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GRANDE-BRETAGNE: C'EST LE CAPITALISME QUI DÉRAILLE!
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Content:

Grande-Bretagne: C'est le capitalisme qui déraille
La privatisation des chemins de fer
La situation actuelle
La catastrophe de Paddington
Fausse solution de la nationalisation
Notes
Source


Grande-Bretagne: C'est le capitalisme qui déraille
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A la fin du mois de février un accident de chemin de fer faisait 13 morts et plus de 70 blessés en Grande-Bretagne; 6 mois auparavant un autre accident avait fait 4 morts et plongé les chemins de fer de tout le pays dans le chaos en raison d'un examen d'urgence des voies ferrées. La liste des accidents, souvent mortels, est longue depuis la privatisation des chemins de fer dans ce pays.

La privatisation des chemins de fer
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A l'issue de la guerre mondiale les Chemins de Fer ont été nationalisés en Grande-Bretagne, comme dans d'autres pays. Le pays qui avait vu le premier un puissant développement des voies ferrées (qui fut au dix-neuvième siècle l'un des moteurs de l'expansion industrielle et un secteur d'investissement très rentable pour les capitalistes), fut peut-être aussi un des pays où la décadence de ce mode de transport fut le plus rapide. Sa prise en charge par l'Etat s'imposait dès lors que, sa période d'expansion étant terminée et que se développait un nouveau mode de transport promis à un succès phénoménal - l'automobile –, il n'offrait plus guère de perspectives de profit important.

British Railways (BR), comme d'autres secteurs et entreprises, restera relativement archaïque. A cours des années qui suivent son réseau sera peu modernisé en dépit des subventions qui assuraient son fonctionnement mais ne permettaient pas des investissements importants. Le ralentissement de la croissance économique à la fin des années 70 va contraindre la bourgeoisie à alléger le fardeau des charges improductives de l'Etat afin qu'elles cessent de peser sur le taux de profit moyen de l'économie. La Grande-Bretagne va donner le «la» du retour au «libéralisme» triomphant avec les premières privatisations (Bien que contrairement à la légende, ce n'est pas le gouvernement de Thatcher qui a été à l'origine du «moins d'Etat», mais le parti travailliste, qui dès 74 jusqu'à sa défaite en 79, s'attaquera au secteur santé). Restructurations et licenciements en masse seront le lot quotidien des prolétaires britanniques dans les années 80 ainsi que les privatisations qui n'épargneront que le secteur postal (qui commence aujourd'hui à être touché) et le métro de Londres (mais c'est pour bientôt). Quant à BR, le changement de propriétaire va se faire non sans anicroches.

Beaucoup doutaient de la privatisation de BR en raison de la vétusté et du gigantisme de ses installations et de son coût élevé (les subventions de l'Etat l'aidant plus que les bénéfices). C'est en 84 que l'Etat a mis son premier plan en action. Malheureusement pour le gouvernement Thatcher, la grande grève des mineurs de 84-85 dont il faudra attendre la défaite (dernier bastion ouvrier à tomber), les lenteurs bureaucratiques et le krach boursier de 87 qui apeura les bourgeois vont l'obliger à repousser la privatisation.

En juillet 92, BR est divisée en une nuée d'entreprises qui, tout en restant filiales publiques de celle-ci, vont être gérées comme des entreprises privées. En avril 94, c'est la mise en service d'un marché concurrentiel, toujours au sein du service public, laissant entrevoir la privatisation officielle proche; ce seront les Ghost Compagnies au nom bien approprié (Compagnies fantômes). Dès lors, le changement est irréversible.

Une nouvelle bureaucratie s'impose par l'embauche à foison de directeurs et de managers pour restructurer et licencier (environ 10.000 de 92 à 95). Ces nouveaux cols blancs, souvent fraîchement sortis de grandes écoles, vont devenir de vrais décapiteurs usant de tous moyens: harcèlement continu, dénonciations d'agents pour divers motifs, dépistage d'alcool et de drogue pour les employés, imposition de travaux non adaptés aux âges, spécialités et éventuels handicaps des cheminots, etc... En trois ans, 24.300 emplois vont être supprimés (plus que sous le règne de Thatcher: 17.200) et tous en départs volontaires (donc sans indemnités) ou en préretraite.

La situation actuelle
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La privatisation a surtout donné lieu à des tas de problèmes et de contentieux entre entreprises qui portent aussi bien sur les droits de propriété que sur les responsabilités respectives en passant par les règlements financiers en matières d'achats, de ventes, de locations... Parmi ceux-ci, certains se retrouvent dans la vie quotidienne du personnel au travail comme celui des gares qui doit prendre sa pause ou aller aux toilettes dans les locaux de sa propre Compagnie ou encore utiliser les chariots à bagages de son employeur sauf accord entre Compagnies. Ou encore, et bien plus grave car s'agissant de sécurité, un salarié ne peut utiliser que du matériel de sécurité de sa propre Compagnie.

Par ailleurs, cela est aussi à l'origine de retards toujours plus longs et plus nombreux et d'annulations croissantes de trains.

A cette gabegie s'en ajoute bien d'autres: les trains qui n'arrivent pas sur le bon quai, les trains bondés alors que d'autres, avec presque les mêmes horaires, circulent à vide (car chaque Compagnie édite sa propre brochure d'horaires), les trains qui manquent de wagons pour des raisons de rentabilité et où l'on s'entasse, les différences de tarifs pour le même trajet entre Compagnies, les problèmes du personnel de sous-traitance qui ne sait plus qui sont leurs véritables patrons. Par ailleurs, certaines Compagnies ayant des ramifications dans d'autres modes de transport n'hésitent pas à «régler» certains retards aux victimes (par taxi par ex.) pour finir leur voyage s'il n'y a plus de correspondance adéquate.

Quant aux négociations entre patronat et syndicats, elles ne se font plus au plan national mais dans le cadre de l'entreprise. Pour les cheminots, inutile de dire qu'ils ne peuvent plus se faire muter sauf s'ils démissionnent de leur Compagnie pour postuler dans une autre en ne sachant s'ils seront embauchés, sur quels critères et en perdant du même coup leurs «avantages» antérieurs (comme le transport gratuit sauf dans certains cas et sous conditions). Leurs conditions et contrats de travail ont énormément changé car certaines Compagnies n'ont pas hésité à rendre caducs pour les nouveaux embauchés les accords passés antérieurement comme sur l'amplitude des rotations, la durée quotidienne du temps de travail, les temps de pause, les primes, les majorations horaires de certains jours, l'heure des prises de poste, etc... Les syndicats, le TSSA, l'ASLEF et le RMT, liés à l'appareil de collaboration avec l'Etat protestèrent contre cette privatisation qui leur rongeaient leurs privilèges, mais en bon réformistes ils n'espéraient leur sauvetage que dans une prochaine victoire électorale des travaillistes, sans se douter peut-être de la soupe infecte que le blairisme allait faire avaler à tous ceux qui rêvaient encore du labourisme vieille école.

Ils n'ont donc pas bougé le petit doigt face aux licenciements et aux «coupes» opérés dans les salaires et autre condition de travail. Ils ont même saboté des luttes qui auraient pu être l'étincelle d'un vaste mouvement comme en 95 lors de la grève des aiguilleurs, désamorçant le mouvement par quelques grèves de 24 heures sans conséquences. En bons pompiers sociaux, ils firent même empêcher rassemblements et manifestations évitant ainsi tout durcissement de la lutte et élargissement de la solidarité. Auréolés par leur sabotage, ils furent conviés aux tables de négociations en compagnie des nouveaux patrons afin de leur montrer l'utilité de leur rôle pour la bonne marche du Capital et négocier leur nouvelle place dans l'entreprise quelles que soient les remises en questions des conditions de travail. Chez Stagecoach ou WCT, les bonzes ont pu conserver leur place de laquais de Capital pour faire digérer les attaques sur les salaires et conditions de travail. Pour certains bonzes de l'ASLEF, l'objectif de ces négociations était d'obtenir le monopole de la formation des conducteurs, en échange d'une monnaie sonnante et trébuchante bien plus brillante que les cotisations des syndiqués.

Depuis la privatisation, 2.000 conducteurs ont perdu leur travail. En 1999, il en manquait au moins 400, alors que le nombre de services a augmenté avec celui du nombre de passagers (+ 7 %), et les retards pris par certaines Compagnies dans le domaine non rentable de la formation, les obligent à annuler des trains.

Certaines (comme Virgin Rail) ont créé leur propre école de formation. Mais la concurrence est si féroce que d'autres Compagnies ont trouvé la parade en achetant les conducteurs fraîchement formés par d'autres. Le manque de conducteurs fait que les nouveaux ne sont plus toujours accompagnés par un collègue expérimenté lorsqu'ils débutent leur carrière. Mais le problème de conducteurs dont le nombre va à l'inverse de celui des contrôleurs qui, eux, ne sont jamais en retard pour sauter sur le grappin des usagers, n'est pas le seul.

Le rail britannique est donc aujourd'hui de plus en plus dangereux. Parmi les dangers: la vétusté des wagons voyageurs où les normes de sécurité sont d'un autre âge (portes s'ouvrant vers l'extérieur et donnant directement sur les banquettes); les attelages bricolés pour attacher des wagons de types et d'âges différents; idem pour les voies avec les rails cassés (917 recensés par Railtrack en 1999/2000; un autre organisme d'inspection en décelant 1.850!) et parfois si vétustes que des doubles sens de circulation ont été remplacés par des voies uniques obligeant la pause d' une signalisation si complexe, vétuste et mal maîtrisée que les accidents ont subi une hausse faisant parfois des morts comme à Cowden (5 morts dont les deux conducteurs).

En conséquence, depuis début 98, 1 train sur 10 est en retard (le meilleur chiffre depuis des années ayant été au printemps 97 avec «seulement» 1/12). En août 98, un rapport du Central Rail Users' Consultative Committee démontrait que les retards et annulations avaient augmenté de 20 % depuis le début de la même année, le record appartenant à la SE Connex avec une hausse de 67 % des annulations. Les plaintes d'usagers se sont accrus de près d' un million en 97/98 (plus 149 % pour les suremplissages). Cependant le pire danger vient du manque de système de freinage de sécurité qui a causé nombre accidents des derniers accidents, amplifiés par l'état actuel du rail, l'engorgement du trafic dans certaines parties du réseau (notamment le Grand Londres) en raison de la multiplication des Compagnies qui ont fait monter la concurrence aux heures de pointe et aux places stratégiques, économiquement parlant.

La catastrophe de Paddington
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Le 5/10/99 une collision entre un train de banlieue de la Thames Train et un express de l'Intercity faisait 31 morts et des dizaines de blessés (et ils roulaient à faible vitesse!) près de la gare londonienne de Paddington. A l'origine de ce charnier vite transformé en gigantesque enfer, à la suite de l'écoulement de fuel et à des courts-circuits, il y a le «fameux» signal 109, une fois de plus brûlé lorsqu'il était au rouge parce qu'étant caché par d'autres signaux et des câbles - fait dénoncé auparavant par l'ASLEF qui avait demandé son déplacement ou la pose d'un autre feu à hauteur de la cabine du conducteur. Railtrack savait donc que ce signal faisait partie, selon une analyse de l'inspection du rail d'un des 22 pires du pays et des 7 considérés comme présentant «un risque pour la vie» du personnel et des usagers. De plus, elle possédait un document disant que les plus gros risques du rail se situaient à l'approche de Paddington et précisément à cet endroit où 6 mois plus tôt, on avait déjà frôlé une catastrophe de ce type. La mise en place d'un système anti-collision ne sera pas effective avant 2004 sur les lignes principales parce que cela coûte cher: 14 millions de Livres par vie sauvée («Sunday Times» du 10/10/99).

Si la responsabilité de Railtrack au niveau du droit bourgeois est écrasante, c'est bel et bien le système capitaliste soutenu par toutes formes de gestion plus ou moins «heureuses» qui porte la responsabilité. Ce sont ceux qui gèrent le rail depuis ses débuts, patrons privés ou patrons sous nationalisation avec les politiciens tories et travaillistes comme complices. En effet, tous ont toujours laissé le rail se détériorer pour la sacro-sainte raison du profit avec comme excuse: «il n'y a pas l'argent pour».

Fausse solution de la nationalisation
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Il y a donc peu d'espoir de voir une amélioration rapide du système ferroviaire dans ce pays malgré les projets et promesses, comme on peut d'ailleurs le constater à la lecture de la presse bourgeoise. Mais certains ont trouvé la «solution»: renationaliser le chemin de fer. Vieille idiotie opportuniste prônée par les trade-unionistes, et par les centristes, trotskistes en tête, comme si l'Etat était au-dessus des classes et de la loi du profit. Ce gens «oublient» que la nationalisation, comme de la privatisation, signifie restructuration donc licenciements, accroissement de l'exploitation, puisqu'elle ne supprime pas la loi de la valeur, base de fonctionnement du Capital:
«
L'erreur, du point de vue marxiste, est d'admettre, du côté du prolétariat, qu'en réalisant ce genre d'opérations, fût-ce dans certaines limites de temps et d'espace, l'Etat agit vraiment comme s'il représentait toute la société, dans l'intérêt de toutes les couches de la population, en améliorant la situation de toutes les classes, possédantes ou travailleuses.
Il ne s'agit pas seulement d'une erreur de principe: le développement le plus récent du capitalisme permet d'établir que l'initiative de l'organisme public n'est qu'un pur camouflage, une pure apparence: en réalité, on trouve toujours à la base une initiative de personnes ou de groupes vivant du profit, et donc un mobile de type capitaliste
(1)

Le mauvais fonctionnement du chemin de fer et les accidents répétés ne sont pas dus à l'inconscience de certains patrons ou à la mauvaise politique de certains gouvernements. Ils sont dus à la loi du profit, au mode de production capitaliste lui-même, dont patrons et Etats ne sont que des expressions serviles. Des améliorations partielles vitales pour ceux qui sont contraints de prendre le train pour gagner leur vie peuvent et doivent être obtenues; mais elles le seront d'autant mieux et d'autant plus vite que ces améliorations ne seront pas laissées au bon vouloir des Compagnies ou de l'Etat, mais que des luttes seront menées contre les capitalistes du rail et contre leur Etat.

Sans oublier qu'une amélioration radicale et effective, des transports, ferroviaires ou autres (les morts par accidents d'automobiles sont plus nombreux que ceux résultant des accidents de chemins de fer, et là aussi le capitalisme en est la cause) ne pourra avoir lieu qu'à la suite de la révolution prolétarienne et de la réorganisation complète de la société - supprimant entre autres ces dantesques déplacements de population: la mortelle incohérence des modes de transport sous le capitalisme n'est que le reflet de l'incohérence générale, de l'anarchie fondamentale, de ce mode de production antisocial: seul le prolétariat, dirigé par son parti révolutionnaire communiste, pourra arrêter le train fou du capitalisme et le mettre à jamais hors circuit!

Notes:
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  1. cf A. Bordiga, «Utilité publique, cocagne privée» in «Espèce humaine et croûte terrestre», PB Payot, p. 106. [back]

Source: «Le Prolétaire» numéro 456, janvier 2001.

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