BIGC – Bibliothèque Internationale de la Gauche Communiste
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CIVILISATION GRANDIOSE, MAIS NON COMESTIBLE !


Content :

Civilisation grandiose, mais non comestible !
Banquet et convives terrestres
Le capitalisme, piètre nourricier
Blé et capitalisme
Rubriques sur la rente
Révolution anti-trinitaire
Élimination des cas impurs
La chute hydraulique
Les personnes en lice
Source


Sur le fil du temps

Civilisation grandiose, mais non comestible !

Banquet et convives terrestres

Dans l’opinion vulgaire, le capital ne prend pas naissance dans le travail accumulé par les morts et utilisé pour investir et piller le travail de la grande masse des vivants, mais tout est capital : la terre agricole, la terre inculte, l’eau, les gisements du sous-sol, les animaux et les végétaux à l’état de nature. On nous informe que le huitième Congrès international du Pacifique s’est tenu à Manille, aux Philippines : là, des écologistes, des botanistes, des zoologistes, des hydrologistes, des pédologues (qui ne sont ni des pédants, ni des pédestres, ni des pédiatres – encore moins des pédicures – mais des spécialistes de l’étude des terrains, des sols) se seraient occupés du fait que l’humanité moderne se dirige vers « la dilapidation du globe », car elle ne prendrait pas garde à ce que ce globe est « un capital certes considérable mais non éternel ».

Quant à l’éternité, laissons tomber le fait que le globe n’est certainement pas éternel au sens cosmique, pas plus que ne l’est aucune des espèces qui vivent sur lui, et en particulier l’espèce humaine. Il s’agit, en réalité, de voir si le cycle des échanges entre le milieu naturel, avec ses réserves de matière-énergie, et l’espèce humaine vivante, tend vers un équilibre, harmonieux et dynamique (théoriquement indéfini), ou bien s’il tend progressivement vers un déséquilibre, et, par conséquent, vers une situation intenable, à l’échelle historique, en provoquant la régression et la fin de l’espèce.

C’est là, en effet, une grande question, à laquelle les données concrètes fournies par les disciplines citées peuvent sans aucun doute apporter leurs contributions : mais l’on tirera peu de choses de ces sortes de congrès, qui sont à ce point « scientifiques » qu’ils tombent dans de grosses bévues de type superstitieux, à l’instar de celle que l’on peut rencontrer en économie, et qui consiste à traiter le globe comme un « capital », ou même comme un bien foncier de la société Humanitas, société anonyme par actions, – ou en philosophie, et qui consiste à attendre le remède de la voie morale et cognitive, c’est-à-dire de l’exhortation faite aux hommes « à réfléchir », comme s’il s’agissait du cas classique du fils prodigue qui consacre son temps à dilapider ce qui reste du patrimoine de son père.

Un biologiste français, que nous ne connaissons naturellement pas, et que nous nous bornons comme d’habitude à imaginer, décrit, dans un but philanthropique de ce genre, une tragédie de l’espèce afin de pouvoir conclure ainsi : que l’homme pense au destin des sauterelles ! Qu’arrive-t-il donc à ces folles sauterelles ? Une vague de chaleur dans une zone de savane, ou dans un marais tropical, provoque brusquement un pullulement de sauterelles et une floraison de plantes éphémères (à la croissance rapide mais à la vie brève). Que peut devenir ce potentiel de vie inattendu, à savoir cette transformation d’énergie irradiée par le soleil en énergie organique ? Les innombrables sauterelles dévorent rapidement toutes les plantes et meurent ensuite de faim sur place. En quoi les hommes doivent-ils réfléchir sur ce phénomène ? Reconnaissants à la divinité qui les a dotés de science et de conscience, ils devraient penser que, si les sauterelles avaient raisonné, elles auraient établi un plan de rationnement des plantes éphémères, et elles auraient, de plus, inventé la ressource de bon sens consistant à se manger entre elles.

Si nous avons rappelé ce problème, qui est souvent présenté aux hommes prétendument de culture moyenne, c’est parce que nous accordons une grande importance à la question d’une table imaginaire étendue à toute la planète, autour de laquelle s’assiérait un fourmillement de convives, les hommes-sauterelles, et du rapport entre le nombre de bouches à nourrir et la quantité de plats préparés : et parce que nous voulons dire, pour poursuivre notre exposé, que l’étude pas toujours facile de la question de la production agricole à l’époque capitaliste, avec ses analyses raisonnées, mises en tableaux numériques, réduites à des formules algébriques, ne doit pas être prise pour un luxe de l’esprit, mais pour une exigence incontournable de l’estomac de l’espèce.

De plus, ces présentations banales sont utiles pour montrer combien la position marxiste du problème s’y révèle dans sa simplicité, mais en même temps dans sa puissance et sa richesse de développements. Le cycle ne se déroule pas jusqu’à un tournant où les hommes, frappés par une révélation ou pénétrés de science, se donneraient beaucoup de mal pour ne pas avoir la fin des sauterelles, en améliorant la culture des plantes éphémères ou en éloignant les criquets de l’alcôve conjugale. Durant de longues phases du cycle, des groupes de l’espèce luttent contre d’autres groupes (le nombre des individus étant déjà élevé, mais bien loin du nombre actuel, par rapport aux terres connues et parcourues), et apprennent à se détruire, à se piller et à s’opprimer l’étude des grandes étapes de ces luttes inévitables doit donc établir si, comment, et après quels stades, l’espèce parviendra à un bilan utile et stable de ses rapports avec la nature physique, de sorte que la guerre et l’asservissement de classe ne soient plus les seuls moyens pour se procurer des aliments. L’objet de cette étude est donc les forces productives et leurs rapports, et non pas leurs caricatures sous forme d’admonestations administratives ou de semonces moralisatrices.

Le capitalisme, piètre nourricier

Toute la démonstration fondamentale de Marx, qui occupe la partie finale de ce qui nous a été transmis du Livre III du « Capital », tend vers cette thèse profondément révolutionnaire : le mode capitaliste de production, qui accélère fortement la croissance absolue et relative des forces productives, et qui constitue donc une étape indispensable et décisive de cette croissance, ne peut accorder le rythme de l’augmentation de la population et de la puissance technique des collectivités humaines avec celui de la production d’aliments. Nous ne déduisons pas de cette thèse le calcul de la période de temps au terme de laquelle nous mourrons tous de faim, mais celui de la durée du chemin qui nous sépare de la catastrophe, lors de laquelle cette contradiction inéluctable fera voler en éclats la structure capitaliste.

Mais le lecteur paresseux qui saute les pages où il lui semble qu’on aligne de froids raisonnements économiques, des séries peu divertissantes de données numériques, des tissus de symboles et de formules (aujourd’hui, on dirait que tout cela est pas mal rasoir, que cela a peu à voir avec une bande dessinée ou un magazine, et surtout que cela ne fait pas recette), ce lecteur donc ne se rend pas compte des tronçons qui sont nécessaires pour construire la route difficile au bout de laquelle la ligne d’arrivée du choc révolutionnaire apparaît avec tous ses attraits, et il se laisse facilement débiter des boniments qui le mènent à cette conclusion banale : ah, si ce vieux Marx n’avait pas abandonné son rôle d’agitateur pour s’adonner à la description théorique de l’économie capitaliste… ! Il s’était, à ce moment-là, désintéressé de la politique révolutionnaire, la seule qui compte : et c’est quand même autre chose que la théorie de la rente foncière !…

Marx rappelle que les premiers économistes modernes avaient déjà relevé la contradiction entre le progrès technique dans l’agriculture et les formes sociales. La production d’un terrain peut être augmentée par de bons drainages, des engrais abondants, un bon travail du sol, l’extirpation des mauvaises herbes et le nettoyage du terrain, etc.

« Mais tout cela exige des dépenses considérables, et les fermiers savent aussi que, quel que soit leur effort pour améliorer le sol et pour accroître sa valeur, c’est le propriétaire foncier qui, à la longue, en récoltera l’avantage principal sous forme de rentes plus élevées et d’une augmentation de la valeur de sa terre » … « Tout effort d’amélioration n’aboutira à aucun résultat notable tant qu’il ne conduira pas à améliorer la situation du fermier et de l’ouvrier agricole, mais seulement la rente du propriétaire ».

Le mécanisme du système capitaliste est tel que tant le capital que le travail humain sont constamment poussés vers l’industrie et non vers l’agriculture, de sorte que, à l’incroyable vitesse de transformation des méthodes de la première, correspond une énorme lenteur d’évolution de la seconde : même dans les champs des pays les plus développés, on utilise aujourd’hui encore, la plupart du temps, les mêmes méthodes agricoles que celles qui y étaient employées depuis des siècles ou des millénaires.

Marx attribue cette réticence du capital à s’investir dans la terre à sa composition technologique ou organique, qui est plus favorable dans l’industrie que dans l’agriculture. Rappelons encore une fois ce dernier concept :

« La partie de la valeur du capital (avancée dans la production) consistant en machines, matières premières, etc., est simplement reproduite dans le produit : elle n’est pas changée en réapparaissant en lui. Le capitaliste doit payer cet élément du capital à sa valeur. En revanche, le travail employé par le capitaliste entre totalement dans la valeur du produit et lui est totalement acquise, alors qu’il n’en paie qu’une partie (celle qui correspond au salaire). Étant donné un taux d’exploitation du travail (que Marx évalue à 50 %, ce qui fait que l’ouvrier, sur 12 heures de travail, travaille 8 heures pour lui et 4 heures pour le capitaliste), la grandeur de la plus-value dépendra (notez bien : à taux de plus-value égal) pour un capital de même grandeur, de sa composition organique. Si le capital se compose de 80 en capital constant et de 20 en capital-salaires (Marx retient en principe, pour son époque et pour l’industrie, ce degré technologique de 4 : l’ouvrier transforme en moyenne des matières premières qui coûtent le quadruple de son salaire), 10 autres s’y ajouteront comme plus-value (c’est-à-dire 50 % des 20 de salaires), et la valeur du produit sera 80+20+10=110 : et le profit sera de 10 et son taux de 10 %. Mais, si nous avions eu à l’inverse 60 de capital constant et 40 de salaires (Marx suppose que c’était, il y a un siècle, la moyenne générale dans l’agriculture : et il est probable que, aujourd’hui, ce chiffre n’ait guère évolué), alors le surtravail sera la moitié de 40, soit 20, le produit de 120, le taux de profit non plus de 10 % comme dans le cas précédent, mais de 20 %. Nous supposons que la composition du capital agricole est de 60 pour la partie constante et de 40 pour la partie variable, c’est-à-dire qu’on y trouve davantage de travail salarié, de travail vivant, que dans les autres branches de la production. Cela veut dire que la productivité du travail y est relativement moins développée ».

Blé et capitalisme

Il ne faut pas confondre la question soulevée par Marx pour expliquer la lenteur de l’augmentation de productivité dans l’agriculture par rapport à celle de l’industrie, qui est un obstacle à la réduction du temps de travail, à égalité de produits et de consommations moyens, obstacle insurmontable pour les classes dont la consommation est avant tout alimentaire, avec la préférence du capital pour les autres produits, confusion commise par le théoricien Staline (voir « Dialogue »). Le capital « sait » qu’il obtient une masse de plus en plus élevée de profit en suivant la loi de la baisse du taux moyen, et il préfère produire avec un haut degré technologique (beaucoup de tonnes d’acier par an et par ouvrier employé), degré qui s’élève à environ 15 ou 20, au lieu des 4 de Marx : il préfère, comme le dit le Dr Costa, avoir beaucoup d’ouvriers bien payés, quitte à payer de gros salaires, et avoir ainsi une grosse production. Avec l’acier, il est facile « à l’offre de forcer la demande », en faisant des armes et des guerres, qui diminuent en même temps le nombre de bouches qui demandent inutilement du blé.

Le tonnage annuel de blé que produit chaque ouvrier agricole n’a probablement pas augmenté de 50 % au cours du siècle, tandis que celui d’acier a décuplé plusieurs fois en passant du procédé du puddlage manuel à celui de Martin-Siemens…

Dans ce même passage, Marx poursuit :

« Il est possible que dans certains secteurs agricoles, tel que l’élevage, la composition du capital soit de 90 constant et de 10 variable, et que le degré technologique soit supérieur à celui de l’ensemble du capital industriel (il y a ici une note en bas de page, qui est de la plus grande importance, sur un point de principe mille fois ‹ enfoncé › : ‹ Il va de soi que, quand nous parlons de composition du capital agricole, la valeur du sol, ou mieux, le prix du sol n’y est pas compris. Ce prix n’est que la capitalisation de la rente foncière ›). Mais ce ne sont pas ces secteurs particuliers qui déterminent la rente, ce sont ceux de la partie principale de l’alimentation, comme le blé par exemple. La rente de ces secteurs n’est pas déterminée par le degré de composition du capital qui y est employé, mais par le volume du capital employé dans la production de l’aliment principal ».

Suit une assertion tranchante : « La simple existence de la production capitaliste implique que l’aliment principal soit de caractère végétal et non animal ».

Ici, les rénovateurs pourraient sauter sur l’occasion pour considérer comme dépassée cette position, étant donné que désormais le prolétariat ne se nourrit plus exclusivement de pain.

Les statistiques actuelles nous disent que chaque habitant du globe dispose de 77 kg de pain par an. Il est curieux de noter qu’il dispose du même poids d’acier ! Et en outre, de 568 kg de charbon, de 215 kg de pétrole, et encore de 75 m3 de méthane. En plus du blé, il y a évidemment les autres céréales, et les autres denrées : 55 kg de riz (cité par Marx à plusieurs reprises), 55 kg de maïs, et 93 kg de pommes de terre. Le reste des produits agricoles est négligeable en quantité, sinon en valeur. Les quantités de sucre, de viande, de lait et de graisses, ne sont certes pas négligeables pour les pays développés. Ces quantités-là sont dérisoires pour l’Asie, notables pour l’Europe centrale et occidentale, fortes pour l’Amérique, alors qu’elles égalent, pour les État-Unis et le Canada, et même qu’elles dépassent, pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les quantités de céréales consommées. Même en Angleterre, on ne consomme que 51 kg de viande contre 103 de céréales. Et, en Italie, 17 contre 153 ! En Italie, la somme des aliments fournirait 2370 calories par habitant et par jour : en Angleterre et aux États-Unis, plus de 3000. Le minimum est atteint en Inde avec 1620. Pas de données certaines pour la Russie et la Chine.

Selon d’autres données, la terre produirait un milliard et demi de quintaux de blé pour deux milliards quatre cent millions d’habitants : 60 kg. Cette statistique fait totalement abstraction de l’U.R.S.S., et, par conséquent, elle concorde avec la première. La quantité de riz produite est un peu supérieure, celle de maïs un peu inférieure, et celle de pommes de terre dépasse celle de riz. Les statistiques portant sur les animaux d’élevage donneraient pour chaque homme, grosso modo, un tiers de bovin, un tiers d’ovin, un huitième de porcin (on pourrait traiter de nombreux hommes de porc). Il n’est pas facile de calculer, à partir de ces chiffres qui portent sur le cheptel, ceux de l’augmentation annuelle et d’en déduire la part de bêtes à viande. Par exemple, aux États-Unis, avec 150 millions d’hommes, 84 de bovins, 33 d’ovins, 24 de porcins (ohé !, McCarthy !), ils produisent 10 millions de tonnes de viande. Cela fait 68 kg par habitant, et cela concorde avec les données utilisées plus haut et qui indiquaient une consommation de 70 kg. Si l’on analyse grossièrement ces données, on en déduit que l’élevage des États-Unis représenterait le dixième de celui de la terre entière, et que celle-ci disposerait donc de 100 millions de tonnes de viande d’alimentation par an. La conclusion serait que chaque terrien mange 270 kg de céréales et de pommes de terre par an, alors qu’il n’en mange que quatre ou cinq de viande (avec un minimum de 2 kg pour le Japon et l’inde).

Nous ne nous sommes donc pas écartés de Marx. Mais, et les pays développés ? Il ne faut pas se laisser embobiner par les moyennes. En effet, le rapport entre viande et céréales varie énormément d’une classe à l’autre, et d’une région à l’autre, dans les moyennes. Par exemple, en Italie, l’abattage en kg par habitant est en moyenne de 14,2 (troisième source qui coïncide presque avec les 17 donnés ci-dessus). Mais il va de 27 en Emilie à 5,3 en Sicile. Le Sicilien est pourtant aussi carnivore que le terrien moyen. Et encore, nous ne comparons pas Mario Scelba avec le mineur sicilien des soufrières. Le capitalisme est donc l’époque de l’alimentation céréalière, comme la « barbarie supérieure » (guerre de Troie) était l’époque de l’alimentation exclusivement carnée. De toute façon, Marx a toujours raison de calculer la part du profit qui est affecté à la rente en se servant de la production de blé. En Amérique, celle du porc (honni soit…) est une industrie : vous avez entendu parler de ces grandes usines de Chicago où le cochon vivant entre dans la machine pour en sortir sous forme de saucisses, et du jour où les machines tourneront à l’envers, et où ce seront les saucisses qui y entreront tandis qu’on aura les cochons vivants à la sortie. Ici, la composition technologique est très élevée : un brave travailleur pour dix cochons bourgeois.

Rubriques sur la rente

Marx consacre onze bons chapitres du Livre III à la rente foncière, et il se réfère ensuite directement à celle-ci dans les cinq chapitres suivants : les derniers que nous possédons. L’ordre de leur composition n’est même pas certain. À un certain moment, l’auteur semble faire une pause pour récapituler la théorie qu’il est en train de développer :

« L’étude de la rente doit comporter les rubriques suivantes :
A. Rente différentielle.
1. Notion de la rente différentielle. Illustration par la force hydraulique. Passage à la rente agricole proprement dite.
2. Rente différentielle I, découlant de la différence de fertilité de divers terrains.
3. Rente différentielle Il, découlant d’investissements successifs de capital sur un même terrain. Il faut étudier la rente différentielle II, le prix de production étant :
a) constant,
b) en baisse,
c) en hausse.
En outre,
d) la conversion de surprofit en rente.
(se souvenir que : prix de production égale capital constant, plus capital variable, plus profit au taux moyen général de l’industrie – rente foncière égale différence entre le prix moyen de marché et le prix de production ainsi établi).
4. Influence de cette rente sur le taux de profit.
B. Rente absolue.
C. Le prix de la terre.
D. Considérations finales sur la rente foncière ».

Nous aussi, nous donnons ce clair résumé synoptique de la question, après avoir anticipé une partie de son contenu lors de différents commentaires et développements. Mais il est nécessaire cependant de revenir sur le raisonnement quantitatif afin de confirmer les conclusions.

L’analyse complexe de la rente différentielle aboutit à la thèse suivante : « Du point de vue de la production capitaliste, il y a toujours un renchérissement relatif du produit s’il faut un capital supplémentaire pour maintenir sa production au même niveau ». Cela signifie que, si la terre à mettre en culture est entièrement occupée, et si, en même temps, du fait de l’augmentation de la population par exemple, il est nécessaire d’avoir un produit (blé) supérieur, en investissant sur le même terrain déjà cultivé d’autres dépenses sous forme d’engrais et de diverses installations destinées à améliorer la culture, on augmente le produit (on verra bien si, en cinq ans, l’Italie parviendra à produire 90 millions de quintaux de blé, sur une base de 79 en 1952), mais, inévitablement, le prix unitaire doit augmenter aussi. L’une des faces de la vérité générale est bien que les produits manufacturés sont disponibles à moindre prix, grâce à l’augmentation de la productivité du travail due au capitalisme, mais l’autre est que les produits alimentaires voient leur prix augmenter. Cette course ne peut déboucher sur une autre solution que la révolution, laquelle détruira le mode capitaliste de production, c’est-à-dire, ce qui est la même chose, la distribution par le marché : unique donnée nécessaire pour construire tout le raisonnement de Marx.

Révolution anti-trinitaire

Quand, à la fin de son exposé sur la théorie de la rente, Marx affronte le problème d’ensemble des trois sources de revenu économique et des trois classes, il semble aligner les armées pour une journée de bataille décisive, dont le chapitre « Les classes », parce qu’interrompu, ne pourra pas donner la description. Mais Marx pourra quand même mener à fond la critique de la formule trinitaire capital-profit (ou mieux, ainsi qu’il le démontre, capital-intérêt) : terre-rente : travail-salaire. Dans la superstructure de la mentalité qui se forme dans l’ambiance bourgeoise, ces trois sources autonomes effectives des trois fractions en lesquelles se partage la richesse produite, apparaissent comme une valeur ajoutée à l’issue de tout processus de production. Dans la critique révolutionnaire, le seul facteur réel de la valeur est le travail : il est le seul à en ajouter : mais ils sont trois à en soustraire. « Dans cette trinité économique qui veut établir la connexion interne entre les éléments de valeur et de richesse et leurs sources, la mystification du mode capitaliste de production, la réification des rapports sociaux, l’imbrication immédiate des rapports de production matériels avec leur détermination historico-sociale, se trouvent accomplies (le texte veut dire qu’il ne s’agit pas de sources de valeur mais de rapports de force entre les hommes : droit de propriété pour la Terre, appropriation des marchandises pour le Capital), et c’est le monde enchanté et inversé, le monde à l’envers où monsieur le Capital et madame la Terre, à la fois caractères sociaux, mais en même temps simples choses, dansent leur ronde fantomatique ».

L’économie classique a dissipé ces fausses apparences et a mis en évidence que seul le Travail – sans préfixe de politesse – engendrait la Valeur. Mais l’économie moderne retombe dans cette niaise personnification, et, ainsi que nous l’avons vu au début de cet article, elle fait du Globe un Capital limité. « Cette formule correspond… aux intérêts des classes dirigeantes, puisqu’elle proclame la nécessité naturelle et la légitimité éternelle de leurs sources de revenus, en les élevant à la hauteur d’un dogme ».

Citons ici, encore une fois, à l’intention de ceux, nombreux et même importants, qui n’ont pas voulu comprendre le rapport entre le capitalisme décrit par Marx et les mille accidentalités du cours historique, et à l’intention également de ceux qui s’intéressent aux textes modernes de l’économie, citons donc le passage suivant dans son intégralité :

« En exposant ainsi la réification des rapports de production et comment ils deviennent autonomes vis-à-vis des agents de la production, nous ne montrons pas dans le détail comment les interférences du marché mondial, ses conjonctures, le mouvement des prix de marché, les périodes de crédit, les cycles de l’industrie et du commerce, les alternances de prospérité et de crise, apparaissent à ces agents comme des lois naturelles toutes-puissantes, expression d’une domination fatale, et qui se manifestent à eux sous l’aspect d’une nécessité aveugle. Nous ne le montrons pas parce que le mouvement réel de la concurrence se situe en dehors de notre plan et que nous n’avons à étudier ici que l’organisation interne du mode capitaliste de production, en quelque sorte dans sa moyenne idéale ».

Suit un raccourci historique qui prouve que ces relations terre-rente, et surtout, argent-intérêt (capital-profit), loin d’être naturelles et éternelles, étaient étrangères aux anciens modes de production production directe de biens d’usage – esclavage et servage – système médiéval des corporations.

« Dans les communautés primitives où règne le communisme primitif et même dans les communautés urbaines de l’Antiquité, ce sont les communautés elles-mêmes, avec leurs conditions, qui se présentent comme base de la production et dont la reproduction apparaît comme fin dernière de celle-ci ».

Comme toujours, la méthode de Marx est cohérente : comparaison avec le passé afin de démontrer le caractère transitoire et non immanent des lois économiques du capitalisme, et surtout de la loi de la valeur (que Staline et les risibles rénovateurs de Marx voudraient poser comme une chape commune au capitalisme et au communisme, en lui apprenant que tout son plan est modifié par les changements du jeu de la concurrence, alors que ce dernier ne rentrait pas du tout dans son plan : ils ne sont vraiment que d’amusantes souris qui s’occupent sérieusement de mettre « une sonnette à la queue du chat »). Et après cette comparaison, un saut dans le futur et un aperçu sur la grande communauté qui, réunissant tous les « terriens », se fixera comme but final « sa propre reproduction », en se préoccupant comme d’une guigne de la rente, de l’intérêt, et, in primis et ante omnia, du salaire, fût-il celui du président Ike, recordman mondial des employés intérimaires.

À la fin de ce chapitre, quelque stupide incident fit que la plume se cassa dans la main du géant : « Ce n’est que dans le mode capitaliste de production que…  ». Mais nous lirons quand même la suite sans aucune hésitation : ce n’est que dans le mode capitaliste de production, car cela n’existait pas avant lui, et cela n’existera plus lorsqu’il aura été renversé, que tout se mesure avec votre sale argent puant, avec le calcul du revenu personnel et du résultat de l’entreprise, avec la mise en esclavage de la nature humaine par les aiguilles de la pointeuse dans les usines et les bureaux.

Élimination des cas impurs

En revenant donc à la rubrique A, sur la rente différentielle, il ne peut pas être mauvais d’insister encore une fois sur le fait que toute l’étude est fondée sur les données d’une moyenne idéale, qui non seulement (et Marx le répète mille fois) ne sont pas celles d’un pays quelconque de son époque (ni même d’aujourd’hui), mais qui diffèrent de beaucoup des conditions de l’Angleterre elle-même. Les conditions idéales (après en avoir tant parlé, on saura prendre ce terme cum grano salis et ne pas le confondre avec celui d’imaginaires, de rêvées : ce sont les conditions limites que toute science pose par hypothèse comme des conditions réelles : le champ gravitationnel, par exemple, est supposé constant et vide d’éléments matériels, alors que, dans la nature, il est toujours variable et occupé par des particules aussi minuscules soient-elles), les conditions idéales, donc, correspondent à l’hypothèse que le travailleur de la terre est un salarié, que son salaire est au niveau moyen de celui de l’industrie dans son ensemble, qu’entre lui et le propriétaire juridique qui détient, par ordre de la police, la « clé » du fonds, s’interpose partout un fermier entrepreneur, et que le gain de ce dernier est au niveau moyen social du profit de tous les entrepreneurs industriels.

Dés que nous avons affaire à des propriétaires cultivateurs directs, ou même des fermiers cultivateurs directs, nous sortons nettement de ces hypothèses.

« Nous n’examinerons pas ici les cas où la rente foncière, qui est la forme de propriété foncière correspondant au mode capitaliste de production, existe formellement, sans qu’existe le mode capitaliste de production lui-même, sans que le fermier soit un capitaliste industriel ou que le mode d’exploitation agricole pratiqué soit de type capitaliste. Ce cas existe par exemple en Irlande. En général, le fermier y est un petit paysan. Le fermage qu’il verse au propriétaire foncier absorbe souvent, non seulement une partie de son profit, c’est-à-dire de son surtravail, auquel il peut prétendre (selon le droit bourgeois) en tant que possesseur de ses propres instruments de travail, mais aussi une partie du salaire normal qu’il recevrait dans d’autres conditions (ouvrier agricole) pour la même quantité (temps) de travail. En outre, le propriétaire foncier qui, dans ce pays, ne contribue en rien à l’amendement du sol, le dépossède du petit capital qu’il incorpore à la terre (défrichage, nivellement, plantation, etc.), en majeure partie par son propre travail, tout comme ferait un usurier dans des conditions semblables, avec cette différence, toutefois, que l’usurier risque au moins son propre capital dans une telle opération. Ce pillage permanent constitue l’objet de la querelle sur la législation agraire irlandaise qui se résume pour l’essentiel à ceci : le propriétaire foncier qui donne congé à son fermier doit être forcé de le dédommager pour les amendements qu’il a apportés au sol ou pour le capital qu’il y a investi. À quoi Palmerston avait l’habitude de répondre cyniquement : ‹ La Chambre des Communes est une chambre de propriétaires fonciers › ».

Nous avons rappelé en d’autres occasions que, lorsque Marx se battait, pendant la période 1860-70, et cette fois non comme écrivain seulement mais comme chef politique de la Première Internationale, pour la révolution indépendantiste irlandaise, il déclarait qu’une révolution agraire était nécessaire pour l’Irlande. Cette révolution agraire, tout comme sa forme nationale, étaient des révolutions capitalistes, bourgeoises. Mais des révolutions quand même : comme celle que Lénine a dirigé dans les steppes de Russie, en plaçant à sa tête le prolétariat industriel et agricole du monde.

Il est piteux de voir les communistes d’Italie défendre désespérément le colon (petit fermier) et le métayer (qui sont les plus nigauds des électeurs : ici, le cynisme est au même niveau que chez Palmerston, puisque le corps électoral est constitué de millions de paysans et de colons), tout en proclamant de manière impudente qu’ils étendent cette défense à celle du grand fermier capitaliste contre le propriétaire foncier, et ceci alors que la réglementation des prix et des fermages a eu pour effet d’alléger sensiblement la rente du propriétaire et d’accroître scandaleusement le surprofit des entreprises agricoles. C’est là même une position décidée, déclarée, digne d’un parti bourgeois, dans un pays où il existe de nombreux ouvriers agricoles, un prolétariat de la terre aux caractères tout à fait particuliers, moins atteint par la peste réformiste que celui des industries urbaines, et qui, du point de vue statistique, fait jeu égal avec ce dernier si l’on considère son passé tout simplement glorieux de guerres de classe contre les propriétaires et les entrepreneurs agricoles, contre les jaunes de la louche bourgeoisie des fermiers et des métayers, et tout autant contre les sbires de l’État capitaliste. Lénine aurait certainement confié la république à une masse de ce type, en donnant, au Soviet, une délégation pour cent ouvriers et une pour dix mille colons.

Marx exclut également du calcul qu’il mène les phénomènes hybrides de la lutte historique anglaise entre les trois forces : propriété foncière bourgeoise (landlords), capitalistes agraires (farmers) et travailleurs agricoles. À travers cette lutte, qui culminera avec les droits protectionnistes sur le blé, lorsque les prix de ce dernier baissaient au grand soulagement de tout le prolétariat, les propriétaires fonciers tentaient d’arrondir leurs rentes en comprimant les gains des fermiers au-dessous du profit normal, et les fermiers réagissaient en comprimant les salaires des travailleurs des campagnes. Marx, qui a étudié à fond cette phase historique et économique, en donne une interprétation rigoureuse et limpide : il y a adjonction à la rente, grâce au facteur politique et de force, d’une partie du profit d’entreprise et du salaire, partie qui accroît artificiellement la rente proprement dite, à savoir la rente moyenne idéale.

En fait, le point crucial est à son tour déplacé de la science pure sur le terrain de la lutte sociale et politique. Il s’agit de réfuter les ricardiens et les économistes vulgaires en démontrant que, même si l’on contient la rente dans ses limites théoriques, et même si éventuellement on l’attribue à l’État pour couvrir ses dépenses, c’est-à-dire en exonérant de l’impôt l’entreprise capitaliste de l’industrie et de la terre, on n’atteint pas pour autant l’illusoire harmonie dans la richesse de la nation et dans le bien-être trinitaire de toutes les classes, mais on confirme au contraire la perspective des antagonismes révolutionnaires. La conversion de la rente des terres les plus mauvaises en intérêt de titres de l’État n’a du reste rien à voir avec la révolution, pas même bourgeoise : elle sauvegarde le privilège du rentier, et elle aggrave le déficit du budget public pour des améliorations foncières inefficaces, dans lesquelles la technique agricole devient une ânerie, et l’administration de l’État un corps de voleurs disponible pour la spéculation triomphante des entreprises.

La chute hydraulique

Feuilletons tranquillement notre rubrique (on dirait aujourd’hui notre agenda) et venons-en à l’image (vous ne vous foutriez pas beaucoup de nous, messieurs les modernisateurs, si vous l’appeliez parabole, à l’instar des Ecritures saintes, car si vous vous mettiez à les actualiser, vous en rabaisseriez le texte historiquement grandiose au niveau de vos si nombreuses diarrhées imprimées : votre place est aux « puces », c’est-à-dire au marché où l’on refile au consommateur italien les surplus remis à neuf de vêtements américains, aux portes de nos villes éventrées par les bombes), à l’image donc de la chute hydraulique, que nous préférerons à celle de la mine (traitée dans « L’Histoire des doctrines économiques »).

Nous supposerons que les usines d’un pays sont actionnées, dans leur grande majorité, par des moteurs à vapeur (électriques ?, d’accord, et même, si vous voulez, nucléaires bien, très bien !) et que seules quelques usines disposent d’une chute d’eau qui leur fournit la force motrice nécessaire. Celle-ci, pour le moment, ne coûte rien, comme s il y avait encore, dans quelque coin, de « l’eau libre », non accaparée par des propriétaires en titre ou par l’État. Pour la clarté de l’exposé, nous supposerons maintenant que la seule économie occasionnée par ce type d’énergie soit le charbon consommé annuellement, en considérant donc que, pour les deux types de moteur, le personnel nécessaire à leur fonctionnement soit identique, de même que le coût de la manutention et de l’usure.

Ce qu’il adviendra, c’est que, pour les quelques usines privilégiées, le coût de production et le prix de production vont baisser d’une somme équivalente à la dépense de charbon, c’est-à-dire d’une partie de ce que nous, marxistes, appelons capital constant.

Passons donc à quelques chiffres, et prenons les mêmes que Marx dans le cas présent. Admettons avec lui que, pour les usines qui utilisent des moteurs à vapeur, le capital soit de 100, et, si vous voulez, qu’il comprenne 80 de matières premières et 20 de salaires (capital variable), lequel, pour cet exposé, n’est pas de première importance. Soit un profit de 15 %, en négligeant comme d’habitude toutes les fluctuations contingentes de temps et de lieu. La marchandise produite aura un coût de production (prix de revient) de 100. Par prix de production, Marx entend l’ensemble du capital avancé, ou dépense engagée, et de la marge de profit au taux moyen le prix de production est donc de 115. Ce prix-là détermine le prix de vente du produit, le prix de marché, abstraction faite des écarts habituels : par conséquent, le produit de cette usine (par exemple le papier) se vend à 115.

Il n’y a aucune raison pour que l’acheteur demande si le moteur était à vapeur ou hydraulique et donc la papeterie à eau vendra aussi à 115 : ceci est clair.

Maintenant, en quoi le compte de cette seule papeterie ou de ces quelques papeteries à eau diffère-t-il du compte général ? Ce dernier s’établissait ainsi : capital constant 80, capital-salaires 20, coût ou dépense de production 100, profit 15, prix de production 115, prix de vente 115. Profit au taux de 15 %. Plus-value avec un taux de 15 sur 20, soit 75 %.

Marx ne donne pas ici ce rapport mais notez bien que, dans tout l’exposé, il est supposé que le taux moyen social de plus-value industrielle est unique, du moins pour une branche d’industrie où la composition organique et la productivité du travail sont les mêmes. Poursuivons en passant à la papeterie à eau. Soit 10 la dépense de charbon économisée. Le capital constant tombera de 80 à 70, le capital-salaires demeurera à 20, et le coût de production ne s’élèvera qu’à 90. Mais nous avons vu que le prix de vente est de 115. Il reste donc une marge de 25 et non plus de 15. Ce « surprofit » de 10, qu’en faisons-nous, comment le définissons-nous ?

De même qu’il n’y a aucune raison pour qu’un acheteur demande si le papier provient de telle ou telle usine, il n’y en a pas non plus pour que le capital à investir demande autre chose que le degré de sa rémunération : on trouvera donc quelqu’un qui sera disposé à avancer 90 au taux social de 15 % que gagnent les autres (après toutes les oscillations d’adéquation concurrentielles qui sont en dehors de notre plan). Alors, le prix de production sera de 90 plus 15 %, soit de 90 plus 13,5, et donc de 103,5.

Il reste donc un gain supplémentaire de 11,5 pour arriver aux 115 tirés de la vente du papier sur le marché. Eh bien, c’est ce surprofit qui se dénomme la rente différentielle, dans la mesure où elle découle, à parité de satisfaction du consommateur pour la valeur d’usage, et donc de valeur d’échange du produit, d’une situation différente dans le mécanisme productif, due à la présence de l’élément naturel qu’est la chute d’eau. Mais, cette marge de 11,5, ce n’est pas la chute d’eau qui l’a produite : on peut y puiser un verre d’eau, mais pas une seule feuille de papier : c’est toujours le travail du personnel de la papeterie qui l’a produite.

Le salaire étant resté le même, 20, le surtravail est monté de 15 à 25 : il se répartit en 13,5 de profit industriel et 11,5 de rente différentielle de type foncier.

Maintenant, nous avons toujours voulu supposer que le taux de plus-value était constant. Nous ne dirons donc pas que ce taux est monté de 75 % dans le premier cas à 125 % dans le second (25 de gain sur 20 de salaire), mais plus rigoureusement, nous devrions dire que les 15, c’est-à-dire les 75 %, représentent la plus-value normale, et les 10, c’est-à-dire les 50 % supplémentaires, une plus-value exceptionnelle, qui devient surprofit, et rente.

Marx élimine la différence apparente entre 10 et 11,5 en supposant que la productivité du travail et la composition organique sont identiques dans les deux cas : par exemple, à la diminution de dépense pour le charbon, il correspond une certaine économie de salaire (celui du chauffeur de la chaudière). Dès lors, celui qui avance 90 de capital total, aura 72 de capital constant et 18 de salaire (le quart de 72). On aura comme profit normal au taux de 15 %, les 13,5 déjà cités, et le surprofit converti en rente sera de 11,5 comme cela a été établi auparavant.

Dans cette hypothèse de la composition du capital, le taux de plus-value total sera supérieur : 25 sur 18, et donc 139 %, chiffre dans lequel, si 75 est normal, 64, et non 50 comme auparavant, est une plus-value exceptionnelle.

Les personnes en lice

Ceci étant établi, il est clair que « si nous nous représentons maintenant que les chutes d’eau et la terre sur laquelle elles sont situées se trouvent entre les mains de personnes qui passent pour être les détenteurs de ces parcelles du globe, les propriétaires fonciers, l’investissement de capital dans la chute d’eau et son utilisation sont alors exclus. Les propriétaires peuvent autoriser ou refuser cette utilisation, mais le capital par lui-même n’est pas capable de créer la chute d’eau. Le surprofit issu de l’utilisation de la chute d’eau ne provient donc pas du capital (de même qu’il ne provient pas non plus d’un travail humain antérieur), mais de l’emploi par le capital d’une force naturelle monopolisable et monopolisée. Dans ces conditions, le surprofit se convertira en rente foncière, c’est-à-dire qu’il revient au propriétaire de la chute d’eau. Si le fabricant paie à ce dernier la rente annuelle de 11,5 pour sa chute d’eau, son profit sera toujours le même, soit 15 % de son capital ».

« La propriété de la chute d’eau n’a, en soi, rien à voir avec la création de la part de plus-value (profit), donc du prix de la marchandise, produite grâce à la chute d’eau. Ce surprofit existerait même s’il n’existait pas de propriétaire foncier, si, par exemple, le fabricant utilisait le terrain doté de la chute d’eau, comme terrain n’appartenant à personne. Ce n’est donc pas la propriété foncière qui crée cette fraction de valeur se transformant en surprofit : elle donne seulement au propriétaire foncier, possesseur de la chute d’eau, le pouvoir de faire passer ce surprofit (par des moyens légaux) de la poche du fabricant dans la sienne. La propriété foncière (fait juridique et de pouvoir) est la cause non de la création de ce surprofit, mais de sa métamorphose en rente foncière, donc de l’appropriation de cette fraction, ou encore du prix des marchandises, par le propriétaire du terrain ou de la chute d’eau ».

Le fabricant peut avoir acheté la chute d’eau à son propriétaire. Ce dernier lui aura alors demandé une somme d’argent égale à celle qui, placée en banque, lui rapporterait la même rente. Pour Marx, cette expression de prix ou de valeur de la chute d’eau ou de la terre en général est « irrationnelle ». Seules les marchandises, les produits du travail humain, le capital en lequel ils peuvent se transformer, ont une valeur et un prix. Le prix qu’on paiera pour la chute d’eau n’est pas autre chose qu’une rente capitalisée : si le taux, non pas du profit au sens marxiste, mais de l’intérêt au sens vulgaire, est de 5 %, le propriétaire demandera, en contrepartie de la perte de sa rente de 10 par exemple, la somme de 200, et pour celle de 11,5, la somme de 215.

Comment faire entrer dans la tête dure de certaines personnes cultivées (voir « Socialisme ou Barbarie », titre rhétorique qui, en soi, n’est pas marxiste) que la confusion entre capital « patrimonial » et « capital-dépense » n’existe jamais chez Marx, mais uniquement dans les formules qu’ils utilisent ? Dans le capital total, dans sa partie constante comme dans sa partie variable, vous ne verrez jamais Marx, dans aucune de ses pages, tenir compte de la valeur patrimoniale de la chute d’eau, de la terre agricole, des bâtiments ou de l’usine, lorsqu’il s’agit pour lui de calculer le taux de plus-value, le taux de profit, ou le degré technologique. Il ne tient pas non plus compte de la valeur du moteur, qu’il soit à vapeur, hydraulique ou autre : la seule valeur qui soit intégrée au calcul, c’est sa part d’usure qui est occasionnée par la production d’une quantité déterminée de marchandises fabriquées.

Capital investi, avancé ou employé, dans la production, c’est la même chose pour Marx : c’est toujours une partie du produit, de la marchandise fabriquée et vendue, et du fameux chiffre d’affaires des comptables et des professeurs d’université.

Pour aujourd’hui, nous pouvons clore la Rubrique.

« Après avoir précisé le concept général de la rente différentielle, nous allons en venir à l’étude de cette rente dans l’agriculture proprement dite. Ce que nous dirons vaudra dans l’ensemble pour l’industrie extractive également ».

S.O.S. Les chiffres seront un peu plus nombreux dans la suite de l’exposé. Que la sainte Trinité nous préserve au moins des erreurs typographiques, sinon des bâillements du lecteur… intellectuel professionnel.


Source : « Il Programma Comunista », № 5, mars 1954. Traduit dans « (Dis)continuité », № 9, avril 2001. Traduction non vérifiée, se rapporter à l’original.

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