BIGC - Bibliothèque Internationale de la Gauche Communiste
[last] [home] [content] [end] [search]

TERRE VIERGE, CAPITAL SATYRE
If linked: [English] [German] [Italian] [Spanish]


Content:

Terre vierge, capital satyre
La première forme
La loi différentielle
Et la politique «fantaisiste»?
La seconde forme
Fécondité intéressée
Les fameuses unités
Le pain à meilleur marché?
Point d'arrivée
Notes
Source


«Sur le fil du temps»

Terre vierge, capital satyre

La première forme
[top] [content] [next]

Nous avons amplement traité de la première forme de la rente différentielle pour les terrains agricoles. Elle correspond à la comparaison entre différents terrains qui sont progressivement mis en culture du fait de la nécessité de nourrir des populations croissantes, et qui sont inévitablement de fertilité différente, c'est-à-dire qui donnent un produit différent pour l'emploi d'un travail identique. Il est évident que, si la société humaine disposait non seulement de terres illimitées, mais encore de terres illimitées de chaque «type» de fertilité, elle ne cultiverait que la terre la plus fertile de toutes, et elle se nourrirait en fournissant un minimum de travail.

«À la limite», s'il existait une terre assez fertile pour qu'elle donne des fruits à autant d'hommes à nourrir que l'on voudrait, sans qu'ils aient à travailler, ces hommes pourraient vivre la bouche ouverte au pied d'arbres quasi miraculeux: le travail se réduirait à celui des muscles qui actionnent leurs mandibules. Il ne viendrait à l'esprit de personne d'établir des monopoles sur la terre et de se donner la peine d'édifier une enceinte autour de l'arbre nourricier.

Dans le cas le plus vraisemblable où il existe des terrains A, B, C, D, de productivité croissante pour un effort de travail identique, si chacun de ces terrains était en quantité, en extension illimitée, la communauté ne travaillerait que sur les terrains du type D qui donnent quatre fois plus de fruits pour un effort de travail identique. La quantité de blé à récolter étant proportionnelle au nombre de membres de la société, il est clair que, puisqu'elle peut trouver autant de terrains D qu'elle le désire, elle travaillera le quart du temps que celui qu'il lui faudrait si elle défrichait les terrains de type A qui fournissent le minimum de produit.

De toute façon, si le nombre d'hommes augmente, ou, si vous voulez, leur appétit, tant que la terre n'est pas limitée, c'est-à-dire monopolisée, la première solution évidente n'est pas d'obtenir plus de fruit d'un seul terrain, mais d'occuper un autre terrain.

Il importe à Marx d'examiner ce phénomène à une époque et dans un milieu capitalistes modernes, à savoir dans l'hypothèse où celui qui travaille ne dispose pas du produit, ni individuellement, ni collectivement, mais où il n'en reçoit de l'«entreprise agricole» qu'une partie qui est fonction, dans une certaine mesure, de son temps de travail.

Dans la première forme, cette économie assure son extension par la mise en culture de nouveaux terrains. Mais, historiquement, toute la terre disponible sera bien vite occupée, et si l'on veut plus de blé pour nourrir des bouches plus nombreuses, la seule solution sera de faire produire en plus grande quantité la terre déjà cultivée: c'est ce que nous devons analyser avec la seconde forme.

Avec la première forme, nous avons démontré que, étant donné l'échange mercantile qui obéit à la loi des équivalents, étant donné la production agricole organisée de manière capitaliste avec des entrepreneurs agricoles ou fermiers, et des paysans uniquement salariés, étant donné l'hypothèse faite que toute la terre emblavée ou non est désormais sous forme de propriété privée, et étant donné qu'il existe des terrains de fertilité différente, il apparaît une rente différentielle au fur et à mesure que l'on passe du terrain le moins fertile A aux terrains meilleurs B, C et D.

La loi différentielle
[prev.] [content] [next]

Les lois établies disent que le prix de production du blé calculé pour le terrain le plus stérile A, ou prix régulateur, détermine le prix de vente de l'ensemble du blé. A n'a pas de rente, mais les autres trois terrains ont des rentes successives croissantes.

Les analyses détaillées des différents cas, à savoir lorsqu'on met en culture successivement des terrains meilleurs ou des terrains pires, ou encore ces terrains en ordre alterné, montrent que la cause «fertilité différente» engendre l'effet «rente différente».

Quelle est la relation entre cause et effet? La plus simple serait la proportion: si la fertilité double, la rente double. Mais le tableau fondamental de Marx, son Tableau 1, sur lequel s'appuie toute la construction, est là pour montrer que la forme de cette loi est bien différente. Les quatre terrains donnent un produit de 1, 2, 3 et 4 en mesures de blé. Les rentes ne sont pas de 1, 2, 3 et 4, c'est-à-dire des valeurs proportionnelles au produit, mais 0 shilling, 60 shillings, 120 shillings, 180 shillings, que l'on peut représenter à l'aide de la série de chiffres zéro, un, deux, trois. Contre, répétons-le, la série un, deux, trois, quatre. Justement la règle qui régit les deux séries n'est pas proportionnelle mais différentielle. Qu'est-ce que cela veut dire? Supposons que je connaisse la rente (60 shillings) du terrain 2 (B) et que je me demande quelle est celle du terrain 3 (C). Si je raisonnais de la façon suivante: elle doit croître, sur la base de 60 shillings, proportionnellement au produit qui est de 3 au lieu de 2, je dirais alors que la rente de C est de 90 shillings. Mais j'aurais dit une bêtise: ce fait ne serait ni nouveau ni grave pour personne d'entre nous. Mais, socialement, je l'aurais dite dans un sens qui avantage le propriétaire foncier bourgeois; et j'aurais trompé politiquement mon parti révolutionnaire. Voilà le mal.

L'on doit donc raisonner d'une autre façon, et dire: l'augmentation de rente de B à C dépend de l'augmentation de fertilité de B à C, comme cela était le cas pour l'augmentation de rente de A, terrain de base, à B. B gagne, par rapport à A, une mesure de fertilité, et C fait de même par rapport à B. Eh bien, si B gagne une rente de 60 shillings par rapport à A, C doit faire la même chose par rapport à B. Et alors, 60 plus 60 fait 120, et non 90. Idiot que j'étais! Et malin le rentier! (1)

Dit littéralement: il n'est pas vrai que la rente croisse proportionnellement à la fertilité, mais c'est la différence entre deux rentes qui est proportionnelle à la différence entre deux fertilités.

Ce principe de la rente différentielle est le même que celui qu'a établi Galilée pour la relativité des mouvements uniformes. Il n'a plus dit que les distances parcourues par un mobile à partir d'un point fixe sont proportionnelles aux temps de sa course, mais que les distances parcourues entre deux positions successives sont proportionnelles aux différences entre les temps mesurés entre ces deux positions. Ce n'est pas la même chose.

En algèbre, on exprime la première loi par: d (distance) égale v (vitesse constante) multiplié par t (temps). Depuis Newton-Leibniz, ceux qui utilisent l'outil commode du calcul infinitésimal (qui est comme le rasoir électrique par rapport à la pierre dure aiguisée primitive: cette dernière doit être maniée par un Figaro de génie, alors que le premier est bon pour n'importe quel imbécile comme nous) disent au contraire: delta d (différentielle de la distance) égale v (vitesse constante) multiplié par delta t (différentielle du temps).

Loi de Marx: la différentielle de la rente est égale à une constante multipliée par la différentielle de la fertilité.

Petit, le pas en avant?! C'était plus facile d'apprendre la rente absolue que sa différentielle?! Plus facile? Nous ne sommes pas à l'école, bon Dieu, mais dans la lutte historique! Ce pas fait par Galilée fonde la théorie de tous les mouvements, y compris ceux dont la vitesse n'est pas uniforme, et avec elle, la physique moderne, la science du temps, de l'outil et du moteur mécanique. C'est sur cette base que Marx peut parvenir à passer à la seconde forme, à savoir à admettre que le capital, inchangé dans la première forme, varie; que le prix de production régulateur, inchangé dans la première forme, varie lui aussi, et c'est ce que nous allons voir. Ce faisant, il donne les lois qui permettent l'étude de la forme économique capitaliste, agricole ou non (comme on dit aujourd'hui), qui lui était contemporaine, et de sa forme future; il démasque la soubrette concurrence et livre la théorie achevée du tyran monopole; il ôte complètement, à 100%, la parole et leur emploi à tous ces correcteurs bouffons de sa doctrine, depuis la naissance du capitalisme jusqu'à l'avènement du communisme.

Nous n'abandonnerons pas cette parenthèse sur la philosophie de la rente différentielle sans une application de ladite loi de Marx à notre exemple, celui que nous avons mis à jour avec des données concrètes actuelles. Dans le tableau que nous avons publié dans notre précédent numéro, le terrain C produisait 7 quintaux et le D 7,75. Connaissant la rente de C, soit 16 000 lires par hectare, je me demande quelle est la rente de D. Si, par inadvertance, je faisais la proportion, je trouverais que la rente de D s'élève à 17 700 lires (en effet, la règle de trois donne:16 000 x 7,75: 7 = 17 700).

Je dois, au contraire, connaître auparavant la fertilité de A, le terrain de base à la rente nulle, qui est de 5 quintaux. Je dirai alors que la différence de fertilité pour le terrain C est de 7 - 5, soit 2, tandis que, pour D, elles est de 7,75 - 5, soit 2,75. Par conséquent, à la différence de rente entre C et A qui est de 16 000 (moins zéro), correspond une différence de rente entre D et A, à raison évidemment de 8 000 lires pour chaque quintal de plus. La différence de fertilité est de 2,75 au lieu de 2; et donc, aux 0,75 quintaux de plus, correspondent 6 000 lires. Telle est l'augmentation de rente lorsqu'on passe de C à D; et, par conséquent, ce terrain rapporte 22 000, comme dans notre tableau, et non pas 17 700. Le propriétaire foncier avait donc mis dans sa poche 4 300 lires par an, et par hectare. Chose digne du bureau agricole du P.C.

Je pouvais également partir des données de B qui sont: 6,5 quintaux et 12 000 lires de rente. C rapporte un demi quintal et 4 000 lires de plus que B, ce qui donne 8 000 lires par quintal. D rapportant 0,75 quintaux de plus que C, voit sa rente s'élever à 6 000 lires de plus que C, comme nous l'avons dit, et cette dernière va passer de 16 000 à 22 000.

Les chiffres absolus conduisent les chercheurs de vérité dans les hautes sphères de la conscience et de l'esprit, siège unique et immarcescible des valeurs absolues.

A l'inverse, nous ne croyons qu'aux valeurs différentielles dont seules nous faisons science. Elles nous conduisent à constater les foutaises de la réalité.

Et la politique «fantaisiste»?
[prev.] [content] [next]

De nombreux lecteurs suivent patiemment ces déductions et développements, et font tout ce qu'ils peuvent pour s'adapter aux évolutions entre arithmétique, littérature de parti, histoire et même philosophie. Malgré tout, ils ont l'air de se demander: mais quand arrivera-t-on à la politique? À l'attitude à observer envers les différentes couches de la campagne; à l'évaluation sociale et politique non seulement des propriétaires, des fermiers et des ouvriers agricoles, mais aussi des petits fermiers et métayers, des petits propriétaires; à l'effet de leurs aspirations et revendications, de leur pression collective; à la possibilité qu'ils soient assez courageux pour nous donner un coup de main?

Contre ces impatiences, qui nous menacent depuis de nombreuses décennies à l'instar de Jupiter tonnant du haut de l'Olympe (et contre lesquelles, en vérité, nous nous débattons en vain, nous retrouvant toujours le cul par terre, comme Capanée (2) et Prométhée), nous avons lancé, dans notre numéro précédent, une pierre à ne pas dédaigner, ramassée sur notre mère la Terre, probablement sur le terrain A. C'était un passage de Marx; cela vaut la peine de le citer à nouveau: «Tout ce qu'on peut dire à propos de la petite propriété foncière (et nous promettons d'en dire tout le mal possible) s'applique en fin de compte à la propriété privée (du sol, et des produits), barrière insurmontable pour l'agriculture. Il va de soi (c'est la seconde fois que nous nous lamentons avec le Maître que cela aille si peu de soi en cette sinistre époque) que nous négligeons (va pour ce gallicisme (3), qui n'est d'ailleurs qu'un latinisme: l'original dit sûrement vernachlässigen, beau mot dont nous aimerions donner l'équivalent: abandonner au pernacchio (4)) toute considération politique».

Vous rappelez-vous ce que le texte ajoutait?: «Cette barrière, cet obstacle insurmontable, se développe sous différentes formes (c'est vrai, messieurs les activistes, les conditions des différents pays, les situations contingentes successives, les rapports concrets des forces politiques, oui, mais ça va bien comme ça...). À force de discuter de ces mille formes, vous oubliez le mal en soi! (le mal de la propriété)».

Et maintenant, nous ramassons une autre pierre pour essayer de la balancer contre le bedonnant Jupiter-Tecoppa (5) de la politicaillerie. C'est Lénine qui écrit à la fin de 1907 (6), après que la révolution a été battue, sur le programme agraire du parti:
«
Le gros défaut de la presque totalité de la presse social-démocrate dans la question du programme agraire... c'est que les considérations pratiques l'emportent sur les théoriques, et les considérations politiques sur les économiques».

Lénine? Oui, Lénine. Mais Lénine n'était-il pas celui qui...? Si, mais l'on voit bien que vous vous abreuvez de Lénine (ainsi que de Marx) à partir de sources qui sont d'une portée intellectuelle digne des comptes rendus du procès Muto (7). Nous aurons le loisir d'expliquer comment raisonne Lénine, en orthodoxe têtu, encore pire que nous. Mais, de toute façon, voilà qu'il vous excuse:
«
Ce qui excuse la plupart d'entre nous, ce sont naturellement les conditions d'un intense travail de parti, dans lesquelles nous avons examiné le problème agraire dans la révolution: d'abord, après le 9 janvier 1905 (le massacre du Palais d'Hiver) à quelques mois de l'explosion (de l'insurrection); ensuite au lendemain de l'insurrection de décembre, et à la veille (avril 1906) de la première Douma...».

Mais nous, au lendemain de quoi, et à la veille de quoi sommes-nous? Quelle est l'histoire que nous sommes en train de vivre? Ne sommes-nous pas peut-être à la veille de la coucherie de Ugo avec Anna Maria, à la veille d'une lune de miel entre Mario et Clara? (8) Par conséquent, faisons comme Lénine l'a dit:
«
Mais cette insuffisance doit en tout cas être corrigée maintenant (une insuffisance, ô traducteurs, ou un grandiose bousillage?); et l'analyse de l'aspect théorique de la question... s'impose tout particulièrement».

Alignez-vous sans rouspéter pour la nouvelle étape de notre parcours tourmenté!

La seconde forme
[prev.] [content] [next]

Avant de passer à l'évaluation quantitative, le texte de Marx met en relief le caractère historique du passage de la forme I à la forme II de la rente différentielle, ainsi que la difficulté majeure à laquelle on est confronté lorsqu'une production accrue, devenue nécessaire pour la vie de la population, est à chercher non pas dans la mise en culture de nouvelles terres, mais dans des améliorations réalisées sur des terres déjà cultivées grâce à l'apport d'un surcroît de travail et de capital.

Le débat entre agronomes et économistes à propos de la perspective d'extension de la production agricole est fort ancien. Certains exagèrent les effets du phénomène de l'exploitation des terres vierges, c'est-à-dire l'épuisement progressif de la fertilité des sols, qui, dans les premières années, sont riches de substances chimiques organiques séculaires, mais qui, ensuite, les perdent du fait des récoltes - les autres ont exagéré en étendant à l'agriculture les conclusions de la technique industrielle sur les possibilités illimitées de produire des objets manufacturés en réalisant de nouvelles installations (phénomène, au contraire, pour lequel on doit également chercher la limite physique et sociale), et ils ont affirmé que l'on peut parfaitement placer n'importe quelle masse de capital sur un terrain déterminé. Marx rappelle avec un sourire que «la «Westminster Review» objectait déjà à Richard Jones qu'il n'était pas possible de nourrir toute l'Angleterre en cultivant intensivement Soho Square». Il s'agit de la place principale du célèbre quartier mal famé de Londres Soho, où habitent des Chinois, et, bien entendu, des Italiens.

Nous reviendrons sur cette question, car le passage est fondamental: «Mais si l'on veut voir en cela un inconvénient particulier à l'agriculture, on se trompe: c'est justement l'inverse».

Pour le moment, Marx ne résout pas le problème de la «productivité» des capitaux successifs qui, dans la forme II, sont appliqués à la même terre. Par exemple, sur le terrain C de la série de base, avec un capital de 50 shillings, on a 3 mesures de blé et 120 shillings de rente. Que se passera-t-il si l'on double le capital investi sur ce terrain, soit 100 shillings? Si le produit double, c'est-à-dire si les seconds 50 shillings de capital-travail donnent eux aussi 3 mesures, on en obtiendra 6 au total; mais si la productivité décroît, il se pourra qu'on en ait 3 plus 2, soit 5; et si elle croît, 3 plus 4, soit 7.

De plus, il peut arriver que le prix de production reste constant, ce qui signifie qu'il existe toujours du terrain A du type le plus stérile, mais il peut aussi arriver que, en améliorant le terrain A, le prix régulateur diminue, ou bien que, en défrichant un terrain encore plus mauvais, le prix augmente.

Par conséquent, Marx étudie trois cas: prix de production: premièrement: constant; deuxièmement: décroissant; troisièmement: croissant.

Pour chacun de ces trois cas, il y a trois variantes, suivant l'effet qu'ont les investissements successifs de capital; c'est-à-dire, productivité: constante, décroissante, croissante. Dans certains cas, afin de vérifier si la rente peut tendre à disparaître - car certains économistes ont cru y parvenir si l'on faisait un investissement important de capital d'entreprise dans la terre –, on suppose aussi qu'entre en scène un terrain encore moins productif que A.

C'est le moment d'aborder, sans trop s'étendre, cette masse de nombres. Il s'agit de comprendre quelle est la thèse de Marx: avec le développement du mode de production capitaliste et avec l'investissement de davantage de capital dans la terre, qui est le seul moyen d'augmenter la production qui est nécessitée par l'augmentation de population, la rente tend à augmenter, aussi bien dans sa masse totale que par unité de superficie, parfois dans un rapport supérieur à celui du capital (et de son profit), assez rarement avec un rythme plus lent que ce dernier.

Mais auparavant, il nous faut exposer certains concepts généraux de Marx à ce propos.

Fécondité intéressée
[prev.] [content] [next]

En investissant les habituels 50 shillings de capital sur quatre terrains différents, soit 200 shillings, nous avons vu que l'on a un profit de 40 et une rente de 360. Eh bien, il est évident que ce même surprofit extorqué au travail, qui s'élève à 360 (et qui a augmenté de 150% le prix du pain par rapport à celui des objets manufacturés, une fois payés dans les deux cas, sur le dos du travail salarié, l'intérêt normal du capital et le bénéfice normal de l'entreprise), ce surprofit donc de 360 pourrait apparaître sur un seul are si, par exemple, sur le terrain D, en plus des premiers 50 shillings (qui ont donné 4 mesures), on en investissait 50 de plus (qui donneraient 3 mesures), puis 50 encore (qui donneraient 2 mesures de plus), et enfin les derniers 50 (qu'il convient d'investir au taux moyen de profit, et qui donnent une dernière mesure). Les 4 + 3 + 2 + 1 = 10 mesures, obtenues avec une productivité décroissante mais à un prix constant de 60 shillings, donnent nos fameux 600 de produit, desquels, une fois déduits les 200 de capital et les 40 de profit, résulte toujours le surprofit de 360, qui s'était auparavant formé sur quatre aires différents. Alors que D rapportait 180 par an, maintenant il rapporte le double.

«Dans les deux cas, les surprofits et les taux de surprofit différents pour les fractions de capital différentes se constituent de la même façon. La rente n'est rien d'autre qu'un aspect du surprofit qui en est la substance. Mais il est certain que la seconde méthode présente des difficultés quant à la conversion du surprofit en rente, ce changement de forme qu'implique le transfert du surprofit du fermier capitaliste au propriétaire du sol. D'où la résistance obstinée que les fermiers anglais opposent à une statistique officielle de l'agriculture. D'où la lutte engagée entre eux et les propriétaires fonciers à propos de la constatation des résultats réels de leurs investissements de capitaux. La rente est en effet fixée au moment où les terres sont affermées; en vertu de quoi, les surprofits qui résultent des investissements successifs de capital reviennent ensuite au fermier aussi longtemps que dure le bail. D'où la lutte des fermiers pour obtenir des baux à ferme de longue durée; et inversement les lords terriens usent de leur toute-puissance pour augmenter le nombre de contrats résiliables chaque année».

On rencontre deux conceptions dans cette question: celle de la théorie bourgeoise du capital qui considère l'investissement comme une «immobilisation» dans la terre-patrimoine, et celle de la théorie marxiste qui considère comme du capital employé dans la production agricole celui qui, année après année, est dépensé en travail et en matières, et aussi dans le seul amortissement des installations fixes (qui peuvent être les bâtiments de ferme, les canaux d'irrigation, etc.).

Lorsque l'amélioration ne consiste pas seulement dans une dépense d'exploitation plus importante (semences, engrais, stocks non immobilisés comme les animaux et les machines appartenant à l'entreprise, argent avancé en salaires, etc.), laquelle réapparaît dans sa totalité dans le produit annuel, mais dans des travaux qui restent sur le bien-fonds, ceux-ci devraient être faits à la charge du propriétaire. Quand c'est au contraire le fermier qui les fait afin d'accroître son gain, il doit tenir compte qu'il ne pourra pas les emporter en fin de contrat, et, dans ses calculs, la masse des surprofits différentiels croissants doit dépasser cette avance d'argent perdu, plus les intérêts. Et en effet, il existe des contrats particuliers tenant compte des améliorations apportées, dans lesquels une redevance plus faible du fermage demandé compense l'augmentation de rente foncière que, du fait de la fertilité accrue, la terre dont il s'agit pourra donner, à l'expiration du bail, lors de la passation d'un nouveau contrat.

C'est pourquoi Marx nous invite à nous arrêter sur deux points. Le premier, auquel nous avons déjà fait allusion, est que la forme II (terre entièrement occupée) découle historiquement de la forme I (terre en cours d'occupation et de défrichage). Le second point est que, lors du plein développement de la forme II, qui attire sur la même terre sociale, désormais non extensible en superficie, de plus grandes fractions du capital social afin d'augmenter le produit, entre en jeu la répartition du capital entre petits, moyens et grands entrepreneurs. Même dans l'industrie, la taille de l'entreprise est un élément de variation du taux de profit: le taux moyen calculé sur la somme de tous les capitaux (à quiconque ils appartiennent) correspond à un certain «volume minimum d'affaires» avec un «minimum de capital». Eh bien, «tout ce qui dépasse ce capital peut réaliser un profit extra; tout capital inférieur ne permet pas d'obtenir le profit moyen». Ce théorème, qui est énoncé ici de manière drastique, reflète l'ensemble du cadre économique capitaliste.

Et Marx insiste: c'est pour cette raison que «le mode capitaliste de production ne s'empare de l'agriculture que lentement». Même en Angleterre, l'agriculture parcellaire survit. «Il est vrai que le paysan, par exemple, dépense beaucoup de travail sur son petit lopin. Mais il s'agit d'un travail isolé et qui est dépouillé des conditions objectives, sociales aussi bien que matérielles, de la productivité». Le petit propriétaire (qui est entrepreneur de lui-même) travaille avec des sous-profits et il couvre la différence en trimant à coup d'heures supplémentaires. «De ce fait résulte que les véritables fermiers capitalistes sont à même de s'approprier une partie du surprofit; il n'en serait rien, du moins à ne considérer que ce point précis, si le mode capitaliste de production était aussi uniformément développé dans l'agriculture que dans l'industrie manufacturière».

Cette position est remarquable dans la mesure non seulement où cette harmonisation entre les volumes d'activité et les taux de productivité des denrées alimentaires et des produits manufacturés est impossible pour le capitalisme (ce que l'on voit mieux quand il s'agit de la rente absolue, niée par Ricardo), mais aussi où la croissance exacerbée de la production industrielle jusqu'à ses limites extrêmes et la concentration des capitaux accumulés engendrent des surprofits dans tous les domaines de l'économie malgré la baisse du taux moyen de profit.

Ici, Marx se libère de l'incertitude qui pèse sur la transformation intégrale du surprofit agricole en rente foncière, en affirmant que le premier est plus important que la seconde: «Bornons-nous à considérer d'abord la formation de surprofit dans la rente différentielle II, sans nous occuper des conditions qui permettent au surprofit de se convertir en rente foncière».

C'est pourquoi, dans les nombreux tableaux établis par Marx, tous les surprofits de la forme II sont traités comme des rentes différentielles.

Les fameuses unités
[prev.] [content] [next]

L'épineux problème des unités de mesure revient ici à la surface. Cette partie des manuscrits de Marx était à l'état d'ébauche et le temps manqua à l'auteur pour réorganiser ses tableaux. Après avoir reproduit ceux de la forme II, et en particulier ceux du troisième cas, Engels constata qu'il y avait une erreur générale de calcul qui, une fois rectifiée, n'affectait pas les aperçus théoriques déduits de ces tableaux, mais aboutissait à attribuer aux terrains des chiffres de production tout à fait effarants. En conséquence, Engels a repris 14 tableaux de Marx en en changeant l'unité de mesure, et les tableaux Xl à XXIV sont ainsi non seulement corrigés, mais ils confirment pleinement la théorie originale.

En effet, en passant de la forme I à la forme II, peut-être parce qu'il y a eu une interruption assez longue dans la rédaction, Marx n'utilise plus les shillings mais les livres sterling, ce qui ne change rien au raisonnement (1 livre sterling vaut 20 shillings). En outre, on comprend aux intitulés que les unités de superficie ne sont plus des ares (100 m2) mais des arpents (à la française?) qui valent de nombreux ares.

Engels adopte comme unité de capacité le «boisseau» (9) qu'il rapporte à l'«arpent», et, ainsi que nous l'avons fait nous-mêmes dans le précédent numéro, il diminue les écarts de productivité en fixant à 10, 12, 14, 16 et 18, les unités de produit au prix de départ de 6 shillings. Le boisseau, étant d'environ 4,5 litres, et donc pesant 3,7 kilos, vaut 210 en lires italiennes actuelles: cela donne 5 500 lires par quintal, prix modeste mais convenable, étant donné la croissance historique du prix réel.

Le tableau de base, qui correspond à celui qui a été traité dans la forme 1, comprend maintenant 5 terrains: A, B, C, D et E. Pour chacun d'eux, le capital déboursé est de 50 shillings, le profit, au taux de 20%, de 10 shillings, et, par conséquent, le prix de production de 60. Le terrain A qui ne crée aucune rente produit 10 boisseaux de blé, qui, vendus à 6 shillings l'un, rapportent les 60 shillings antérieurs: il n'y a ni surprofit ni rente. À noter que le texte français des Editions Costes imprime une seule fois l'intitulé des colonnes et se trompe en mettant 1 st. (1 livre sterling) à la place de sh. (shillings); en outre, il met le mot rapport à la place du mot produit lorsque ce dernier est exprimé en argent.

Ainsi donc, dans ce tableau de base, le tableau Xl du texte, les cinq terrains donnent pour le même prix de production de 60 shillings, un produit qui passe de 10 à 12, 14, 16 et 18 en boisseaux de blé, et de 60 à 72, 84, 96 et 108 en shillings; une rente, qui illustre la relation différentielle, de 0 à 12, 24, 36 et 48 shillings.

Au total, le capital est de 250, le profit de 50, le prix de production de 300, le produit de 70 boisseaux qui, à 6 shillings l'un, rapportent 420 shillings: la rente totale s'établit donc à 120 shillings.

Dans le tableau de base de Marx, on avait quatre terrains et, pour un capital de 200 et un prix de production de 240, une rente de 360. Dans le tableau que nous avons nous-mêmes établi, le capital était de 128 000 lires et la rente de 50 000: le rapport entre ces deux grandeurs n'est pas éloigné de celui proposé par Engels.

Quoi qu'il en soit, nous nous basons sur les chiffres d'Engels. Sur cinq arpents de fertilité différente, avec une dépense de production de 300 (capital plus profit), on obtient une rente de 120.

Maintenant, le problème est le suivant: si le capital industriel se déverse de façon plus importante dans les entreprises agricoles, cela aura-t-il pour effet de comprimer la rente? À savoir, le capital réussira-t-il à engloutir du surprofit?

Marx suppose donc que le capital investi soit doublé sur tous les terrains, ou sur certains seulement.

Le premier cas sera: prix de vente constant, productivité constante.

Cela signifie que, sur chacun des cinq terrains, on investit 100 au lieu de 50, et que, donc, pour chacun, le nombre de boisseaux de blé récoltés double. Le cas est facile: tout double, et la rente également. Capital: 500; profit:100; et rente: 240.

Il est aisé de constater que le prix de production régulateur est toujours le même. Il est vrai que le terrain A amélioré a produit 20 boisseaux et non plus 10, mais justement le capital investi a été de 100 et non de 50, le profit de 20 et non de 10, et, par conséquent, les 20 boisseaux vendus pour 120 shillings donnent toujours un prix de base par boisseau de 6 shillings.

Le prix de base resterait identique, même si l'on ne faisait pas de nouvel investissement sur A, mais uniquement sur les autres quatre terrains. Par suite, si nous voulons étudier les conséquences d'une productivité décroissante et non plus constante, nous laisserons A dans l'état où il se trouve et, en revanche, nous investirons le nouvel apport de capital de 50 shillings sur B, C, D, et E.

Nous pouvons supposer maintenant que la productivité du second investissement sera décroissante, et égale aux deux tiers de la productivité initiale. A donne toujours ses 10 boisseaux, B passe de 12 à 20, et ainsi de suite. Le développement du tableau montre que la rente totale est restée inchangée à 120, mais que, avec 20 boisseaux et 120 shillings, le terrain B ne couvre que le capital avancé et le profit, et que donc, comme A, sa rente est nulle.

Si B devait donner encore une certaine rente, il faudrait que la productivité diminue moins brusquement, par exemple, aux trois quarts. Dans ce cas, avec le même capital, la rente s'élèverait à 150 contre 120.

Si, enfin, dans la troisième variante du premier cas, la productivité augmente, et si, par exemple, le second placement de capital rend les cinq quarts du premier, on comprendra, sans faire les calculs, que la rente augmente de beaucoup: 330 au lieu de 120, le capital étant passé de 250 à 450.

Finalement, tant que le prix du blé ne change pas, l'apport de capital circulant dans la terre, afin d'augmenter la production, n'entame jamais la rente, pas même si la productivité des apports suivants est décroissante (ce qui correspondrait à l'hypothèse d'une technique agricole déjà très poussée). Si la productivité est constante ou croissante, la rente foncière bénéficie d'une forte hausse.

Notons ceci: avant cette invasion cupide du capital sur la terre, la rente moyenne par arpent était de 24 (et la rente maximale de 48 en D). Dans la première variante, la moyenne est passée à 48. Dans la seconde, elle est restée à 24 ou est passée à 30, et, dans la troisième, à 68. Dans aucun cas, le propriétaire foncier n'a reculé du fait de l'arrivée des capitalistes.

Le pain à meilleur marché?
[prev.] [content] [next]

Naturellement, les économistes industriels répondaient: d'accord, mais si nos investissements sont importants, ils feront baisser le prix de production régulateur (comme cela advient dans l'industrie manufacturière où la marchandise bon marché chasse les autres), et alors vous verrez que la rente diminuera.

Eh bien, ils trichaient. Le capitalisme n'apporte que la faim; bien que ce ne devrait pas être le cas lorsque la productivité générale du travail augmente.

Le juge d'instruction Marx, par le truchement de son substitut Engels, les soumet à un interrogatoire du troisième degré.

Et donc, conformément à l'agenda, second cas de la forme II. Le prix de production diminue. Pour y arriver, on exclut le terrain le plus mauvais A qui le maintient élevé, et l'on double l'apport de capital en B, C, D et E. Ou bien la productivité reste la même, ou elle baisse, ou elle monte. Si elle reste la même, nous aurons 24, 28, 32 et 36 boisseaux de produit.

Etant devenu le plus mauvais terrain, c'est B qui régule le prix. Dépense 120; boisseaux: 24; prix unitaire: 5 et non 6 comme auparavant.

Tous les boisseaux produits - breviter - sont maintenant au nombre de 120. La dépense est de 480, la rente globale de 120. Caramba, comme il lui est difficile de mourir! Elle n'a pas reculé d'un pouce.

Oui mais, ricane maintenant le sordide solicitor qui défend les affaires des farmers, vous avez supposé la productivité constante. Mais si la productivité baisse, la rente s'écroule.

Engels suppose donc que le nouvel apport ait une productivité n'arrivant qu'aux trois quarts de celle du premier et que ce soit toujours B qui donne la rente zéro. Mais ici l'édition française (Costes) lui joue un mauvais tour: elle imprime le tableau XVII avec un prix qui a augmenté! Elle l'a confondu avec celui qui est donné au tableau XX (quelle rigolade quand nous verrons la traduction italienne: sera-t-elle faite par Monti (10), poète et chevalier, grand traducteur

parmi les traducteurs d'Homère?). Si B, avec l'habituelle dépense de 120 shillings, doit donner seulement 12 + 9 soit 21 boisseaux, chaque boisseau doit coûter 120: 21 soit 5,7 shillings. Et donc moins de 6. On a maintenant un total de 105 boisseaux qui valent 600 shillings: dépense 480, rente 120. Tonnerre de Dieu!

Si vous le trouvez, corrigez le chiffre de 5 et 3/7 de la traduction française en 5,7.

Naturellement, aucun espoir pour le solicitor si la productivité, au contraire, augmente: troisième variante du second cas, tableau XVIII d'Engels, numéroté XXI du fait d'une erreur typographique. Productivité: augmentation de 50%; prix: 4 et 4/5 seulement, mais rente double: 240!

Reste ensuite le troisième cas: bien qu'ayant investi d'importants capitaux dans l'agriculture, la fécondation de la terre par ce don Juan à moitié stérile qu'est messire Capital est battue avec éclat par la fécondation prolétarienne entre les humains, - et le prix du blé augmente. Il nous semble que, dans ce cas, il est inutile de faire les calculs, et les résultats du patient Engels nous suffisent, si toutefois les différents bousilleurs voulaient bien les laisser à leur place.

Le prix augmente donc: de 6 à 8 shillings. La productivité doit être constante.

Dans ce cas, au lieu du tableau XIX on devrait avoir le XXII. Mais le tableau correspondant n'existe pas: recalculé, il démontre, comme c'était prévisible, que la rente s'établit à 240.

Mais si la productivité décroît? Aucune crainte. Ici, on doit reprendre tel quel le tableau XX, bien qu'il soit déplacé. Prix 8, productivité diminuée de moitié par rapport au premier apport de capital: rente totale 240.

Et si ensuite la productivité augmente, il faut se référer au tableau XVII, à moins qu'il n'ait été déplacé au numéro XXI. Même si l'on diminue le produit du premier investissement de moitié (chose nécessaire pour que A garde une rente nulle), la rente s'élève à 240.

Ces mêmes trois cas sont ensuite analysés en introduisant un terrain a (petit a) qui précède A, parce qu'il est moins fertile, et qui régule le prix; après avoir mis le tableau XIX à sa place, tableau XXII, on a un prix de 7 et 1/2 et une rente de 450. Si la productivité baisse (XXIII), on a toujours 380, et si elle augmente (XXIV), 580.

Après avoir fait tout ce travail, Friedrich peut conclure: j'ai étudié 13 cas possibles: la rente n'a jamais été ébranlée. Dans 5 cas, la réponse au doublement du capital a été le doublement de la rente. Dans 4 cas, la rente a dépassé le double. Dans 1 cas, elle augmente mais moins du double. Dans 3 cas, elle reste inchangée à 120, mais ce sont les cas où A a été éliminé, et par conséquent nous n'avons plus 5 arpents mais 4, et la rente par unité de superficie est passée de 24 à 30 shillings.

Sur le terrain A qui ne sert plus à rien, vous pouvez construire le siège de la Confédération de l'Industrie!

Notons enfin: dans tous les tableaux de Marx et d'Engels, même dans la forme II, la loi générale de la rente différentielle est respectée: delta produit, multiplié par le prix unitaire du produit, égale delta rente. Les écarts, pour des fertilités différentes, sont des multiples de 2 boisseaux ou de 12 shillings. Si l'on fait varier, de tableau en tableau, l'écart de produit (4 boisseaux, 3 boisseaux, 5 boisseaux) et même le prix régulateur, les écarts de rente d'un terrain à l'autre demeurent constants.

Point d'arrivée
[prev.] [content] [next]

Après cette ribambelle de chiffres, que nous avons tâchés de réduire en petites pilules, la conclusion devrait être courte pour qu'elle soit digestible.

Marx affirme durement: «Du point de vue du mode de production capitaliste, il y a toujours un renchérissement relatif des produits quand, pour maintenir la production à son niveau, il faut procéder à un débours, payer quelque chose qu'on ne payait pas jusque là!».

«L'augmentation générale du prix de production... n'est donc pas seulement la raison de l'accroissement de la rente différentielle; inversement, l'existence même de la rente différentielle en tant que rente est en même temps la raison de la hausse anticipée et plus rapide du prix général de production, afin de garantir la fourniture devenue nécessaire sur le marché d'un produit plus considérable».

Le plus populaire (absit iniuria verbo) Friedrich Engels conclut de la façon suivante, entre crochets: «Par conséquent, plus est considérable le capital investi dans le sol, plus l'agriculture d'un pays, et plus généralement sa civilisation, sont développées, plus les rentes par arpent et le total des rentes s'accroissent de sorte qu'augmente de plus en plus gigantesquement le tribut que la société paie aux grands propriétaires fonciers sous forme de surprofits, aussi longtemps, du moins, que toutes les catégories de terrain mises en culture restent en compétition. Cette loi explique l'admirable vitalité de la classe des grands propriétaires fonciers».

Selon Engels, cette loi explique la virulence de la classe des propriétaires terriens, mais elle explique aussi pourquoi cette vitalité s'épuise peu à peu. Le phénomène provient, selon Engels, du défrichement des pampas, des steppes, des terres vierges des immenses continents extra-européens, et de la formidable puissance atteinte par les moyens de transport. Pour Engels, c'est bien suffisant pour ruiner la grande propriété foncière en Europe, «et la petite par-dessus le marché».

Le prix du blé national est en tout cas contenu s'il n'est pas abaissé par le prix auquel on peut l'importer d'outre-océan. D'où la lutte, à des époques différentes, des agrariens anglais, italiens, baltes, pour l'application de droits à l'importation.

Mais avec la formidable révolution capitaliste en Russie, en Inde et en Chine, sous des formes historiques différentes, on voit réapparaître une orientation qui conduit à la faim. Ce n'est pas la composition démographique des classes agricoles qui compte. Ce qui importe c'est la loi de la différentialité des rentes et de l'augmentation du prix en général dans la société internationale, qui s'achemine vers un réseau mercantile unique.

Désormais, l'Etat capitaliste russe n'aspire plus ardemment à exporter son Taganrog (11) pour nos pauvres macaronis, mais il veut exporter des produits manufacturés; et il a vu baisser ses exportations, en raison du manque de blé qu'il avait promis à l'Angleterre, entre 1952 et 1953. Les peuples blancs et jaunes voient leur nombre croître de manière effrayante et la masse des denrées alimentaires ne peut plus être produite qu'à des prix de plus en plus élevés.

La tragédie de la rente différentielle et de la faim intégrale ne connaîtra pas de fin - et nous le verrons aussi avec Lénine - avec la nationalisation de la terre ou celle des rentes.

Le propriétaire, à la manière bourgeoise, de toute l'immense terre de Russie, des steppes où il pleut du capital, le maître de la rente différentielle globale avec deux cent millions de producteurs-consommateurs, existe: c'est l'Etat surarmé et capitaliste du Kremlin. Encore dix ans de progrès technique, et il cherchera où acheter son blé.

L'issue de tout cela ne peut être que la révolution internationale, la destruction de tout mécanisme d'achat-vente individuel, d'entreprise ou d'Etat.

Mais le coup de bélier sera inutile si sa tête ne frappe pas Washington.

Notes:
[prev.] [content] [end]

  1. En français dans le texte. [back]
  2. Capanée est l'un des sept chefs argiens qui marchèrent contre Thèbes lors de l'expédition commandée par Polynice voulant reprendre la ville à son frère Etéocle (cf. «Les sept contre Thèbes» de Eschyle). Capanée était un homme violent d'une taille gigantesque, il n'hésitait pas à défier les dieux, il sera foudroyé par Zeus. [back]
  3. Bordiga emploie le verbe rare, et employé seulement en littérature, «negligere». En effet en italien «négliger» se dit plutôt «trascurare» qui également est plus fort que «negligere». [back]
  4. «Abandonner au pernacchio» signifierait laisser avec mépris une chose démontrer seule sa propre nullité, la livrer au mépris. Le pernacchio est un bruit de pet prolongé émis en signe de mépris et de dérision en Italie Centrale (Lazio, Campania, Abruzzi, Molise). On expire en faisant vibrer les lèvres à plat l'une contre l'autre. En fait le terme est plutôt féminin («pernacchia»), très vulgaire, et il est devenu lui-même synonyme d'«obscénité»; Toto, un célèbre comique napolitain, a popularisé, dans une scène célèbre, le terme au masculin.
    On a donc ici un exemple de passage dans lequel Bordiga utilise un terme allemand, un terme quasi français et un autre en dialecte italien! Tout cela pour le bonheur des traducteurs.
    [back]
  5. Tecoppa est le symbole du politicien dans les anciennes représentations populaires italiennes du début du siècle. [back]
  6. «Le programme agraire de la social-démocratie russe dans la première révolution russe de 1905-1907» (Lénine, «Œuvres complètes», t.13). [back]
  7. Le procès Muto: en avril 1953 éclata un énorme scandale qui devait ébranler la Démocratie Chrétienne, et donc l'Etat italien. Wilma Montesi, une jeune et belle femme de 21 ans, était trouvée nue et morte sur une plage près d'Ostia. Au cours d'une enquête menée très rapidement et manifestement truquée la police conclut à une noyade. Silvano Muto, journaliste, accusa Piero Piccioni, fils du vice-président du Conseil italien, d'avoir déposé la jeune fille morte après une orgie au cours de laquelle de la drogue avait largement été consommée. La «partie» avait eu lieu dans le domaine de Ugo Montagna, un soi-disant marquis au casier judiciaire chargé et ami intime de politiciens et de hauts fonctionnaires de la police, les mêmes qui furent chargés de l'enquête sur son compte! A ce genre de soirées particulières participaient hommes politiques, gens d'Eglise et même un petit-fils du roi Victor-Emmanuel III. Le scandale fut énorme, les adversaires politiques de Piccioni à l'intérieur de la Démocratie-Chrétienne et les adversaires de la Démocratie-Chrétienne utilisèrent évidemment cette sombre histoire. Toute la version de Muto reposait sur le témoignage suspect de Anna Maria Moneta Caglio, ancienne maîtresse délaissée de Montagna. On ne sut jamais qui avait tué Wilma Montesi. Dans tous les cas, la police avait grossièrement menti et apparaissait comme entièrement corrompue. Muto fut jugé et condamné pour calomnies, Piccioni dut démissionner. Jugé, Montagna fut déclaré innocent en 1957. Nous avons eu recours au chapitre X «Addio Wilma...» du livre de Silvia Bertoli «Après-guerre», ed. Rizzoli. [back]
  8. Ugo et Anna sont Ugo Montagna et Anna Maria Moneta Caglio (voir note précédente). Il semble que Clara soit Clara Boothe Luce, ambassadrice américaine en Italie de 1953 à 1957, férocement antistalinienne et anticommuniste, Mario était certainement Mario Scelba, le chef du gouvernement italien de l'époque, qui cherchait à se rapprocher des Etats Unis donc de Clara Boothe («coucher avec» en référence avec l'affaire Montesi!). La recherche d'une alliance avec les USA était alors pour l'Italie la garantie d'une stabilité interne en général et plus particulièrement l'assurance de la conclusion des négociations sur le sort de Trieste.
    Bordiga flétrit l'ignoble société moderne post-seconde guerre mondiale, post-victoire des Etats-Unis, totalement dégénérée, qui se passionne pour les histoires de sexe, plus ou moins sordides, des vedettes du cinéma, et il l'oppose aux temps glorieux de l'époque de Lénine on l'on se passionnait pour les différentes phases de la révolution.
    [back]
  9. En français dans le texte. Dans d'intéressants éclaircissements, les gens de «il Comunista» (Nr. 66, juin 1999), font remarquer que Bordiga traduit le français «boisseau» par le mot francisé «bossol» et que, en Italie, on parlerait de «staio», unité de mesure de capacité encore utilisée dans les campagnes toscanes pour le blé et les autres céréales. Par extension, «staio» peut signifier la superficie de terre nécessaire pour produire une de ces unités de blé. [back]
  10. Il s'agit de Vincenzo Monti (1754-1828) poète italien fameux surtout pour sa traduction en italien de l'lliade de Homère. [back]
  11. Taganrog est un port commercial russe sur la mer d'Azov. Bordiga fait donc allusion au blé qui est embarqué à Taganrog pour l'Italie via Odessa (précision apportée dans le numéro cité précédemment de «Il Communista»). [back]

Source: «Il Programma Comunista» Nr. 7, avril 1954. Traduit dans «(Dis)continuité», Nr. 9, avril 2001. Notes des traducteurs. Traduction non vérifiée, se repporter à l'original.

[top] [content] [last] [home] [mail] [search] [webmaster]