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APERÇU INTRODUCTIF SUR LA QUESTION AGRAIRE


Content :

Aperçu introductif sur la question agraire
Une formule archi-facile pour les bergers et leurs troupeaux
Lénine et les « manuels »
Économie rurale et histoire
La sortie du féodalisme
Art et nature
Source


Sur le fil du temps

Aperçu introductif sur la question agraire

Le « Filo del Tempo », paru dans le № 14 de cette année, était consacré à une certaine insuffisance de vision affectant même les petits groupes communistes anti-staliniens, qui concerne deux points : la question agraire et la question nationale, et qui atteint son summum quand elle aboutit à la négation de toute importance historique aux mouvements des paysans propriétaires et aux nationalités assujetties.

Le rapport qui a été fait à la réunion de Trieste du 29–30 août 1953 s’est occupé de la question des nationalités, ainsi que de celle des races qui y est étroitement liée. Les auditeurs ayant demandé que son compte rendu détaillé soit publié rapidement, c’est lui qui a pris la place du « Filo del Tempo » dans les numéros 16, 17, 18, 19 et 20… et peut-être un peu plus de place encore !

Il n’est absolument pas garanti que cette très vaste rédaction contienne exactement tout ce qui a été dit à Trieste, pas plus d’ailleurs que tout ce qui a été écrit dans le compte rendu ait été exposé verbalement. Cela n’a aucune importance : il ne s’agissait pas d’un discours historique, et encore moins d’un orateur historique. Ce genre d’orateurs, on en trouve à tous les coins de rue.

Malgré l’imposante masse de mots qui ont été dits et écrits, non seulement le problème n’a pas été, disons, épuisé, mais il n’a pas même été traité jusqu’au bout. L’étude de la question historique des luttes nationales, et de l’attitude – du point de vue doctrinal et politique – des communistes à leur égard, s’est arrêtée à l’aire européenne, dont nous avons cependant fixé la limite géographique non pas à l’Oural mais au Dniepr (en direction du sud, et au lac Onega en direction du nord, grosso modo bien sûr), et la limite historique (pour ce qui concerne le soutien politique aux mouvements indépendantistes) à la période 1789–1871. Reste donc à traiter l’aire asiatique, et plus généralement le problème des races non blanches, afin d’établir qu’une période analogue, qui s’est ouverte à peu près quand la précédente s’achevait, n’est pas encore arrivée à son terme. Avec cette différence considérable que la période blanche coïncidait avec la phase de capitalisme naissant, tandis que la période de couleur accompagne la phase de capitalisme impérialiste et parasitaire. Quoi qu’il en soit, cela ne servirait à rien de jouer les daltoniens. Et donc, la prochaine réunion affrontera le sujet : impérialisme et question orientale et coloniale.

On nous fait assez souvent observer que la manière avec laquelle nous traitons ce genre de thèmes est ardue et ennuyeuse, surtout si on met en regard le caractère si appétissant et alléchant des sujets « vraiment politiques » qui portent sur les faits et gestes des chefs d’État et de parti, et sur la question de savoir comment le cours de leurs processus physiologiques personnels façonne le destin de l’humanité. Nous ne pouvons faire qu’une seule réponse, qui s’exprime par un terme de la linguistique désormais internationale, et que tout le monde comprend depuis que les matelots américains fréquentent les vénus indigènes : sorry ! Nous continuerons ainsi, quelle que soit la façon dont est reçue notre vieille musique. Nous n’avons pas d’autre monnaie à dépenser.

Cela aussi se ramène à une question de classe. Quiconque a quelque peu travaillé dans le domaine de la propagande et l’agitation dans les rangs de la classe laborieuse sait combien les positions absolument originales du marxisme révolutionnaire, avec leurs conclusions indubitablement non conformes à ce que Église, école, armée, culture, littérature et science, ont fourré dans la tête des instruits, sont saisies avec une sûreté incroyable par les masses, alors qu’elles n’entrent qu’une fois sur un million (et provisoirement) dans le crâne des intellectuels.

L’alerte fut donnée à l’époque où fut lancée la mode selon laquelle, pour accélérer le travail de propagande et d’agitation, il fallait utiliser dans les rangs prolétariens des thèses et des termes courants, faciles à comprendre et acceptés de tous, comme ceux qui sont employés par le curé, l’instituteur, le caporal, l’homme cultivé, l’écrivain et le savant, procédé qui devait ensuite nous permettre, en partant de la plate-forme commune des sacro-saintes vérités indiscutables, de mettre en œuvre le petit jeu facile de prendre en défaut et sur le fait tous ces gens-là, avec un succès « vraiment politique ».

Les résultats de cette tactique sont aujourd’hui évidents, et nous ne voulons pas dire par là qu’il suffisait de changer de méthode dans la propagande, dans les discours et dans la presse, pour donner une orientation différente aux événements. La vérité est que, dans une phase historique où la vieille société pue le cadavre, mais où cependant elle fait encore peser sur nos corps, avec un poids immensément accru, l’ensemble de son art en décomposition, il est logique qu’apparaissent ces sales procédés selon lesquels des dirigeants vendus prétendent qu’il faut parler au prolétariat.

Plus on est imbibé de la culture qui caractérise cette société et plus on est imprégné de sa putréfaction. Le cerveau en meilleur état de fraîcheur de l’homme qui travaille de ses muscles et qui sent sur eux la brûlure des coups de fouet de l’exploitation, résiste plus longtemps. Mais aujourd’hui, le capitalisme, corrompu mais gigantesque, est en mesure de l’assaillir avec des drogues, et malheureusement de lui proposer des choses encore plus désirables. En revanche, le cerveau de l’intellectuel, qui a toujours fonctionné, bien que selon des rythmes contraignants, dans l’illusion de s’assurer un « arte lieggia » – un métier peu astreignant – est une machine usée en quelques décennies. Une presbytie de l’esprit affecte les travailleurs intellectuels d’aujourd’hui : ils ont seulement la force de répéter des opérations routinières, de poursuivre leur travail sur les rails d’une ancienne routine, ils ne peuvent affronter ni résoudre un problème nouveau, et même quand ils ont fait précédemment dans leur vie des efforts pour subvertir la vieille culture, ils sont réabsorbés en elle en raison de ses puissantes influences. Presbytie et surdité mentales qui les obligent, lorsqu’ils parlent de quelque chose, à faire semblant d’en avoir entendu parler et, lorsqu’ils écrivent quelque chose, à faire semblant de l’avoir lue, ce qui ne peut se faire qu’en rabâchant les vieilles histoires.

La masse et la puissance, y compris d’inertie, du Capital dans l’histoire sont gigantesques. Si nous devions préserver la lumière de la pensée, nous serions baisés. Mais l’analyse physique du comportement de la matière, même vivante, nous a donné la certitude que – en fin de compte – les sourds entendront et les aveugles verront.

Une formule archi-facile pour les bergers et leurs troupeaux

L’opinion la plus courante sur la « question agraire » est la suivante : Marx avait fondé toute sa critique de l’actuelle société d’économie privée, ainsi que la détermination de la voie à suivre pour réaliser le programme de la future société communiste, sur la contradiction entre les forces des capitalistes industriels et celles des travailleurs salariés d’usine – dans la mesure où cette forme allait engloutir irrésistiblement toutes les autres formes de la production sociale. Puis Lénine vint pour innover et changer tout cela, en mettant en avant la contradiction entre les forces des petits paysans et celles des propriétaires fonciers, et en démontrant qu’elle pouvait prendre une place égale – si ce n’est supérieure – à celle de la lutte industrielle dans la dynamique de la révolution. Nous savons naturellement ce qui est décisif aux yeux des philistins : Lénine ne s’est pas contenté d’écrire et de dire cela, mais il a « fait » une révolution avec les forces paysannes, la seule qui, historiquement, ait triomphé ! Et il ne leur reste qu’à choisir entre ces deux termes de l’alternative suivante : ou bien le léninisme est la révolution paysanne par opposition à la révolution ouvrière – ou bien le léninisme est la découverte du moyen de rouler les paysans en leur faisant accomplir la révolution ouvrière (de même que le libéralisme fut la découverte du moyen de rouler les paysans et les ouvriers en leur faisant accomplir la révolution capitaliste).

Eh bien, nous affirmons que tout cela est faux. Et nous ne sommes pas les seuls à le dire, puisque c’est Lénine lui-même qui le dit. Dans toutes ses puissantes polémiques historiques sur la question agraire, il n’a fait que se battre contre les pseudo-marxistes russes et ceux de tous pays qui s’occupaient de cette question, et il a démontré qu’ils commettaient des énormités incommensurables sur tous les points où ils prétendaient présenter une théorie sur des problèmes négligés par Marx, ou pire encore, corriger des erreurs de Marx.

Lénine affirme que Marx a traité la question agraire de façon aussi originale que complète. Lénine n’est pas le seul à le dire… puisque c’est Marx lui-même qui l’affirme. Et en effet, c’est avec la méthode qui caractérise notre école, celle qui a servi partout à fustiger les sociaux-traîtres de 1914–1918, celle qui a servi à confirmer la doctrine de l’État et de la dictature du prolétariat, que Lénine écrase ses contradicteurs sous une avalanche de citations, tirées des chapitres qui traitent expressément de la question agraire et qui sont non pas les accessoires mais les fondements du volume III du « Capital » et de cette « Histoire des théories de la plus-value », qui devait en constituer le volume IV, et que l’on diffuse aujourd’hui sous le titre d’« Histoire des doctrines économiques » ! Et que fait-on ensuite de tous les passages, et des paragraphes entiers des volumes I et II du « Capital », des œuvres historiques sur la France et l’Allemagne, des écrits d’Engels sur l’Allemagne, sur la « Guerre des paysans », etc., et les nombreuses lettres classiques de la « Correspondance », comme celle qui explique le fameux « Tableau » de Quesnay, longuement traité par ailleurs dans l’« Anti-Dühring » ? À eux deux, Marx et Lénine ont certainement écrit deux fois plus sur la question agraire que sur la question industrielle.

Si Lénine s’en prend durement à ceux qui prétendent « combler des lacunes », il n’en est pas moins mordant avec ceux qui croient « rectifier des erreurs », parce que, si les premiers sont des gens qui n’ont pas lu Marx, les seconds sont des gens qui l’ont lu mais n’y ont pas compris un traître mot. Et c’est avec une énorme patience et un travail dont la masse égale la puissance que Lénine explique inlassablement ce qu’ils n’ont pas compris chez Marx, en confirmant à chaque page son orthodoxie absolue.

C’est qu’en effet, pour faire passer leurs bêtises, ces messieurs s’affublent de l’étiquette habituelle de « non dogmatiques ». Il y a deux façons de ne pas être dogmatique, celle qui consiste à s’élever au-dessus du dogme, et celle qui consiste à ne pas être parvenu à la hauteur du dogme. Des non dogmatiques de la seconde catégorie, nous en avons vu, comme Lénine, des myriades; en revanche, de ceux de la première catégorie, nous ne dirons pas qu’il n’y a eu que Lénine lui-même, mais nous ne pouvons en citer qu’un nombre infinitésimal. Et alors, les non-dogmatiques de la première catégorie font un grand pas en avant s’ils se contentent d’apprendre par cœur l’air de la doctrine afin de la rejouer en renonçant à y insérer des chansons de leur cru.

En réalité, nous ne nous considérons pas comme offensés lorsqu’on nous traite de dogmatiques. Mais il est temps de donner la parole à Lénine. Son travail de 1901 sur « La question agraire et les ‹ critiques › de Marx » (les guillemets sont de Vladimir) débute ainsi :
« ‹ Démontrer… que le marxisme dogmatique, dans les questions agraires, a été renversé de ses positions, serait enfoncer une porte ouverte ›… Voilà ce qu’a déclaré, l’année dernière, ‹ Rousskoïé Bogatstvo › par la bouche de monsieur V. Tchernov [qui deviendra un fieffé opportuniste] ».
Et Lénine poursuit :
« Ce ‹ marxisme dogmatique › possède une étrange propriété ! Depuis bien des années, les hommes savants et savantissimes d’Europe déclarent sentencieusement (et les journaux et revues répètent et redisent en d’autres termes) que le marxisme a été renversé de ses positions par la ‹ critique ›, et cependant chaque nouveau critique repart à zéro et se met en devoir de bombarder ces positions prétendument déjà détruites. Monsieur Victor Tchernov… pond 240 pages… M. Boulgakov… (nous en reparlerons) a publié une étude en deux volumes [contre « Die Agrarfrage » de Karl Kautsky, à l’époque marxiste orthodoxe]… Maintenant, à coup sûr, personne ne saurait plus retrouver les restes du « marxisme dogmatique », mortellement écrasé sous ces montagnes de papier critique imprimé ».

Il est donc évident que, après cinquante ans de tirs d’artillerie supplémentaires, et ce d’autant plus quand nous voyons que l’on dirige contre nous, non seulement le canon à projectiles atomiques, mais également le canon à saloperies (en termes parlementaires : chargé à blanc), nous sommes plus que jamais résolus à nous déclarer dogmatiques et à mépriser tous les candidats, sans aucune exception, au rôle de « critiques ».

Quelle différence entre le langage de Lénine et celui que Staline tiendra sur les « dogmatiques, les talmudiques », ou bien, avec ses géniales variations coutumières « les talmudiques, les dogmatiques ». Talmudiques peut-être, mais maquereaux jamais, et renégats non plus. Une fois, une camarade israélite nous confia le soin de lui trouver une copie du « Talmud » en hébreu. Nous en avons déniché une chez un bouquiniste de Naples, et nous l’avons payée très bon marché si l’on considère sa rareté : nous l’avons ramenée à Moscou, mais nous nous sommes sentis quelque peu idiots étant donné que nous n’étions pas capables d’en déchiffrer une seule lettre !

Lénine et les « manuels »

En 1899, Lénine écrivit une série d’articles contre ce Boulgakov qui a été cité plus haut, auteur d’une vive critique de la « Question agraire » de Kautsky, parue en Allemagne en 1890, et qui étudiait « les tendances de l’agriculture moderne et la politique agraire des socialistes ».

Avant de se mettre à étriller Kautsky, Boulgakov consacre une partie de son développement à établir que Marx avait « parfois des conceptions erronées ». L’une de ses erreurs, dont nous reparlerons en temps utile, aurait consisté à vouloir appliquer à l’agriculture la loi, valable par ailleurs dans l’industrie, de la baisse du taux de profit, qui résulte de l’augmentation de la composition organique du capital (plus de capital constant, moins de capital variable – plus de machines et de matières premières, moins de travail humain). Lénine démontre la validité de cette loi avec une telle fougue qu’on ne peut s’empêcher de se remémorer que Staline voulait la mettre au rancart dans son célèbre dernier écrit théorique.

Naturellement, Boulgakov se fait fort des apports en la matière des spécialistes, des professeurs d’« agronomie » et d’« économie », pour affirmer :
« Il y a là (chez Kautsky) aussi peu de véritable agronomie que de véritable économie »Kautsky « n’accompagne pas ces informations (il s’agit de celles concernant le caractère de l’agriculture à l’époque féodale) d’une analyse (nous y voilà !) économique »… « Tous ces renseignements peuvent être tirés de n’importe quel manuel d’économie agricole ».

Lénine, après s’être donné la peine de se les taper, ne partage pas cette opinion flatteuse de Boulgakov sur les manuels de la science officielle. Il en cite certains pour affirmer que dans aucun d’eux
« le lecteur ne trouve un tableau de cette révolution que le capitalisme a produite dans l’agriculture, parce qu’aucun d’eux ne songe même à brosser un tableau général du passage de l’économie féodale à l’économie capitaliste ».

C’est là que les deux méthodes s’opposent réellement. Tandis que les gens du genre Boulgakov cherchent dans la science officielle, générale, qui constituerait une base commune aux marxistes et aux non-marxistes, les éléments qui leur suffisent à établir la fameuse analyse du processus qui se déroule autour d’eux, et qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils tombent ainsi dans le mensonge fondamental de la pensée bourgeoise qui est de croire que des lois éternelles et rationnelles sont communes à toutes les économies, mensonge que le marxisme a fait voler en éclats, notre école, en revanche, face à chaque problème, se replie avant tout sur la recherche de la clef du processus historique. Et ce n’est qu’alors qu’elle parvient à établir que les prétendues lois éternelles sont au contraire des lois spécifiques à un mode de production donné et transitoire, et en particulier celles qui concernent le mode de production capitaliste.

Lénine défend Kautsky de la manière la plus énergique, et il le soutient parce qu’il a surtout établi les caractères qui distinguent l’économie féodale de l’économie capitaliste, en s’arrêtant avec une forte insistance sur les caractères du passage de l’une à l’autre.

Dans chaque sujet qu’ils traitent, les marxistes procèdent de la façon suivante : ils ne décrivent pas la réalité qui les entoure et qu’ils observent en en faisant un froid compte rendu bureaucratico-statistique, mais ils en cherchent la source, l’ordre d’apparition, le développement au cours du temps, les origines même lointaines, de façon à établir ce qu’il y a de transitoire et de caduc dans ce qui semble éternel et stable au chercheur ordinaire.

Le marxiste dispose bien entendu des données des « traités » universitaires. Mais si ces données, dont il se sert avec une suspicion légitime, lui apportent dix, la puissance originale de la méthode marxiste lui apporte au moins cent. Quelques heures de consultation suppléent d’ailleurs à l’absence éventuelle de ce facteur dix, tandis que la ressource spécifique de la méthode du déterminisme historique est une conquête beaucoup plus rare et dont l’acquisition a demandé des générations entières.

En conséquence, le spécialiste qui est au courant de tous les manuels, traités, revues et monographies, ne nous intimide nullement.

Économie rurale et histoire

La recherche sur les changements survenus dans les formes de production et d’économie agricoles, qui représentent la part prépondérante de toute l’économie sociale jusqu’à l’époque la plus récente, doit s’étendre, c’est indiscutable, non seulement au Moyen Age, mais à tout le cycle historique de l’humanité.

La science occidentale est aujourd’hui aussi conformiste à l’égard des intérêts du capital que la science russe pouvait être soumise, à l’époque, aux ordres du tsarisme. Néanmoins, quand cette science était plus jeune, il était encore possible de consulter quelque « spécialiste » indépendant : il suffit de remonter d’un certain nombre de décennies en arrière pour en trouver un, auquel nous nous abstiendrons de faire de la publicité, car, s’il avait cherché à en avoir de son vivant, il aurait lui aussi publié des balivernes, au même titre que les auteurs modernes. Signalons au lecteur, auquel nous allons fournir, étant donné la clarté de l’exposé, quelques passages didactiques de cet auteur, qu’il s’agit d’un partisan déclaré d’une gestion privée de l’entreprise agricole sous contrôle modéré des pouvoirs publics : on se souviendra toutefois de sa critique vigoureuse du morcellement de la terre, cause de stagnation et d’une misère infinie, qu’il a fondée vraiment sur une base purement scientifique, et que nous avons reproduite dans « Propriété et Capital », paru dans « Prometeo ». Ce qui nous importe, c’est d’établir la prééminence de la méthode historique, surtout dans un sujet aussi complexe.

« L’agriculture est l’industrie extractive par excellence, puisque, en agissant diversement sur la terre au moyen du travail humain et du capital, elle détermine l’union des composants chimiques du sol avec ceux de l’air, en vue de produire des matières destinées majoritairement à l’alimentation humaine. En revanche, les autres industries extractives (chasse, pêche, carrières, mines, salines, etc.) exploitent des produits ou des matières déjà formés dans la nature, en se contentant de les extraire du sol ou des eaux, à l’état brut ou avec différentes modifications. Les industries extractives fournissent à leur tour aux industries manufacturières les matières premières que ces dernières transforment de manières diverses en produits utiles aux besoins humains. Et l’agriculture alimente également de ses produits un certain nombre de ces industries… »
« L’industrie agricole est caractérisée par la prédominance, dans son activité, des forces naturelles représentées par la productivité du terrain lui-même (composition, situation, exposition, etc.) et par les conditions climatiques locales ».
« Alors que l’industrie manufacturière peut s’installer où bon lui semble… le fait que le terrain soit inamovible et indestructible (en général) crée une contrainte très forte… qui acquiert une importance exceptionnelle… dans notre discipline… et qui a une influence capitale sur la constitution économique de la société, sur les conditions et le niveau de bien-être de ses membres ».

Le traité que nous citons fait ici déjà allusion non seulement au facteur de limitation de la terre mais aussi à celui de ce que l’on appelle la fertilité décroissante, qui fut l’objet d’une vive polémique entre Boulgakov et Lénine, polémique que nous reconstituerons à propos des théories de Ricardo et de Marx.

L’auteur fait très vite appel à l’élément historique afin d’éclairer l’élément social :
« La jouissance de la terre s’effectue aujourd’hui de façon absolument prépondérante au travers de la propriété individuelle du sol, si bien qu’il n’en existe pas de portion, si minime soit-elle, et même complètement improductive, dont quelqu’un ait le droit de disposer librement. On peut affirmer que dans les pays civilisés, ou dans ceux qui appartiennent à ces nations civilisées, la terre libre a disparu, cette terre sur laquelle le premier venu pouvait s’établir sans soulever de contestations. Là où il reste encore des espaces colonisables, les États s’en sont déclarés propriétaires, et ils les concèdent à titre onéreux. On peut cependant dire que la constitution de la propriété individuelle du sol en tant que phénomène absolu et général, comme il l’est maintenant dans de nombreux pays, est un fait assez récent, et partout, dans un passé plus ou moins reculé, la terre fut, dans sa majeure partie, l’objet d’une jouissance collective de la part de groupes familiaux ou démographiques. Il y eut ensuite une époque où la terre était sinon libre, dans ce sens que n’importe qui pouvait s’établir où bon lui semblait, du moins sujette à un usage collectif, de sorte que tout le monde participait à son exploitation sans pour cela avoir à payer une rente quelconque ou à rétrocéder à des tiers une partie du produit ».

Nous passons ici sur la description de la transition d’un régime à l’autre chez les différents peuples, et notamment chez les Germains où prévalaient les terrains à usage collectif et domanial, ou chez les Latins qui développèrent un système complet de biens allodiaux (possession privée).

Pendant longtemps, la terre n’a pas été un objet de valeur, alors que le bétail, que chacun faisait paître sur des espaces communs à tous, l’était déjà. La terre n’était pas encore un objet de commerce alors que le bétail l’était : la preuve en est, entre autres, dans le fait que le mot pecunia (monnaie) vient de pecus, qui signifie bétail.

Les Germains, encore peu nombreux et occupant de vastes terres, à la différence des colons romains dont la population était plus dense et évoluée, appliquaient le système séculaire, et même millénaire, de l’assolement triennal dont Lénine parle souvent. Dans ce système, on divisait la terre, pour chaque groupe familial, en trois lots d’égale surface soumis à une rotation annuelle : le premier était consacré à la culture du blé; le second à celle du seigle, de l’orge ou de l’avoine; le troisième restait au repos (jachère). La première année, la terre était utilisée pour la céréale la plus nutritive, le froment, qui lui soustrait presque tous ses éléments utiles; l’année suivante, on semait une céréale moins exigeante et de pouvoir alimentaire moindre; et la troisième, on ne demandait rien à la terre afin qu’elle puisse reconstituer ses ressources chimiques; dans une phase plus avancée, on labourait également ce lot afin de permettre à l’air atmosphérique d’y circuler, et on laissait les mauvaises herbes y pousser sans les arracher.

Le texte explique ensuite que, si la propriété privée est née dans certains cas du partage entre les différentes familles du terrain collectif, elle a aussi été engendrée par la violence, l’esclavage et la conquête. Comme nous l’avons bien souvent rappelé, Engels montre que la culture en commun disparaît très tardivement chez les peuples germaniques; si, au contraire, en Italie, on trouve une répartition individuelle des terres dès l’époque pré-romaine (comme en atteste l’existence du dieu Terme qui rendait la propriété sacrée et inviolable), cela est dû à une connaissance très ancienne de cultures supérieures à la culture céréalière : la vigne, l’olivier, les arbres fruitiers, et les premières cultures irriguées.

Nous ne citerons pas à nouveau les passages à dominante historique qui décrivent les rapports médiévaux, les populations attachées au seigneur et chef de guerre, qui les protégeait en échange de services personnels obligatoires, pas plus que ceux sur la faible influence et la rapide disparition des formes féodales en Italie, étant donné le trop bref laps de temps qui leur fut donné entre la chute de l’Empire byzantin et l’époque des Communes, qui connaissait déjà une agriculture hautement intensive (cultures maraîchères et arbres fruitiers) ou tout bonnement capitaliste.

La sortie du féodalisme

Lénine reproche donc à Boulgakov d’avoir considérée comme superflue l’étude de Kautsky sur les rapports féodaux, et, dans de nombreux passages, il la cite et la commente en la qualifiant de remarquable. Il n’est pas difficile de voir l’importance qu’il faut accorder, en revenant en arrière, à la « discrimination » entre la forme non capitaliste et la forme capitaliste : en effet, elle éclaire d’une vive lumière la discrimination qu’il faut faire lorsqu’on se projette vers l’avant. Avec la méthode, le style, du « Filo del Tempo », nous nous sommes beaucoup appuyés sur le « hier » afin qu’on comprenne le « demain » ainsi que le mensonge qui consiste à faire passer pour du « demain » l’« aujourd’hui » le plus ordinaire. Et nous nous apercevons immédiatement que de nombreuses thèses de Kautsky, que Lénine rétablit en s’opposant aux objections de Boulgakov, ne sont autres que celles dont nous nous sommes servis dans « Dialogue avec Staline » pour démontrer le caractère capitaliste de l’économie russe actuelle.

Selon la belle phrase synthétique de Marx, le rapport féodal diffère du rapport moderne en cela que le serf fournissait à son seigneur – au moyen de journées de travail dans le domaine de ce dernier et grâce à une partie du produit de son propre lopin de terre – une rente en denrées ou en travail (c’est pourquoi nous étions alors dans une économie naturelle), tandis que le maître moderne de la terre, le propriétaire foncier, jouit d’une rente en argent. Il est vrai cependant que survit encore aujourd’hui le colonat partiaire (ou métayage), forme dans laquelle le paysan verse au propriétaire non pas une redevance en argent, mais une quote-part déterminée de son produit : on peut se demander à cet égard pourquoi les fanfarons qui prétendent vouloir extirper les formes féodales vantent tant les mérites de ce système, alors qu’il présente précisément une forme extérieure semi-féodale. Il n’en demeure pas moins, en réalité, que les propriétaires se font verser de plus en plus souvent leur loyer par les colons partiaires, ou métayers, non plus sous la forme peu commode de denrées mais de leur équivalent en argent au prix du marché. C’est justement parce qu’il n’est pas pleinement capitaliste que ce système est un peu plus humain, dans la mesure où le cultivateur est couvert par rapport au risque de devoir payer la même redevance aussi bien les années grasses que les années maigres.

Quoi qu’il en soit, la rente en argent a pris la place de la rente en services et en denrées, et, dans le même temps, la propriété foncière, d’inviolable qu’elle était, est devenue aliénable, et le travailleur agricole, d’attaché à la terre qu’il était, est devenu « libre ».

Ce processus, à son début, n’a cependant pas été engendré seulement par l’exigence irrépressible de donner un cours favorable aux forces productives manufacturières, car il a été également accompagné par une augmentation de même grandeur des forces productives agricoles.

Lénine cite Kautsky :
« A l’époque féodale, il n’existait pas d’autre culture que la petite, car le propriétaire foncier travaillait ses champs avec le même outillage que ses paysans. Le capitalisme a permis de créer, pour la première fois, une grande production agricole, techniquement plus rationnelle que la petite ».

On aborde ici la question de la petite et de la grande culture, question sur laquelle Lénine s’élève non moins vigoureusement contre les critiques de Boulgakov.

Lénine rapporte que, dans son Chapitre V, Kautsky expose la théorie marxiste de la valeur, du profit et de la rente, à laquelle il sera fait amplement appel en temps utile dans cette étude. Se moquant de Boulgakov qui ne parle d’agriculture capitaliste que lorsque la bourgeoisie industrielle et commerciale a pris le pouvoir, à la place de l’aristocratie terrienne, Lénine établit clairement que, dans le marxisme, l’agriculture actuelle devient capitaliste dans sa structure économique interne parce que sa forme, de naturelle, devient marchande.

On se doit de reconnaître que, à cette époque, dans sa jeunesse, Karl Kautsky énonçait les thèses marxistes avec une exactitude magistrale.
« Sans argent, la production agricole moderne est impossible, dit-il, ou, ce qui revient au même, elle est impossible sans capital. En effet, avec le mode actuel de production, toute somme d’argent qui n’est pas consacrée à la consommation personnelle peut se transformer en capital, c’est-à-dire en une valeur engendrant de la plus-value, et, en règle générale, elle se transforme effectivement en capital. La production agricole moderne est donc une production capitaliste ».

Par conséquent, l’économie agricole féodale, caractérisée entre autres par la superposition du travail de la terre à la toute petite industrie domestique, ainsi que Kautsky le souligne justement, maintient la production rurale éloignée du marché. L’économie capitaliste, elle, attire la petite entreprise paysanne dans le tourbillon mercantile. Et « plus l’agriculture devient capitaliste et plus elle accentue la différence qualitative entre la technique de la petite production et celle de la grande ». « Dans l’agriculture précapitaliste, cette différence – insiste Lénine n’existait pas ».

L’analyse qui montre que la prétendue indépendance de la minuscule entreprise agricole ne conduit qu’à un immense surplus dans la charge de travail de la part du « propriétaire » du lopin de terre grand comme un mouchoir de poche, viendra en son lieu, et d’ailleurs, elle est quasiment évidente.

Les considérations sur le travail agricole coopératif, dont nous avons de nombreux exemples dans la production capitaliste, sont importantes; de même l’assertion (Marx le disait déjà en 1851) selon laquelle, dans les limites capitalistes, on ne peut compter sur la disparition de la petite production dans l’agriculture:
« On sait comment les idéologues de la petite bourgeoisie en générai et spécialement les populistes russes portent aux nues les coopératives groupant de petits agriculteurs. L’excellente analyse que donne Kautsky du rôle joué par les coopératives n’en prend que plus d’importance. Celles des petits exploitants agricoles sont évidemment un chaînon du progrès économique, mais elles marquent un passage au capitalisme (Fortschritt zum Kapitalismus) et pas du tout un passage au collectivisme [en italique dans l’original], comme on le pense et comme on l’affirme souvent ».

Les critères marxistes d’évaluation du passage entre les modes de production agricole représentent donc les éléments essentiels qui permettent de porter un jugement sur l’agriculture russe actuelle – et aussi sur la stupidité de l’opinion populaire mondiale qui fait de Lénine un distributeur de terres aux petits paysans.

Art et nature

Dans toutes les doctrines portant sur l’économie agricole, nous trouvons deux positions antagoniques. L’une met en avant les forces naturelles, et par conséquent la terre, tandis que l’autre met en avant le travail de l’agriculteur, et par conséquent l’homme. Comme l’aurait dit Dante : de la nature ou de l’art, qui nous nourrit le plus ?

Cette importante divergence est mise en évidence dans l’histoire des doctrines économiques que Marx nous a laissée, même si elle est fragmentaire (mais que Kautsky lui-même a reconstituée). La polémique porte sur la question de savoir quelles sont les sources de la richesse, et d’ailleurs on ne sait pas bien, chez les premiers auteurs, si l’on parle de la richesse personnelle des individus, ou bien de la richesse de la nation. La première bourgeoisie, innovatrice, audacieuse et révolutionnaire, est tout autant portée par son principe de liberté personnelle que par celui de la liberté nationale, et de ce fait, elle aime présenter son travail magnifique pour le triomphe de l’individualisme comme dirigé vers le bien de la patrie. C’est sous cette présentation qu’elle dissimule en réalité son sentiment de classe, en identifiant les intérêts de la classe des capitalistes à ceux de l’humanité.

Les derniers féodaux et les premiers bourgeois tiennent encore pour la théorie qui voit dans la nature, dans la terre, la seule source de la richesse. L’école capitaliste classique, au contraire, déclarera que la source de toute richesse est le travail.

C’est un fait bien connu et indiscutable que le marxisme se place aux côtés de cette dernière école et, en effet, la théorie de Marx nous conduira à ce résultat que la rente foncière n’est pas un don de la nature au propriétaire, don lié au fait qu’il occupe un morceau de terrain, mais seulement une fraction de la plus-value, c’est-à-dire une fraction de la partie du travail effectué par les agriculteurs qui n’est pas incluse dans leur rémunération en argent, leurs salaires.

Mais il convient ici de lever un malentendu qui pèse couramment sur la portée de la théorie de la valeur. Cette théorie n’est pas une froide explication de l’économie moderne, mais une démonstration que cette économie est historiquement indéfendable, car incapable de parvenir à un « régime d’équilibre stable ». Elle est la démonstration de la nécessité de l’avènement du communisme, mais elle n’est pas directement une description de l’économie communiste; cependant elle l’est quand même, indirectement, par effet dialectique : ce qui signifie en clair que si on élimine la plus-value tout en gardant la valeur, notre objectif ne sera pas atteint. Dans l’économie des hommes travaillant en association, il n’y a plus de valeurs et il n’y a plus de richesses; et donc, la question de savoir si l’origine de la richesse repose sur la nature ou sur l’effort humain n’a plus de sens.

Si un champ, sans être labouré et sans subir d’autres opérations, produisait périodiquement du pain, comme le fameux arbre tropical du même nom, c’est que nous aurions une rente de la nature. Mais Lénine, lorsqu’il maltraite Boulgakov, s’emporte contre de telles sornettes, qui sont à la base du célèbre théorème de la productivité décroissante. On n’a jamais mangé sans avoir travaillé :
« Prétendre que l’homme primitif obtenait le nécessaire comme un libre don de la nature est une fable stupide… Le passé n’a jamais connu aucun âge d’or, car l’homme était alors complètement écrasé sous les difficultés de l’existence, sous les difficultés de la lutte contre la nature ! ».

Cela ne contredit pas du tout la relation qui peut être établie entre les traditions naïves d’une époque sans haines ni rancœurs et le communisme primitif, sans trace de propriété privée : c’était un communisme de travail, où tout le monde travaillait pour tout le monde, et dont la base résidait dans le fait que la « limitation de la terre », par rapport au nombre d’hommes, n’avait pas encore fait son apparition. Et d’ailleurs, plus loin, Lénine opère une distinction essentielle entre la limitation de la terre en tant qu’objet de la production, et la limitation de la terre en tant qu’objet du droit de propriété. Si nous en venons à l’époque capitaliste, la gestion de la terre s’effectue au moyen d’entreprises privées, mais la limitation légale, la limitation de type allodial romain, c’est-à-dire le monopole, non pas de la gestion, mais du droit de propriété, du droit au prélèvement de la rente foncière, peut être transféré à l’État sans qu’on sorte du mode de production capitaliste (remarquons une fois encore : monopole égale propriété et pas seulement égale grande propriété; et le monopole foncier, base de la rente, signifie qu’on met des limites, des bornes, à n’importe quel espace de terre agricole). Et donc, voici encore une énième citation qui apporte la preuve que, pour le marxisme authentique et cohérent,
« nous pouvons parfaitement concevoir une organisation purement capitaliste de l’agriculture dans laquelle la propriété privée de la terre serait complètement absente et dans laquelle la terre appartiendrait à l’État, aux communautés paysannes, etc. ».

Cependant, la discussion sur l’origine (travail ou force naturelle) de la richesse agraire, que celle-ci appartienne à la classe terrienne ou au fétiche « nation », ne peut avoir lieu que dans le cadre de l’analyse des économies de répartition privée et d’exploitation. C’est alors qu’il est de la plus haute importance d’établir que tout le travail d’une classe est approprié par une autre, qu’il s’agisse de la production féodale ou de la production capitaliste.

Cela n’exclut pas que, dans l’économie future, qui se ramène à une défense rationnelle de l’espèce contre la nature, ainsi que Lénine l’a vigoureusement affirmé, la victoire sur cette « marâtre » puisse arriver à un point tel que tout viendra d’elle.

Si le pénible travail de la culture du blé permet à notre corps de s’alimenter et de recevoir ainsi sa chaleur vitale, grâce au transfert en lui, après des cycles complets de transformations chimiques au bilan énergétique identique (et auxquels nous refusons de manière irrationnelle de fournir notre propre carcasse), d’une petite quantité de l’énergie que le Soleil rayonne dans l’espace, et qu’il ne nous fait pas payer davantage pour la partie qu’il fournit à la sphère terrestre que pour celle, immense, qui voyage vers les vides interstellaires glacés sans rencontrer d’obstacles; si nous pouvons cultiver avec la charrue et remplacer le bœuf (qui avait passé avec Phœbus-Apollon un contrat du même type que le nôtre) par la machine; si nous ne fournissons plus à cette machine du gazole (qui, après tout, est une ancienne chaleur solaire « donnée » et stockée dans les banques du sous-sol), mais de cette énergie hydro-électrique qui provient d’un tribut qui nous est régulièrement versé chaque année par le grand astre, alors, alors… Certes, direz-vous, mais il restera à l’homme le travail d’organisation, de direction, et le maniement des robinets de régulation. Mais, tout récemment, on nous annonce la venue de la machine des machines, qui remplacera l’homme aux boutons de commande de celles-ci, après qu’elle aura enregistré par des processus électroniques le comportement effectif de l’homme, le truc qui le distingue, afin de le retransmettre à l’identique. Alors ce sera vraiment la nature qui nous donnera tout, à commencer par le plateau du petit-déjeuner qui nous arrivera sans que personne ne le porte.

Quand personne ne travaillera plus, on sera parvenu à l’objectif où tout le monde pourra jouir de la rente. Alors, nous ne vivrons plus en travaillant, mais en volant notre mère Nature. Aujourd’hui, il n’existe pas, pour un seul individu, de rente qui ne soit volée au travail de l’homme. Et nous refusons aux voleurs l’alibi qu’ils tirent de la science économique : la rente, le corps du délit, je ne l’ai prise à personne, c’est un don divin de la nature, un rayon qui est parti avec mon adresse de l’Étoile de feu, qui tourne et brille dans le Ciel.

C’est ici qu’intervient la Théorie de la Rente foncière.


Source : « Il Programma Comunista » Nr. 21, 19 novembre-03 décembre 1953. Traduit dans « Invariance ». Traduction non vérifiée, se reporter au texte original.

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