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COURS DE L'IMPÉRIALISME MONDIAL (1)
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Content:

Cours de l'impérialisme mondial (1)
I - Les affrontements économiques interimpérialistes
La bataille monétaire et commerciale
La «crise pétrolière»
L'ouverture à l'Est
Permanences des déséquilibres
II. - La situation de l'économie mondiale
Les crises cycliques du capitalisme
L'inflation ou la fuite en avant du capitalisme
La hausse du prix des matières premières
Impuissance de la bourgeoisie
Notes
Source


Cours de l'impérialisme mondial (1)
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Le rapport publié ci-dessous a été présenté à la Réunion Générale du Parti de juin 1974. Les données chiffrées ont été complétées pour tenir compte des statistiques disponibles début septembre 1974.

I - Les affrontements économiques interimpérialistes
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Au sein du bloc occidental, l'année écoulée a été marquée par un retour en force de l'impérialisme américain, qui a rétabli, grâce à une contre-attaque en règle effectuée au détriment de ses concurrents commerciaux directs - Europe et Japon –, un équilibre provisoire de son commerce extérieur, ainsi que la position internationale de sa monnaie. A la base de ce rétablissement après deux années de difficultés économiques qui avaient culminé dans les déficits successifs de la balance commerciale américaine et la double dévaluation du dollar, il n'y a aucune modification profonde de la structure de l'économie américaine, mais ce qu'on peut appeler la «faculté de manœuvre» de l'impérialisme américain, qui découle de son énorme puissance économique, politique et militaire, et qui s'est concrétisée d'abord dans la bataille monétaire et commerciale, puis dans l'habile exploitation de la «crise pétrolière».

La bataille monétaire et commerciale
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Dans une première phase (1), Washington a imposé, grâce à diverses pressions économiques et politiques, la réévaluation des monnaies allemande et surtout japonaise par rapport au dollar; l'effet immédiat de ces mesures a été très bénéfique pour le commerce extérieur américain: les exportations américaines, rendues relativement moins chères sur le marché mondial, ont fait un bond, progressant de 23,8 % en volume en 1973 (contre + 9,1 % en 1972 et - 1,2 % en 1971). Combinées avec certaines mesures protectionnistes et des «accords» imposés aux industriels japonais pour limiter «volontairement» certaines exportations vers les Etats-Unis, les manipulations monétaires ont également atteint un second objectif fixé par Washington: freiner l'expansion commerciale japonaise, en particulier vers les U.S.A. qui reçoivent près du tiers des exportations nippones; ces dernières ont subi en 1972 et 1973 un net ralentissement: + 3,7 % en volume en 1973, + 5,5 % en 1972, contre + 17,5 % en 1971 (voir chiffres complets tableau 1).

Tableau 1 - exportations de marchandises
(Chiffres en milliards de dollars)
 
1970
1971
1972
1973
Etats-Unis
Croissance annuelle en volume (%)
42,6
8,0
43,5
-1,2
48,9
9,1
70,2
23,8
Grande-Bretagne
Croissance annuelle en volume (%)
19,3
2,7
22,3
6,1
24,3
1,5
30,4
14,4
France
Croissance annuelle en volume (%)
17,7
14,9
20,3
8,6
26,0
14,3
35,9
9,7
Allemagne
Croissance annuelle en volume (%)
34,2
8,5
38,9
6,7
46,2
8,6
67,5
17,8
Japon
Croissance annuelle en volume (%)
19,3
14,5
24,0
17,5
28,6
5,5
36,8
3,7
Italie
Croissance annuelle en volume (%)
13,2
8,4
15,1
7,0
18,5
14,2
22,2
4,1
URSS
Croissance annuelle en volume (%)
12,8
9,8
13,8
7,9
15,4
11,2
21,4
39,3

Sources: ONU, Bulletin mensuel de statistiques; FMI, International Financial Statistics. Les statistiques officielles ne permettent pas de connaître la croissance annuelle des exportations de l'URSS en volume (c'est-à-dire abstraction faite de la hausse des prix).

Grâce à cette contre-attaque monétaire, les Etats-Unis ont rétabli en 1973 l'équilibre de leur balance commerciale avec même un léger excédent (voir tableau 2), ce qui a représenté une amélioration de plus de 7 milliards de dollars en un an, alors que l'excédent japonais diminuait simultanément de plus de 5 milliards de dollars; de même, ils ont provisoirement renversé la tendance à long terme à la diminution de leur part du marché mondial (12,4 % en 1973 contre 12 % en 1972), alors que pour la première fois celle du Japon diminuait (6,5 %, contre 7 % en 1972) (voir chiffres complets tableau 3).

Malgré des dévaluations de fait de leur monnaie favorables à leurs exportations, les plus faibles des grands pays capitalistes développés, la Grande-Bretagne et l'Italie, ont subi en 1973 les conséquences de la contre-attaque américaine, du renforcement de la concurrence internationale, et de leurs difficultés sociales internes, avec de lourds déficits de leurs balances commerciales et la diminution de leurs parts du marché mondial - qui est pour la Grande-Bretagne une tendance historique depuis longtemps mise en évidence, mais qui

Tableau 2 - balances commerciales
(Chiffres en milliards de dollars)

 
1970
1971
1972
1973
Etats-Unis
2,11
-2,69
-6,91
0,64
Grande-Bretagne
0,03
0,76
-1,72
-5,88
France
0,32
1,10
1,27
1,60
Allemagne
5,90
6,70
8,20
14,40
Japon
3,96
7,78
8,97
3,74
Italie
-0,38
0,11
0,00
-3,94
URSS
1,07
1,32
-1,68
0,35

Données f.o.b. pour tous les pays y compris l'Allemagne et l'URSS
Sources: FMI, International Financial Statistics; pour l'Allemagne, FMI, Annual Report, 1974; pour l'URSS, chiffres calculés d'après: ONU, Bulletin mensuel de statistiques.

Tableau 3 - parts du marché mondial
(Pourcentage des exportations mondiales réalisé par chaque pays)

 
1970
1971
1972
1973
Etats-Unis
13,6
12,5
12,0
12,4
Grande-Bretagne
6,2
6,5
6,0
5,4
France
5,6
5,9
6,4
6,4
Allemagne
10,9
11,3
11,3
12,0
Japon
6,2
6,9
7,0
6,5
Italie
4,2
4,4
4,5
3,9
URSS
4,1
4,0
3,8
3,8

Sources: chiffres calculés d'après: ONU, Bulletin mensuel de statistiques.

marque pour l'Italie la fin du «miracle économique». Ces difficultés se sont encore aggravées en 1974, mettant les deux pays au bord de la cessation des paiements, qu'ils n'ont pu éviter qu'à l'aide d'emprunts massifs auprès de leurs concurrents prospères (2).

En revanche le capitalisme allemand, plus florissant que jamais, a de nouveau accumulé, malgré la réévaluation du deutschemark, un énorme excédent commercial au détriment de ses concurrents, et augmenté de nouveau sa part de marché mondial qui est maintenant très proche de celle des Etats-Unis avec 12 % (contre 11,3 % en 1972). L'Allemagne occupe d'ailleurs déjà depuis plusieurs années la première place pour les exportations de produits manufacturés: en 1973, elle en a exporté 60,3 milliards de dollars contre 44,7 aux Etats-Unis, 34,9 au Japon, 23,6 à la France et 25,6 à la Grande-Bretagne (3). Quant au capitalisme français, il a réussi en 1973 à «limiter les dégâts» en stabilisant sa part de marché mondial (6,4 % en 1972 et en 1973) qui était en lente augmentation depuis une dizaine d'années, et en récoltant un léger excédent commercial.

On remarquera au passage la faiblesse marquée du capitalisme russe, dont la part de marché mondial diminue lentement depuis quelques années malgré un net progrès des exportations en 1973, et dont les exportations sont constituées pour plus des deux tiers de matières premières et de produits semi-finis, car ses produits manufacturés supportent en général mal, pour des raisons essentiellement technologiques, la concurrence des produits des capitalismes développés occidentaux. Ceci confirme une fois de plus notre thèse sur le caractère encore relativement arriéré du capitalisme russe, dont le développement est entravé par une structure agraire archaïque et partiellement pré-capitaliste.

La «crise pétrolière»
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Après avoir rétabli sa situation commerciale et monétaire, l'impérialisme américain s'est livré à une seconde contre-attaque en exploitant habilement la «crise pétrolière» de la fin 1973. Rappelons que le marché pétrolier mondial est dominé par le cartel des compagnies anglo-saxonnes, qui contrôle directement ou indirectement plus des deux tiers de la production mondiale (4); le Japon et les pays européens dépendent entièrement des importations de pétrole (en provenance essentiellement du Moyen-Orient) pour leur consommation, alors que les Etats-Unis n'importent encore qu'environ 30 % de la leur. En conséquence, c'est l'impérialisme américain qui contrôle l'approvisionnement pétrolier de ses principaux concurrents commerciaux, en particulier de l'Allemagne et du Japon qui n'ont encore, malgré leurs efforts, réussi à fonder aucune compagnie pétrolière de taille et de puissance comparables aux compagnies anglo-américaines. Par suite de l'accroissement constant de la demande dû au développement capitaliste, et de la haute conjoncture des économies capitalistes occidentales, la situation du marché pétrolier s'est trouvée tendue en 1973. Cela ne signifie nullement qu'il y ait eu une «pénurie absolue» - qui n'existe pas, puisqu'il est toujours possible de mettre en exploitation des gisements supplémentaires à des coûts plus élevés. Mais, comme l'explique Marx dans «Travail salarié et capital», une situation où la demande tend à être plus importante que l'offre tend à mettre les vendeurs en position de force:

«Supposons qu'il y ait 100 balles de cotons sur le marché et, en même temps, des acheteurs pour 1.000 balles de coton. Dans ce cas, la demande est dix fois plus grande que l'offre. La concurrence entre les acheteurs sera par conséquent très forte, chacun de ceux-ci veut s'approprier une, et si possible l'ensemble des 100 balles. [...] un acheteur cherchera donc à évincer l'autre du marché en offrant un prix plus élevé pour la balle de coton. Les vendeurs de coton qui aperçoivent les troupes de l'armée ennemie en train de se livrer entre elles le combat le plus violent et qui sont absolument assurés de vendre entièrement leurs 100 balles, vont se garder de se prendre les uns les autres aux cheveux pour abaisser le prix du coton, à un moment où leurs adversaires rivalisent entre eux pour le faire monter. Voilà donc la paix survenue soudain dans l'armée des vendeurs. Ils sont comme un seul homme, face aux acheteurs, ils se croisent philosophiquement les bras et leurs exigences ne connaîtraient pas de bornes si les offres de ceux mêmes qui sont le plus pressés d'acheter n'avaient pas leurs limites bien déterminées. Si donc l'offre d'une marchandise est plus faible que la demande de cette marchandise, il n'y a pas du tout ou presque pas de concurrence parmi les vendeurs. La concurrence parmi les acheteurs croît dans la proportion même où diminue cette concurrence. Résultat: hausse plus ou moins importante des prix de la marchandise» (Editions Sociales, p. 25).

Les Etats producteurs, appliquant tout simplement... la loi du marché qu'ils avaient jusqu'ici subie de manière draconienne, ont donc décidé une nouvelle augmentation du prix du brut en se servant, lors du conflit du Moyen-Orient, de l'épisode de l'«embargo» pétrolier pour accentuer leur pression. L'impérialisme américain a su exploiter avec beaucoup d'habileté cette situation aux dépens de ses «alliés» européens et japonais. Rappelons qu'en 1971 déjà, lors des négociations de Téhéran et Tripoli, le cartel anglo-américain ne s'était pas opposé - alors qu'il en avait les moyens, comme plusieurs épisodes antérieurs l'ont montré - aux augmentations de prix et aux rachats progressifs de leurs parts dans l'exploitation réclamés par les Etats producteurs: les compagnies pétrolières n'y perdaient pas un dollar puisque leur situation de cartel leur permettait de fixer le prix mondial réclamé aux consommateurs; en revanche, l'Europe et le Japon devaient payer des milliards de dollars supplémentaires dont la plus grosse partie revenait aux Etats-Unis par l'intermédiaire de commandes (militaires en particulier) et de placements financiers; en outre, la hausse des prix mondiaux favorisait la recherche pétrolière, la rentabilisation des énormes réserves américaines de schistes bitumineux et du pétrole de l'Alaska, et donc à long terme l'indépendance énergétique des Etats-Unis. Le même scénario s'est reproduit sur une échelle plus vaste en 1973, pimenté par la «crise de l'énergie» mise en scène par les compagnies pour faire accepter sans coup férir l'augmentation de leurs prix et de leurs bénéfices, et par l'«embargo» des pays arabes soi-disant dirigé contre les Etats-Unis.

Dans un premier temps, la hausse des prix allait, pour les mêmes raisons qu'en 1971, dans le sens des intérêts à long terme de l'impérialisme américain: Washington s'y est donc d'autant moins opposé que, malgré les déclarations fracassantes de certains dirigeants arabes, pas une goutte de pétrole n'a manqué aux Etats-Unis, pourtant les premiers visés théoriquement par l'embargo (5); peut-être même l'a-t-il encouragée - ce qui revient en l'occurrence au même, sachant qu'en tout état de cause la tendance à la hausse ne pouvait être provoquée ex nihilo ni par les émirs ni par les compagnies, mais provenait de la situation du marché. Mais une hausse trop forte risquait de mettre Washington dans la situation de l'apprenti-sorcier, car les intérêts américains eux-mêmes auraient été compromis par une augmentation excessive du coût des importations pétrolières, tandis que l'Europe et le Japon pouvaient être acculés à la faillite pure et simple, avec toutes les conséquences que cela pouvait entraîner pour l'économie mondiale. Dans une deuxième phase, l'impérialisme américain a alors averti les Etats producteurs que la limite était atteinte, et utilisé l'Arabie Saoudite pour essayer de faire entendre raison à certains Etats (l'Iran et l'Algérie en particulier) qui ne voyaient pas de limite à la montée des prix du brut. Cette pression, jointe à une légère baisse de la demande par suite des restrictions de consommation dans un certain nombre de pays, a provisoirement stabilisé les prix.

Pour l'impérialisme américain, la manœuvre a été encore plus payante que la manœuvre monétaire: le retour à l'indépendance énergétique est facilité, les bénéfices des sociétés pétrolières ont fait un bond spectaculaire, les recettes des Etats producteurs ont quadruplé aux dépens essentiellement des pays d'Europe et du Japon; or les Etats-Unis sont le premier fournisseur des Etats producteurs (en particulier en armes), le seul pays impérialiste occidental à avoir avec eux une balance commerciale positive (voir tableau 4), le seul, en raison

Tableau 4: balance commerciale avec les Etats producteurs - Méditerranée - golfe Persique 1973
(Algérie, Libye, Irak, Arabie Saoudite, Koweit, Bahrein, Iran)

 
Millions de dollars
Solde annuel
Importations
Exportations
Solde
Etats-Unis
100,5
152,8
+52,3
+627
Grande-Bretagne
236,3
98,3
-138,0
-1656
France
258,3
119,6
-138,7
-1664
Allemagne
265,1
127,2
-137,9
-1654
Japon
380,9
121,6
-259,3
-3111
Italie
274,0
85,9
-188,1
-2257

Source: OCDE, Statistiques du commerce extérieur.

des vicissitudes de l'impérialisme britannique, à posséder un réseau financier suffisamment puissant pour accueillir les capitaux des Etats producteurs cherchant à se replacer.

Surtout, les concurrents des Etats-Unis ont été sévèrement touchés par la hausse des prix du pétrole: ils voient leurs prix de revient augmenter, donc leur capacité concurrentielle diminuer; ils perdent des sommes importantes qui vont servir à... élargir les marchés de l'impérialisme américain, accroître sa puissance financière, et contribuer à renforcer son réseau politico-militaire au Moyen-Orient. Au passage les tentatives d'accord énergétique européen ont été disloquées par la trop grande divergence d'intérêts entre Etats, et le Japon a subi un véritable étranglement économique par une diminution des livraisons pétrolières nettement supérieure à la diminution de production des Etats du Moyen-Orient (6). Les effets de la manœuvre américaine seront certainement beaucoup plus importants et plus durables que ceux des manipulations monétaires: ils ont achevé de rétablir la position relative de l'impérialisme américain par rapport à ses concurrents, en leur faisant sentir le poids de sa puissance, et en leur infligeant un handicap commercial et financier qui sera long à surmonter. Mais ils l'ont fait au prix d'une accélération de l'inflation mondiale déjà galopante, de l'accentuation de la baisse des taux de profit qui se fait sentir «cruellement» pour les capitalismes les plus anciens comme la Grande-Bretagne, et de l'étranglement financier des économies les plus fragiles. En un mot l'impérialisme américain n'a su se délivrer provisoirement de ses difficultés qu'en aggravant les facteurs de crise de l'économie capitaliste mondiale.

L'ouverture à l'Est
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La prépondérance américaine s'est également manifestée dans le domaine des rapports économiques avec les pays capitalistes de l'Est européen et la Chine, dont d'une manière générale la dépendance économique vis-à-vis des pays impérialistes d'Occident s'accentue progressivement. Sur le plan commercial, l'ouverture à l'Est a connu en 1973 une forte progression: les exportations des 6 premiers pays capitalistes occidentaux (Etats-Unis, Allemagne, Japon, Grande-Bretagne, France, Italie) vers l'URSS, ses satellites européens et la Chine sont passées à 13,2 milliards de dollars, contre 8,1 milliards de dollars en 1972 et 6,3 milliards de dollars en 1971, c'est-à-dire qu'elles ont plus que doublé de valeur en deux ans. Cette expansion a surtout profité à l'impérialisme américain, dont les exportations vers les pays de l'Est ont pratiquement triplé de valeur en 1973 par rapport à 1972 (voir tableau 5), et à l'Allemagne, qui est le premier exportateur occidental vers ces pays; à l'inverse, les plus faibles des grands pays capitalistes, la Grande-Bretagne et l'Italie, sont aussi ceux qui ont le moins profité de l'ouverture à l'Est. Vers la seule Russie (tableau 6), les Etats-Unis ont plus que doublé leurs exportations en 1973 et ont même pris la première place à l'Allemagne (mais compte tenu de l'importante place prise par les exportations de céréales américaines en 1973, la tendance devrait se ralentir). Vers la Chine (tableau 7), la première place est toujours occupée par le Japon, dont les exportations progressent régulièrement, mais là encore le commerce des Etats-Unis a fait un bond, passant

Tableau 5 - exportations vers zone sino-russe
(Millions de dollars - Moyennes mensuelles)

 
1970
1971
1972
1973
Etats-Unis
29,4
32,0
73,2
207,2
Grande-Bretagne
60,6
57,1
63,9
83,3
France
61,2
70,7
84,1
121,8
Allemagne
177,8
204,4
273,6
436,5
Japon
87,0
95,6
120,1
162,7
Italie
63,9
67,5
72,2
89,5

Source: OCDE, Statistiques du commerce extérieur. La ligne Allemagne inclut les exportations de l'Allemagne de l'Ouest vers l'Allemagne de l'Est, calculées d'après les données fournies dans: ONU, Bulletin mensuel de statistiques, juin 1974, p. XVII.

en deux ans de... zéro à un rythme de plus de 50 millions de dollars mensuels en 1973 et dépassant même les 100 millions de dollars mensuels au premier trimestre 1974. De même, en ce qui concerne les exportations de capitaux vers les pays de l'Est, les données fragmentaires dont on peut disposer montrent une forte progression en 1973, la place prépondérante étant occupée par l'impérialisme américain avec plus de 800 millions de dollars.

Si la rapide progression de ces chiffres montre une incontestable tendance à l'ouverture des marchés de l'Est aux marchandises et aux capitaux occidentaux, il faut cependant se garder en les interprétant de toute illusion sur leur importance actuelle pour les économies occidentales: par rapport aux exportations totales de chaque pays, les exportations vers l'Est ne représentent encore en effet qu'une fraction minime, même si elle va grandissant: ainsi

Tableau 6 - exportations vers l'URSS
(Millions de dollars - Moyennes mensuelles)

 
1970
1971
1972
1973
Etats-Unis
9,8
13,4
45,5
99,2
Grande-Bretagne
20,4
18,0
18,8
19,8
France
22,7
21,3
28,0
48,0
Allemagne
35,2
38,4
59,3
98,5
Japon
28,4
31,4
42,0
40,3
Italie
25,6
24,6
22,3
29,3

Source: OCDE, Statistiques du commerce extérieur.

Tableau 7 - exportations vers la Chine
(Millions de dollars - Moyennes mensuelles)

 
1970
1971
1972
1973
Etats-Unis
-
-
5,0
57,4
Grande-Bretagne
8,9
5,7
6,5
17,2
France
6,7
9,2
4,9
7,4
Allemagne
13,9
11,5
13,7
25,8
Japon
47,2
48,1
50,7
86,6
Italie
4,7
4,9
6,4
6,3

Source: OCDE, Statistiques du commerce extérieur.

en 1973, les exportations vers l'URSS, ses satellites européens et la Chine n'ont représenté que 3,5 % des exportations totales de marchandises des EtatsUnis, 5,3 % de celles du Japon, 3,3 % de celles de la Grande-Bretagne, 4 % de celles de la France, 4,8 % de celles de l'Italie; seule l'Allemagne avait un pourcentage plus significatif avec 7,8 %. L'ouverture des marchés des pays de l'Est a jusqu'ici été entravée par la faiblesse de leurs économies: peu compétitives sur le marché mondial pour les exportations de produits manufacturés (voir l'évolution de la part de marché mondial de la Russie, tableau 3), et exportant surtout des matières premières et des produits semi-finis, elles manquent des devises fortes nécessaires à l'achat sur une grande échelle de tous les biens d'équipement qu'elles ne peuvent produire elles-mêmes. C'est ainsi qu'en 1973 les échanges commerciaux Est-Ouest accusaient globalement un net solde positif en faveur de l'Occident, plus précisément des économies les plus fortes, Etats-Unis et Allemagne (alors qu'une fois de plus l'Angleterre et l'Italie étaient en déficit). Cette situation devrait progressivement se modifier à l'avenir pour l'URSS, riche en or et en matières premières (pétrole en particulier) en raison des fortes hausses récentes des prix mondiaux de ces produits (qui devraient aussi profiter à la Chine, qui en est également riche). Mais cela ne change rien au fait confirmé par la structure dissymétrique du commerce Est-Ouest, biens d'équipements contre matières premières et semi-finis, à savoir le retard économique des capitalismes orientaux sur ceux d'Occident, et donc l'accentuation de leur dépendance économique que représente l'ouverture à l'Est. Ce fait est confirmé par l'augmentation des sommes empruntées à l'Ouest, ainsi que par l'ouverture depuis deux ans de la Hongrie, de la Pologne et de la Roumanie aux investissements directs occidentaux, américains et allemands au premier chef. Il est également confirmé par le renversement rapide de la structure géographique du commerce extérieur de la Pologne (une tendance suivie moins rapidement par les autres pays de l'Est européen): en l'espace de quatre ans, la part des importations en provenance des 6 principaux pays capitalistes occidentaux a presque doublé, passant de 15,6 % à 28,1 % (voir tableau 8), ce qui signifie, compte tenu des échanges avec les autres pays occidentaux et ceux du «tiers-monde» que la plus grosse partie des importations polonaises ne vient plus des pays du bloc de l'Est. Cette évolution est grosse de conséquences pour l'avenir: à mesure en effet qu'elles s'intègrent

Tableau 8 - exportations vers la Pologne
(Millions de dollars - Moyennes mensuelles)

 
1970
1971
1972
1973
Etats-Unis
5,8
6,1
9,3
29,1
Grande-Bretagne
11,9
13,0
15,6
22,6
France
6,7
6,9
12,5
22,3
Allemagne
14,9
18,7
37,5
83,7
Japon
1,8
3,5
7,4
10,8
Italie
6,0
7,3
10,6
15,5
Total des 6 pays
47,1
55,5
92,9
184,0
Total annuel
565
666
1115
2208
Importations annuelles de la Pologne
3608
4038
5335
7856
Part des 6 pays dans les importations polonaises
15,6%
16,5%
20,9%
28,1%

Source: OCDE, Statistiques du commerce exiérieur; ONU, Bulletin mensuel de statistiques.

davantage au marché mondial dominé par les impérialismes occidentaux, les économies des pays de l'Est deviennent de plus en plus vulnérables à ses fluctuations (les «démocraties populaires» ressentent déjà par exemple la hausse des prix du pétrole), et créent ainsi un nouveau terrain pour l'élargissement et l'approfondissement des crises cycliques du mode de production capitaliste.

Permanences des déséquilibres
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Les manipulations monétaires, l'exploitation de la crise pétrolière, l'ouverture à l'Est, toutes ces manœuvres politico-économico-diplomatiques ont rapporté comme dividende le rétablissement spectaculaire de l'impérialisme américain par rapport à ses concurrents économiques occidentaux. Confronté coup sur coup avec le ralentissement brutal de ses exportations, puis le renchérissement brutal de ses importations à la suite de la crise pétrolière, le concurrent japonais, le plus dynamique et le plus dangereux à moyen terme, a été littéralement «étranglé» par l'impérialisme yankee: sa balance commerciale et sa balance des paiements sont devenues déficitaires au début de 1974, l'inflation

Tableau 9 - exportations de capitaux
(Chiffres en milliards de dollars)

 
1970
1971
1972
1973
Etats-Unis
12,78
13,79
14,22
15,83
Dont investissements directs
7,33
8,10
7,92
9,35
Revenus des exportations de capitaux
14,37
16,01
18,44
23,05
Grande-Bretagne
2,11
2,42
4,02
3,40
Dont investissements directs
1,24
1,54
1,73
3,05
Revenus des exportations de capitaux
3,33
3,53
3,97
5,80
France
1,70
2,16
2,72
 
Dont investissements directs
0,37
0,39
0,58
 
Revenus des exportations de capitaux
1,11
1,55
1,78
 
Allemagne
2,44
1,70
1,49
 
Dont investissements directs
0,87
1,04
1,55
1,73
Revenus des exportations de capitaux
1,97
2,48
2,87
 
Japon
2,57
3,01
5,02
8,43
Dont investissements directs
0,35
0,36
0,72
1,88
Revenus des exportations de capitaux
0,71
0,98
1,62
2,64
Italie
0,97
0,81
 
 
Dont investissements directs
0,11
0,39
 
 
Revenus des exportations de capitaux
0,90
1,04
 
 

Sources: FMI, Balance of Payments Yearbook; pour 1973: US Department of Commerce, Survey of Current Business; Bank of Japan, Economic Statistics Monthly; HMSO, UK Balance of Payments 1963-73; Monthly Report of the Deutsche Bundesbank. Les chiffres de 1973 sont provisoires.

a fait un bond avec un taux annuel record de 23 %, et toutes les prévisions de croissance ont été revues à la baisse. Mais si l'expansion japonaise a subi un coup de frein sur le plan industriel et commercial, elle a continué de plus belle sous d'autres formes. La réévaluation de la monnaie Japonaise, en augmentant son pouvoir d'achat par rapport aux autres monnaies, a encouragé les exportations de capitaux, qui ont connu en 1972 et en 1973 une très forte expansion, passant en deux ans de 3 milliards de dollars à près de 8,5 milliards de dollars par an; dans le même temps, les flux d'investissement direct ont quintuplé pour atteindre 1,8 milliard de dollars en 1973 (tableau 9). Ces chiffres sont encore très inférieurs à ceux de l'impérialisme américain, qui a exporté en 1973 près de 16 milliards de dollars de capitaux, dont plus de 9 milliards de dollars d'investissements directs (soit plus de 50 % des capitaux exportés par les Etats-Unis, alors que les capitaux japonais exportés comprennent relativement beaucoup plus de prêts et de crédit commercial), et dont les revenus globaux des exportations de capitaux (23 milliards de dollars en 1973) dépassent désormais largement ces exportations elles-mêmes. Mais ils placent déjà le Japon au 2e rang mondial des exportateurs de capital derrière les Etats-Unis, et au 3e rang des investisseurs directs à l'étranger derrière les Etats-Unis et la Grande-Bretagne (qu'il dépassera certainement bientôt), et leur croissance s'effectue à un rythme qui n'est égalé par aucun autre pays. Même si ce rythme doit se ralentir en 1974 en raison des sorties supplémentaires de devises provoquées par la hausse des prix du pétrole, leur reprise est vitale pour l'impérialisme japonais qui cherche à s'assurer le contrôle de nouvelles sources de matières premières, et à contourner les barrières de toutes sortes élevées contre ses exportations en faisant fabriquer ses marchandises dans d'autres pays - notamment les pays du Sud-Est asiatique où il peut trouver des masses de force de travail surexploitée à très bon marché.

Quant à l'économie allemande, elle a traversé imperturbablement les réévaluations du deutschemark et la crise pétrolière, et continue d'accumuler les excédents commerciaux et les réserves de devises (qui, soit dit en passant, réduisent à néant tous les rêves d'Europe monétaire). Privé historiquement par ses rivaux impérialistes de colonies et donc de matières premières monopolisables à bas prix, contraint depuis les origines à exporter coûte que coûte pour acheter sur le marché mondial les matériaux indispensables, l'impérialisme allemand prend sa revanche dialectique en posant une fois de plus sa candidature à la place de premier exportateur mondial (7). Ses exportations de capitaux croissent à un rythme rapide et sa puissance économique se fait sentir dans toute l'Europe centrale jusqu'aux Balkans (dont il s'est fait un réservoir de force de travail) et à l'Iran. Sa puissance financière en fait régulièrement le banquier des pays européens en difficulté, et sa monnaie joue déjà un rôle continental.

Malgré le rétablissement de la position américaine, les tendances profondes à la remise en cause des équilibres économiques - c'est-à-dire du règne incontesté du despote américain sur le marché mondial - subsistent donc et ne peuvent que s'accentuer sous la pression des impérialismes plus jeunes et plus dynamiques. Cette situation implique forcément de nouveaux affrontements économiques, commerciaux, monétaires, démontrant chaque fois plus violemment que les forces productives étouffent de plus en plus dans le cadre étroit du capitalisme, et menant lentement mais sûrement à l'affrontement entre Etats concurrents. Cette constatation était récemment exprimée dans les termes suivants par le ministre des finances japonais Fukuda:
«
... dans le domaine économique, il y a depuis quelques années un sentiment croissant d'incertitude et d'imprévisibilité. En un sens la situation économique mondiale ressemble aujourd'hui à celle d'avant la Deuxième Guerre mondiale [...]. Les efforts de coopération globale échouèrent, l'égocentrisme était généralisé, et l'économie mondiale allait rapidement vers la régionalisation et la formation de blocs économiques. Telle était, en gros, la situation d'avant la Deuxième Guerre mondiale, et je lui trouve une ressemblance avec la situation économique d'aujourd'hui [...]. Je ne crois pas qu'il y aura une troisième guerre mondiale [...] car l'esprit de coopération est aujourd'hui beaucoup plus fort... Mais on ne peut cependant exclure l'éventualité que des pays, pour défendre leurs intérêts nationaux, recourent à des mesures économiques plutôt qu'à des mesures militaires ou aux armes nucléaires. Un tel cours serait désastreux, car il serait impossible de préserver la paix mondiale si tel devenait le comportement ordinaire de tous les pays. Les pays du monde doivent comprendre que le nationalisme économique myope... peut sérieusement miner les efforts faits dans d'autres domaines pour préserver la paix mondiale» («Far Eastern Economic Review», 13-5-1974).

Pour des marxistes, qui savent ce qu'il faut penser de la «coopération internationale» bourgeoise, on ne saurait exprimer plus clairement que le développement du capitalisme mène à l'affrontement des intérêts nationaux et à la guerre. Une telle perspective n'est évidemment pas pour un avenir proche, puisque les impérialismes jeunes qui jouent les trouble-fête dans l'équilibre économique mondial sont encore politiquement et militairement impuissants et soumis au super-impérialisme américain. Mais ce contraste entre leur puissance économique et leur impuissance politique et militaire n'est qu'une source supplémentaire d'antagonismes qui devront inéluctablement trouver leur solution à travers de nouveaux bouleversements au cours desquels, d'une manière ou d'une autre, ce fossé de plus en plus insupportable pour les Etats allemand et japonais devra être comblé.

II. - La situation de l'économie mondiale
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L'économie capitaliste mondiale a connu en 1973 le sommet d'une période de «prospérité» marquée notamment par la croissance de la production industrielle de la plupart des pays développés, la forte progression du commerce mondial (les exportations ont augmenté de 14,5 % en volume, contre + 8,5 % en 1972 et + 6,1 % en 1971), l'accroissement de la demande de matières premières, et l'accélération de la hausse des prix qui caractérise toujours la phase «montante» du cycle économique capitaliste. Après cette phase montante, le cycle se trouve maintenant dans sa phase de baisse qui le mène à la récession; à cette tendance qui est déjà en elle-même une sérieuse source de difficultés pour les économies capitalistes nationales s'ajoutent d'une part le phénomène de l'inflation, qui prend des proportions encore jamais atteintes, d'autre part les incidences de la hausse brutale du prix des matières premières (pétrole en particulier); cette hausse accule la plupart des pays développés à essayer d'exporter encore plus pour équilibrer leurs balances commerciales au moment précis où, du fait du ralentissement économique général, les marchés vont avoir tendance à se resserrer. Tous ces facteurs de crise se reflètent dans un désarroi général de la bourgeoisie - et, une fois de plus, dans les appels aux sacrifices lancés à la classe ouvrière par le chœur unanime des gouvernants avec l'assentiment et l'appui de leurs valets opportunistes.

Les crises cycliques du capitalisme
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Sans reprendre dans le cadre de ce rapport la théorie des crises cycliques de l'économie capitaliste, rappelons brièvement ce que Marx écrivait dans «Le Capital»:
«
L'expansibilité immense et intermittente du système de fabrique jointe à sa dépendance du marché universel, enfante nécessairement une production fiévreuse suivie d'un encombrement des marchés, dont la contraction amène la paralysie. La vie de l'industrie se transforme ainsi en une série de périodes d'activité moyenne, de prospérité, de surproduction, de crise et de stagnation. L'incertitude et l'instabilité auxquelles l'exploitation mécanique soumet le travail finissent par se consolider et par devenir l'état normal de l'ouvrier, grâce à ces variations périodiques du cycle industriel» (Livre 1, Ed. Soc. II, p. 133).

Et plus loin Marx précisait:
«
Jusqu'ici la durée périodique des cycles est de 10 ou 11 ans, mais il n'y a aucune raison de considérer ce chiffre comme constant. Au contraire, on doit inférer des lois de la production capitaliste, telles que nous venons de les développer, qu'il est variable et que la période des cycles se raccourcira graduellement» (Ed. Soc. III, p. 77).


Taux de croissance de la production industrielle

Un siècle plus tard, cette série de périodes d'activité moyenne, de prospérité, de surproduction, de crise et de stagnation, n'a pas cessé de se manifester. La centralisation croissante de l'économie capitaliste a provoqué une intervention accrue de l'Etat pour essayer d'atténuer tant bien que mal grâce à des commandes publiques, des «fonds d'action conjoncturelle», etc., les conséquences les plus dangereuses de ces fluctuations qui jettent périodiquement des milliers d'ouvriers sur le pavé: mais malgré l'énorme puissance des machines étatiques, le «cycle des affaires», bien que parfois adouci, demeure, et avec lui les alternances de prospérité et de dépression et donc l'insécurité permanente que le capitalisme engendre pour la classe ouvrière.

Afin de mettre ces cycles en évidence pour les principaux pays capitalistes développés, nous procéderons de la manière suivante: nous prendrons pour chaque pays la série des indices de la production industrielle, trimestre par trimestre, depuis 1963; puis, pour chaque trimestre, nous calculerons grâce aux indices l'augmentation en pourcentage de la production par rapport au même trimestre de l'année précédente. On obtient ainsi, grâce à cette méthode grossière du point de vue de la statistique mais tout à fait suffisante pour ce qui nous intéresse, une série représentant l'évolution du taux annuel de crois-

Tableau 10 - taux de croissance de la production industrielle
Pour chaque année, les 4 lignes donnent les taux de croissance pour chaque trimestre par rapport au même trimestre de l'année précédente

  1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974
Etats-Unis 3,2 7,2 8,7 8,8 3,2 3,1 4,6 0 -2,9 4,3 11,6 1,5
5,2 6,0 7,5 9,6 0,8 5,5 4,5 -2,1 -1,5 5,2 9,8 0,4
5,2 6,9 7,4 9,5 0 4,7 5,2 -3,6 -0,7 7,9 9,2  
6,2 6,9 8,3 8,5 0,8 4,6 2,2 -5,1 2,9 10,7 5,3  
Grande-Bretagne 0 11,6 3,8 2,7 -0,9 4,5 4,3 2,5 0,8 -3,2 13,4 -6,3
2,0 9,1 2,8 1,8 0 4,4 4,2 1,6 0,8 3,2 7,8 -0,9
4,1 6,9 2,8 1,8 0 7,1 2,5 1,6 0 4,2 8,2  
8,3 5,8 2,7 1,8 4,5 5,2 2,5 0,8 0 7,1 3,8  
Allemagne 1,0 9,4 8,5 3,5 -5,9 8,1 16,7 9,3 3,9 0,6 8,7 1,2
3,1 9,1 5,5 3,5 -5,9 12,6 15,2 8,3 1,3 2,5 8,6 1,5
3,0 7,9 4,6 1,7 -1,7 5,2 10,8 6,2 1,3 2,5 7,6  
5,0 7,7 2,7 -0,9 4,4 14,3 10,3 1,3 0 9,1 5,5  
Japon 3,3 19,4 8,1 5,0 19,8 17,2 15,8 19,5 9,4 2,9 17,0 7,2
7,7 16,3 4,4 10,9 18,9 19,1 16,6 18,3 5,0 5,9 18,5 1,1
14,5 14,5 1,7 15,8 19,4 16,8 17,0 16,3 1,9 7,8 18,0  
21,4 11,1 1,7 19,7 19,2 16,7 17,2 10,5 0,9 12,6 16,4  

Source: OCDE, Principaux indicateurs économiques. Chiffres calculés d'après les indices trimestriels de la production industrielle, corrigés des variations saisonnières.

sance de la production industrielle, trimestre par trimestre (tableau 10). Les graphiques obtenus à partir d'un tel tableau (ci-dessous) mettent en évidence, pour chacun des pays considérés, l'existence de cycles de production plus ou moins réguliers, plus ou moins marqués, mais qui se manifestent incontestablement avec des périodicités variant entre 3 et 5 ans (8).

On voit que pour les quatre principaux pays capitalistes occidentaux, la phase de dépression la plus récente a culminé en 1970 pour les Etats-Unis (avec une nette baisse de production), en 1971 pour l'Allemagne et le Japon (pas de baisse de production, mais ralentissement), et fin 1971 pour la GrandeBretagne (légère baisse de production). C'est précisément cette même année 1970-71 qui avait été marquée par la recrudescence du chômage, le ralentissement du commerce mondial, et de durs affrontements commerciaux et monétaires entre «alliés» occidentaux: l'apparente harmonie des rapports entre nations capitalistes, qui peut acquérir un début de vraisemblance en période d'accumulation rapide, avait fait place à la vérité des rapports bourgeois dès les premières difficultés: «A part les périodes de prospérité, écrit Marx, la lutte la plus acharnée s'engage entre les capitalistes pour leur place au marché et leurs profits...» (Ed. Soc. II, p. 133). L'année 1972 marque partout une nette reprise, qui culmine pour tous les pays considérés au premier et au second trimestre 1973; puis, à partir du milieu 1973, le taux de croissance se ralentit partout, pour tomber brusquement en 1974: la récession se généralise, ce qui signifie pour la classe ouvrière que le chômage doit de nouveau augmenter dans tous les pays à la fin de 1974 et en 1975 (9).

Le ralentissement et la stagnation sont aggravés par le fait que pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale le cycle est «en phase» chez les principaux pays capitalistes: alors qu'auparavant les phases de baisse chez les uns correspondaient à des phases de hausse chez les autres - ce qui permettait en quelque sorte à chaque économie nationale de «limiter les dégâts» par le jeu des exportations lorsqu'elle était en difficulté - le ralentissement de 1974 est simultané dans les grands pays. Ce fait doit accentuer le phénomène, les économies nationales étant interdépendantes et solidaires au sein du marché mondial: «Un ralentissement de la croissance, écrivait au début de cette année la revue américaine «Business Week», pourrait avoir un effet cumulatif, la faiblesse économique se transmettant de pays à pays par l'intermédiaire de la structure des échanges commerciaux» (16-2-1974). Si, comme il est logique de le penser, la «concomittance des phases» se poursuit, le phénomène est d'une grande importance, car il doit accentuer les à-coups de l'économie capitaliste mondiale, en renforçant la simultanéité et l'extension des crises.

L'inflation ou la fuite en avant du capitalisme
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Menacées par la récession et par la crise, les conditions de vie de la classe ouvrière sont encore aggravées par l'accélération de l'inflation dans tous les pays capitalistes développés. En grignotant insidieusement les salaires payés à la classe ouvrière, la hausse régulière des prix présente pour le capital l'avantage de tendre à augmenter le taux de plus-value et le taux de profit (10). C'est pourquoi il s'est toujours accommodé d'un certain taux d'inflation qui favorisait ses bénéfices, et qui dans le pire des cas lui permettait de reprendre d'une main à la classe ouvrière ce qu'il était obligé de lui concéder de l'autre. Mais même pour le capital, le taux tolérable a des limites: celles-ci lui sont fixées par le risque de réaction de la classe ouvrière si ses conditions de vie sont trop brutalement attaquées d'une part, par les exigences de compétitivité des marchandises exportées par chaque pays par rapport à celles de ses concurrents d'autre part. Or, malgré les énormes moyens d'intervention dont disposent les Etats nationaux, le phénomène échappe à leur contrôle, puisque le pays qui est censé dans le cercle des nations bourgeoises avoir réussi à domestiquer l'inflation, l'Allemagne, connaît d'après les derniers chiffres disponibles (11) un taux annuel de hausse des prix de 6,9 %; pour les autres pays, les taux sont respectivement de 11,8 % aux Etats-Unis, 14,4 % en France, 16,8 % en Italie, 17,1 % en Grande-Bretagne, et... 25,2 % au Japon. Devant ses propres contradictions, le capitalisme n'a plus d'autre ressource que la fuite en avant. En investissant et en concentrant le capital sur une échelle inégalée pour accumuler toujours plus de profit... il provoque la baisse du taux de profit. Il croit échapper à cette contradiction grâce au monopole qui peut fixer les prix à sa guise... mais la généralisation des pratiques monopolistes provoque la montée de l'ensemble des prix et donne le signal de l'inflation généralisée. Pour pouvoir continuer à accumuler, le capital est donc contraint de saper le pilier même des échanges marchands et des rapports de production capitalistes, la monnaie, d'accroître ainsi les tensions et la fragilité de l'économie capitaliste, et d'aggraver la crise.

La hausse du prix des matières premières
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Un second facteur d'aggravation est la hausse du prix des matières premières, et du prix du pétrole en particulier. Selon les calculs effectués par l'OCDE au début de l'année, cette hausse allait coûter pour la seule année 1974 quelques 60 milliards de dollars supplémentaires aux pays importateurs de pétrole, dont environ 50 milliards de dollars aux pays industriels développés, avec pour résultat un déficit global des balances des paiements de ces derniers d'environ 40 milliards de dollars. Les pays les plus faibles, la Grande-Bretagne et l'Italie, étaient théoriquement en état de faillite en raison de la faiblesse de leurs réserves d'or et de devises étrangères. Pour sortir de cette situation insupportable à long terme puisqu'elle risque de mener à la faillite généralisée, chaque pays cherche à combler le déficit de ses paiements d'une part en exportant plus (ce pour quoi la classe ouvrière doit «retrousser les manches» de manière à fournir, comme l'annonçait en France Giscard d'Estaing, «un 13e mois pour l'exportation»), d'autre part en important moins grâce à une limitation de la consommation («se serrer la ceinture» - la ceinture des prolétaires, évidemment) et à des mesures protectionnistes.

Mais où exporter plus? Le pouvoir d'achat des pays producteurs de pétrole augmente certes prodigieusement, mais leur capacité d'absorption de marchandises est limitée par leur arriération économique et l'étroitesse ou l'inexistence de leur marché intérieur. Seuls deux d'entre eux, l'Algérie et l'Iran, connaissent un véritable processus d'accumulation capitaliste et d'industrialisation. Mais l'ensemble des Etats producteurs est loin de pouvoir absorber des marchandises pour un montant correspondant aux recettes qu'ils vont encaisser, comme le démontrent les forts excédents commerciaux qu'ils avaient déjà en 1973 avec les pays capitalistes développés (voir tableau 4) et le fait qu'une grande partie des sommes encaissées cherche à se réinvestir... dans des placements financiers et immobiliers en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis; la rente foncière des féodaux d'Arabie Saoudite servant à acquérir de la rente foncière chez les impérialismes les plus développés, ce spectacle devrait inculquer le sens de la dialectique au plus borné des métaphysiciens, mais du point de vue du capitalisme même il ne va pas précisément dans le sens du progrès, c'est-à-dire de l'élargissement des marchés! D'autre part, nous avons montré que la capacité d'absorption des marchés des pays de l'Est était encore très limitée, et que le salut à court terme des pays capitalistes occidentaux ne se trouve pas là. Restent les marchés des autres pays développés, c'est-à-dire... des concurrents commerciaux les plus directs: mais chacun de ces pays cherche précisément à exporter plus tout en important moins, ce qui ne peut qu'aggraver la concurrence, au bénéfice des plus forts et en laissant les plus faibles sur le tapis. Le résultat est qu'en cherchant à échapper à la crise, les capitalistes ne font que précipiter l'engorgement des marchés... et donc la crise. Comme l'écrivait le «Financial Times»: «Bien que chaque pays puisse individuellement espérer vendre une plus forte proportion de sa production nationale à l'étranger, il est clair qu'ils ne peuvent tous le faire. La peur de l'inflation qui se poursuit et même s'accélère s'accompagne donc du risque d'une récession mondiale» (1-6-1974).

Impuissance de la bourgeoisie
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Le désarroi de la bourgeoisie devant cette situation est évident: on ne compte plus les déclarations et les articles évoquant la crise, le spectre des années trente, la catastrophe généralisée. Ce désarroi se manifeste aussi dans des signes matériels plus tangibles comme la hausse des taux d'intérêt, les faillites bancaires qui ont eu lieu en Allemagne et aux Etats-Unis, et ce que les spécialistes bourgeois appellent le «manque de liquidités», c'est-à-dire la rareté du capital-argent disponible pour l'investissement industriel et le prêt à cause de la perte de confiance des prêteurs. Comme l'écrivait l'éditorialiste du «Financial Times» du 29-5-74, «le manque de confiance dans les prêts à long terme crée un manque considérable de liquidités dans le monde entier»; et il concluait, en citant le «Wall Street Journal»: «Sans la confiance dans le remboursement des prêts et la sécurité des dépôts, n'importe quel système financier est menacé de l'effondrement, d'une généralisation des faillites et d'une récession profonde.»

Un autre signe est la baisse généralisée des bourses des valeurs, qui n'épargne aucune place financière: au 25 septembre 1974, la baisse subie en un an par les valeurs boursières était de 31,5 % à New York, 57,3 % à Londres, 42,4 % à Paris, 30,3 % à Bruxelles, 9,8 % à Francfort, 26,8 % à Milan, 16,3 % à Tokyo, 58,1 % à Hong-Kong, 29,1 % au Canada («The Economist», 28-9-1974).

Depuis le début de l'année, les rencontres, conférences et autres colloques des responsables bourgeois dans le cadre de l'OCDE, du Fonds monétaire international, du «Club des 5», etc., se sont multipliés pour tenter de mettre un frein à la détérioration de la situation. Mais ils ne peuvent rien changer au principe fondamental des rapports entre nations bourgeoises, qui est celui de l'antagonisme et de la concurrence, de la promotion des intérêts de chacun sur le dos de ceux des autres, de la conquête des marchés, des sources de matières premières et des zones d'influence au détriment des marchés, des sources de matières premières et des zones d'influence du voisin. Même la menace de la crise ne peut amener les nations bourgeoises à la «raison» - nous voulons parler de cette espèce de «raison» idéale du petit-bourgeois qui voudrait un capitalisme débarrassé de toutes ses contradictions. Au contraire, chacune croit pouvoir y échapper individuellement; chacune croit détenir le remède magique consistant à réduire l'inflation en diminuant les salaires réels, et à augmenter les exportations en les rendant plus compétitives grâce à l'accroissement de la productivité et à la diminution des coûts de revient (ce qui signifie travail accru pour les uns, chômage pour les autres); chacune croit en somme, sinon gagner la bataille, du moins éviter le désastre en renforçant l'exploitation de «ses» prolétaires. Mais en cherchant à échapper individuellement aux conséquences du mode de production capitaliste, les nations bourgeoises ne font précisément qu'appliquer dans toute leur rigueur ses lois immanentes et inexorables. Dans leur fuite en avant individuelle mais en même temps collective, elles ne font qu'accélérer l'engorgement du marché mondial, l'exacerbation de la concurrence à tous les niveaux, la guerre monétaire: en cherchant à échapper à la crise, elles ne font que la précipiter. Contre cette loi objective du développement capitaliste, les appels à la raison et à la coopération internationale, les propositions de réformes et les panacées petites-bourgeoises ne peuvent rien - sinon mystifier une fois de plus la classe ouvrière qui fait dans tous les pays les frais de la guerre que se livrent les concurrents capitalistes, et tenter de retarder l'heure de son émancipation.

Notes:
[prev.] [content] [end]

  1. Voir Cours de l'impérialisme mondial, «Programme Communiste», N° 61, décembre 1973. [back]
  2. Le dernier en date est le prêt de 2 milliards de dollars consenti à l'Italie par l'Allemagne début septembre. [back]
  3. Source: ONU, «Bullelin mensuel de statistiques», juin 1974. [back]
  4. Voir dans «Le Prolétaire» N° 140 à 142 le rapport sur L'impérialisme et les matières premières. [back]
  5. Rappelons à ce propos qu'au plus fort de la «crise» la Russie a fourni du brut aux Etats-Unis. Pur gage de bonne volonté politique, d'ailleurs, puisque les Etats arabes n'ont jamais cessé de fournir l'Oncle Sam! [back]
  6. Ce bel exemple de «coopération harmonieuse entre les nations» a été signalé par «The Economist», 1-12-73. [back]
  7. Rappelons qu'il occupe déjà la première place pour les exportations de produits manufacturés, et que près de 50 % de ses exportations sont constituées par des biens d'équipement, c'est-à-dire ceux dont la production croît le plus rapidement dans le mécanisme de l'accumulation capitaliste. [back]
  8. Rappelons que notre propos n'est ici ni de calculer la périodicité exacte des cycles, ni de déterminer si certains sont plus importants que d'autres, mais simplement de mettre en évidence le fait que la croissance capitaliste ne s'effectue pas de manière continue et harmonieuse, mais à travers des alternances de prospérité et de dépression, avec toutes les conséquences qui en découlent pour la classe ouvrière. [back]
  9. Une illustration supplémentaire du cycle capitaliste dans une branche particulière nous est donnée par le récent rapport du Bureau national du développement économique britannique (NEDO), consacré au cycle de 5 ans de l'industrie de la machine-outil: le cycle, dit ce rapport, est «un trait endémique d'une économie de libre marché, même si elle est en croissance rapide». Quels en sont les effets? Eh bien «il crée un certain malaise parmi les employés. Ceux qui sont licenciés pendant une récession ne reviennent généralement pas quand vient la reprise [les ingrats!], les employés qui restent sont inquiets quand leur tour d'être licenciés risque d'arriver, et cherchent du travail ailleurs; les recrues potentielles pour l'industrie sont aussi chassées. Le problème est rendu encore plus aigu parce que les gens concernés tendent à être qualifiés» («Financial Times», 21-8-74). Ainsi la plus ancienne des nations capitalistes, celle qui a introduit le Welfare State, avoue n'avoir pas réussi à instaurer la sécurité pour les ouvriers qualifiés d'une industrie qui est au cœur même du développement capitaliste! [back]
  10. Voir Inflation, profits et salaires, «Programme Communiste» N° 63. [back]
  11. OCDE, Principaux indicateurs économiques, septembre 1974. [back]

Source: «Programme Communiste» N° 64, octobre 1974.

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