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LE TOURNANT DES FRONTS POPULAIRES OU LA CAPITULATION DU STALINISME DEVANT L'ORDRE ÉTABLI (1934-1938) - II
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Le tournant des Fronts populaires ou la capitulation du stalinisme devant l'ordre établi (1934-1938) - II
II - La méthode démocratique de conservation sociale enrichie par le stalinisme
Rendre inutile le recours au fascisme
La victoire du fascisme sanctionne l'inutilité de la démocratie
Fascisme, opportunisme et organisations ouvrières
Le pas de deux de la démocratie et du fascisme
Laisser passer la vague sociale...
Faire renoncer la classe ouvrière à la violence
La question de l'«unité ouvrière»
La question du gouvernement de gauche
Gouvernement de gauche et «pression des masses»
De la trahison à l'aveu
Notes
Source


Le tournant des Fronts populaires ou la capitulation du stalinisme devant l'ordre établi (1934-1938) - II

II - La méthode démocratique de conservation sociale enrichie par le stalinisme
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Après avoir étudié les justifications théoriques du tournant de l'Internationale stalinisée en les rapportant aux conditions historiques de l'époque, il nous faut maintenant montrer en quoi consiste la méthode démocratique de conservation sociale déjà mise en œuvre par la social-démocratie, et comment, en s'y ralliant, le stalinisme l'a enrichie.

Rendre inutile le recours au fascisme
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Il faut examiner ensemble les deux grandes expériences de Front populaire en France et en Espagne (1), car elles se complètent: à les voir séparément, on manquerait leur sens et leur portée réels, ainsi que ceux du grand tournant de 1934-38.

Les événements français confirment dans la pratique le lien direct établi en théorie par le stalinisme, sous couvert d'antifascisme, entre le Front populaire et la guerre impérialiste, théorie dont nous avons vu le couronnement avec le VIIème Congrès de l'Internationale. Tous les actes du Front populaire dans tous les domaines furent conditionnés par la perspective de l'affrontement prochain avec l'impérialisme allemand (2). A la «défense de la patrie», c'est-à-dire en réalité de l'impérialisme français, furent délibérément sacrifiés les besoins de la lutte prolétarienne et ceux de la lutte d'émancipation coloniale, créant ainsi une contradiction qui devait nécessairement se transformer, à la longue, en un conflit ouvert.

En France, l'affrontement entre le gouvernement de Front populaire et les masses ouvrières et coloniales n'eut pas le temps d'avoir lieu. Il fut repoussé à la fin de la guerre impérialiste, qui vit la révolte des masses plébéiennes et paysannes se heurter, notamment en Algérie, en Indochine et à Madagascar, à un gouvernement à participation socialiste et communiste, mais sans que la lutte prolétarienne lui fasse écho dans la métropole.

En Espagne, où les traditions révolutionnaires du prolétariat étaient très vives, moins émoussées que chez sa voisine par d'énormes amortisseurs démocratiques, les luttes furent naturellement plus directes et menèrent plus rapidement à de grandes déchirures sociales: il ne se passa pas plus d'un an entre la victoire électorale du Front populaire et la répression sanglante, en 1937, de la grève de Barcelone, provoquée par l'incompatibilité complète entre la méthode démocratique d'opposition au soulèvement franquiste et les besoins profonds du prolétariat et de la paysannerie pauvre.

En quoi consiste donc cette méthode démocratique expérimentée depuis plus de quinze ans par la social-démocratie, et sur laquelle le stalinisme devait à son tour s'aligner en 1934 - avec cette seule particularité qu'il la mariait avec la revendications de l'internationalisme prolétarien, de la défense de la Russie et de la revendication pour demain des méthodes violentes dictatoriales qu'il refusait pour aujourd'hui? Cette méthode consiste à rendre le fascisme inutile en demandant au prolétariat de renoncer à sa lutte indépendante de classe, ou, si l'on veut, en faisant mieux que le fascisme.

Et ceci est parfaitement compréhensible. Il n'y a pas en effet entre fascisme et démocratie une opposition de classe, mais une opposition de méthode. Les deux formes de la domination bourgeoise n'atteignent pas leur développement optimal dans les mêmes conditions historiques, avec la même configuration des rapports entre les classes. La différence entre le fascisme et la démocratie réside en ce que le premier se propose d'imposer par la force ce que la seconde cherche à obtenir par le consentement (tous deux rivalisant d'ailleurs dans la démagogie du réformisme social). La méthode démocratique de lutte contre le fascisme consiste donc à obtenir du prolétariat un agenouillement devant l'ordre établi et le respect du monopole de la violence détenu par l'État bourgeois, afin d'éviter que la bourgeoisie ne fasse appel au fascisme et ne se donne une organisation de citoyens qui complète l'État en assurant s'il le faut une centralisation plus efficace de sa machine pour briser le prolétariat (3).

La victoire du fascisme sanctionne l'inutilité de la démocratie
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Pour préciser les limites de l'opposition entre démocratie et fascisme, il suffit d'examiner le comportement des différentes forces politiques au moment où il apparaît nécessairement avec le plus de clarté, c'est-à-dire au moment de leurs affrontements.

Il ne fait pas de doute que la révolte des ouvriers autrichiens de février 1934 qui entraîna l'affrontement ouvert entre Dollfuss et la social-démocratie, ainsi que l'insurrection des Asturies le même mois à l'appel de l'Alliance ouvrière influencée par le parti socialiste, ont eu pour effet immédiat, à l'époque de la reddition sans combat du mouvement ouvrier organisé d'Allemagne, une revalorisation des partis sociaux-démocrates et de leurs méthodes; ce fait a puissamment aidé l'alignement du stalinisme sur eux.

Mais si l'on s'attache à démonter froidement le mécanisme de ces événements tragiques, que voit-on? Même lorsque l'opportunisme est capable - notamment à la faveur d'une cure d'opposition - de s'affubler du masque révolutionnaire et de prendre appui sur la vague sociale, allant même jusqu'à l'insurrection armée, il ne le fait nullement pour vaincre mais toujours pour négocier une autre distribution des cartes gouvernementales, comme cela ressort parfaitement de notre étude sur «La fonction contre-révolutionnaire de la démocratie en Espagne» (4). D'autre part, s'il prend appui sur une poussée prolétarienne, c'est pour faire valoir des exigences qui n'ont rien à voir avec la lutte en cours: c'est ce que montre à l'évidence l'attitude de la social-démocratie autrichienne, dont l'opposition à Dollfuss était motivée par des raisons de politique internationale, en l'occurrence son désir de voir l'Autriche s'aligner sur la diplomatie anglo-française (5).

Voilà qui ne peut évidemment que nous renforcer dans notre idée que le pire danger pour le parti révolutionnaire est de prétendre aller au pouvoir avec d'autres partis, et même diriger avec eux l'attaque contre le pouvoir. Cependant cette conclusion ne saurait impliquer - répétons-le pour couper court à une légende tenace - la renonciation à la constitution d'un front unique de défense prolétarienne, économique, politique, et même militaire dans des organisations ouvertes de la classe, auxquelles peuvent donc adhérer théoriquement les ouvriers influencés par des partis opportunistes mais entraînés par la lutte de classe, ce que proscrit la tactique stalinienne dite de «troisième période» faussement assimilée à la nôtre.

Ce qu'il est important de comprendre, c'est que les principes qui guident la social-démocratie, y compris lorsqu'elle s'oppose au fascisme, deviennent, à l'heure du conflit ouvert, une telle entrave à la riposte prolétarienne - quand ils n'obligent pas à la combattre carrément - qu'ils constituent en définitive la manière la plus sûre de mener le prolétariat à la défaite. La récente tragédie chilienne vient, bien que dans des conditions historiques et politiques différentes, d'en apporter une nouvelle confirmation.

Le fond de la question est évidemment qu'il n'existe pas d'opposition de classe entre les méthodes fasciste et démocratique. Mais cela n'explique pas pourquoi, à un moment donné, les deux méthodes peuvent s'affronter après avoir agi de concert. Pour le comprendre, il faut considérer les exigences générales de la situation historique et les besoins de la classe dominante.

Prenons d'abord le cas de l'Allemagne. Bien sûr, si la méthode nazie l'a finalement emporté en janvier 1933, c'est parce que le nazisme a pu vaincre le prolétariat qui se battait en ordre dispersé. Cette défaite était due non seulement à l'attitude criminelle de la social-démocratie, qui refusait tout combat (quand elle ne se faisait pas elle-même l'instrument de la répression anti-prolétarienne), mais aussi à la tactique désastreuse du stalinisme. Le résultat fut que la classe ouvrière, entièrement paralysée, dut rendre les armes sans combattre, et les effets négatifs de cette défaite se font sentir encore aujourd'hui. Mais cela explique seulement pourquoi la classe ouvrière a été battue, et non pourquoi la classe bourgeoise a finalement opté pour la méthode nazie. Or la raison de ce choix est à chercher dans le fait qu'en dépit de l'action en fin de compte convergente de la social-démocratie (par son rôle déjà ouvertement contre-révolutionnaire) et du stalinisme (par opportunisme criminel, ce qui revient au même), la classe ouvrière allemande n'était pas encore suffisamment matée pour accepter de gaieté de cœur les sacrifices exigés par l'impérialisme allemand.

La loi qui entraîne l'élimination de la social-démocratie se manifeste avec plus de clarté encore dans la périphérie de l'Allemagne, où les antagonismes de classe ont été plus longs à éclater grâce au rôle éminemment conciliateur de la social-démocratie de gauche dans sa version la plus mielleuse, l'austro-marxisme. Si, comme le remarquait Otto Bauer lui-même, l'Allemagne a toujours conditionné les événements autrichiens, l'élimination de la social-démocratie en Allemagne n'était que le prélude de son élimination en Autriche. La social-démocratie fut poussée au suicide en février 1934 parce qu'à la différence de 1927 - où elle s'opposa, aux côtés de l'État, aux ouvriers armés - aucun accord n'était plus possible alors avec Dollfuss (6). C'est aussi exactement ce qui se produisit en Espagne, une fois que la République eut rempli sa mission historique.

En d'autres termes, si la social-démocratie s'efforce de prouver l'inutilité du fascisme, le fascisme, par sa victoire, sanctionne l'inutilité de la social-démocratie. Ce qui est une manière de dire que la démocratie, défendue par les partis de la collaboration volontaire des classes, n'est plus d'aucun intérêt pour la bourgeoisie dès lors que cette collaboration est impossible. C'est la raison pour laquelle le fascisme, en tant que tentative de donner une direction unitaire à l'État bourgeois, doit même se débarrasser des structures des autres partis, et avec elles de la partie de leur personnel qui ne se soumet pas ou ne vient pas grossir ses rangs: il ne peut tolérer les habitudes, les traditions et autres marottes qui, à un certain degré d'acuité de la lutte des classes, deviennent une entrave à l'efficacité de l'État.

Fascisme, opportunisme et organisations ouvrières
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L'attitude spécifique du fascisme vis-à-vis des partis opportunistes et des organisations syndicales mérite une attention particulière. En effet, le fait que le fascisme ait besoin d'éliminer les partis opportunistes à un certain moment de la lutte sociale ne permet nullement de parler d'«opposition irréductible» entre eux. Hélas, même Trotsky n'a pas combattu sérieusement une telle idée: sa critique de la stupide théorie du social-fascisme l'a poussé bien souvent à tordre le bâton dans l'autre sens et à reprendre sans critique par exemple cette affirmation d'un Togliatti:
«
Le problème des relations existant entre le fascisme et la social-démocratie (...) relève précisément de ce domaine (c'est-à-dire de l'opposition irréductible entre le fascisme et les organisations ouvrières). De ce point de vue le fascisme se distingue nettement de tous les autres régimes réactionnaires qui ont été instaurés jusqu'à présent dans le monde capitaliste contemporain. Il rejette tout compromis avec la social-démocratie, il la poursuit férocement; il lui a enlevé, toute possibilité légale; il l'a forcée à émigrer» (7).

Si la deuxième partie de la proposition est juste dans la mesure où il vient un moment où le fascisme «rejette tout compromis» avec l'opportunisme, la vérité est que ce dernier, lui, ne rejette jamais le compromis avec le premier... Trotsky ne se faisait d'ailleurs aucune illusion à ce sujet quand il disait: «Il ne fait aucun doute que les dirigeants de la social-démocratie et une mince couche de l'aristocratie ouvrière préféraient en dernière instance une victoire du fascisme à la dictature révolutionnaire du prolétariat» (8). La continuité du personnel utilisé par les deux méthodes de domination bourgeoise pouvait déjà être remarquée en Italie et en Allemagne où une bonne partie des bureaucrates syndicaux sont directement passés à des postes analogues dans les organisations corporatives. Aujourd'hui notre expérience s'est enrichie, puisque nous avons eu le loisir de vérifier la réciproque de ce phénomène au moment de la victoire des démocraties sur les fascismes, et tout récemment encore au Portugal, en attendant que l'Espagne s'y mette à son tour.

Mais pour en revenir à la citation de Trotsky, pour pouvoir opposer les ouvriers sociaux-démocrates à leurs dirigeants, il faut que les premiers puissent se déplacer sur un terrain de classe authentique. C'est pourquoi, sans entrer dans la discussion sur le front unique prolétarien, dans l'application duquel nous divergeons d'avec Trotsky, on peut remarquer que s'il est juste d'expliquer: «a) la responsabilité politique de la social-démocratie en ce qui concerne la puissance du fascisme», il n'est pas exact de parler en général de «b) l'incompatibilité absolue qui existe entre le fascisme et les organisations ouvrières sur lesquelles s'appuie la social-démocratie» (9). En effet, le fascisme n'a à détruire que des organisations authentiquement classistes, et non des organisations vidées de tout contenu de classe. Et à ce sujet, on peut dire que les organisations syndicales des années trente étaient encore, en dépit de leur direction réformiste, sensibles aux poussées prolétariennes, ce qui pouvait donner l'illusion que «la tâche du fascisme n'est pas seulement d'écraser l'avant-garde communiste, mais aussi de maintenir toute la classe dans une situation d'atomisation forcée» (10); mais cette tâche, l'opportunisme l'a effectivement réalisée, lui aussi, comme le tournant des Fronts populaires le démontre: le stalinisme est parvenu à maintenir toute la classe dans une situation d'atomisation complète par le canal des syndicats qu'il contrôle. Cette tâche n'est donc pas caractéristique du fascisme. Ce qui est vrai, en revanche, c'est que la méthode par laquelle il y parvient diverge de la méthode de l'opportunisme; le premier doit effectivement tenter de réaliser cette atomisation par la force lorsque le second n'a pu y parvenir avec le «consentement» des intéressés.

Toutes les formules insuffisamment tranchantes de Trotsky permettent aujourd'hui à ses disciples de réintroduire sous son drapeau une conception purement démocratique de la lutte contre le fascisme qui n'était évidemment pas la sienne, même lorsqu'il fit les pires concessions aux suggestions de cette époque dévastatrice en cherchant dans l'alternative «démocratie-fascisme» et dans la lutte pour la défense de la démocratie, un point d'appui pour la lutte prolétarienne et communiste contre le fascisme.

Le pas de deux de la démocratie et du fascisme
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Quand le Front populaire se vanta d'avoir débarrassé la France du fascisme, Trotsky eut mille fois raison de railler les auteurs d'une telle stupidité et de leur rétorquer:«Pour combien de temps? Entre le premier soulèvement de Hitler et son arrivée au pouvoir, il s'est écoulé dix années marquées par les alternances de flux et reflux! A l'époque les Blum et les Cachin allemands ont maintes fois proclamé leur victoire sur le national-socialisme. Nous ne les avons pas cru et nous n'avons pas eu tort» (11). Le fascisme a d'ailleurs progressé en France pendant le Front populaire lui-même: il est parvenu à se donner alors une base prolétarienne avec Doriot et son Parti Populaire Français.

Le Front populaire n'a pas débarrassé la France du fascisme et il ne pouvait le faire. Tout au plus a-t-il, dans la crise sociale des années 30, rendu inutile le recours à cette méthode, car pour plier le prolétariat aux exigences de la conservation bourgeoise la méthode démocratique s'est révélée suffisante. Et si Trotsky a sans doute surestimé le danger fasciste en France, ce n'est certes pas par amour inconsidéré pour les institutions démocratiques, qu'il a toujours dénoncé comme impitoyables envers les ouvriers de la métropole et les masses exploitées des colonies. Chez lui, la surestimation du danger fasciste allait de pair avec une surestimation des potentialités révolutionnaires de la période c'était, pourrait-on dire paradoxalement, une erreur optimiste sur les possibilités du prolétariat de se débarrasser des illusions démocratiques.

La meilleure preuve que les démocrates français se vantaient en prétendant s'être si facilement débarrassé du fascisme, ce sont les événements d'Espagne, où, pourtant, le prolétariat avait pris les armes contre Franco. Or, lorsque la démocratie espagnole eut effectué - grâce à son exécuteur des basses œuvres, l'opportunisme stalinien - tout le travail de restauration de l'État et de désarmement des prolétaires, lorsqu'elle eut écrasé dans le sang le magnifique sursaut de mai 1937, le fascisme, loin de s'entendre avec elle, repoussa ses offres de paix quand elle lui proposa les fameux treize points de Negrin. Mais la bourgeoisie espagnole avait dû payer le prix de la guerre civile qu'il avait fallu mener jusqu'au bout, et elle ne pouvait plus, dans la lourde tâche de reconstruction d'un pays saigné à blanc, se payer le luxe coûteux d'institutions démocratiques et de syndicats aux allures contestataires. D'autre part, ce personnel démocratique était complètement déconsidéré aux yeux des masses. L'histoire fait bien les choses: la cure d'opposition et d'illégalité plus que trentenaire a redoré le blason des partis de la république et à l'heure où la lutte renaît, c'est du sein même des secteurs qui ont souscrit sans arrière-pensée au franquisme que se tendent les mains vers les bannis d'hier, les Carrillo et les Ibarurri, pour assurer les conditions du passage sans douleur à la démocratie.

Laisser passer la vague sociale...
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Nous venons de rappeler, à la lumière des événements de la période des Fronts populaires, les limites de l'opposition entre les méthodes démocratique et fasciste de conservation bourgeoise. Voyons maintenant pour plus de précision des grands axes de la méthode démocratique.

Une des caractéristiques de la démocratie, comme l'avaient déjà montré les tragiques événements d'Allemagne en 1918-1919, consiste à tenter de contrôler le mouvement des masses pour le maintenir dans les limites de l'ordre établi. La Gauche communiste d'Italie caractérisait ainsi la méthode démocratique en 1922, en faisant référence à la vague des occupations d'usine en Italie:
«
Si ce mouvement, qui était irrésistible puisqu'il découlait de faits économiques inéluctables, s'était produit dans une atmosphère de réaction bourgeoise ouverte, toutes les conditions pour la formation d'une armée prolétarienne auraient été réunies. L'essor des syndicats en 1919 ne pouvait être stoppé par la violence; elle l'aurait plutôt contraint à se transformer en lutte générale, ce qui aurait représenté pour le moins un grave risque de défaite pour la bourgeoisie. Il fallait laisser passer la vague. (Souligné par nous.) Une interprétation superficielle prétend que le gouvernement bourgeois fit en cela preuve de faiblesse, mais la vérité est qu'il s'agissait d'une tactique de temporisation qui devait permettre de renforcer l'appareil d'État et d'attendre la crise qui ne manquerait pas de succéder à la prospérité apparente de l'après-guerre. Considérer Nitti et Giolitti comme des défaitistes de la cause bourgeoise par amour de la démocratie serait pour le moins le comble de la naïveté.
Giolitti pratiqua dans le domaine social et syndical une politique audacieuse. Il réussit ainsi à passer le moment crucial. Le parti prolétarien n'avait pas encore formé l'embryon d'une armée rouge et les organisations économiques avaient jusque là vaincu par des méthodes pacifiques. Mais lorsque la crise industrielle s'annonça et que le patronat se refusa à de nouvelles concessions, le problème de la gestion prolétarienne se posa de façon locale et empirique. Les ouvriers occupèrent les usines. Cette occupation ne fut pas dirigée de façon unitaire, mais elle était armée, et elle coïncidait avec l'occupation des terres par les paysans. L'État comprit qu'une attaque frontale de sa part aurait été maladroite, que la manœuvre réformiste était une fois de plus tout indiquée et qu'on pouvait encore faire un semblant de concession. Avec le projet de loi sur le contrôle ouvrier, Giolitti obtint des chefs ouvriers qu'ils fassent évacuer les usines
»…

Et la Gauche ajoutait:
«
Il nous semble qu'ainsi la bourgeoisie a joué la partie de sa façon classique. Par la suite, cette partie va se développer logiquement. Nous ne sommes pas des métaphysiciens, mais des dialecticiens; dans le fascisme et dans la contre-offensive générale actuelle de la bourgeoisie, nous ne voyons pas un changement de la politique de l'État italien, mais la continuation naturelle de la méthode employée avant et après la guerre par la «démocratie». Nous ne croirons pas plus à l'antithèse entre démocratie et fascisme que nous n'avons cru à l'antithèse entre démocratie et militarisme. Et nous n'accorderons pas plus de crédit, pour lutter contre le fascisme, au complice naturel de la démocratie: le réformisme social-démocrate» (12).

L'expérience du Front populaire en France plus encore qu'en Espagne apporte une nouvelle illustration de cette tactique de temporisation (13). On peut remarquer à ce propos que les chefs réformistes sont tellement conscients de leur fonction, qui est d'endiguer le mouvement social, qu'ils vont jusqu'à l'exprimer par l'image même avec laquelle nous la stigmatisons. Voici par exemple le langage significatif qu'au procès de Riom, Blum prêta aux dirigeants CGT face au patronat à Matignon en juin 36:
«
Nous nous engageons à faire tout ce que nous pourrons et nous le ferons. Mais nous vous avertissons tout de suite, nous ne sommes pas sûrs d'aboutir. Quand on a affaire à un mouvement comme celui-ci, à une marée comme celle-là, il faut lui laisser le temps de s'étaler (souligné par nous). Et puis, c'est maintenant que vous allez regretter d'avoir systématiquement profité des années de déflation et de chômage pour exclure de vos usines tous les militants syndicaux. Ils ne sont plus là pour exercer sur leurs camarades leur autorité, pour faire exécuter nos ordres» (14).

Faire renoncer la classe ouvrière à la violence
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L'autre axe de la méthode démocratique tient à la capacité qu'a la démocratie à amener le prolétariat à renoncer à l'usage de sa violence de classe. Ce point aussi, la Gauche italienne l'avait parfaitement compris lorsqu'elle' écrivait en 1921:
«
Le social-démocrate, le social-pacifiste, n'est pas contre la violence en général. Il reconnaît à la violence une fonction historique et sociale. Il ne nie pas, par exemple, la nécessité d'arrêter et, s'il le faut, de tuer le délinquant de droit commun, l'auteur d'agressions dans la rue. C'est à ce genre de délits qu'il compare l'invasion militaire, mais il se refuse à leur comparer également l'offensive civile des chemises noires. Quelle est donc la distinction qui le guide?
(...) Quand c'est le pouvoir d'État qui emploie la violence, qui la veut, qui l'ordonne, cette violence est légitime. (...) Mais la violence défensive contre le fascisme est illégitime parce que ce n'est pas l'État, mais des forces extra-légales, qui en prennent l'initiative.
S'il ne faut pas se défendre contre le fascisme, ce n'est pas parce que ce serait le meilleur moyen de le désarmer (Turati n'est pas retombé en enfance!), mais parce que c'est à l'État qu'il incombe de réprimer la violence fasciste, considérée elle aussi comme extra-étatique et extra-légale, selon la mentalité social-pacifiste. (...)
C'est à cette logique théorique que répond la politique actuelle et la fatale politique future du Parti socialiste italien. Il a lancé le mot d'ordre du désarmement et de la non-résistance au fascisme, mais le fascisme n'a pas désarmé. Il a lancé le mot d'ordre de l'action légale et électorale, et une fraction considérable du prolétariat l'a suivi, mais le fascisme n'a pas désarmé.
Le P.S.I. refuse de se placer du point de vue communiste selon lequel le fascisme n'est qu'un autre aspect de la violence que l'État bourgeois oppose à la violence révolutionnaire du prolétariat et qui constitue son dernier, argument défensif et contre-offensif. Le P.S.I. voudrait une stagnation de la situation qui permettrait un retour à la vie normale dans laquelle il pourrait continuer l'œuvre pacifique traditionnelle à laquelle sa structure est adaptée. La politique de désarmement et de participation électorale n'ayant pas suffi à mener à ce résultat, le P.S.I. est conduit à des tractations directes avec les dirigeants fascistes. Leur échec actuel ne veut rien dire. Le seul fait de les avoir engagées après avoir spontanément renoncé officiellement à la lutte armée signifie que le P.S.I. se prépare à d'autres concessions qui seront la conséquence logique de sa fatale prémisse «pacifiste». Cela implique un pacte de ce genre: nous avons désarmé, que le fascisme s'engage à en faire autant; que la répression des violences privées incombe à nouveau aux forces légitimes de l'ordre, à l'État. Le social-démocratisme aspire avec une ardeur stupide et néfaste à cet illusoire retour la légalité. Il est donc logique et vraisemblable que le P.S.I. ait aussi proposé que les deux parties s'engagent à dénoncer tous ceux, quels qu'ils soient, qui attenteraient à cette légalité, et si ce n'est pas encore fait, ça se fera.
Réserver à l'État l'«administration de la violence» n'est pas seulement reconnaître un principe typiquement bourgeois, car la reconnaissance d'un «faux» principe conduit à bien d'autres conséquences. (...)
(...) Parvenue à la fonction de gérante de l'État, et donc de la violence légale soit par un pacte avec le fascisme, soit par la collaboration ministérielle, que fera (la social-démocratie) quand les communistes continueront à préconiser et à employer la violence pour l'attaque révolutionnaire contre le pouvoir d'État?
Elle fera une chose bien simple. Elle condamnera cette violence révolutionnaire en principe; mais malgré son pseudo-pacifisme chrétien d'aujourd'hui, elle se gardera bien de parler de non-résistance à cette violence! En parfaite logique avec elle-même, elle proclamera au contraire que l'État a le droit et le devoir de l'écraser. Pratiquement, elle ordonnera à la Garde Royale de mitrailler le prolétariat, c'est-à-dire les nouveaux «brigands antisociaux» qui nieront alors la fonction bénéfique de son gouvernement «ouvrier». Voilà à quoi seront conduits les partis qui nient que l'illégalité et la violence soient les moyens fondamentaux de la lutte prolétarienne. C'est exactement la voie que Noske a suivie.
Voilà ce que montrent la critique marxiste et la réalité dramatique que nous vivons aujourd'hui en Italie
» (15).

Sur les moyens de défense contre la violence bourgeoise, le VIIème Congrès de l'Internationale à Moscou, s'était bien gardé de positions aussi claires. Certes, il déclarait:
«
Les communistes doivent prendre l'initiative de la création d'une autodéfense antifasciste de masse contre l'agression des bandes fascistes, autodéfense composée des éléments fermes et éprouvés du mouvement de front unique» (16).

Mais ce n'étaient que des mots. Le pacte du 27 juillet 1934 entre PC et PS excluait en réalité le «recours systématique à la violence»; l'«autodéfense de masse» fut un prétexte donné au PCF pour s'opposer aux «milices d'autodéfense» considérées comme une «provocation», comme si l'autodéfense prolétarienne pouvait se passer de détachements ouvriers armés non seulement par les partis mais aussi par les organisations de masse du prolétariat. En l'occurrence la fameuse «autodéfense de masse» excluait la violence. On parvint ainsi tout tranquillement en octobre 1936 au désarmement de toutes les milices des partis, avec le vote unanime d'une loi proposée par un député de la droite notoirement lié aux ligues fascistes!

Si l'exemple de la France reste un modèle de contrôle d'un vaste mouvement de lutte économique maintenu sans trop de difficulté dans l'ornière de la politique bourgeoise, celui de l'Espagne, en revanche, reste un modèle de restauration de l'autorité de l'État par le bras de l'opportunisme, et en premier lieu du stalinisme. Une nouvelle fois, les «voies qui conduisent au noskisme» ont été suivies jusqu'au bout, de juillet 1936 à mai 1937, jusqu'à l'écrasement définitif de toute tentative de lutte prolétarienne indépendante contre le franquisme.

Tous ces faits démontrent le rôle irremplaçable de l'opportunisme ouvrier dans l'utilisation de la méthode démocratique, rôle tout à fait méconnu par tout le spontanéisme et l'immédiatisme ouvriéristes qui sont, au fond, suivistes: la démocratie moderne, celle du capitalisme sénile et impérialiste qui pousse à fond toutes les contradictions sociales ne tiendrait pas une heure sans les amortisseurs de la lutte sociale que sont le réformisme social, la réforme permanente et l'opportunisme ouvrier. Ce dernier est devenu le pilier fondamental de la démocratie. Cette méthode de gouvernement est en effet impossible sans un contrôle des poussées prolétariennes, ce qui suppose un encadrement politique et organisatif toujours plus grand et déplace l'épicentre de la démocratie bourgeoise des organes représentatifs à ceux de la concertation et de la collaboration entre les classes sociales.

La question de l'«unité ouvrière»
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C'est en gardant cette donnée présente à l'esprit que l'on peut saisir la fonction réelle du stalinisme au cours de cette période et l'importance qu'a pris à ses yeux ce qu'il a appelé au VIIème Congrès de Moscou l'«unité de la classe ouvrière contre le fascisme et la guerre».

Il s'agissait en réalité de donner au besoin instinctif d'unité et de solidarité que ressentent tous les ouvriers qui entrent en lutte une traduction purement opportuniste et bourgeoise, que le stalinisme eut pour rôle de parer des couleurs de la révolution russe et de l'internationalisme prolétarien.

Tout le VIIème Congrès fut placé sous le signe de la mise au point de ces armes de l'Unité revue et corrigée par le stalinisme, c'est-à-dire des armes du contrôle démocratique de la lutte prolétarienne.

La première arme proposée fut celle du Front unique avec la social-démocratie qui supposait, selon le stalinisme, le «passage des ouvriers social-démocrates aux positions de lutte de classe». Mais comme le Congrès s'empressa aussitôt d'ajouter que «le mouvement de front unique en France a donné l'exemple de ce que doit être en fait le front unique» (17), il est établi, si on se souvient du pacte PC-PS du 27 juillet 1934 (18), que la phrase du VIIème Congrès n'était destinée qu'à couvrir l'abandon total dans la pratique de toute politique indépendante de classe et l'alignement du stalinisme sur la social-démocratie.

La seconde grande arme d'«unité» conçue par l'opportunisme était l'Unité syndicale, vue du double point de vue de l'unité des confédérations nationales, mais aussi de la fusion de l'Internationale d'Amsterdam et de l'ISR. La position traditionnelle des communistes, que les staliniens n'avaient pas jusque-là osé remettre en question, était que l'unité syndicale ne pouvait être réalisée sans droit de fraction. Cette revendication figurait encore à la fin de 1934 dans les exigences des staliniens. Mais le VIIème Congrès n'en parlait plus: on l'avait déjà ravalée. Et, de fait, la réunification se fit au début 1936 en France par la liquidation des restes de la CGTU: celle-ci livra ses cadres à la bureaucratie de Jouhaux qui garda l'initiative politique des opérations (19).

Le VIIème Congrès illustre bien toute la mystification du stalinisme. L'art de celui-ci consiste à transformer une exigence juste, comme celle d'un front unique de lutte de tous les exploités face à l'attaque contre leurs conditions de vie, en son contraire, la revendication d'une combinaison politique avec des partis desquels les prolétaires ne pourront jamais attendre aucune défense réelle. Pareillement, le stalinisme part de la juste exigence d'un organe-guide unique de la lutte révolutionnaire, pour la transformer en la revendication exactement opposée, celle de l'union avec des partis dont les communistes savent qu'ils ne peuvent attendre que le sabotage de la préparation révolutionnaire et de la révolution elle-même. Dans un cas comme dans l'autre, son unique but est d'étrangler la lutte de classe pour traîner le prolétariat dans le marais du démocratisme égalitaire et patriotard.

Les conditions posées par le VIIème Congrès à la fusion avec la social-démocratie étaient au nombre de cinq:
«
Cette unification n'est possible que
Premièrement, à la condition d'une complète indépendance vis-à-vis de la bourgeoisie et de la rupture totale du bloc de la social-démocratie avec la bourgeoisie;

Deuxièmement, à la condition de la réalisation préalable de l'unité d'action;
Troisièmement, à la condition de la reconnaissance de la nécessité du renversement révolutionnaire de la domination de la bourgeoisie et de l'instauration de la dictature du prolétariat sous la forme des Soviets;
Quatrièmement, à la condition de la renonciation au soutien de sa bourgeoisie dans une guerre impérialiste;
Cinquièmement, à la condition de l'édification du parti sur les bases du centralisme démocratique qui garantit l'unité de volonté et d'action et qui a été corroboré par l'expérience des bolchéviques russes
» (20).

Il est clair que ces conditions n'étaient que pure phraséologie: sans parler de la seconde qui n'en est pas une - même formellement - on exigeait que la social-démocratie rompe avec la bourgeoisie au moment même où on montrait que l'on était prêt à se soumettre à cette même bourgeoisie sous couleur d'indépendance nationale; on exigeait la reconnaissance de la dictature du prolétariat au moment même où l'Internationale la remettait aux calendes grecques et admettait le soutien et la participation à un gouvernement bourgeois; on dénonçait le soutien à la bourgeoisie dans la guerre impérialiste au moment précis où on décidait qu'il fallait soutenir la Russie «par tous les moyens» et où l'on donnait à la guerre dans tout pays envahi le caractère d'une guerre de libération nationale!

Dans son «bilan», Manuilski fut contraint d'expliquer pourquoi on ne mettait pas dans les conditions le programme de l'Internationale Communiste, et même pourquoi les conditions d'admission passaient de 21 à 5. Son argument fut qu'à la différence de 1920, l'Internationale ne courait plus «aujourd'hui le danger d'être envahie par le centrisme» (21). Une manière d'avouer que c'était déjà fait depuis longtemps!

Le résultat pratique immédiat de cette tactique d'unité au niveau du parti fut le gonflement de l'organisation stalinienne en Espagne par l'intégration des Jeunesses socialistes de Carrillo, et le temps nous permet aujourd'hui d'en mesurer toute l'importance...

Pour les spontanéistes de l'époque, pris au piège de l'«Unité ouvrière», le Front unique PC-PS de juillet 1934 en France avait un caractère prolétarien que l'on aurait pu opposer au caractère interclassiste du Front populaire. Quelle ne fut pas leur stupeur d'apprendre du VIIème Congrès que le stalinisme considérait pour sa part que le Front populaire avait pour condition l'unité des partis soi-disant ouvriers! Les spontanéistes oubliaient - et oublient toujours - une seule petite chose, à savoir: sur quel terrain, sur quelle base, sur quels principes s'établit le Front unique? C'est seulement s'il s'établit sur un terrain authentiquement classiste que l'opposition entre base et sommet peut se transformer en un conflit riche de potentialités révolutionnaires, et à la condition qu'existe le Parti marxiste qui puisse sortir victorieusement des affrontements inévitables avec le réformisme en arrachant à son emprise des couches nouvelles de prolétaires. Laisser au contraire dans le vague cette question fondamentale, c'est laisser l'opportunisme manœuvrer comme il l'entend et porter la question sur son terrain à lui, sur celui où il a pu le faire dès février 1934 en France, sur le terrain où il le fera toujours, celui de la collaboration avec les forces et les institutions démocratiques.

L'opportunisme pour sa part a bien compris ce que nous savons nous aussi, marxistes, à savoir que le contrôle du prolétariat par la démocratie suppose un front bourgeoisie-opportunisme dont le pivot est l'alliance entre les diverses forces opportunistes; il sait aussi que la forme la plus efficace de ce front est réalisée par l'unité des organisations opportunistes, par le contrôle opportuniste unifié sur la classe ouvrière.

La question du gouvernement de gauche
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C'est l'existence de ce front opportuniste et, au fond, anti-prolétarien, qui donne son efficacité à l'alternance démocratique des gouvernements bourgeois, alternance qui continue aujourd'hui, grâce aux illusions perpétuées par l'opportunisme et en dépit des expériences les plus tragiques, à faire les pires ravages dans la classe ouvrière.

Mais l'attitude la plus dangereuse pour la préparation révolutionnaire - et même pour la lutte immédiate! - est encore celle du spontanéisme, qui parle de «lutte de classe indépendante» mais n'hésite pas à décrire l'arrivée d'un gouvernement de gauche comme une «victoire de la classe ouvrière».

Qu'un tel gouvernement soit en effet, dans un sens, un «résultat de la lutte ouvrière», c'est incontestable; mais précisément dans un sens seulement. Le plus difficile cependant à comprendre n'est pas ce résultat direct et mécanique; c'est cet autre fait, autrement plus important, que le gouvernement de gauche est aussi et surtout le résultat de la manœuvre du front bourgeoisie-opportunisme pour canaliser et stériliser la lutte prolétarienne par l'illusion de changement que donne un renouvellement du personnel gouvernemental. Il est d'ailleurs clair que l'effet démoralisant sur le prolétariat est d'autant plus fort que le personnel est nouveau, et que la transition entre son passé révolutionnaire (ou tout simplement batailleur) et son accession à la collaboration gouvernementale est plus courte.

Il suffit pour se convaincre du rôle catastrophique joué en ce sens par le stalinisme de rappeler les conditions posées par Dimitrov, dans son Rapport au VIIème Congrès de l'Internationale, à la formation d'un «gouvernement de Front populaire antifasciste»:
«
La condition essentielle pour qu'un tel gouvernement de front unique soit créé est la situation suivante
a) lorsque l'appareil d'État de la bourgeoisie est fortement paralysé, au point que la bourgeoisie n'est pas en état d'empêcher la création d'un tel gouvernement;
b) lorsque les grandes masses de travailleurs se dressent violemment contre le fascisme et la réaction, mais ne sont pas encore prêtes à se soulever pour la lutte pour le pouvoir soviétique;
c) lorsqu'une partie considérable des organisations de la social-démocratie et des autres partis qui participent au front unique réclame déjà des mesures impitoyables contre les fascistes et les autres réactionnaires, et est prête à lutter en commun avec les communistes pour l'application de ces mesures.
Pour autant que le gouvernement de front unique prendra effectivement des mesures décisives contre les magnats contre-révolutionnaires de la finance et leurs agents fascistes et ne gênera en aucune manière l'activité du Parti communiste et la lutte de la classe ouvrière, le Parti communiste soutiendra par tous les moyens ce gouvernement, la participation des communistes au gouvernement de front unique devant être décidée dans chaque cas particulier en tenant compte de la situation concrète
» (22).

Ces conditions sont d'autant plus trompeuses qu'elles parlent d'une situation de crise politique aiguë, dans laquelle n'importe quel militant attendrait le signal révolutionnaire. N'est-ce pas «lorsque l'appareil d'État de la bourgeoisie est fortement paralysé» et «lorsque les grandes masses des travailleurs se dressent violemment contre le fascisme et la réaction» que le moment devient favorable au heurt révolutionnaire? Or, c'est précisément ce moment où il est indispensable de n'avoir aucun lien avec cet État sous peine de paralysie et de défaite, que le stalinisme choisit comme propice à un «gouvernement de Front populaire»: ce faisant, il promet donc à la bourgeoisie qu'à l'heure du danger il saura se précipiter au gouvernement pour sauver la baraque.

C'est bien ce qui est arrivé en Espagne, où le stalinisme est allé au gouvernement non pas pour renverser l'État mais en revendiquant la restauration de son autorité et en la mettant en pratique. Bien entendu, comme d'habitude, nos maoïstes d'aujourd'hui prétendent s'appuyer sur Dimitrov pour accuser le PCF d'avoir trahi la classe ouvrière... en trahissant le stalinisme! La citation que nous avons faite montre le degré de leur imposture. Ceci mis à part, il est clair qu'en Espagne, où les antagonismes étaient plus ouverts et où l'unité opportuniste fut beaucoup plus difficile à imposer au prolétariat, la méthode démocratique impliqua, à la différence de ce qui s'est passé en France, le recours à la répression ouverte par les partis «ouvriers», stalinisme en tête.

On imagine donc de quelles «mesures impitoyables contre les fascistes et autres réactionnaires» il s'agissait: rien d'autre que l'interdiction légale de la violence «illégale», arme bien inoffensive vis-à-vis des fascistes mais efficace vis-à-vis des travailleurs lorsqu'ils se laissent berner par l'opportunisme. Quant aux «mesures décisives contre les magnats contre-révolutionnaires de la finance», elles font toujours partie de l'arsenal des promesses prodiguées par les radicaux-socialistes, qui ont toujours crié «à bas la haute finance!» pour mieux pouvoir lui marchander leur appui.

Il est donc bien insuffisant de dire que la bourgeoisie «n'est pas en état d'empêcher la création d'un tel gouvernement»: le stalinisme joue sur le fait que certains secteurs de la classe dominante sont opposés à un gouvernement de gauche pour conférer à ce dernier un vernis antibourgeois. La vérité est que la bourgeoisie dans son ensemble a besoin d'un tel gouvernement, et que celui-ci ne peut voir le jour et subsister en utilisant la mécanique bien rodée des Parlements sans une alliance avec les secteurs décisifs de la classe bourgeoise, de l'état-major et de la bureaucratie d'État.

Les conditions posées par le stalinisme à la participation à un gouvernement se réduisent donc pratiquement à néant: il suffit qu'il y ait une crise politique sérieuse et que l'on puisse faire quelques promesses démagogiques. Tout dépend donc, en dernière instance, non de ces prétendues conditions politiques posées par le stalinisme, mais bien des exigences de la conservation du statu quo social et impérialiste dont le stalinisme devenait le défenseur.

C'est bien pourquoi le PCF se garda bien de participer au gouvernement. Il s'agissait pour lui d'être à même de faire face aux inévitables réactions à la politique du Front populaire. Il couvrit son refus de prétextes contradictoires, en jouant alternativement sur le besoin de ne pas effrayer la bourgeoisie «pour permettre à cette dernière de combattre le fascisme», et sur la première condition à la participation gouvernementale posée par Dimitrov, condition qui supposait, dans une formulation plus précise que celle que nous avons citée plus haut, que «l'appareil d'État de la bourgeoisie (soit) déjà suffisamment désorganisé et paralysé» (23).

Cela n'a bien entendu pas empêché le PCF de soutenir un gouvernement bourgeois dans des conditions où l'État bourgeois n'était même pas ébranlé. En Espagne, en revanche, c'est bien la désorganisation de l'État sous les coups de la guerre civile qui propulsa le PC au gouvernement... mais pour contribuer à la restauration de cet État.

Gouvernement de gauche et «pression des masses»
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À côté de la mythologie de l'«Unité ouvrière» dont la liaison avec un mouvement de masse a masqué le caractère opportuniste, à côté du mythe des «acquis» concédés à la classe ouvrière grâce à un gouvernement de gauche, l'autre mythe charrié par le Front populaire est celui de la combinaison d'un gouvernement de gauche et de la «pression des masses», pression que le stalinisme a invoquée pour abandonner, comme on l'a vu dans la première partie de cette étude, la caractérisation marxiste de l'État. Mais cette question a été envisagée par le VIIème Congrès sous un autre aspect, celui de l'organisation des grandes masses ouvrières en rapport avec un «gouvernement de Front populaire antifasciste». L'Internationale avait le souci de combattre les réticences ouvrières en convainquant les militants que l'on tiendrait compte de la force du mouvement social; pour la même raison, elle ne pouvait rompre brutalement avec la revendication des «soviets partout», qui mit encore longtemps à disparaître après le VIIème Congrès. C'est ainsi que Dimitrov affirmait dans son rapport:
«
Les communistes et tous les ouvriers révolutionnaires doivent travailler à la création d'organismes de classe de front unique hors-partis dans les entreprises, parmi les chômeurs, dans les quartiers ouvriers, parmi les petites gens des villes et dans les villages, organismes élus par la masse (et dans les pays de dictature fasciste, composés des militants les plus considérés du mouvement du front unique). Seuls de tels organismes pourront englober aussi dans le mouvement du front unique l'énorme masse des travailleurs inorganisés, pourront favoriser le développement de l'initiative des masses dans la lutte contre l'offensive du Capital, contre le fascisme et la réaction et sur cette base, la création d'un large actif de militants ouvriers du front unique, la formation de centaines et de milliers de bolchéviks sans parti (il fallait y penser!) dans les pays capitalistes» (24).

À coup sûr, l'opportunisme devait «tenir compte» du mouvement de masse, de la «pression des masses»! Mais ce que ne peuvent comprendre les immédiatistes - qui sont pour cette raison destinés à se mettre à la remorque du réformisme - c'est que la question importante n'est pas tant la «pression des masses» en soi que le sens dans lequel elle s'exerce: c'est une question de direction, une question de parti. Et en même temps que le Congrès vantait verbalement ce «mouvement», il préparait les conditions pour l'orienter dans le sens du respect de l'État en place. Si en effet on n'utilise pas le «mouvement des masses» en le canalisant, grâce à la direction que le parti conquiert dans des organisations politiques comme les soviets dans une situation révolutionnaire, vers l'insurrection et le démantèlement de la machine de l'État, ou en le canalisant, grâce à l'influence dans les autres organisations existant dans une situation non encore révolutionnaire, vers la simple lutte de classe ouverte et frontale contre la classe bourgeoise et son État, il ne reste plus qu'à tenter de le canaliser pour le faire coexister avec cette machine.

L'issue que l'opportunisme offrait donc à de telles organisations était de devenir des organisations d'encadrement et de mobilisation des masses ouvrières non pas dirigées contre l'État mais offertes à l'État.

L'histoire n'a pas voulu qu'en 1936 ces organisations prennent en France une consistance quelconque: l'encadrement donné par la syndicalisation massive dans la confédération syndicale unitaire a suffi pour l'essentiel à contrôler les énergies prolétariennes. Disons cependant que cela n'a pas empêché le spontanéisme de vouloir leur donner vie en s'appuyant sur l'idée que le mouvement des masses pouvait redresser l'orientation réformiste des dirigeants en dépit de l'effort des pivertistes qui voulaient ainsi opposer le «Front populaire Nr.. 2», celui des masses, au «Front populaire Nr.1», celui des directions opportunistes, tout en ayant un pied dans le gouvernement (25), l'entreprise devait échouer. Mais les organisations trotskistes tombèrent elles aussi complètement dans ce panneau, emportées par leur «manœuvrisme» échevelé: Trotsky lui-même en est arrivé à imaginer que l'on pouvait agir sur le Front populaire à la base pour l'opposer à celui des directions et attirer en même temps les pivertistes au marxisme en prenant au mot, sur cette question des comités, le VIIème Congrès de l'I.C. et en réclamant la formation de comités de front unique ouvrier dans les quartiers, tout en niant cependant qu'ils fussent des soviets (26).

Mais encore une fois, quel est aujourd'hui le résultat de la manœuvre, sinon que les courants trotskistes ont transformé cette tactique en une recette valable en tout temps et en tout lieu, et qu'ils ont perdu encore un peu plus le sens de la nécessité d'un parti véritable, organisé sur des principes stables, un programme clair et un éventail de possibilités tactiques définies, qui organise et centralise effectivement la lutte prolétarienne et en revendique historiquement la direction?

Si l'histoire a donc éludé en France la question pratique des rapports entre Front populaire et organisations politiques de masse, il n'en fut pas de même en Espagne, où la réaction prolétarienne au franquisme donna naissance à toute une gamme d'organismes économiques, politiques et militaires. Que fit alors l'opportunisme? Il s'employa de juillet 1936 à mai 1937 à les faire passer sous le contrôle de l'État - en brisant lorsqu'il le fallait les résistances dans le sang - avant de les liquider purement et simplement!

Quels sont donc aujourd'hui les véritables héritiers de cette «organisation de la pression des masses» sur un gouvernement de gauche, sinon les théoriciens du «pouvoir populaire» qui, même après la tragédie chilienne et la farce portugaise, récidivent incorrigiblement dans les mêmes errements?

De la trahison à l'aveu
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Le stalinisme ne pouvait cacher indéfiniment que derrière le tournant présenté comme une «étape d'approche» vers la révolution prolétarienne et la dictature du prolétariat, il masquait en réalité non l'abandon d'une tactique désastreuse, mais le coup mortel qu'il portait dans la pratique aux principes encore revendiqués en théorie.

Son œuvre contre-révolutionnaire a été bien plus profonde que celle de la social-démocratie puisque, sous couleur de défense de la démocratie et de la patrie, il promettait à la bourgeoisie une alliance non seulement pour le temps de guerre (comme le prétendait la social-démocratie en 1914), mais pour une vaste période qui allait s'étendre à la reconstruction des économies et des États impérialistes! Quant à la défense de la Russie, elle fut le drapeau non seulement de l'alliance du prolétariat avec sa bourgeoisie dans les pays alliés mais, pire encore, de l'appui aux plus puissants et aux plus terribles ennemis du prolétariat mondial et des masses paysannes pauvres, les impérialismes français, anglais et américain - et surtout ce dernier, qui depuis trente ans écrase le monde sous son talon de fer. Les héritiers de Staline oublient, quand ils dénoncent aujourd'hui l'impérialisme US, qu'il n'aurait jamais pu devenir si puissant sans l'aide du stalinisme!

Il aurait été inimaginable que les nouvelles générations du stalinisme puissent continuer indéfiniment à masquer leur défense active du statu quo et de l'ordre contre-révolutionnaire dans le monde sous une phraséologie teintée de communisme. Il fallait nécessairement qu'ils en viennent à adapter leurs paroles à leurs actes, et quand ils le font aujourd'hui, nous ne pouvons que nous féliciter de leur aveu, qui confirme enfin ce que nous avons toujours dit. Quand aujourd'hui les tenants de l'«eurocommunisme», les grands praticiens des Fronts populaires et des Fronts nationaux, jettent par-dessus bord violence, dictature du prolétariat, lutte prolétarienne, alors qu'ils ont depuis quarante ans comme principes réels la défense du parlement bourgeois, de sa machine de guerre contre le prolétariat et le refus de la révolution (27) - ils s'emploient, certes, à enlever au prolétariat les armes de son émancipation, mais ils sont contraints de reconnaître malgré eux la force d'une théorie, la théorie marxiste, qui ne peut être mariée avec aucune autre.

Ils prétendaient hier combiner communisme et démocratie, et faisaient des Fronts populaires une «étape d'approche» vers la révolution socialiste. Non seulement l'étape est devenue obligatoire, mais ils reconnaissent aujourd'hui qu'elle est l'étape ultime, qui remplace la révolution communiste et la dictature du prolétariat: le Front populaire lui-même est devenu la transition au socialisme. Et encore! On en est maintenant à avancer que cette «transition» peut se faire sans gouvernement de gauche mais avec un Front national intégrant, comme en Italie ou en Espagne, la Démocratie Chrétienne. Nous allons nous réveiller un beau matin pour apprendre que cette «transition» n'est plus nécessaire et que, tel qu'il est, un gouvernement d'union nationale est déjà le socialisme!

La voie suivie par le stalinisme est une voie inéluctable. Gare à ceux qui prétendent - de bonne ou de mauvaise foi, peu importe en politique, les résultats sont les mêmes - s'appuyer sur toute la mythologie de l'antifascisme et des Fonts populaires pour combattre les reniements ouverts des héritiers de Staline: ils ne se rendent pas compte qu'ils brandissent un drapeau qui n'a d'autre fonction que de masquer tous les renoncements; ils ne se rendent pas compte qu'ils construisent sur du sable et que, tôt ou tard, leur construction s'effondrera en les laissant impréparés devant l'alternative brutale à laquelle ils avaient voulu échapper: ou démocratie, ou communisme!

Notes:
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  1. Le besoin d'alléger cette étude nous a contraint à la priver de toute la partie événementielle, par ailleurs largement traitée dans l'article consacré à «La fonction contre-révolutionnaire de la démocratie en Espagne», publié dans le Nr. 71 de cette revue, ainsi que dans la série intitulée «Les leçons du Front populaire» (1936) parue dans les Nr. 227 et 228 du journal «Le Prolétaire». Nous invitons le lecteur à s'y reporter. [back]
  2. L'antifascisme du Front populaire était en effet bien moins le drapeau d'une lutte réelle contre le fascisme que celui de la préparation de la guerre impérialiste, comme le confirment les épisodes suivants où cet objectif apparaît comme le principe de l'action gouvernementale.
    Lorsqu'au début de 1938 Blum se heurta à des obstacles parlementaires qui conduisirent à une crise ministérielle, il fit part de ses remarques à l'ambassadeur des États-Unis Bullitt, qui les livre en ces termes: «
    Il me confia qu'il eût été facile de briser cette opposition sans même faire appel, mais en donnant libre cours à la force physique du peuple. (…) Mais il ajouta qu'il refusait de prendre une telle responsabilité par crainte d'affaiblir son pays en face de la menace grandissante de l'Allemagne». Blum devait confirmer plus tard ces propos rapportés par G. Lefranc («Histoire du front populaire (1934.1938)», Ed. Payot, Paris, 1965, p. 251).
    Une autre anecdote tend à prouver qu'il faut aller lire les politiciens anglo-saxons pour savoir ce que pensent réellement les «hommes de gauche» français. Dans son livre, «Face aux dictateurs» (Paris, 1964), Anthony Eden livre à son tour ce que lui confie Delbos, ministre des Affaires étrangères radical-socialiste du gouvernement Blum, à propos de l'Espagne: «
    Le gouvernement français eût préféré que le gouvernement républicain espagnol gagnât. Mais il ne pensait pas que ses intérêts fussent nécessairement menacés si Franco gagnait. Une menace ne pouvait venir que de l'Allemagne et de l'Italie». (Toujours cité par G. Lefranc, op. cit., p. 583). On voit se dégager de ces deux épisodes la «grande différence» entre les «gens de gauche» en général et les autres politiciens bourgeois: tandis que les seconds réagissent immédiatement selon les intérêts de la bourgeoisie, les premiers, avant d'en venir là, perdent une seconde pour faire une révérence aux grands principes qu'ils s'empressent régulièrement de piétiner. [back]
  3. Nous renvoyons à ce sujet le lecteur à l'article «Rome et Moscou» paru dans «Il Lavoratore» du 17 janvier 1923 et reproduit dans notre brochure «Communisme et fascisme», Editions Programme Communiste, 1970. [back]
  4. Cette constante se révèle aussi bien dans les événements des Asturies que dans la guerre civile elle-même où le résultat direct de l'écrasement du mouvement de mai 1937 est la proposition de discussion en 13 points faite par Negrin aux franquistes (voir «Programme Communiste» Nr. 71). [back]
  5. Cette attitude est longuement analysée dans la revue publiée par la Gauche dans l'émigration, «Bilan», 1934, pp. 113-121. [back]
  6. Voici des citations du livre de Bauer intitulé «Le soulèvement des ouvriers autrichiens, ses causes et ses effets». Elles sont malheureusement de seconde main (extraites d'un article paru dans la «Correspondance Internationale» Nr. 42-43 du 28 avril 1934 sous le titre «La confession d'Otto Bauer», sous la signature d'un stalinien autrichien), mais elles correspondent si bien à l'esprit de l'austro-marxisme que le lecteur nous pardonnera de n'avoir pas pris le temps de les vérifier
    «
    Nous avons toujours proposé de vastes concessions pour permettre une solution pacifiste. Nous fîmes savoir à Dollfuss que nous étions prêts à accorder au gouvernement, par voie constitutionnelle, des pleins pouvoirs pour deux ans (...) Nous nous déclarâmes prêts à faire même des concessions à l'idée de l'organisation corporative pour arriver à un accord (…). Le lundi 12 février encore, au matin, des social-démocrates de la Basse-Autriche discutèrent avec des politiciens chrétiens-sociaux sur la possibilité d'éviter la catastrophe encore au dernier moment. Quatre heures plus tard, ces mêmes sociaux-démocrates étaient arrêtés. (...) La direction du parti pleurait. Elle voulait éviter la lutte tant que le gouvernement ne commet tait pas l'un de ces actes. Mais l'excitation d'une grande partie de la classe ouvrière était déjà telle que les avertissements de la direction du parti s'avéraient inutiles».
    Voici comment la social-démocratie combat le fascisme: elle tente de négocier pour lui expliquer qu'elle peut faire aussi bien que lui sans avoir recours aux méthodes de guerre civile, et elle tente jusqu'au bout d'empêcher le prolétariat d'utiliser ses méthodes propres, Quand il le fait malgré tout, elle continue à le paralyser. Et si, comme c'est probable alors, l'ennemi est vainqueur... la socialdémocratie pleure! Elle ne combat pas le fascisme, elle pleure sa Victoire!
    [back]
  7. Cité par Trotsky dans «La révolution allemande», «Comment vaincre le fascisme»,. Ed. Buchet-Chastel, Paris 1973, p. 100. [back]
  8. «Le tournant de l'Internationale Communiste», ibid. p. 39. [back]
  9. «La révolution allemande», ibid., p. 85. [back]
  10. «La révolution allemande», ibid.. p. 84. [back]
  11. Trotsky, «Le mouvement communiste en France», Ed. de Minuit Paris, 1971, p. 566. [back]
  12. «Le rapport des forces sociales et politiques en Italie». article publié dans «Rassegna Comunista» les 30 et 31 octobre 1922 et traduit en français dans «Communisme et fascisme», op. cit. [back]
  13. Se reporter à l'article «Les leçons du Front populaire (1936)» parus dans les numéros 227 et 228 du «Prolétaire». [back]
  14. Cité par Y. Craipeau, «Le mouvement trotskiste en France». [back]
  15. «Les voies qui conduisent au noskisme», paru le 14 juillet 1921 dans «Il comunista» et republié dans «Communisme et fascisme», op. cit. [back]
  16. Point 7 de «L'offensive du fascisme et les tâches de l'Internationale Communiste dans la lutte pour l'unité de la classe ouvrière contre le fascisme (Résolution sur le rapport du camarade Dimitrov adoptée par le VIIème Congrès de l'I.C. le 20 août 1935)», «l'Internationale Communiste» Nr. 17-18. septembre 1935, p. 1467. [back]
  17. Manuilsky, «Bilan du VIIème Congrès de l'internationale Communiste» «l'Internationale Communiste» Nr. 20, 1935, p. 526. [back]
  18. Nous renvoyons à ce sujet le lecteur au «Prolétaire» Nr. 227. [back]
  19. Sur la question de l'unité syndicale en 1936, voir «Le Prolétaire» Nr. 228. [back]
  20. «L'offensive du fascisme et les tâches de l'Internationale communiste dans la lutte pour l'unité de la classe ouvrière contre le fascisme (rapport Dimitrov au VIIème Congrès de l'I.C. - texte sténographiquement abrégé)», «l'Internationale Communiste» Nr. 17-18, p. 1308. [back]
  21. «Bilan du VIIème Congrès...», op. cit., p. 1533. [back]
  22. «Rapport Dimitrov», op. cit., p. 1297. [back]
  23. «Résolution sur le Rapport Dimitrov...», op. cit., p. 1466. [back]
  24. «Rapport Dimitrov», op. cit., p. 1282. [back]
  25. On peut lire, comme témoignage sur toutes ces mésaventures, le livre de Daniel Guérin: «Histoire du Front populaire, révolution manquée», Julliard, Paris, 1963. [back]
  26. Voir à ce sujet l'article «Front populaire et comités d'action» dans «Le mouvement communiste en France», op. cit., p. 536 à 541. [back]
  27. Il est intéressant de noter que le néo-stalinisme soviétique, s'il peut prendre à bon compte des faux airs de fidélité devant les abandons complets de l'«eurocommunisme», n'en passe pas moins, lui aussi, à la phase des aveux.
    C'est ainsi que deux historiographes soviétiques, MV. Lejbzon et K.K. Sirinja, présentent dans leur livre sur «Le VIIème Congrès de l'internationale Communiste» (dont nous avons sous les yeux l'édition italienne, Editori Riuniti, Rome 1975) la tactique faussement de gauche de la «troisième période» comme inspirée par une rigidité doctrinale excessive abandonnée par le VIIème Congrès dont le sens aurait été le retour à la continuité de la tradition léniniste!
    Certes, un mensonge chasse l'autre. Pourtant, pour construire le second, il faut reconnaître comme fausse la thèse jusqu'ici soutenue par le stalinisme, selon laquelle le VIIème Congrès était un simple «tournant tactique», pour avouer qu'il est un point d'aboutissement de l'opportunisme stalinien mensongèrement baptisé «léninisme».
    [back]

Source: «Programme Communiste» Nr. 73, avril 1977.

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