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AGRESSION À L’EUROPE


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Agression à l’Europe
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Agression à l’Europe

Guerres de défense et guerres d’agression, grosse polémique lors de l’éclatement du conflit européen de 1914 sur cette distinction à propos de l’attitude des socialistes.

Pour les bien-pensants c’est une question simple, comme d’habitude. Gouvernement, État, Patrie, Nation, Race, sans entrer dans le menu détail, sont assimilés à un sujet unique doté de raison, de tort, de droit et de devoir, puisque tout se réduit à la personne humaine et à la doctrine de son comportement, doctrine issue de la morale chrétienne, de la doctrine du droit naturel, du sens inné de la justice et de l’équité, ou, en parlant en termes plus recherchés, de l’éthique de l’impératif catégorique. Et alors comme l’homme juste et étranger au mal, s’il est attaqué se défend de l’agresseur – laissant pour un moment de côté l’histoire de l’autre joue – ainsi le Peuple agressé a le droit de se défendre, la guerre est une chose barbare mais la défense de la patrie est sacrée, tout citoyen doit se prononcer démocratiquement pour la paix et contre la guerre, mais dès l’instant où son Pays est agressé il doit se précipiter pour le défendre contre l’envahisseur ! Ceci vaut pour l’individu, vaut aussi pour toute la Nation faite Personne et vaut donc aussi pour les partis à leur tour vus et traités comme des sujets personnifiés dans leurs obligations, cela vaut aussi pour les classes.

Il en découla la trahison générale du socialisme, le bellicisme sur tous les fronts, le triomphe du militarisme dans tous les pays. Et tout aussi évidemment, toute guerre conduite par l’État et le Gouvernement fut qualifiée de défensive.

Naturellement, la polémique marxiste fut engagée en déblayant le terrain de toutes ces personnes fantômatiques à une tête, à plusieurs têtes, sans tête, ou même ayant celle d’autrui sur les épaules, remettant à leur place le caractère et la fonction de ces organismes que sont les classes, les partis, les États, ayant une dynamique propre, pour mettre en évidence à quel point les bons principes moraux ne servent à rien.

On répliqua aux bourgeois que les prolétaires n’ont pas de patrie et que le parti prolétarien poursuit ses buts avec la rupture des fronts internes, pour laquelle les guerres peuvent offrir d’excellentes occasions que le parti prolétarien ne voit pas le progrès historique dans la grandeur ou dans le salut des nations ; que dans les congrès internationaux il s’était déjà engagé à briser tous les fronts de guerre en commençant là où c’était le plus facile.

On dispersa, en une longue lutte pas seulement verbale, les falsificateurs du marxisme, lesquels, de façons diverses et en différentes langues, s’essayèrent à démolir la théorie selon laquelle le prolétariat peut se constituer en classe nationale, dans un premier temps, seulement avec la réalisation, contre l’oppression bourgeoise, de sa dictature comme Marx l’enseigna ; ils y substituèrent l’autre théorie, impudente, selon laquelle le prolétariat et son parti assument un caractère national seulement si la démocratie politique et le libéralisme ont été réalisés.

On expliqua longuement combien étaient différents les problèmes des conséquences que les guerres, leur déroulement et leur dénouement, ont sur les vicissitudes internes et mondiales de la lutte de classe socialiste et du parti socialiste dans les pays en guerre ; la continuité, l’autonomie, la fière opposition de classe et la disposition théorique et matérielle du parti révolutionnaire à la guerre sociale intérieure sont les conditions pour toute exploitation de ces conditions nouvelles ou de la nouvelle fragilité du régime.

Une fois niée toute adhésion à la guerre des États et des gouvernements, toutes les distinctions entre guerres défensives et guerres offensives s’effondraient, comme s’effondraient toutes les excuses tirées de telles tortueuses distinctions pour justifier le passage des socialistes dans les fronts d’union nationale.

D’autre part, la vacuité des comparaisons avec la bagarre entre deux personnes réside dans les différentes portées des concepts d’agression et d’invasion. Même les deux morveux qui se bagarrent prennent soin de brailler que le premier occupant c’était lui, mais quand on invoque l’intégrité du territoire le cas est très différent. Dans les guerres d’autrefois et dans une large mesure pendant la Première Guerre Mondiale, la guerre menaçait la sécurité de l’individu en tant que soldat envoyé pour combattre, mais le risque de mort pour le civil loin du front était pratiquement nul. Au contraire, si un territoire était envahi par l’armée adverse, on avait droit à l’habituel tableau de la destruction des biens, des maisons, des foyers, de la famille, de la violence sur les femmes, sur ceux sans protection, etc, tout cela matériel de propagande auquel on eut largement recours pour attirer les partis socialistes dans le guet-apens. Même le travailleur démuni, disait-on prêt à lutter pour ses buts de classe et ses intérêts vitaux se voient menacés dans le sens matériel et immédiat si une armée ennemie envahit la ville ou la campagne où il vit et travaille. Il doit donc se précipiter pour repousser l’envahisseur. Cette thèse est littérairement solide. Nous en sommes à la défense du château de l’Anonyme contre les lansquenets pillards, nous voici arrivés au vers de la « Marseillaise » : « Ils viennent jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes »…[1]

En réponse à tant de fadaises, les marxistes établirent cent fois que, sans renoncer le moins du monde à l’appréciation critique et historique entre les différents types de guerre en ce qui concerne leurs répercussions sur les développements des luttes sociales et sur les crises révolutionnaires, tous ces arguments pour justifier la guerre, employés pour trouver de la chair à canon et disperser les mouvements et partis qui encombrent la route du militarisme, sont inconsistants et se détruisent entre eux. Le prétexte hyper-usé de l’agression et celui non moins exploité de l’invasion peuvent s’opposer. Un État peut prendre l’initiative de la guerre et les revers militaires peuvent exposer rapidement ses territoires à l’envahisseur, comme dans la théorie togliatienne déjà notée de la poursuite de l’agresseur.

Non moins contradictoires sont les autres fameux prétextes tirés des revendications nationales et irrédentistes et ceux que de nombreux marxistes sérieux alignèrent pour justifier l’appui aux guerres coloniales qui équivalaient à diffuser dans les pays « barbares » les caractéristiques de l’économie capitaliste moderne. La guerre anglo-boer de 1899–1900 fut une agression évidente, les colons boers de race hollandaise défendirent la patrie, la liberté nationale et le territoire envahi, mais les travaillistes réussirent à justifier comme progressive l’entreprise britannique. En mai 1915, la guerre que l’Italie déclara à l’Autriche, son ex-alliée, fut une agression évidente, mais pour les divers social-traîtres elle fut justifiée sous le prétexte de la libération de Trente et de Trieste et sous celui de la « guerre pour la démocratie », sans s’embarrasser du fait que, par ailleurs, l’Autriche-Hongrie était aux prises avec les armées du Tsar.

Un cas classique est rapporté dans le très intéressant livre de Bertram D. Wolfe « Three who made a revolution » véritable mine de faits historiques, toute réserve faite sur les positions personnelles de l’auteur. Le 6 février 1904, les Japonais, à la façon de Pearl Harbour, attaquèrent et liquidèrent la flotte russe mouillée devant Port Arthur sans déclaration de guerre. Agression évidente. Après un long siège sur terre et sur mer, la citadelle tomba en janvier 1905. Jour de deuil noir pour le patriotisme russe. Dans « Vperiod » du 4 Janvier 1905, Lénine écrivit en substance ceci : « Le prolétariat a tous les motifs de se réjouir… Ce n’est pas le peuple russe, c’est l’autocratie qui a subi une défaite honteuse. La capitulation de Port Arthur est le prologue de celle du tsarisme. La guerre est loin d’être finie. Mais chaque pas qu’on fait pour la continuer aggrave immensément l’effervescence, l’indignation des masses russes, rapproche le déclenchement d’une nouvelle grande guerre, la guerre du peuple contre l’autocratie. »[2]
Toute la question mérite une analyse plus importante si on veut clarifier l’ensemble des problèmes relatifs aux rapports historiques entre absolutisme bourgeois et prolétariat en dénouant au moyen de la dialectique marxiste la prétendue contradiction que l’auteur cité plus haut voit entre les moments historiques de la doctrine et de l’œuvre de Lénine – il suffit pour l’instant de noter que l’écrit de l’exilé volontaire vit du contenu même de la gigantesque bataille révolutionnaire russe de 1905 issue de la défaite nationale peu de mois après.

Quarante années passent et, le 2 septembre 1945, le Japon, battu par les Américains avec les bombes atomiques de Hiroshima et de Nagasaki, capitule sans conditions. Bien que la Russie n’ait pas déclaré la guerre aux Nippons si ce n’est seulement à la dernière heure, le Maréchal Staline envoie une adresse de victoire qui dit textuellement ceci : « La défaite des troupes russes pendant la guerre russo-japonaise laissa un souvenir douloureux dans les esprits de nos peuples. Ce fut une tâche sombre sur notre pays. Notre peuple eut confiance et attendit le jour où le Japon serait défait et la tâche effacée. Nous, de la vieille génération, avons attendu ce jour pendant quarante ans. Et, aujourd’hui, ce jour est advenu ! ».

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La suggestive histoire des adhésions à la guerre fournit donc des arguments décisifs à la position de Lénine sur le défaitisme révolutionnaire, ainsi qu’à la règle tactique selon laquelle les partis prolétariens ne peuvent, dans ce domaine, admettre la moindre concession sans mettre la classe ouvrière à la merci des manœuvres des États militaires. Il suffira que ceux-ci créent, avec un simple télégramme, le geste irréparable pour que soit affirmés la nation, son sol et son honneur en péril. Toute sensibilité à de tels arguments sera la ruine du mouvement de classe national et international. Quand l’agression italienne de 1915 conduisit, avec la défaite de Caporetto, à l’invasion, la méritoire opposition socialiste vacilla sous le choc du cri de Turati : « La patrie est sur le Grappa ! », quoique son frère intellectuel, Treves, eut osé lancer l’admonestation « Plus un autre hiver dans les tranchées ! ».

Plus encore, les États bourgeois et les partis de gouvernement forgèrent la théorie de l’espace vital, de l’invasion et de la guerre préventives, motivant cette dernière au moyen d’arguments de salut national. Tous ces motifs n’étaient pas privés d’une réelle consistance historique, mais ils ne doivent pas ébranler les révolutionnaires, qui ne doivent pas être non plus ébranlés par les motifs de défense et de liberté du plus candide et innocent – s’il y en eut – des gouvernements capitalistes. La guerre de 1914, claironnée agression allemande, fut une guerre anglaise préventive. Chaque gouvernement voit où il veut ses intérêts et son espace vitale c’est un petit jeu que les Anglais nous donnent en spectacle depuis des siècles et qui consiste à avoir ses frontières vitales sur le Rhin et sur le Pô, et ce petit jeu aurait, bien sûr, sauvé de nombreuses fois la Liberté, tandis que l’aurait offensée à mort la prétention de Hitler d’avoir à l’intérieur de ses frontières vitales, outre les Sudètes et Dantzig… quelques kilomètres de l’ineffable chef-d’œuvre démocratique versaillais du corridor polonais.

Les guerres pourront se transformer en révolution à condition que, quelle que soit leur appréciation sur elles que les marxistes ne renoncent pas à effectuer, survive en chaque pays le noyau de mouvement révolutionnaire de classe international, totalement coupé de la politique des gouvernements et des états-majors militaires et que l’on ne pose pas de réserves théoriques et tactiques d’aucune sorte aux divers moyens de défaitisme et de sabotage à employer contre la classe dominante en guerre, c’est-à-dire contre ses organisations politiques étatiques et militaires.

Dans le numéro précédent de cette revue, nous avons du reste établi clairement que ce défaitisme proclamé n’est pas un grand scandale[3], tous nos adversaires, autant les soi-disant révolutionnaires que les bourgeois authentiques, l’ayant vanté et appliqué dans des cas et dans des lieux différents. Sauf que dans tous ces cas, le contenu dialectique du défaitisme n’est pas la conquête révolutionnaire d’un nouveau régime de classe mais un simple changement des états-majors politiques dans le cadre de l’ordre bourgeois en place, et les défaitistes de ce type risquent en parole mais risquent bien peu en fait, le régime auquel ils s’opposent tombera seulement s’il est vaincu dans la guerre, et dans la mesure où il tombera s’ouvrira pour eux une spirale de succès personnels et d’accessions aux charges lucratives du pouvoir. Il leur suffit de vraiment peu – et ce sont les mêmes gentilhommes qui n’ont à la bouche que des motifs patriotiques, nationaux, libéraux et démocratiques – pour approuver que le pays et sa population soient, selon la technique moderne de la guerre, écrasés par les bombardements destructeurs et déchirés par toutes les manifestations irréparables de l’action de guerre et de l’occupation militaire.

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Ceci étant répété pour la énnième fois, voyons quelle race de guerre serait l’éventuelle prochaine guerre menée par l’Amérique, celle pour laquelle on vote des crédits militaires immenses, celle pour laquelle on convoque des réunions d’états-majors et pour laquelle on donne des ordres de préparation et des directives stratégiques aux pays étrangers et lointains. Il pourrait en résulter la plus noble des guerres à en croire les arguments littéraires louangeurs, elle pourrait réussir à avoir comme objectifs des figures encore plus noires que celle des Cecco Beppe[4], des Guillaume, des Benito, des Adolf, des Togos, d’un Ressuscité avec eux, Nicolas aux mains ensanglantées, cela n’amènerait pas les marxistes révolutionnaires à avancer des paroles d’atténuation de la lutte anti-bourgeoise et anti-étatique où que ce soit.

Ceci ne retire pas le droit d’analyser cette guerre et de la définir comme la plus retentissante entreprise d’agression, d’invasion, d’oppression et d’asservissement de toute l’histoire. Il ne s’agit pas seulement d’une guerre éventuelle et hypothétique car elle est déjà en acte, une telle entreprise étant la continuation directe des interventions dans les guerres européennes de 1917 et de 1942 et étant au fond le couronnement de la concentration d’une force militaire immense et destructrice en un centre suprême de domination et de défense de l’actuel régime de classe – le régime capitaliste – et la réalisation de l’optimum des conditions aptes à étouffer la révolution des travailleurs dans n’importe quel pays.

Un tel processus pourrait se développer même sans une guerre dans le plein sens du terme entre Etats-Unis et Russie, si l’assujettissement de la seconde pouvait être assuré, plutôt qu’avec des moyens militaires et une vraie campagne de destruction et d’occupation, avec la pression des forces économiques prépondérantes de la plus grande organisation capitaliste du monde – peut-être demain l’État unique anglo-américain dont on parle déjà – avec un compromis au travers duquel l’organisation russe dirigeante se laisserait acheter à des conditions élevées ; et Staline aurait déjà précisé le chiffre de deux millions de dollars.

Il est un fait que les violences de ces agresseurs historiques européens qui se damnaient pour une province ou une cité de faible superficie, font rire comparées à l’effronterie avec laquelle on discute publiquement – et il est facile de déduire la guerre des futurs plans secrets – le fait de savoir si la sécurité de New-York et de San Francisco se défendra sur le Rhin ou sur l’Elbe, sur les Alpes ou sur les Pyrénées.

L’espace vital des conquérants étasuniens est une bande de territoire qui fait le tour de la terre ; c’est l’achèvement d’une méthode commencée avec Esope, quand le loup disait à l’agneau qu’il troublait l’eau alors qu’il la buvait en aval. Blanc, noir ou jaune, aucun d’entre nous ne peut avaler une gorgée d’eau sans la troubler les cocktails servis aux seigneurs de la maffia ploutocratique dans les nights-clubs des États.

Quand les régiments américains débarquèrent pour la première fois en France, les techniciens militaires rirent et les états-majors anglo-français les prièrent de leur rendre tout de suite le petit morceau de front occidental consigné si on ne voulait pas voir immédiatement Guillaume à Paris. Les boys aussi ivrognes qu’aujourd’hui, auraient cependant bien pu répondre qu’ils n’en avaient rien à foutre et nous voyons aujourd’hui les mauvais signes d’un militarisme qui surclasse tous ceux de notre histoire pluri-millénaire. Ce sont l’argent, les capitaux, les installations productives qui comptent pour faire la guerre ; l’habileté militaire et le courage sont des marchandises en vente sur le marché mondial riche en super-escrocs et en super-idiots.

Ils se vantèrent depuis lors d’une première victoire, ils firent la moue pour avoir dû sortir, dans le sillage des Anglais, de leur isolationnisme et ils se retirèrent après avoir dessiné une Europe plus absurde que celle qu’aurait dessinée, s’ils en avaient eu l’occasion, un Tamerlan ou un Omar Pacha. Vingt années de paix étaient ce qu’il fallait pour la préparation et la consécration à la Liberté, érigée en statue monumentale, d’une super-flotte, d’une super-aviation et d’une super-armée. Le tout au service d’une super-agression.

Dans l’intervalle, les colons du Far West se sont même dégrossis et ont appris à lire, ils ont été jusqu’à étudier l’histoire sans renoncer à l’ineffable commodité d’être sans histoire. Lors du second débarquement en Normandie, on ne sait pas si c’est Clark ou un autre gradé qui, arrivé sur la tombe du général français qui lutta pour l’indépendance américaine, trouva la phrase à sensation : « Lafayette, nous voici ! ». Autrement dit nous sommes venus pour rendre la politesse et libérer la France.

Et de même qu’on enseigne, à Moscou, dans les manuels d’histoire que Vladimir Oulianov, dit Lénine, demanda et obtint du tsar Nicolas de pouvoir former un corps de volontaires pour courir à la défense de la Mandchourie contre les Japonais, on enseignera à Washington comment le Français Lafayette, dans l’alliance de toutes les forces démocratiques mondiales commandées par la libre Angleterre, combattit pour libérer l’Amérique du Nord, jusqu’alors colonie opprimée par les Allemands qui depuis ce jour essaient dans toutes les guerres de l’attaquer et de la reconquérir. Dans une prochaine édition on peut prévoir que les manuels yankees parleront carrément d’une lutte d’émancipation coloniale contre le conquérant moscovite dont les odieuses intentions de revanche sont évidentes depuis qu’il vendit l’Alaska pour quelques livres d’or.

Dans leur seconde entreprise les faits militaires ne furent pas non plus de premier ordre, mais même en fait de bravoure la quantité se transforme en qualité. A propos de Clark, on dit que même en Amérique on lui dénie la gloire de la bataille de Cassino. On découvrira peut-être qu’il n’y a jamais eu de bataille à Cassino, de même qu’il n’y a jamais eu de ligne Gustav, comme peuvent l’attester les quelques dizaines de soldats allemands restés saufs et les quelques centaines de milliers de civils italiens bombardés de façon sanguinaire pendant cinq mois jusqu’à ce qu’on fasse avancer quelques régiments de Polonais, d’Italiens et, sur la route Sessa-Ausone, de Marocains qui s’occupèrent de violer toutes les femmes de dix à soixante-dix ans et quelques autres encore, s’accrochant moins avec les Deutsche Grenadiere que les bandits de Giuliano ne s’accrochaient avec les forces de la police romaine.

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Parmi les grandes décisions du sanhédrin militaire américain concernant l’Europe, on trouve en première de l’Italie dans toute puissance démographique, le réarmement italien ligne. Il est curieux de voir la part de l’Italie dans tout ce remue-ménage de colosse, depuis que la n’est plus le premier facteur de force militaire.

Après avoir été dans la première guerre au bord d’une grande tentative de défaitisme révolutionnaire, dans la seconde notre pays a vécu en plein une tentative de défaitisme bourgeois.

En substance, personne n’a sapé les bases des fascistes pendant la période des succès militaires allemands. Beaucoup ont eu une espérance de défaitisme mais pour leur compte personnel. Mussolini était entre eux et la volupté du pouvoir. Ils ne pouvaient pas saper les bases de l’armée de Benito et d’Hitler en se tenant sur les épaules des armées adverses.

Durant l’automne de 1942, on diffusa la nouvelle selon laquelle, après de longues discussions et embûches réciproques avec leurs alliés russes qui jour après jour se saignaient sans mesure sur le second front, les forces américaines avaient débarqué sur les côtes du Maroc avec un itinéraire clair : la Méditerranée et la péninsule italienne, étaient-ce les étapes d’une unique invasion, passant par Versailles en 1917-1918 et dirigée sur Berlin. Seulement vers Berlin ? Non, et insensés furent ceux qui applaudirent alors car dirigée aussi vers Moscou. Pour de grands spécialistes qui ont tant de sensibilité aux changements dans l’histoire, vous êtes aujourd’hui en retard quand vous criez à la menace impérialiste et à l’invasion. Ce serait peu d’être en retard, vous en restez le souffle coupé, vous ne pouvez plus ressusciter et envoyer en sens opposé les millions de cadavres de Stalingrad. Personne ne vous répondra.

Cette information aurait dû suffire à prévoir le calvaire qu’allait avoir à subir la population italienne. A des fins de classe, à des fins révolutionnaires, le marxiste attire les plus grands cataclysmes sur la zone où il opère. Mais ici, s’agit de pur aveuglement. La radio fasciste avait plus de sens historique, elle qui diffusait une chansonnette de propagande, pour amener certes de l’eau à son moulin mais qui peut être chantée aujourd’hui par les alliés d’hier de l’Amérique toute-puissante, par tous ceux qui trépignaient de joie à l’annonce de l’échec de la classique contre-offensive italo-allemande en Tunisie, garantie par la neutralité française et bien menée tactiquement par la dernière armée italienne depuis Scipion (nous nous réjouissons du fait qu’il n’y aura plus d’armée italienne et nous nous réjouirons encore plus quand il n’y aura plus d’armées du tout). Pendant ce temps, en toute tranquillité, des forces super-puissantes s’accumulaient sur l’autre rive de l’Atlantique, et des cadavres européens s’amoncelaient devant la Volga cette chansonnette n’évita donc pas la sanguinaire farce du débarquement.

Les patriotes, les nationalistes et les populistes italiens se réjouissaient de l’avenir rose.

Mais quelle était cette chansonnette, fasciste mais pas si stupide ? Elle rappelait que Colomb était italien et disait dans le refrain : « Colomb, Colomb, Colomb, qui t’as fait faire cela ? »

Selon une opinion déjà établie , je crains fort que Staline doive faire découvrir aux historiens de Moscou que Colomb était russe.

Notes:
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  1. Dans le texte original de la « Marseillaise », il y a « vos » au lieu de « nos » :
    « Ils viennent jusque dans vos bras
    Égorger vos fils et vos compagnes! » [⤒]

  2. Lénine, « La chute de Port Arthur », 4. Janvier 1905.[⤒]

  3. Il s’agit de l’article « Neutralità » du même auteur, ndt.[⤒]

  4. Surnom de l’empereur d’Autriche François-Joseph, ndt.[⤒]


Source : « Prometeo », № 13, 13 Août 1949

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