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LE RÔLE CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE DE L'OPPORTUNISME
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Content:

Le rôle contre-révolutionnaire de l'opportunisme
Les couches petites-bourgeoises
Le mensonge démocratique
Le stalinisme, pire vague d'opportunisme
Source


Le rôle contre-révolutionnaire de l'opportunisme
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L'opportunisme signifie

sur le plan économique:
* accepter et défendre le mode de production capitaliste et ses lois, non seulement comme base mais aussi comme but ultime de la société humaine;
* représenter les intérêts économiques de la petite et de la moyenne bourgeoisie, de la petite et de la moyenne propriété (artisanale, industrielle, commerciale, productive et distributive) que même la société capitaliste ultra-développée ne supprime pas mais alimente constamment;
* s'appuyer sur les facteurs sociaux et politiques pour défendre l'espace économique que le développement inégal du capitalisme laisse à disposition des classes moyennes, en le jugeant vital pour leurs survies;
* résister au progrès technologique et productif dans la mesure où celui-ci mine leur situation et menacent de les prolétariser en les précipitant dans la situation de sans-réserves.

sur le plan politique:
*concilier les intérêts opposés et/ou antagonistes, en les soumettant à l'intérêt le plus puissant;
* faire sien les raisons des intérêts les plus puissants, en demandant simplement en échange un minimum de participation à la gestion politique;
* combattre les poussées excessives et violentes des intérêts partisans pour aboutir à une amélioration graduelle et progressive par des moyens pacifiques et légaux;
* participer, aux côtés de la classe dominante, la grande bourgeoisie, à toutes les luttes pour la conservation sociale - idéologiques et pratiques - et à toutes les guerres pour la défense du «territoire économique» national (et colonial) dont dépend sa propre existence parasitaire.

sur le plan social:
* occuper physiquement les places intermédiaires entre grands bourgeois et prolétaires (dans les villes et dans les campagnes, dans les institutions, dans la bureaucratie, dans les entreprises), en considérant la petite propriété individuelle (y compris intellectuelle), la petite activité, la petite entreprise, la famille, le village ou le quartier, comme la dimension idéale de la vie sociale;
* se confondre en général avec la «masse», «les gens», par peur d'avoir trop à payer à quelqu'un (à l'Etat, à un fournisseur, etc.), par peur de prendre des responsabilités pour d'autres, et en même temps,
* se distinguer de la «masse» (masse des sans-réserves et des non-possédants) par ses privilèges et ses avantages.

Les couches petites-bourgeoises
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L'opportunisme est donc le mode de manifestation sur tous les plans, y compris philosophiques, religieux et comportementaux, des couches sociales qui ont démontré historiquement leur impuissance, tant par rapport à la classe dominant que par rapport au prolétariat. Des couches sociales qui sont en permanence terrorisées par la menace de perdre leurs privilèges et de tomber dans le prolétariat, voire dans le lumpen-prolétariat et qui sont effrayées par la perspective, qui est pourtant leur grande ambition, de rejoindre les rangs de la grande bourgeoisie; des couches sociales qui aspirent à arrêter l'histoire, c'est-à-dire à rendre éternelle la situation qui permet leur survie sans problèmes, sans risques, sans secousses violentes, guerres et affrontements sociaux dont elles ne peuvent que redouter les conséquences; où à faire revenir en arrière le char de l'histoire dès qu'apparaît le mouvement révolutionnaire prolétarien dans lequel elles voient, avec raison, la menace de la disparition totale et définitive de leurs avantages particuliers.

Ces couches sociales de la petite et moyenne bourgeoisie, auxquelles il faut ajouter l'aristocratie ouvrière qui, constituée sur la base d'une situation privilégiée par rapport à la masse prolétarienne, partage la même mentalité et la même attitude réactionnaire que la petite-bourgeoisie, sont vouées à osciller perpétuellement entre la grande bourgeoisie et le prolétariat, dans la mesure où leurs intérêts apparaissent à tel ou tel moment plus menacés par l'une ou par l'autre. Historiquement elles sont les partisans les plus enthousiastes de la démocratie - ce cadre politique et social qui, selon l'idéologie bourgeoise, permettrait à chaque individu, à chaque entreprise, d'agir librement, confiant aux lois du marché son sort et à l'Etat - soi-disant au dessus des classes - la défense des libertés individuelles et de la propriété privée. Ces couches sociales sont nombreuses; elles forment effectivement une masse considérable - paysanne dans les pays capitalistes moins développés, urbaine dans les autres - et rêvent de constituer la majorité, tout en adorant l'idée de la conscience individuelle qui, selon eux, détermine le bien ou le mal, la paix ou la guerre, le bien-être ou la misère. Elles ont absorbé toutes les illusions bourgeoises sur la liberté, l'égalité, la fraternité, en y ajoutant une bonne dose de superstitions et de fatalisme: elles croient volontiers à l'existence, après la vie physique, d'un au-delà où toutes les injustices terrestres sont réparées et tous les sacrifices récompensés. Ce n'est pas un hasard si la petite-bourgeoisie, historiquement ballottée entre les classes opposées et dont les membres vivent concrètement dans la concurrence de tous contre tous, représente un terrain fertile pour tous les préjugés et toutes les superstitions: tout ce qui arrive ou peut arriver est le résultat de la volonté d'un être supérieur - un destin inflexible, un dieu, un chef génial, une madone démocratique.

Au cours de la longue période qui a vu l'émergence et la victoire de la classe bourgeoise face à l'aristocratie et au clergé, des couches aristocratiques dégénérées - au sens économique et social - ont représenté une réaction particulièrement tenace à la nouvelle société et au nouveau mode de production anti-féodal. Similairement, pendant toute la période historique où le prolétariat tend à s'affirmer comme la classe porteuse de l'émancipation et du progrès pour toute l'humanité, les couches petites-bourgeoises représentent une réaction spécifique (et la masse réactionnaire mobilisable) contre le mouvement prolétarien. La petite-bourgeoisie a d'autre part son identité historique au sein de la société capitaliste, qui découle de son rôle contre-révolutionnaire spécifique. Le marxisme enseigne que la petite-bourgeoisie ne peut avoir une potentialité de classe historique, indépendante des autres classes - alors que prolétariat et bourgeoisie, les classes aux deux pôles de la société contemporaine, ont cette potentialité car elles sont porteuses chacune d'un mode de production particulier: le communisme et le capitalisme. Les couches sociales qui composent ce qu'on appelle la petite-bourgeoisie, sont en réalité des demi-classes, non porteuses d'un mode de production spécifique, non porteuses d'une révolution et d'une société spécifique. Elles sont irréductiblement attachées et dépendantes de la société bourgeoise basée sur le profit, sur l'extorsion de la plus-value.

Mais cela n'empêche pas que dans le développement des affrontements sociaux et de la lutte entre les deux classes fondamentales, pour ne pas être broyée entre le marteau du prolétariat et l'enclume de la bourgeoisie, la petite-bourgeoisie tend à jouer un rôle particulier, un rôle propre, qui peut, dans certaines circonstances, paraître (à ses yeux comme à ceux des autres) un rôle indépendant voire décisif.

Dans certaines phases de la révolution bourgeoise, ces couches ont pu donner une contribution puissante à cette révolution, cela est indéniable; mais elles l'ont fait sous la pression des nécessités impersonnelles du capitalisme aux prises avec la vieille société féodale et au bénéfice de la grande bourgeoisie. Une fois terminée cette phase des révolutions bourgeoises, la petite-bourgeoisie manifeste de plus en plus nettement son rôle contre-révolutionnaire.

L'opportunisme, qui est donc l'expression politique des diverses couches qui composent la petite bourgeoisie, décrit une trajectoire historique en oscillant entre le rôle contre-révolutionnaire anti-prolétarien et le rôle contre-révolutionnaire anti-bourgeois. Dans ce sens la tendance conservatrice et réactionnaire de la petite bourgeoisie revêt des caractéristiques différentes selon les phases historiques et les régions géographiques différentes: pour combattre le prolétariat révolutionnaire elle s'appuie sur la grande bourgeoisie et sur les forces réactionnaires liées à la vieille société précapitaliste, et sur les forces impérialistes intéressées à s'opposer au mouvement révolutionnaire du prolétariat; pour combattre la bourgeoisie révolutionnaire elle s'appuie sur les forces réactionnaires liées à l'ancien régime et sur les forces impérialistes intéressées à s'opposer au mouvement révolutionnaire bourgeois, n'hésitant même pas à chercher l'appui du prolétariat à condition bien entendu que celui-ci ait perdu son indépendance de classe.

Etant donné ce comportement politique et social, dans la phase historique où la bourgeoisie n'a désormais plus aucun rôle révolutionnaire, il va sans dire que la petite-bourgeoisie ne peut plus exprimer et défendre que des positions réactionnaires de conservation sociale. La grande bourgeoisie l'utilise et la nourrit dans cette optique; précisément en raison de sa caractéristique de demi-classe et de son impuissance historique, elle se tourne vers tout ce qui lui donne l'illusion de devenir une véritable classe sociale, avec un programme historique particulier, distinct et supérieur à celui de toute autre classe sociale. Mais la seule chose qu'elle a la possibilité d'atteindre, c'est l'idéologie bourgeoise, que ce soit sous une forme «radicale», modérée ou ouvertement réactionnaire.

L'invariance de l'opportunisme consiste en ce rôle social et politique conservateur, contre-révolutionnaire. Pour jouer ce rôle, pour tenter de «peser» dans la société, la petite bourgeoisie ne peut se baser que sur ses propres conditions matérielles, liées à la petite production, à la petite propriété dont elle défend les intérêts et les limites et d'où découlent les positions politiques immédiatistes, autonomistes, réactionnaires et racistes qui la caractérisent.

La proximité de beaucoup des couches petites bourgeoises avec le prolétariat leur permet de transmettre à celui-ci leurs positions, leurs illusions, leurs superstitions, leurs craintes et leurs ambitions. Cette oeuvre d'intoxication du prolétariat s'est révélée très précieuse et même parfois cruciale, pour la conservation sociale et la défense des intérêts bourgeois. Il serait impossible à la grande bourgeoisie de réaliser directement cette intoxication, de la diffuser avec autant de force au sein des masses prolétariennes: le fossé de classe est trop évident. Il n'en est pas de même avec la petite-bourgeoisie qu'en période de prospérité certains prolétaires peuvent espérer rejoindre: l'antagonisme de classe est beaucoup moins clair et il est souvent pris pour une différence individuelle et non sociale.

L'histoire a montré que dans les périodes de grave crise économiques et sociales la bourgeoisie n'avait aucun scrupule à abattre son jeu et à instaurer sa dictature de classe ouverte, la petite bourgeoisie a au contraire besoin de la démocratie comme de l'air pour respirer. C'est dans l'ambiance démocratique que la petite bourgeoisie peut le mieux exercer toutes ses capacités de médiateur et d'entremetteur, au point de remplir tous les espaces politiques, sociaux et économiques permis par le développement capitaliste. Ce n'est pas par hasard que dans les pays capitalistes les plus développés la petite bourgeoisie prolifère dans les secteur du commerce, des «services», de l'administration, de la bureaucratie, de la culture, de l'information, de la religion ou du sport, plutôt que dans les secteurs traditionnels de l'artisanat, de la petite production et de l'agriculture. On rencontre davantage dans ces derniers secteurs des éléments venus du prolétariat avec l'espoir d'échapper à leur condition en «se mettant à son compte».

Le mensonge démocratique
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Mais la démocratie bourgeoise d'aujourd'hui n'est plus celle de la première phase, révolutionnaire, de la bourgeoisie, ni même celle de la phase libérale. Marx et Engels avaient déjà dévoilé non seulement les limites, mais surtout l'illusion fondamentale de la démocratie bourgeoise, forme pré tendument insurpassable de l'organisation politique de la société.

Dans la période ouverte par la première et la seconde guerre mondiale la démocratie bourgeoise est devenue toujours plus une simple façade politique et idéologique de la domination sociale de la bourgeoisie, qui ne laisse plus aucune possibilité d'obtenir par son truchement une modification même minime - ne parlons pas d'aller au socialisme!- de l'ordre existant en faveur de la classe exploitée.

Elle se résume toujours plus à un simple masque de la dictature de la bourgeoisie, elle est toujours plus un mensonge colossal. La liberté tant invoquée par les démocrates et par tous les bourgeois se réduit dans la réalité de la société capitaliste à la liberté de la plupart de vendre sa force de travail et dans la liberté de quelques autres de l'acheter: pour la plus grande partie des êtres humains, cette «liberté» se traduit dans une tragique nécessité, avec comme seule alternative la misère et la faim.

Ce mensonge est cependant la lymphe vitale de l'idéologie bourgeoise, et la petite-bourgeoisie n'a pas d'autre source idéologique où s'abreuver: elle s'en nourrit, elle le fait sien, elle l'invoque, elle le revendique, elle supplie les puissants de ne pas lui tourner le dos, elle le défend bec et ongles parce qu'elle y voit le moyen de son prestige social et de sa défense économique et politique.

L'opportunisme ne peut baser ses positions et ses revendications que sur la démocratie. La démocratie est donc non seulement «la meilleure méthode de gouvernement de la classe dominante bourgeoise», parce qu'elle réussit à entraîner le prolétariat dans la défense des intérêts généraux du capitalisme (voir Lénine), mais elle est aussi l'instrument contre-révolutionnaire spécifique que l'opportunisme utilise vis-à-vis du prolétariat pour le détourner de la lutte de classe et tout particulièrement de la lutte révolutionnaire.

Cet instrument contre-révolutionnaire est utilisé dans toutes les situations et dans toutes les phases de la lutte de classe. Surtout après la deuxième guerre mondiale et les expériences du fascisme et du nazisme, il est utilisé comme une action préventive par rapport aux tentatives du prolétariat de retrouver son terrain de lutte classiste et de se réorganiser en associations de défense de ses intérêts.

La démocratie libérale a réussi à enrôler le prolétariat des différents pays dans la boucherie impérialiste mondiale; mais elle n'a pas réussi à prévenir les mouvements prolétariens révolutionnaires qui après 1917 ébranlèrent la domination bourgeoise mondiale et menacèrent de vaincre en Europe à la suite de la victoire russe. Il fallut le fascisme italien et le nazisme allemand ensuite pour que la bourgeoisie ait les moyens de mener une action répressive à grande échelle et pour longtemps: 20 ans en Italie, 12 ans en Allemagne. En résultat, l'action combinée du fascisme - c'est-à-dire de la dictature bourgeoise ouverte et déclarée - et du stalinisme - c'est-à-dire de la dégénérescence démocratique et nationale du mouvement révolutionnaire communiste mondial - a provoqué la défaite la plus grave et la plus profonde que le prolétariat ait connu depuis la naissance de son mouvement de classe.

«Lorsque dans les années 1914-1918, on parlait d'«opportunisme», on n'entendait pas formuler un simple jugement moral sur la trahison des chefs du mouvement révolutionnaire, qui au moment décisif s'étaient révélés des agents de la bourgeoisie en lançant des mots d'ordre diamétralement opposés à ceux de leur propagande antérieure. L'opportunisme est un fait historique et social, un des aspects de la défense de classe de la bourgeoisie contre la révolution prolétarienne; on peut même dire que l'opportunisme des chefs et des cadres prolétariens est l'arme principale de cette défense, tout comme le fascisme est l'arme principale de la contre-offensive qui la complète, si bien que les deux moyens de la lutte s'intègrent dans le but commun». («Guerres et crises opportunistes», Textes du P.C.International, n° 4, p. 42).

L'opportunisme est donc un des aspects de la défense de classe bourgeoise, et la corruption des organisations prolétariennes est le résultat historique de cette défense: l'opportunisme répond toujours à une action préventive de la classe dominante, et en tant qu'action préventive, il prépare le terrain pour la contre-offensive bourgeoise (le fascisme) qui se déchaînera contre un mouvement de classe révolutionnaire potentiellement menaçant pour le pouvoir central. Les deux moyens de lutte de la bourgeoisie se complètent pour la défense du capitalisme.

• • •

Comment agit effectivement l'opportunisme? Reportons-nous au texte que nous venons de citer:
«
L'opportunisme se caractérise par le fait qu'aux moments critiques de la société bourgeoise, qui sont précisément ceux pour lesquels les mots d'ordre extrêmes d'action révolutionnaire ont été prévus, il «découvre» qu'il est nécessaire de lutter pour d'autres objectifs qui, loin d'être propres au prolétariat, exigent une coalition entre ses forces et une partie de celles de la bourgeoisie».

Cette définition nous donne les caractéristiques fondamentales de l'opportunisme; il ne faudrait cependant pas en conclure que l'opportunisme n'apparaît qu'aux rares moments décisifs: en tant que fait historique et social il a donc des bases matérielles pour un rôle permanent dans la société bourgeoise. Voyons les conséquences de l'action opportuniste:
«
La conscience politique des travailleurs repose surtout sur la vigueur et la continuité de l'action de leur parti de classe. Si donc à l'ouverture des situations décisives, les chefs, les propagandistes et la presse du parti se mettent à l'improviste à parler un langage nouveau qui prouve que la bourgeoisie a réussi à mobiliser les opportunistes en sa faveur, cela provoque une désorientation des masses, et l'échec presque certain de toute tentative d'action indépendante».

Le but de l'opportunisme est de désorienter le mouvement prolétarien, de le dévier pour provoquer son échec. Si nous avons un mouvement de classe réel, cela signifie que son action est indépendante des appareils de collaboration entre les classes et à plus forte raison des organisations ouvertement bourgeoises. Pour faire échouer ce mouvement, la bourgeoisie doit chercher à le désorienter de l'intérieur, c'est-à-dire à s'appuyer sur les forces opportunistes qui peuvent s'y trouver, de façon qu'ils sabotent les actions classistes et ramènent ce mouvement dans l'orbite collaborationniste, réformiste et de respect de l'ordre établi. C'est ce qu'elle a réussi à faire à travers l'opportunisme social-démocrate, puis l'opportunisme stalinien et post-stalinien enfin.

Dans sa phase révolutionnaire initiale, la bourgeoisie a combattu non seulement contre le féodalisme et ses superstructures politiques, mais aussi contre les premières associations ouvrières indépendantes (voir la fameuse loi Le Chapelier interdisant les syndicats); dans la phase suivante de consolidation et d'expansion capitaliste dans le monde qui a été l'âge d'or du réformisme, la bourgeoisie a toléré les associations ouvrières et a permis leur croissance, tout en s'efforçant de les capturer politiquement par des doses croissantes de «démocratie» sociale. Dans la troisième phase historique, la phase de l'impérialisme, son attitude change encore. Citons encore notre texte:
«
Au stade impérialiste, le capitalisme cherche à dominer ses contradictions économiques et à contrôler tous les faits sociaux et politiques en gonflant démesurément son appareil d'Etat; de la même façon il modifie son action à l'égard des organisations ouvrières. (...) au troisième stade la bourgeoisie comprend qu'elle ne peut ni les supprimer, ni les laisser se développer sur une plate-forme autonome, et elle se propose de les encadrer par n'importe quel moyen dans son appareil d'Etat. Exclusivement politique au début du siècle, celui-ci devient à la fois politique et économique à l'ère impérialiste: l'Etat des capitalistes et des patrons se transforme en Etat-capitaliste et Etat-patron. Au sein de ce vaste appareil bureaucratique, on ménage des prisons dorées pour les chefs du mouvement ouvrier. Mille formes d'arbitrage, mille institutions d'assistance sociale ayant apparemment pour fonction de maintenir l'équilibre entre les classes éloignent des forces autonomes du prolétariat les dirigeants du mouvement ouvrier qui sont au fur et à mesure absorbés par la bureaucratie d'Etat. Ces dirigeants continuent démagogiquement à parler le langage de l'action de classe et des revendications ouvrières, mais ils sont bien entendu devenus incapables de la moindre action contre le pouvoir bourgeois».

Le stalinisme, pire vague d'opportunisme
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La vague opportuniste qui correspond à la troisième période du cycle bourgeois (impérialisme) se caractérise donc comme un mouvement d'intégration dans les institutions étatiques des organisations ouvrières, d'abord les organisations politiques, puis à leur suite les organisations de défense immédiates et syndicales.

Par rapport aux précédentes vagues opportunistes, le stalinisme, qui représentait les forces du capitalisme national russe, s'est trouvé dans une situation historique particulière: celle de devoir détruire le parti révolutionnaire le plus puissant, celui qui constituait véritablement l'ossature du mouvement communiste mondial, le parti bolchévik, le parti agissant sur son propre sol. Cet objectif bourgeois national russe était aussi un objectif vital de la contre-révolution bourgeoise internationale; le stalinisme a représenté la version russe de l'offensive contre-révolutionnaire bourgeoise internationale qui s'est appelée fascisme en Italie, nazisme en Allemagne. Leur nature de classe est identique, leurs objectifs sont les mêmes, leurs méthodes sont comparables - avec la différence que fascisme et nazisme étaient la contre-révolution dans des pays capitalistes mûrs (quoique inégalement développés) où le prolétariat n'avait pas encore réussi à se libérer de la praxis réformiste, tandis que le stalinisme était la contre-révolution dans un pays où le capitalisme jeune avait encore devant lui des tâches révolutionnaires bourgeoises et où le prolétariat s'était emparé du pouvoir; l'appui de l'impérialisme mondial lui était donc nécessaire.

L'affirmation à l'improviste d'un nouveau objectif - la construction du socialisme dans un seul pays - ce qui signifiait abandonner la lutte révolutionnaire internationale, ou plutôt s'efforcer de lui faire servir les intérêts nationaux russes, était la démonstration que l'opportunisme s'était installé à la tête du parti bolchévik. L'opportunisme stalinien associa logiquement à cet objectif la recherche d'alliances entre forces prolétariennes et for ces bourgeoises, sous le prétexte de s'opposer aux éléments bourgeois les plus «réactionnaires» ou même à des prétendues réactions féodales. La recherche d'alliances ouvertes avec les Etats bourgeois n'était que la conséquence de cette même orientation.

Le parti de classe dont la vigueur et la continuité d'action constituent la seule possibilité pour le prolétariat de former sa conscience politique, de trouver sa ligne d'action correcte, était l'obstacle à abattre pour la bourgeoisie mondiale. La social-démocratie ne réussit pas complètement à accomplir ce forfait; mais le stalinisme qui prétendait combiner la défense de la démocratie (de cette forme-là de la domination bourgeoise) avec la lutte pour le «socialisme» et «pour la paix», réussit, lui, à détruire complètement le parti de classe qui s'était réorganisé internationalement en réaction à l'opportunisme social-démocrate.

Avec le stalinisme, le défaitisme par rapport à la lutte prolétarienne de classe a atteint un degré inconnu lors des précédentes vagues opportunistes, ce qui explique aussi la profondeur jusque-là inconnue de la contre-révolution dite stalinienne. La destruction du parti de classe, la destruction des syndicats de classe, la falsification complète de la théorie et du programme communistes sont les trois grandes défaites du prolétariat mondial qui l'ont politiquement rejeté en arrière de plusieurs décennies.

Par exemple l'opportunisme de la Deuxième Internationale avait «découvert» lors de la première guerre mondiale que les objectifs socialistes devaient être mis de côté et qu'il fallait lutter pour les objectifs bourgeoise de défense de la patrie et de la démocratie. Mais il n'osa pas aller plus loin. Il affirmait que ce n'était qu'une simple trêve, et qu'à la fin de la guerre, la lutte socialiste reprendrait. C'était bien entendu une promesse entièrement démagogique: l'expérience russe, l'expérience allemande ont démontré que l'opportunisme social-démocrate combattait de toutes ses forces la révolution et n'hésitait pas à accomplir les basses oeuvres répressives de la bourgeoisie contre les prolétaires en lutte.

Mais la social-démocratie continuait à utiliser un langage marxiste; si elle le dénaturait, si elle le châtrait de son tranchant révolutionnaire, elle n'osait pas cependant falsifier complètement le marxisme ou baptiser socialistes des objectifs bourgeois.

Le stalinisme, lui, est allé beaucoup plus loin; il s'est emparé de tout, il a maintenu toutes les appellations (parti, soviet, Etat ouvrier, Internationale, marxisme), mais il a falsifié de fond en comble leur contenu. Beaucoup plus que le fascisme, qui lui aussi tenta une oeuvre similaire, et que le réformisme social-démocrate, le stalinisme arracha au prolétariat révolutionnaire ses drapeaux, ses mots d'ordre, ses perspectives; et il les remodela en fonction des intérêts nationaux russes, mais aussi comme nous l'avons vu, des besoins de la contre-révolution internationale.

La social-démocratie avait pensé à une trêve de la lutte des classes; le stalinisme imposa la «coexistence pacifique» avec l'impérialisme et la «lutte pour la paix» comme l'objectif de la lutte des classes, la collaboration de classe à tous les niveaux, jusqu'aux institutions internationales type ONU, soi-disant pour que le «monstre nazi» ne relève plus jamais la tête.

L'objectif était autre: c'était le prolétariat qui ne devait plus jamais relever la tête. C'est pourquoi le stalinisme ne se limita pas à tout falsifier, qu'il ne se limita pas à «fermer» ses frontières pour développer son capitalisme national, qu'il ne se limita pas à abandonner la révolution internationale. Il lui fallait aussi éliminer physiquement les révolutionnaires, la vieille garde bolchévique, tous les opposants connus et inconnus, actifs ou potentiels. Cette répression sanglante et sans pitié fait pâlir les répressions des dictatures sud-américaines avec leurs milliers de disparus; elle n'a rien à envier aux répressions nazies et même au tristement fameux «holocauste». Les estimations les plus pondérées fixent à plus d'un million le nombre de morts tombés lors des purges et de la «collectivisation». L'impérialisme, et notamment les «grandes démocraties» occidentales, cacha les tueries staliniennes: la guerre mondiale mûrissait dans le sous-sol économique du capitalisme et elle se préparait discrètement dans le secret des chancelleries. L'important était que le prolétariat, et le prolétariat russe en particulier, ne relève pas la tête; l'important était que disparaisse l'exemple vivant de la victoire révolutionnaire prolétarienne: l'Octobre bolchévik, le parti de Lénine, l'Armée rouge de Trotsky, l'Internationale communiste; l'important était que dans de retentissants procès (qui n'auraient pas pu se tenir sans la complicité active des organes de presse de la bourgeoisie internationale) les anciens chefs de la révolution avouent être des espions et des assassins corrompus. Seul le stalinisme pouvait réaliser cette «mission historique» contre-révolutionnaire au bénéfice de la bourgeoisie mondiale, qui lui donnait le droit de postuler à un rôle de premier plan dans les combinaisons impérialistes.

Il le fit avec tant de succès que non seulement il put sortir la Russie de la quarantaine où l'avaient reléguée les impérialismes dominants après l'échec de leurs interventions armées contre le pouvoir soviétique, mais que, à la suite de la collaboration active au cours de la deuxième guerre impérialiste mondiale, il jeta les bases du condominium russo-américain dans le cadre du partage du marché mondial en immenses zones d'influence (le «camp socialiste» et le «camp occidental»).

Aucune force ouvertement bourgeoise n'aurait pu accomplir cette terrible action contre-révolutionnaire menée par le stalinisme, y compris par ses filiales extérieures, les partis de Thorez, de Togliatti et cie, dont les descendants actuels, les Hue, les D'Alema et cie, continuent aujourd'hui encore dans des circonstances différentes, mais avec le même zèle anti-ouvrier, à mener.

C'est dire l'importance historique décisive qu'a représentée l'opportunisme stalinien pour le maintien du capitalisme mondial.

Et c'est dire à l'inverse l'importance pour le maintien et la restauration de la ligne historique du communisme qu'a représenté la lutte sans compromis contre l'opportunisme stalinien et contre toutes ses manifestations, que menèrent dans l'entre-deux guerres les révolutionnaires et que mena après-guerre notre courant réorganisé en parti. Lutte qui doit se poursuivre sans trêve aujourd'hui non seulement contre les héritiers du stalinisme mais aussi contre ceux qui affectent de voir dans ces forces intégralement contre-révolutionnaires on ne sait quelles potentialités «progressistes» sur lesquelles le prolétariat pourrait compter.

Source: «Programme Communiste», n° 97, Septembre 2000

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