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D'UNE CRISE ECONOMIQUE MONDIALE A L'AUTRE
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D'une crise économique mondiale à l'autre
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D'une crise économique mondiale à l'autre
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Imaginons un grand pont sur le temps qui relie la première grande crise mondiale, celle de 1973-75 à la prochaine grande crise capitaliste internationale.

Au cours des deux décennies qui sont passées depuis cette première grande crise après la fin de la deuxième boucherie mondiale, le capitalisme international a continué a développer ses forces de domination sur la planète. Mais ce développement a été caractérisé par une succession de catastrophes que le cynisme bourgeois continue a appeler locales: que ce soit les guerres qui ont frappé tour à tour régions ou continents, que ce soit la paupérisation, la misère et la famine qui ont frappé des millions d'êtres humains, que ce soit l'exploitation toujours plus âpre du travail salarié auquel sont soumises des masses gigantesques d'hommes, de femmes et d'enfants ou que ce soit les ravages causés à l'environnement naturel. En termes d'économie capitaliste et, si l'on veut de «globalisation», ce développement a été dans une certaine mesure contrôlé par les organes étatiques des grands pays impérialistes dans la perspective de prolonger le plus possible, non tant la période d'expansion économique rapide de l'après-guerre qui a pris fin sans retour avec la crise de 73-75, que la circulation toujours plus rapide du capital financier à la recherche de marchés où s'investir et se multiplier. Le «développement» a nécessairement arraché l'arriération pré-capitaliste des populations entières, surtout en Afrique et en Asie, pour les précipiter en quelques décades dans l'enfer de la production capitaliste. Pour des millions et des millions d'hommes qui se sont trouvés soudainement faire face à la ruine de leurs conditions de vie traditionnelles, à une prolétarisation brutale, à la paupérisation imposées par le commerce et l'industrie capitaliste modernes aux quatre coins du globe, des landes perdues de Mongolie à la forêt amazonienne, il s'est agi véritablement d'une descente aux enfers. Des millions de paysans ont été ainsi transformés en prolétaires, en sans-réserves, en libres travailleurs salariés à la merci des exigences du marché capitaliste.

Le marxisme a toujours su évaluer dialectiquement la terrible destruction des antiques équilibres économiques et sociaux; il a toujours su en apercevoir les aspects historiquement progressifs: le progrès civil, le progrès capitaliste constitués par le travail associé dans les usines et par l'application de la technologie à la production et à la distribution sont indiscutablement des pas en avant par rapport aux résidus des mode production archaïques, pré-capitalistes, tribaux, «asiatiques». Et même si ce progrès atteint les pays périphériques avec un extrême retard par rapport aux pays capitalistes avancés - avec deux siècles de retard par rapport à la France de 1789, et davantage encore par rapport à l'Angleterre ex-dominatrice du monde –, même si ce progrès atteint l'Asie ou l'Afrique sur la vague de révolutions bourgeoises tardives, conditionnées et déformées par les pressions réactionnaires de l'impérialisme de l'Est ou de l'Ouest, il s'agit malgré tout d'un progrès historique qui introduit le travail salarié et crée par millions de nouveaux prolétaires.

Le capitalisme cherche bien à contrôler son développement chaotique, il cherche bien à freiner son impétuosité anarchique sur le marché mondial, à contrôler les tensions sociales y compris au prix de guerres ou de famines meurtrières qui détruisent par millions prolétaires et paysans, il lui est impossible de vivre et de se développer sans prolétariser le monde entier. La production spasmodique de profit, la tension toujours plus aiguë entre le procès de production et de valorisation du capital, pousse ce dernier à créer des masses toujours plus grandes de prolétaires, donc de ceux qui sont historiquement appelés à être ses fossoyeurs. C'est cette contradiction que le capitalisme ne peut résoudre et que l'histoire résoudra par la révolution prolétarienne mondiale qui détruira le mode capitaliste de production.

Les crises cycliques du capitalisme qui, à l'époque impérialiste, prennent nécessairement l'aspect de crises supra-nationales, provoquent d'un côté de graves récessions avec fermetures d'entreprises, licenciements, tours de vis fiscaux, tensions sociales à répétition; mais de l'autre elles produisent en quelque sorte les «anticorps» grâce auxquels, en liaison avec le grand retard de la reprise de la lutte de classe par le prolétariat, les classes dominantes gagnent le temps nécessaire pour surmonter la crise et se préparer de la meilleure façon à la suivante. Ces anticorps sont pour l'essentiel de deux types: de type économique qui correspond à la pression et à la violence économique caractéristique du capitalisme; et de type politico-idéologique, qui correspond en particulier à la démocratie, dans l'idéologie comme dans la praxis, et dans sa trouvaille la plus récente qui est le collaborationnisme inter-classiste.

La combinaison de ces anticorps a jusqu'ici permis aux classes dominantes de profiter à fond du retard - désormais de 70 ans - avec lequel le prolétariat s'est présenté au rendez-vous avec la crise capitaliste.

La lutte de classe unitaire, vigoureuse et non éphémère, capable de donner au prolétariat ses organisations classistes de défense immédiate et de fournir à son parti de classe les bases matérielles objectives pour le diriger vers l'affrontement révolutionnaire, est la grande absente depuis 1927, c'est-à-dire depuis l'échec des tentatives révolutionnaires des prolétaires chinois de Canton et Shangai et l'échec de la grève générale anglaise qui marquèrent la fin de la période révolutionnaire ouverte en 1917 et la victoire définitive de la contre-révolution. Les retards historiques ne peuvent se combler par des expédients tactiques, par des actions «exemplaires» de conspirateurs; mais ils ne doivent pas davantage être le prétexte à la révision de la théorie et du programme du marxisme révolutionnaire. L'histoire des sociétés humaines, l'histoire des luttes de classes ne dépend pas de programmes politiques, qu'ils soient des programmes de conservation sociale ou de révolution; le programme révolutionnaire qui jaillit de la maturation des contradictions fondamentales d'une société donnée peut précéder de très nombreuses années sa réalisation effective à l'échelle internationale. Le capitalisme. par exemple, trouva sa première réalisation au quinzième siècle en Italie, puis dans les Républiques maritimes. Mais l'histoire des luttes des classes conduisit à maturation le capitalisme par la première révolution industrielle anglaise de 1640 et ensuite par la révolution française de 1789. C'est a cette dernière date que l'on peut faire remonter réellement la victoire du capitalisme sur les formes de production antérieures, alors que la première apparition du capitalisme en Italie avait ensuite été étouffée par ces dernières. Et la diffusion irréversible du capitalisme au niveau européen et mondial contenait en même temps les facteurs historiques de sa désagrégation et de son dépassement, les facteurs historiques qui ont leurs racines dans l'antagonisme qui sépare irrémédiablement la société bourgeoise en deux classes principales opposées: le prolétariat et la bourgeoisie. Le capital ne peut se passer du travail salarié, de l'exploitation du prolétariat pour se renouveler et accroître son mouvement; mais c'est précisément dans le rapport entre capital et travail salarié que le capitalisme, qui y a puisé sa puissance formidable pour détruire les modes de production antérieurs et s'étendre au monde entier, rencontre sa limite ultime et la raison du caractère inexorablement temporaire de son existence.

Ce qui différencie la réalisation du programme révolutionnaire prolétarien, c'est-à-dire le communisme, des programmes révolutionnaires dans les sociétés antérieures, est le fait qu'il ne se base pas sur la conquête progressive d'acquis économiques, sur des changements conquis au sein de la vieille structure économique de la société. Il se fonde essentiellement sur la révolution politique, sur la conquête violente du pouvoir politique et l'institution ouverte de sa dictature par la classe ouvrière qui se transforme ainsi en classe dominante. Ce n'est qu'après la conquête du pouvoir politique, et seulement après avoir renforcé ce pouvoir au moins dans quelques uns des pays capitalistes les plus développés, qu'il est possible de commencer à passer à la transformation de l'économie en économie socialiste. Dans les époques historiques antérieures au contraire, la révolution était le fruit d'une transformation économique qui arrivait graduellement au sein de l'ancien mode de production (par exemple le passage de la terre et du bétail de propriété commune à propriété privée); une nouvelle classe, prenait graduellement de l'importance à l'intérieur des formes sociales existantes et s'appuyant sur les transformations économiques déjà existantes qui lui avaient donné naissance, elle s'affirmait comme une force antagonique et progressive par rapport à l'organisation politico-économique existante. Et lorsque les limites de celle-ci devenaient un obstacle trop pesant à l'expansion des nouvelles formes économiques, la révolution politique de la nouvelle classe se présentait comme une nécessité immédiate.

Dans le passage d'une société de classes à une autre, le mouvement historique procédait donc avant tout par la voie économique. La puissance révolutionnaire des nouvelles classes découlait de la puissance économique qu'elles avaient déjà acquise et qui sapait les fondements des structures politiques correspondant à l'ancien mode de production; la révolution politique n'était que la conséquence d'une révolution économique et sociale qui avait déjà eu lieu. Dans le passage de la dernière société divisée en classes - le capitalisme - à la société communiste, le mouvement historique procède avant tout par la voie politique: la révolution économique et sociale est la conséquence de la révolution politique préalable. Le prolétariat est la seule classe révolutionnaire dans la société bourgeoise parce qu'il est la seule classe qui ne possède rien et dont l'exploitation est la source de toutes les richesses sociales; il lui est impossible de conquérir une puissance économique ou de construire petit à petit des îlots de socialisme au sein de la vieille société qui seraient les points d'appui de son émancipation: il lui faut d'abord renverser la classe bourgeoise et bouleverser de fond en comble le système capitaliste s'il veut échapper à son destin de classe opprimée et exploitée. Le «Manifeste communiste» rappelait que le prolétariat n'a rien à perdre que ses chaînes dans cette société, mais qu'il a un monde à gagner le monde de la société communiste.

Les anticorps produits par le développement de la société bourgeoise n'ont cependant pas une vertu magique qui permettrait à la société bourgeoise d'éviter pour l'éternité le rendez-vous historique avec sa banqueroute, avec le conflit titanique entre les forces sociales de la révolution prolétarienne communiste et celles de la conservation et de la réaction. Ces anticorps agissent en faveur de la classe bourgeoise dans la mesure où ils réussissent à paralyser, à désorienter à désorganiser et démoraliser les forces révolutionnaires créées par le développement même du capitalisme mondial qui les associe dans la production industrielle et le travail salarié.

Mais ils ne peuvent rien contre la pression matérielle des forces révolutionnaires quand elles sont orientées et organisées en vue de la rupture de tous les liens politiques, idéologiques et sociaux qui les enchaînent au sort de l'économie capitaliste et de sa superstructure politique. La démonstration en a été donnée non seulement par la vague de révolutions prolétariennes en 1848 dans les métropoles européennes, mais encore plus dans la révolution double du 1917 russe. Pendant de longues années tous les anticorps de la réaction tsariste et bourgeoise furent impuissants à suffoquer une révolution qui sous la poussée prolétarienne dépassait de très loin les limites du libéralisme politique et économique nécessaire au développement capitaliste de la Russie. La crise économique et guerrière du capitalisme mondial ouvrit historiquement la période révolutionnaire prolétarienne qui, en un mouvement ascendant, déboucha sur la constitution du premier bastion de la révolution communiste internationale. Mais ce fut la crise du mouvement communiste qui permit aux classes bourgeoises de reprendre le dessus et, après avoir fait plier le prolétariat européen par le fascisme (Italie), la démocratie et le chauvinisme, vainquit l'héroïque prolétariat russe.

La crise économique qui avait propulsé le mouvement révolutionnaire en Russie, fut par la suite surmontée, au moins en partie, par le capitalisme; en 1929-1931 une nouvelle crise économique toute aussi sévère ne produisit pourtant aucune reprise du mouvement révolutionnaire, ni en Russie ni ailleurs. Les anticorps de la conservation bourgeoise dans l'ambiance favorable de la reprise économique avaient travaillé pour redonner vigueur à la réaction et faire dégénérer le jeune mouvement communiste qui n'avait pas complètement rompu avec une pratique héritée de l'action réformiste, parlementaire et démocratique de la social-démocratie; fascisme, nazisme et stalinisme passaient à l'avant-scène.

Après la défaite de la révolution prolétarienne en Europe et donc en Russie, le capitalisme mondial ne connut que des périodes de crise continues jusqu'à la guerre mondiale. A la fin de celle-ci la longue phase de reprise et d'expansion économique fut caractérisée par une alternance de récessions et d'expansion dans les différents pays jusqu'à la première grande crise généralisée du capitalisme depuis la guerre en 73-75, mais sans qu'elle soit suivie de crise révolutionnaire - ni de guerre mondiale. Comme le parti l'écrivit alors «crise économique et crise du système bourgeois ne coïncident pas. La «courbe politique» ne suit pas de façon mécanique la "courbe économique" mais subit l'influence des effets antérieurs qui se sont accumulés en lui faisant prendre une direction plutôt qu'une autre(1). Et les effets antérieurs accumulés ne sont pas seulement les effets économiques, mais surtout l'attitude du prolétariat par rapport à la lutte immédiate et à la lutte politique de classe. Toute la période qui précède la crise de 1975 a vu augmenter de poids de l'opportunisme de matrice stalinienne, dont la capacité de contrôle sur le prolétariat était déjà sortie renforcée de la deuxième guerre mondiale; et elle a été marquée aussi par le renoncement du prolétariat à avancer ses revendications de classe opposées au pacifisme et au collaborationnisme dominant. Si le prolétariat tourne le dos à la lutte classiste de défense de ses conditions de vie et de travail, à plus forte raison tourne-t-il le dos à la lutte de classe sur le plan politique général. La crise de 1975 et les crises capitalistes successives jusqu'à l'écroulement de l'Union Soviétique et la crise «asiatique» n'ont pas vu la reprise de la lutte de classe révolutionnaire internationale parce que le prolétariat avait été rejeté en arrière de plusieurs décennies sur le terrain de la lutte de défense immédiate.

Combien faudra-t-il de crises capitalistes avant que le prolétariat des pays capitalistes avancés retrouve le terrain de la lutte de classe? Etant donné la situation d'extrême confusion et l'habitude de renonciation à la lutte, il faudra assurément plus d'une crise économique. L'espoir pour la reprise de la lutte de classe en Europe pourrait peut-être alors résider dans le prolétariat des pays entrés plus récemment dans le tourbillon capitaliste, comme ce fut le cas du prolétariat russe en 1905 et en 1917: un prolétariat non intoxiqué par des générations de démocratisme, de collaborationnisme interclassiste, un prolétariat non habitué depuis des générations à améliorer sa situation sur le dos de ses frères des pays moins développés. Mais malheur aux prolétaires européens s'ils fiaient le sort de la future reprise de la lutte de classe révolutionnaire aux jeunes prolétariats, dépourvus de traditions historiques révolutionnaires classistes, des pays dits de la périphérie capitaliste!

En effet comme ce sont les grands pays impérialistes qui dominent le monde et dont dépend la vie de millions de prolétaires du monde entier, le poids décisif de la lutte de classe, de la lutte de défense immédiate actuelle comme de la lutte révolutionnaire future, repose sur les épaules des prolétaires de ces pays. Ici, dans la vieille Europe capitaliste, où l'histoire a produit le plus haut niveau de la tradition de classe classiste, que ce soit sur le plan théorique ou sur le plan de la praxis révolutionnaire, le prolétariat est appelé à se remettre sur pieds et à reprendre en mains le destin de la lutte anti-capitaliste. C'est dans la vieille Europe et dans la puissante Amérique que se décide le sort du capitalisme mondial; c'est là aussi que se décidera le sort de la révolution prolétarienne internationale.

Les inventeurs de nouvelles théories, les impatients, les romantiques, les rénovateurs du marxisme aiment chercher de «nouvelles voies», plus «courtes», plus «modernes», plus «actuelles» pour arriver à la révolution ou seulement pour permettre une amélioration économique de la «qualité de vie» des travailleurs ou des hommes en général. Inévitablement ces voies «nouvelles» conduisent tout droit dans les bras de la conservation bourgeoise. C'est ce qui est arrivé hier aux staliniens, puis aux maoïstes et aux guévaristes, aux brigadistes et aux trotskistes. Cela pourrait arriver aux «bordiguistes», car il n'existe aucune garantie formelle et absolue pour se protéger du révisionnisme, de la chute dans l'opportunisme, dans la trahison de la cause prolétarienne; ni pour les partis, ni pour les chefs, ni pour les militants individuels. Le seul antidote réside dans la continuité avec les batailles de classe et la fidélité au marxisme authentique: il s'agit d'une lutte permanente contre le capitalisme, contre la société bourgeoise et contre son attitude pratique. Ce n'est pas une garantie formelle, on ne la trouve pas dans les manuels, elle est faite de passion révolutionnaire unie à l'adhésion cohérente au marxisme. C'est seulement ainsi que les révolutionnaires communistes, qui aujourd'hui ne se comptent peut-être que par quelques dizaines dans le monde, pourront apporter leur contribution à la reprise de la lutte de classe et à la reconstitution du parti communiste international de demain, le parti qui dirigera les masses prolétariennes dans la lutte révolutionnaire et pourra transformer l'énième crise économique générale en catastrophe finale pour le capitalisme.

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Notes:
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  1. cf. le prolétariat et la crise, in «Le Prolétaire» n° 191 (février 1975). [back]

Source: apparu dans «Le Prolétaire» N° 445 Juin-Juillet-Aout 1998

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