, et ce qui nous intéresse, au contraire, c’est de connaître exactement la pensée des deux fractions, ainsi que la nature et le nombre des points sur lesquels elles divergeaient.

Pendant la période révolutionnaire, entre le 8 novembre 1918 et le 15 janvier 1919, le parti discuta avec ardeur s’il fallait ou non participer aux élections pour l’Assemblée nationale. C’est la réponse négative qui prévalut contre l’avis de Liebknecht et de Luxembourg : il fallait concentrer toutes les forces dans la lutte pour conquérir le pouvoir politique et instaurer la dictature prolétarienne, tout axer sur le mot d’ordre : tout le pouvoir aux conseils ouvriers ! En cas de victoire des communistes dans la guerre de classe, le premier acte du nouveau pouvoir aurait été de dissoudre l’Assemblée nationale.

Liebknecht et Luxembourg estimaient que la victoire immédiate étant improbable, il ne fallait pas écarter a priori l’« utilisation » de l’action parlementaire, et la majorité du parti est aujourd’hui du même avis.

Après la glorieuse défaite de janvier 1919, une tendance « syndicaliste » commença à se dessiner dans le parti, bien que le syndicalisme de type français, italien ou nord-américain n’ait été que très peu représenté en Allemagne avant la guerre, comme chacun sait. Cette tendance se dressa contre les directives de la Centrale du parti, mais les désaccords étaient bien plus nombreux et complexes que celui qui concernait l’électoralisme.

Nous partageons l’opinion des meilleurs camarades marxistes de la majorité du KPD qui jugent qu’il s’agissait d’une tendance petite-bourgeoise hybride, comme toutes les tendances syndicalistes, dont l’apparition a résulté de la chute de l’énergie révolutionnaire du prolétariat allemand après la semaine rouge de Berlin et les journées de Munich.

Autant qu’il nous est possible de les reconstituer avec le matériel incomplet dont nous disposons, les principales thèses de ces « syndicalistes » étaient les suivantes :
– attribution d’une plus grande importance à la lutte économique qu’à la lutte politique dans le processus d’émancipation du prolétariat;
– réduction de la fonction du parti politique à celle d’une « association de propagande », la tâche révolutionnaire incombant aux syndicats ouvriers nés sur la base des conseils d’usine en opposition aux vieux syndicats dirigés par les réformistes;
– organisation d’actions prolétariennes isolées et sporadiques en vue de saboter la production bourgeoise, de prendre possession localement des entreprises, de procéder à des expropriations, niant le critère de la centralisation et de la direction de l’action collective par le parti sur le terrain politique;
– conception anarchiste petite-bourgeoise de la nouvelle économie, comme résultat de l’administration directe des entreprises par les ouvriers qui y travaillent.

Il en résulte un abstentionnisme électoral de type syndicaliste, c’est-à-dire niant l’utilité de l’action politique du prolétariat et de la lutte du parti que, par partialité et habitude, on confond avec les activités électorales. A notre avis, la condamnation de ces conceptions a été juste et opportune du point de vue marxiste. Leurs adversaires en ont fait une critique sagace dont plusieurs arguments sont bien connus de nos lecteurs puisque nous en avons nous-mêmes largement usé dans la discussion sur les conseils d’usine, la constitution de conseils ouvriers et la prise de possession d’entreprises locales par les travailleurs.

Dans un intéressant pamphlet, « La maladie syndicaliste dans le KPD », le camarade Frölich fait une critique très profonde des aberrations des syndicalistes en réfutant de façon définitive l’idée que la révolution « politique » n’est pas nécessaire. Au fond, sans le savoir, les syndicalistes sont très proches des social-réformistes. Critiquant leurs écrits, Frölich montre qu’ils s’imaginent que la tâche politique du prolétariat s’est achevée le 5 novembre avec l’instauration en Allemagne d’un régime « démocratique » et « républicain » et qu’il n’a plus désormais besoin que d’exproprier les capitalistes au moyen de ses organisations économiques. Le camarade Frölich montre la fausseté de cette thèse et rétablit la juste impostation marxiste de la question : la lutte entre travailleurs et capitalistes n’est pas une lutte entre le personnel et l’entrepreneur dans les limites de l’usine; c’est une lutte de classe, donc une lutte politique, une lutte pour le pouvoir. Pour arriver à l’expropriation des différentes usines, pour arriver au communisme qui est encore quelque chose de plus, à savoir l’expropriation des exploiteurs grâce à la création d’une économie nouvelle, collective, il faut d’abord passer par la lutte politique contre le pouvoir étatique de la bourgeoisie et par la création d’une nouvelle forme politique : la dictature prolétarienne. La révolution politique est donc tout autre qu’inutile ! En Allemagne, le pas décisif reste à faire, celui qui va de la démocratie bourgeoise à la dictature prolétarienne, de la république d’Ebert à l’État des conseils. Cette révolution, seul le parti politique peut la diriger.

Les thèses proposées par la Direction et approuvées par la Conférence de 1919 ont donc un solide fondement marxiste : nous nous limiterons donc à en rappeler les principales affirmations, avec lesquelles nous sommes pleinement d’accord[2] :
– « A tous les stades précédant la conquête du pouvoir par le prolétariat, la révolution est une lutte politique des masses prolétariennes pour le pouvoir politique » (thèse 3);
– « Le parti politique est appelé à diriger la lutte révolutionnaire des masses »(thèse 6);
– « La conception selon laquelle on pourrait provoquer des mouvements de masse au moyen d’une forme d’organisation particulière, si bien que la révolution serait une question de forme d’organisation, doit être repoussée comme une rechute dans l’utopie petite-bourgeoise » (thèse 5);
– « La centralisation la plus rigide est nécessaire tant pour l’organisation économique que pour l’organisation politique du prolétariat. Le Parti Communiste allemand repousse tout fédéralisme » (thèse 6).

Le contexte de ces thèses est très intéressant, et nous attirons l’attention des camarades sur lui.

Il y a un autre point à relever : les syndicalistes accusaient la Centrale de préparer une fusion avec le Parti Socialiste Indépendant après exclusion de ses chefs, ou au moins avec la gauche de ce parti. Mais la Centrale repousse énergiquement l’accusation. D’ailleurs, les événements de ces derniers jours doivent avoir eu une influence décisive en la matière, et nous ne pouvons pas croire que les camarades du KPD qui ont tant d’expérience critique aient pu attribuer une valeur quelconque à la philosophie pseudo-communiste du dernier programme des Indépendants.

La troisième thèse du programme que nous avons examiné ci-dessus dit que la participation aux élections législatives et communales peut être considérée comme un moyen parmi d’autres de préparer le prolétariat à la lutte politique révolutionnaire et à la conquête du pouvoir. Cette idée se trouve mieux développée dans les « thèses » annexes sur le parlementarisme approuvées par la conférence.

Naturellement, du seul fait qu’il est un parti communiste, le KPD est opposé par principe au parlementarisme, aussi bien dans la phase où le prolétariat sera classe dominante que dans la société communiste et donc sans classes; mais il admet que dans la phase précédant la conquête du pouvoir, l’action parlementaire, au sens purement négatif du terme, puisse, dans certains cas, être utile pour pousser les masses à une véritable action révolutionnaire.

Nous devons dire tout de suite que cette conception du parlementarisme ne correspond nullement à la pratique actuelle de notre parti, même si elle peut correspondre au programme théorique voté par son congrès de Bologne. Notre parti fait en effet du parlementarisme positif et réformiste, sur la base de la coexistence, mille fois déplorée par nous, de communistes et de sociaux-démocrates dans le même parti, et par surcroît dans le même groupe parlementaire dont on peut dire que la majorité est social-démocrate.

Par contre, la réalisation pratique d’une tactique comme celle que préconisent les camarades allemands dans les thèses en question, ainsi que Radek dans certains de ses écrits et Zinoviev dans sa récente circulaire, manque de précédents historiques : nous ne savons pas ce qui arrivera même au KPD quand il tentera de l’appliquer. Nous affirmons que cette solution tactique n’existe pas : ou bien on retombera dans le réformisme, ou bien on renoncera à toute action électorale. C’est l’avenir qui tranchera.

Le débat est complexe, il se déroule loin de nous dans l’espace, mais autant qu’il nous est possible d’en juger dans ces conditions, nous croyons que sans faire la moindre concession à l’anti-politisme syndicaliste et aux sophismes anarchistes, mais au contraire en les repoussant avec le maximum d’énergie et en restant sur un terrain strictement marxiste, on peut et on doit, dans une situation comme celle d’aujourd’hui, se prononcer pour la rupture de tous les contacts avec les institutions démocratiques bourgeoises.

Le programme de l’Internationale communiste est fondé sur le marxisme tel qu’il nous apparaît dans la synthèse du « Manifeste communiste » et qu’il se trouve exposé dans le discours de notre grande camarade Rosa Luxembourg au congrès de fondation du KPD les 29–31 décembre 1918. Or, ce qu’il y a de substantiel dans le « Manifeste » est son dépassement critique définitif de la démocratie lorsqu’il démontre qu’elle constitue la forme politique caractéristique de l’époque capitaliste et de la domination économique de la bourgeoisie sur le prolétariat. Le dépassement historique de la démocratie qui a commencé avec la révolution russe d’octobre 1917 et la formation du premier État stable de la classe prolétarienne est directement relié à cette critique théorique.

Le moment décisif de la lutte de classe entre bourgeoisie et prolétariat se résume dans l’antithèse entre dictature prolétarienne et démocratie bourgeoise : les thèses de la majorité communiste, qui résultent de l’expérience historique de la contre-révolution opérée par un social-démocratisme anti-prolétarien et tout baigné du sang de Karl et de Rosa, nous semblent répondre directement à cette vérité centrale. Celle-ci se trouve encore mieux confirmée par l’expérience de la lutte de classe dans les pays occidentaux où les traditions démocratiques sont historiquement les plus anciennes et exercent plus d’influence sur les masses qu’en Europe orientale ou centrale. En outre, chez nous, la guerre impérialiste a démontré de façon encore plus évidente qu’ailleurs que militarisme et démocratie ne sont pas opposés, mais parallèles, et qu’ils ont une base commune, le régime capitaliste.

Dès lors, le problème de la préparation révolutionnaire du prolétariat se présente, justement parce qu’il est un problème politique, comme celui de la formation, au sein du prolétariat, d’une conscience historique de l’antithèse existant entre le nouveau régime révolutionnaire et la démocratie actuelle, dans laquelle les activités politiques des différentes classes sociales s’entrecroisent, ce qui a pour effet de dissimuler et de protéger tout à la fois la dictature du capitalisme. Nous, communistes, nous devons donc nous opposer non seulement aux écoles social-démocratiques qui poussent la classe ouvrière sur la voie de la conquête de la majorité au parlement bourgeois, mais aux écoles anarchisantes qui ne jugent pas nécessaire de conquérir et de gérer le pouvoir politique. C’est précisément dans ce double but, et afin de donner plus de force au mot d’ordre de « conquête révolutionnaire du pouvoir politique », que nous croyons indispensable de déserter les élections aux organes représentatifs bourgeois. Accepter des mandats parlementaires afin de les utiliser pour notre propagande par une activité dans ce domaine est une tactique périlleuse. Théoriquement, elle manque de clarté et se fonde indéniablement sur un paradoxe dialectique. Pratiquement, elle favorise tous les pièges. La dialectique historique du marxisme devrait nous faire comprendre que si la bourgeoisie veut et autorise cette tactique, c’est parce qu’elle sent parfaitement qu’elle ne peut pas lui nuire. La situation politique actuelle en Italie le démontre avec éclat. Nous disons et nous sommes fermement convaincus que les « utilisateurs » seront finalement « utilisés » par la démocratie bourgeoise.

L’Internationale communiste doit se donner une tactique correspondant rigoureusement à sa doctrine. Notre voix représente sans doute peu de chose internationalement, mais nous disons que cette tactique doit être la suivante : condamnation des illusions syndicalistes et affirmation de la nécessité fondamentale de la lutte politique centralisée; abandon de la participation aux élections démocratiques du fait du cours historique vers la conquête révolutionnaire du pouvoir et l’organisation du prolétariat en classe dominante qui s’est ouvert en Russie en octobre 1917 et qui se déroule dans tous les pays.

Avec son expérience de lutte et sa préparation théorique, le Parti communiste d’Allemagne sera un des premiers à contribuer à l’élaboration de cette solution. Puisse-t-il conduire au plus vite le prolétariat allemand à disperser par les baïonnettes de ses gardes rouges l’assemblée où siègent encore les assassins de Spartacus !

Notes :
[prev.] [content] [end]

  1. Paru dans : « Il Soviet », 3° année, N° 11, 11 Avril 1920 [⤒]

  2. Le texte donné par « Il Soviet » était emprunté à la traduction publiée dans l’« Avanti ». Nous l’avons corrigé sur la base du protocole allemand du Congrès de Heidelberg. [⤒]


Source : « Programme Communiste », № 58, avril 1973

[top] [home] [mail] [search]