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HISTOIRE DE LA GAUCHE COMMUNISTE
1912 - 1919

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Tome 1 | Tome 1 bis | Tome 2 | Tome 3 | Tome 4


Première Partie
Introduction | 1 - 5 | 6 - 10 | 11 - 15 | 16 - 20 | 21 - 24 |
25 - 28

Seconde Partie
1 - 10 | 11 - 20 | 21 - 30 | 31 - 40 | 41 - 50 | 51 - 56


Content:

La ligne historique de la gauche communiste des origines à la fin 1919 en Italie
25 - Premiers pas incertains du Parti et réactions vigoureuses de la Gauche
26 - Escarmouches préélectorales
27 - Les grandes luttes prolétariennes et leurs reflets dans le Parti
28 - Les graves divergences d'orientation dans le Parti
Notes
Source


La ligne historique de la gauche communiste des origines à la fin 1919 en Italie

25 - Premiers pas incertains du Parti et réactions vigoureuses de la Gauche
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La Direction devait convoquer le Parti, et le Parti seul. Mais elle hésita devant le vide et mit en place pour les 22 et 23 décembre une autre de ces réunions hybrides dans laquelle elle se laissa attaquer à fond par la droite, sans savoir réagir, et accepta une proposition… obscène, celle de la célèbre constituante du prolétariat!

Nous rapportons plus loin la motion votée ainsi qu'un article décisif de commentaires de «Il Soviet» de Naples du 29 décembre 1918 afin de montrer que nos critiques ne sont pas nées aujourd'hui. Nous aurons ainsi un cadre exact de la situation en Italie à la fin de la dernière année de guerre.

L'«Avanti!» du 22-23 décembre 1918 donna un compte rendu de la réunion socialiste tenue à Bologne avec la présence de la Direction, de la CGL, du Syndicat ferroviaire, de la Ligue des communes socialistes et du Groupe parlementaire. Les points à l'ordre du jour furent les 4 du programme immédiat - sur lesquels il n'y eut pas de désaccord - ainsi qu'une première étude en vue de la réalisation du programme maximum ou, comme c'est indiqué ici, «maximaliste», selon un ordre du jour que l'on lira en partie dans la motion Turati-Prampolini du 14 janvier 1919. Dans la motion finale on lit que les organes convoqués:

«Alors qu'ils reconnaissent la nécessité d'une agitation immédiate pour les objectifs indiqués aux points 1, 2, 3 et 4 de l'ordre du jour [le programme minimum] de la Direction, retiennent que la décision sur la possibilité et sur les moyens d'agitation pour les buts maximalistes indiqués dans le même ordre du jour et mieux spécifiés dans un autre ordre du jour de la Direction, et jugés par elle immédiatement réalisables, est de la compétence du prolétariat organisé politiquement et économiquement, et - invoquant la convocation du congrès des organisations intervenant à la présente réunion, suivant les modalités de leurs statuts respectifs - passent à la discussion des moyens afin de mener l'agitation pour atteindre les objectifs évoqués aux points 1, 2, 3 et 4 [le programme minimum] de l'ordre du jour cité.»

Suivirent des réunions et des congrès des différentes organisations, politiques et économiques, sur les problèmes du programme maximum.

Et voici, dans «Il Soviet» du 29 décembre 1918, la réponse opportune et vigoureuse de la gauche:
«
Dimanche 22 décembre, les représentants de la Direction du Parti socialiste, du Groupe parlementaire socialiste, de la Confédération générale du travail, de la Ligue des communes socialistes et du Syndicat ferroviaire Italien se sont réunis à Bologne dans le but de discuter les moyens de réalisation du programme de revendications immédiates formulé par cette même Direction à la réunion des 7-11 courant et comprenant les points suivants:

1 - Démobilisation immédiate de l'armée.
2 - Retrait immédiat des soldats de la Russie révolutionnaire.
3 - Droit aux libertés civiques fondamentales.
4 - Amnistie pour tous les condamnés politiques.

Du compte rendu paru dans l'«Avanti!» du 25 courant, il résulte que les participants ont aussi voulu discuter des délibérations de la Direction sur le programme maximum d'action, lequel dit que le Parti se propose d'instituer la république socialiste et la dictature du prolétariat.

Nous ne nous attarderons pas à contredire les affirmations anti-révolutionnaires des députés et organisateurs réformistes qui n'ont rien de nouveau.

Nous protestons cependant contre l'ingérence des différentes organisations, qui ont leurs propres tâches bien délimitées, sur le terrain des tâches du Parti socialiste, qui est de tracer les grandes directives de l'action politique du prolétariat.

Précédemment, lors du dernier congrès, on a critiqué à diverses reprises le fait que la Direction soumette ses délibérés à l'accord du Groupe parlementaire et de la Confédération. Nous, de l'extrême gauche, avons toujours été des adversaires résolus de la proposition Treves pour la création d'un Comité de ces trois organisations, qui aurait d'après elle dû assumer depuis la fin de la guerre la direction de la politique ouvrière.

Cette proposition a été faite sous diverses formes, et nous la voyons réapparaître dans l'ordre du jour voté à la réunion de Bologne pour une espèce de Constituante du prolétariat.

Ces assises ouvrières devraient être élues par les Congrès nationaux des différentes organisations réunies à Bologne (pour éviter une possible confusion entre les termes, nous prévenons nos lecteurs de ne pas confondre cette proposition de Constituante du prolétariat avec l'Assemblée nationale constituante dont on parle par ailleurs et dont nous nous occuperons dans un autre article de fond du prochain numéro).

Nous sommes nettement opposés à cette délibération et à cette proposition. Avant tout nous ne saurions pas dire de quels congrès peuvent prétendre obtenir un mandat le Groupe parlementaire socialiste et la Ligue des communes, tous deux étant des organes du Parti socialiste, dont le congrès s'exprime à travers sa Direction élue par la majorité.

Ce que pensent collégialement la majorité des députés ou des maires socialistes, en s'exprimant à travers leurs votes, a une valeur nulle dans la détermination de la politique socialiste.

Quant aux organisations syndicales, elles peuvent réunir leurs Congrès, mais ceux-ci n'ont pas la valeur de consultation des congrès du Parti, pour lesquels chaque section discute et nomme ses propres délégués; alors que les ligues de métiers ne sont pratiquement jamais convoquées pour discuter, et que leur représentation est assurée par les organisateurs qui, par définition, ne reflètent pas la pensée des masses.

Que la Direction ait le courage de déclarer explicitement que le Parti socialiste italien, organe politique de classe, représente bien mieux que les réunions des députés, des maires ou des organisateurs de profession, la volonté du Prolétariat Italien, qu'elle l'encourage de son soutien et de sa sympathie lors de ces tristes heures où l'adversaire semble pouvoir crier victoire, et que le prolétariat s'accroche d'autant plus à celle-ci que l'heure de la rescousse et de notre victoire est proche.»

Plus significatif encore est l'ordre du jour voté à la réunion méridionale déjà mentionnée du 29 décembre 1918 émanant de la section de Naples:

«Les représentants de la section socialiste réunis à Naples,
saluent les travailleurs du monde entier en lutte contre la domination capitaliste qui, vaincue en Russie, s'effondre en Allemagne et chutera successivement dans tous les autres pays;

déclarent que la doctrine marxiste et les expériences socialistes contemporaines convergent toutes dans la détermination du développement historique conduisant au socialisme: lutte du prolétariat organisé en parti de classe contre la bourgeoisie; conquête révolutionnaire du pouvoir politique; organisation du prolétariat en classe dominante; intervention du gouvernement socialiste dans tous les rapports de l'économie pour réaliser la socialisation des moyens de production et d'échange, dans le but de supprimer les classes et d'instaurer le régime de la solidarité et de l'égalité sociale;

retiennent que, à l'exception de ces buts historiques spécifiques, le PS ne doit pas s'employer à la réalisation de buts minimaux tendant à rendre plus supportable et donc plus durable le régime bourgeois;

affirment qu'il est du devoir urgent du PS d'intensifier le travail de propagande et d'organisation interne pour se trouver en mesure de guider le prolétariat dans les conquêtes de la révolution;

pensent que les organisations syndicales participeront d'autant plus à ces grandioses événements qu'elles s'y préparent fermement, répudient tout compromis avec la classe bourgeoise et reconnaissent la valeur politique de la lutte de classe, donnent à leur travail un caractère socialiste et poussent l'avant-garde des travailleurs organisés dans les rangs du Parti;

repoussent la proposition d'Assise prolétarienne ou de Constituante ouvrière votée à Bologne le 22 décembre, contestent que le Groupe parlementaire et la Ligue des communes puissent délibérer et suivre une direction contraire de celle sanctionnée par le congrès du Parti, dont ils sont de simples organes exécutifs;

s'affirment certains que la Direction saura revendiquer pour le Parti la tâche de tracer la voie de l'action politique révolutionnaire du prolétariat; et que celle-ci répondra à l'appel du Parti, avec lequel elle partage en frémissant les heures de l'adversité et des persécutions, quand sonnera l'heure de l'épreuve suprême, que les desseins et le travail des socialistes doivent hâter au travers de tous les efforts et sacrifices.»

Dans une réunion inter provinciale à Milan, le même 29 décembre, les directives de la gauche prévalurent et Interlinghi présenta une motion, qui fut approuvée, concluant sur les objectifs de république socialiste et de dictature du prolétariat.

Ainsi, pendant que dans toute l'Italie les organisations de base du Parti et sa vivace presse hebdomadaire s'orientaient vers les thèses de la gauche, les réformistes prévalurent dans le Groupe parlementaire, s'agitèrent et se réunirent à Milan les 12 et 13 janvier, suite aux délibérations de Bologne qui lui avaient conféré un pouvoir illégitime.

À cette réunion étaient également présents la Ligue des communes socialistes et la Confédération générale du travail. On déclara que la réunion faisait suite à celle de décembre et aux décisions de la Direction du parti, orientées vers l'obtention des moyens de lutte pour les quatre points du programme immédiat, et on se référa à la motion politique de la Direction pour en faire une critique catégorique. À porter au mérite de la Direction, on trouve une phrase reportée dans cette critique et que l'on ne trouve pas dans les textes précédents: «la paix internationale n'est réalisable qu'après la démolition du régime capitaliste bourgeois.»

Après quelques observations des représentants de la Direction, l'assemblée reconnut n'avoir qu'un rôle consultatif dans la détermination de la politique du parti. Quand on en vint aux votes, seuls les députés votèrent avec la répartition suivante: 9 pour la motion Turati-Prampolini, 7 pour une motion de Bussi, un peu moins à droite, et 4 abstentions de membres les plus à gauche: Caroti, Maffi, Morgari et Basaglia.

Un ordre du jour de Treves sur la politique internationale, d'une rédaction habile mais d'un ton totalement réformiste, fut voté à l'unanimité. Les appétits impérialistes des puissances victorieuses de l'Entente y étaient déplorés, ainsi que les excès des minorités nationalistes fermentant dans toute l'Europe à travers des heurts sanglants. On invoqua l'action du Bureau International plus que putréfié pour organiser une défense socialiste, et on finit avec l'éloge de l'«idéalisme wilsonien» (Treves, qui critiquait l'idéalisme de la gauche, l'exalta chez le répugnant quaker qu'était le président américain!) par une formule exécrable: la convergence dans un autre système des intérêts politico-capitalistes en harmonie avec les buts les plus immédiats du prolétariat… (!!). On devançait ainsi, en soulevant les invectives contemporaines de Lénine, la coexistence pourrie de 1960 et des années suivantes.

Mais il y eut encore pire dans la motion Turati-Prampolini. Rappelant le programme maximum de la Direction et ses quatre points mal posés, elle a beau jeu d'observer «que - en faisant abstraction de l'étrange mélange de socialisme maximaliste abstrait et de syndicalisme corporatiste concret, et donc antisocialiste, contenus dans l'énonciation susmentionnée - la formulation d'un tel programme d'ensemble, indivisible dans ses parties comme dans son esprit, révèle une irrémédiable contradiction théorique, tactique et pratique entre les objectifs qu'elle met en avant, et impliquerait l'abdication de l'action socialiste, tant par rapport à ses buts immédiatement ou rapidement réalisables que - par nécessaire conséquence - par rapport à ses objectifs plus lointains…» Et, en continuant, on condamna l'affirmation de l'impossibilité de la paix avant la chute du capitalisme pour exalter un pacifisme démocratique. On déplora l'illusion que le socialisme puisse vaincre par un acte de volonté instantané et prodigieux de la part de minces minorités. On exorcisa le recours à des «tentatives de violence.» On condamna «l'allusion imprécise et équivoque à une dictature du prolétariat sur la majorité nationale» comme destinée à provoquer une réaction de droite. On qualifia la grève générale de provocatrice et capable d'entraîner des désastres prolétariens. On encensa les conquêtes graduelles du pouvoir et l'éducation des grandes masses à son exercice (depuis quand ces conquêtes ne remplissent-elles pas les panses des contre-révolutionnaires et des traîtres au socialisme??). On renouvela la litanie des revendications minimum. Et ainsi de suite. Finalement on invita les travailleurs à se rapprocher non du parti socialiste mais de ses représentants parlementaires et de leurs efforts, ainsi que des représentants syndicaux et communaux.

Cette motion fut un vrai manifeste de provocation des forces contre-révolutionnaires, bien installées dans le parti. Il nous convainquit, nous, de la gauche, que pour espérer une issue favorable à la classe ouvrière et au socialisme des luttes de l'après-guerre, ces forces devaient être battues et expulsées.

Il faut noter que le même d'Aragona qui présentait pour la Confédération les points programmatiques indiqués ci-dessus, dit entre autres approuver «les affirmations maximales [sic!] de la Direction du parti quand elles indiquent l'aspiration à une conclusion définitive du processus historique que la guerre a accéléré.» Les députés socialistes se sont donc montrés plus audacieux dans leur poussée à droite que les tristement célèbres bonzes syndicaux…

Le 30 janvier, au milieu de cette véritable mobilisation des forces de la droite, le conseil national de la Confédération se réunit encore à Bologne et développa le programme de novembre. Le 2 février l'«Avanti!» rapporta la motion finale et divers discours.

Le quotidien du parti, s'il protesta contre le sabotage politique de son travail, n'en rendit que peu responsable la droite: la réunion parlementaire apparaît sous le titre: Les députés socialistes contre la dictature impérialiste, et la réunion confédérale est présentée simplement sous le titre: Les directives de la Confédération du Travail fixées par la réunion nationale.

Nous trouvons ici, plus que lors de la réunion des députés, des traces des réactions de la gauche. Le député Cagnoni fit de sérieuses observations aux orateurs de droite. Polano, qui représentait la Fédération des jeunes, déclara ne pas voter l'ordre du jour à cause du peu de clarté de la rédaction sur la distinction entre programme minimum et maximum. La première motion approuva huit des points de détail des revendications immédiates. On passa ensuite aux quatre de nature politique. Cagnoni intervint encore pour laisser la responsabilité de ces questions au parti. Le réformiste Bianchi (Giuseppe) défendit à fond l'orientation confédérale. Cet habile polémiste, dont nous montrerons à diverses reprises la duplicité, prétendit citer Marx à l'encontre de la dictature du prolétariat. Selon lui (dommage qu'il soit mort et qu'on ne puisse plus le narguer en lui fournissant les preuves) les paroles suivantes seraient de Marx: «Ce qui importe au prolétariat est de se préparer par le développement de ses organisations économiques et politiques - quoi qu'il puisse advenir - à être à la hauteur des événements. Plus cette organisation autonome de la classe ouvrière se développera, plus la conception primitive et simpliste de la dictature du prolétariat devra subir de profondes modifications. Avec un prolétariat puissamment organisé on peut admettre qu'il ne s'agira pas d'utiliser l'État bourgeois à d'autres fins, mais de lui substituer le nouvel Etat qui est déjà en formation à travers des vastes organisation syndicales et coopératives.» (!!??)

Il s'agissait d'un faux grossier, et il y aura bien un camarade qui trouvera, dans la presse de l'époque, comment on le fit régurgiter au super-droitier orateur. Il le présenta en conclusion de la motion confédérale, qui fut vivement discutée. Le député Nino Mazzoni, néanmoins homme de foi et de courage à toute épreuve, fit un puissant discours contre la partie concernant la transformation corporatiste du parlement. Il montra que cette tendance néo-corporatiste, voulant un retour vers des formes du Moyen Age, était puissante dans nombre de sphères capitalistes, et blâma les dégénérescences du labourisme et de l'ouvriérisme vulgaire. En tant que social-démocrate, Mazzoni affirma que «la désignation de la souveraineté des masses ne peut se faire qu'à travers une compétition d'intérêts généralisée sous la bannière de l'idéalisme politique.» Ce n'était pas une formulation doctrinale de marxiste révolutionnaire mais le signal d'un grave danger déviationniste que dans les années suivantes nous pourrons désigner sous les noms de Mussolini, de Gramsci et de Kroutchev.

On vota par sections. Le point sur lequel s'opposa Mazzoni n'obtint qu'une faible majorité: 88 481 contre 75 773 voix. Mais les représentants ne se prenaient pas pour rien! L'ignoble motion fut donc approuvée à l'unanimité. Le vrai parti politique et l'organisation des socialistes italiens errait dans une dangereuse incertitude.

Le 9 février se réunit à Berne une conférence internationale socialiste. Les invités italiens, Morgari et Casalini, se retirèrent sagement après avoir constaté qu'il ne s'agissait pas de redonner vie à l'Internationale sur la base de la lutte de classe, mais de faire une nouvelle tentative de réunion des socialistes des seuls partis des pays victorieux. D'autres sections d'orientation classiste se retirèrent également.

Les camarades bolcheviks russes, pendant ce temps, travaillaient à la fondation de la Troisième Internationale communiste. Finalement la Direction se réunit du 18 au 22 mars 1919 à Milan, avec un esprit plus décidé, et par 10 votes contre 3 décida l'adhésion à l'Internationale révolutionnaire.

L'extrême gauche avait depuis longtemps demandé l'adhésion à Moscou et fait comprendre que c'était un problème à résoudre par la Direction et le Congrès national, sans avoir à demander l'avis des organisations économiques ou du groupe parlementaire. La section socialiste de Naples s'était prononcée dans ce sens, comme il ressort de l'extrait suivant du n° 14 de «Il Soviet» (11):

«La IIIe Internationale va bientôt être un fait accompli. Il y a une proposition formelle du gouvernement des Soviets de Russie pour sa constitution. [censure]

… À ce propos la section de Naples a voté l'ordre du jour suivant: «La Section socialiste de Naples invite la Direction du Parti à accepter intégralement la proposition du Parti communiste russe pour la constitution d'une nouvelle Internationale, et à couper toute relation avec le Bureau international socialiste de Bruxelles».»

La Direction du parti accepta formellement, à Milan, la proposition russe, avec le vote de la délibération suivante, qui - écrivit «Il Soviet» - «a notre accord inconditionnel»:

«La Direction du PSI,
prenant acte du fait que le «Bureau socialiste international» est désormais un instrument de la politique de guerre de la bourgeoisie pseudo-démocratique, tendant à la mystification du prolétariat, n'éprouve que de la gêne à la perspective de la reprise d'activité de l'Internationale socialiste révolutionnaire; constatant que tous les efforts réalisés pour redonner vie au prolétariat socialiste moyennant l'action du BSI, qui s'est transformé en otage de la bourgeoise impérialiste de l'Entente, ont été vains; que l'alliance constituée à Berne entre les tendances social-patriotiques des impérialismes de l'Entente ainsi que les tendances social-patriotiques des impérialismes des Empires centraux, met en pleine lumière le caractère réactionnaire de toutes les fractions qui n'ont par tenu les engagements de l'Internationale contre la bourgeoisie capitaliste qui a lancé les peuples dans la guerre;

- constate de ce fait inconcevable la permanence d'un organisme unique où se retrouveraient ceux qui ont été fidèles aux principes de l'Internationale et ceux qui l'ont trahie et s'opposent à la réalisation du socialisme;

- tenant compte du fait que le Bureau, au lieu de pourvoir, aussitôt arrêté le conflit mondial, à la convocation des partis et organisations adhérents, se hâta de tenir la conférence de Berne qui ne fut rien d'autre qu'un travestissement de Conférence internationale socialiste;

- décide de cesser toute relation avec le BSI, de travailler à la constitution de l'Internationale socialiste révolutionnaire sur la base et sur les principes exposés par les camarades russes, et à une Conférence internationale socialiste contre les traîtres au prolétariat;

- décide par ailleurs d'œuvrer activement pour obtenir que les socialistes de tous les pays restés fidèles à l'Internationale socialiste adhèrent à cette idée, soit en les convoquant en réunion préliminaire, en dépit de toute interdiction, soit en menant toute action apte à atteindre les buts délibérés.»

26 - Escarmouches préélectorales
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La réunion de la Direction eut lieu du 18 au 22 mars 1919 à Milan. L'ordre du jour, rapporté avec de légères différences dans «Il Soviet» et l'«Avanti!» (il faut penser à la censure) porte les signatures de Gennari, Serrati et Bombacci. Il obtint dix votes contre trois. Nous ne savons pas qui furent les trois adversaires, ni si Lazzari fut parmi eux.

La Direction ne pouvait pas ignorer les protestations qui venaient de toutes parts après les réunions insatisfaisantes du Groupe parlementaire et de la Confédération du Travail, dont nous avons parlé plus haut.

Parmi d'autres hebdomadaires du parti, «Il Soviet» rédigea un vigoureux article, dans son numéro du 2 février, contre l'attitude du groupe parlementaire, et critiqua âprement le conseil national de la Confédération du 31 janvier, dans son numéro du 9 février, avec un article sous le titre L'accouchement du labourisme italien, soulignant l'accord du fascisme mussolinien à cette orientation pernicieuse qui, insensiblement, et sans trouver d'autre résistance que celle des forces de la batailleuse gauche italienne, se propagera pendant des décennies sous les formes de l'ordinovisme et du kroutchévisme. On y lit:

«La Confédération travaille de cette manière contre le Parti et contre la Révolution à travers un accord significatif avec la classe industrielle qui se révèle par divers indices sur lesquels nous porterons notre attention, et prépare avec le consensus des Mussolini ce Parti du Travail qui, faisant sienne une politique corporatiste et réformiste, se fera le bouclier de la bourgeoisie italienne contre le bolchevisme du Parti.

Face à cette situation nous pensons qu'il faut organiser des manifestations des masses confédérales contre ces dirigeants confédéraux et pour la politique du parti, auquel elles doivent remettre la direction de la lutte politique plutôt qu'aux quelques secrétaires et fonctionnaires propres aux organisations syndicales. Mais que fait la Direction au lieu de cela? Et comment l'«Avanti!» peut-il publier les prolixes comptes rendus confédéraux sans les commentaires nécessaires pour protéger le prolétariat des fausses positions qui y sont contenues?

On verra avec quelle détermination on marchera résolument vers une sélection, que les réformistes accélèrent de leur côté par leur indiscipline, et on en terminera avec le spectacle d'incertitude et de contradictions qui ronge les nerfs et détruit l'énergie du prolétariat socialiste.»

La Direction, donc, lors de la séance dont nous parlons, revint sur la question. On trouvait à l'ordre du jour la question de l'action pour les «quatre points immédiats» (démobilisation, libertés, retrait des troupes de Russie et de Hongrie, amnistie générale et complète): la Direction confirma la proposition d'organisation d'une grève de soutien à ce programme, grève dont «la proclamation sera faite dès que le travail d'organisation et de cohésion des forces prolétariennes et socialistes donnera confiance en son plein et complet succès.» Au cours de la réunion, furent vivement critiqués le Groupe parlementaire et la Confédération du travail. Le premier pour avoir introduit au détriment du susdit programme minimum «la diversion de la réforme électorale», et la seconde pour sa proposition de Constituante. Sur ces critiques l'ordre du jour suivant est voté:

«La Direction… constate encore une fois que l'activité des représentants politiques dans et hors du Parlement n'est pas à même de satisfaire à l'action réclamée par la gravité du moment présent et aux exigences que celui-ci impose au Parti [Repossi s'abstint sur cette partie «parce qu'il est nécessaire de condamner de manière plus précise le travail du Groupe, plus particulièrement la réunion des députés à Milan et ses délibérations, ainsi que sa conduite lors de la présentation du projet de loi pour la proportionnelle»], il réclame des sections concernées une vigilance attentive sur le travail effectué par leurs députés, dans le but d'en obtenir un meilleur accord avec les organes directeurs du Parti, et la réalisation de leur mandat selon les volontés expresses du dernier Congrès national, et pour l'heure, réclame qu'elles assurent en priorité leur devoir de solidarité internationale, que le Parti a toujours mis en avant, afin d'assurer la liberté et le triomphe de la République Socialiste de Russie.»

Rappelons que les partis parlementaires de la gauche bourgeoise avaient approuvé la réforme faisant passer du scrutin uninominal (le suffrage universel avait déjà été donné par Giolitti pour faire passer la «pilule» de la guerre de Tripoli) au scrutin de liste par provinces, avec représentation proportionnelle. Les partisans de Giolitti, de Nitti et les catholiques, en se parant de leur qualité d'ex-neutralistes, faisaient le jeu des responsables de la guerre en offrant ce jouet au prolétariat. Le camp socialiste, lui, devait affirmer bien autre chose: que la fin de la démocratie élective c'était la dictature du prolétariat. Mais messieurs les députés de la droite avalèrent la pilule amère sans sourciller et magnifièrent cette conquête démocratique: d'où la juste colère de Luigi Repossi. Cette situation se répétera dans le second après-guerre avec l'élargissement du suffrage aux femmes malgré les sempiternelles plaintes des prêtres. Quant à nous, nous crions avec Marx depuis un siècle: assez de démocratie! - cela contre toutes les générations de charognes qui glapissent: plus de démocratie!, se faisant ainsi les apôtres de la contre-révolution.

Ce qui entraînait le parti n'était pas la vision radieuse d'une Europe rouge mais celle obscène d'une vaste orgie de victoires électorales.

La Direction fut vite contrainte de s'occuper de cette question, dont discutait tout le parti. La section de Naples avait été la première à se prononcer pour l'abstention aux élections générales qui s'approchaient, et «Il Soviet», organe de la fédération napolitaine, évoluait vers sa seconde fonction, celle d'organe d'un mouvement national, la Fraction communiste abstentionniste du PSI. De toutes parts en Italie provenaient à «Il Soviet» les adhésions non de camarades isolés, mais de groupes et de sections entières du parti. La polémique commençait à s'accentuer et la droite du parti s'alarmait. À peine vaut-il dire que les premiers arguments lancés dans cette polémique par les «électoralistes» invétérés furent de nous traiter d'extrémistes enragés, d'éléments anarchistes qui retournaient aux positions d'avant 1892, et bien sûr de bakouninistes. Nous verrons plus loin comment le courant de «Il Soviet» non seulement n'avait aucune position anarchiste ou syndicaliste, mais au contraire était caractérisé par la plus rigide condamnation, sur une base marxiste, de l'anarchisme et du syndicalisme à la Sorel, et était loin d'un insurrectionnalisme aveugle et barricadier.

Aucun des membres de la Direction ne se fit le porte-voix de la position abstentionniste, il n'y eut qu'une vague allusion de Gennari, dont nous reparlerons, et l'ordre du jour sur la participation aux élections fut voté à l'unanimité.

La prise de position des abstentionnistes se retrouva dans les réunions méridionales de Campanie, les réunions de section à Naples, ainsi que dans les articles: «L'illusion électorale» du 9/02/1919, «Contre l'intervention dans la bataille électorale» du 16/02, «Elections ou conquête révolutionnaire du pouvoir, Contre le préjugé électoral», du 23/02 et se retrouve peu ou prou dans chaque numéro. Il faut dire qu'il est faux d'indiquer que «Il Soviet» ne s'occupait que de la question de la tactique électorale. Dans le numéro susnommé on traite de: «Le bolchévisme, plante de tous les climats», qui est une réponse préventive aux trahisons staliniennes postérieures, et, sans vouloir tout citer, dans le numéro du 27/04: «L'utopie de la paix bourgeoise», où l'on prend position contre cet autre futur chancre de la politique révolutionnaire, l'infâme pacifisme.

Voici le texte du vote de la Direction, dans lequel nous signalons la timide réserve initiale indiquant que la révolution politique pourrait précéder la convocation des élections! Ce que nous revendiquions était au contraire de sauver le prolétariat et son parti du naufrage et de la noyade dans l'orgie légaliste, situation dans laquelle la bourgeoisie avait intérêt à l'attirer. Quand «Il Soviet» écrivait: «Ou élections, ou révolution», il voulait dire qu'on ne devait pas se jeter dans les élections mais se consacrer au contraire à la préparation de l'action illégale pour la prise du pouvoir, dont on ne prétendait pas, comme nous le verrons, préfigurer la date - comme il était au contraire possible de le faire pour la journée de la folle course aux urnes.

«La Direction, confirmant à toutes les sections et à tous les organes du Parti le devoir de rendre plus intense et plus tranchée l'agitation en vue de l'action immédiate et pour les objectifs qui constituent l'orientation de la politique actuelle du Parti,

- face à la possible convocation des élections avant que l'effort libérateur du prolétariat n'aie porté aussi en Italie la classe travailleuse à la prise du pouvoir exécutif;

- rappelle que la méthode électorale pour la conquête des pouvoirs publics est une partie constitutive du programme fondamental et de l'histoire du Parti, lequel ne peut y renoncer sans perdre son authentique caractère;

- retient que les délibérations des derniers congrès nationaux indiquent clairement et suffisamment la tactique parlementaire que le Parti doit suivre pour maintenir également sur le terrain parlementaire l'indépendance et la séparation de l'action socialiste de celle de tous les courants politiques de la classe dominante;

- décide d'employer toutes les sections du Parti à la préparation du travail parlementaire, adoptant pour le choix des candidats la méthode du scrutin par larges circonscriptions régionales qui seront déterminées par la Direction du Parti, avec représentation proportionnelle (méthode que le Parti réclame énergiquement de l'État pour les élections) et suivant les critères suivants: une inscription au Parti pour une période non inférieure à cinq ans et l'acceptation de la discipline du Parti hors et dans le Parlement;

- établit qu'en cas de ballottage aucun appui ne sera donné aux candidatures extérieures au Parti, et que les candidatures se trouvant en minorité numérique évidente seront retirées;

- détermine que, dans la lutte électorale, les lignes directrices suivantes doivent servir de base à l'agitation dans la présente période de luttes politiques:

- soutenir face au système législatif parlementaire de la bourgeoisie le système de représentation politique au moyen des Conseils de travailleurs;
- révéler les mensonges de la démocratie bourgeoise en condamnant les responsables de la guerre, pour opposer à la dictature des exploiteurs celle des exploités;
- démontrer la nécessité qu'à la conquête du pouvoir politique le prolétariat doit ajouter celles du pouvoir économique pour créer les nouvelles organisations adaptées à la gestion collective pour la production et la distribution des richesses.
»

À noter que Gennari avait proposé d'insérer un préambule indiquant qu'on n'aurait participé aux élections que dans le cas où «n'adviendraient pas de nouveaux événements rendant possible la réalisation de notre programme d'action» et à la condition que soient assurées la liberté maximum de propagande et de vote, la démobilisation générale et l'amnistie complète: «Si de telles conditions ne sont pas assurées et respectées, les élections devront être empêchées par tous les moyens.» La proposition n'eut pas de suite.

En commentant ce vote, «Il Soviet» du 30/3/1919 exprima sa désillusion devant le fait que la Direction «maximaliste» ait décidé la participation du Parti aux élections. Il confirma l'acceptation de la discipline aux décisions mais releva que

«pendant que la Direction approuve l'action maximaliste et accepte les élections, il existe dans le parti d'autres éléments qui acceptent les élections mais nient l'action révolutionnaire. Avec ces derniers il ne peut ni ne doit y avoir de collaboration, ni de notre part à nous abstentionnistes, ni de la part des camarades maximalistes favorables aux élections.»

Et en conclue qu'il était nécessaire de convoquer le Congrès national socialiste pour parvenir à l'irrévocable «coupure» d'avec la droite opportuniste - coupure qu'en automne, au Congrès de Bologne, l'extrême gauche proposera de nouveau, prête à sacrifier à cet effet la position abstentionniste, mais que les creux défenseurs du maximalisme repoussèrent.

Parmi les incertitudes évidentes des organisations de lutte de la classe ouvrière, à qui il manquait une claire vision des directives à suivre, et pendant que s'affrontaient les ordres contraires et incompatibles entre eux, se développèrent irrésistiblement les premiers mouvements prolétariens, dont nous ne pouvons dresser le tableau qu'à grands traits.

27 - Les grandes luttes prolétariennes et leurs reflets dans le Parti
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Toutes les catégories réclamaient les huit heures et le salaire minimum, poussées par la rapide perte de valeur de l'argent rendant dérisoires les salaires restés fixes depuis le début de la guerre, sauf pour quelques travailleurs spécialisés. Les graves problèmes et luttes économiques surgissaient des effets de la démobilisation militaire, des exigences des invalides et mutilés, des veuves et orphelins de guerre, auxquels l'administration étatique ne pourvoyait que de manière inadaptée et avec une grande lenteur. En opposition aux associations patriotiques d'anciens combattants se forma la grande Ligue prolétarienne des mutilés qui se montrera puissante et combative.

La catégorie des métallurgistes, qui se débarrassait des obligations semi-militaires de la guerre, était particulièrement combative. Nous avons déjà parlé de la lutte des métallurgistes de la région de Naples, où cette catégorie de travailleurs était pourtant à l'état naissant.

Les premiers jours de février 1919 éclata à Trieste une grève des cheminots qui paralysa les opérations de déplacement des troupes occupant la Vénétie julienne. La répression de la «grève politique» fut énergique: le tribunal accusa les grévistes «d'avoir abandonné de manière improvisée le travail auquel ils étaient astreints auprès des chemins de fer de l'État» et condamna au maximum: 5 ans et 2 000 lires d'amende pour 5 cheminots, 3 ans et une amende pour près de 40 autres accusés. Ce furent les premiers des «irrédentistes».

Le 5 février les huit heures furent reconnues aux 500 000 métallurgistes, après une longue lutte. Pour les mêmes objectifs les cheminots, ouvriers du textile, employés administratifs, etc., étaient en lutte dans toute l'Italie.

En mars les métallurgistes ligures furent en grève pendant 11 jours, les ouvriers agricoles de Novare 8 jours; les métallurgistes de Brescia se mirent aussi en grève. Les cheminots de Trieste luttèrent sept semaines jusqu'à ce qu'ils obtiennent leur réintégration aux conditions reconnues par l'administration autrichienne.

Mais il est pratiquement impossible de faire une chronique de toutes les luttes syndicales, ou de détailler celles qui durèrent le plus longtemps, eurent le plus grand nombre de participants, les conquêtes les plus grandes ou encore la répression étatique la plus violente.

En avril eurent lieu les luttes revendicatives des métallurgistes, des imprimeurs, des employés administratifs, des journaliers agricoles, etc. Le 23 mars fut fondé le parti fasciste, prenant une position ouvertement anti-socialiste. Le 15 avril eurent lieu les premiers affrontements de rue entre ouvriers et groupes fascistes. La salle de rédaction de l'«Avanti!» fut assaillie et dévastée - avec la pleine solidarité, comme dans tous ces épisodes, des forces publiques, sans lesquelles de telles actions n'auraient jamais été possibles, ce qui en rend responsable à la fois l'engrenage bourgeois de l'État et les partis démocratiques qui étaient à sa tête. La riposte fut la grève générale qui surgit dans toute l'Italie de manière imposante. Mais la direction du parti s'exprima et se comporta mollement. «Il Soviet» du 20 avril indiqua: «À Naples la grève se déroule de manière imposante et totale. À la Chambre du Travail, où siègent en permanence le secrétariat de la Chambre et le Comité de la section socialiste, il y a un afflux continuel d'ouvriers et de camarades organisés en groupes de vigilance qui rapportent avec enthousiasme des nouvelles sur la splendide réussite de la grève dans les diverses localités et de la part des diverses catégories.» Les dockers, qui n'étaient pas confédérés, se mirent également en grève. Un télégramme fut envoyé, comme de toutes les villes italiennes, à la Direction, augurant de la riposte prolétarienne.

À l'approche du Premier mai la tension était grande entre le prolétariat et les forces ennemies. Nombreux étaient ceux qui disaient vainement que le premier «Premier Mai» d'après-guerre devait signer la date de la révolution. Pour démolir la vieille mais également nouvelle légende voulant que les camarades de la gauche soient des insurrectionnalistes aveugles, il est utile de rapporter ce qu'écrivait «Il Soviet» daté du 29 avril:

«Mais pour nous, pour tous les prolétaires qui n'ont pas encore réussi à s'émanciper de l'esclavage capitaliste, ce Premier Mai a une autre signification: la ferme et définitive résolution du peuple travailleur de s'emparer avant tout du pouvoir pour substituer à l'économie capitaliste exploiteuse le communisme, fondé sur l'égalité et la liberté des travailleurs. Notre bourgeoisie a compris la signification qu'aura cette manifestation, et elle fait ses préparatifs de répression armée. Elle conserve la mentalité de 98 et espère qu'encore cette fois le prolétariat se laissera tromper par des provocations, savamment organisées à l'avance, et effectuera des mouvements de rue qui permettront un massacre souhaité par les lansquenets de la classe dominante, et l'arrestation de ses dirigeants. Vaines illusions! Le prolétariat a beaucoup appris entre 98 et aujourd'hui: plus particulièrement il a appris le sens de la discipline et de l'action méthodique, comme il l'a démontré dans les récentes grèves de protestation contre les agressions de Milan. Il descendra dans la rue lorsque, et seulement lorsque la volonté révolutionnaire l'aura totalement imprégné, et que le seul déploiement de sa masse armée d'une volonté indestructible suffira à rendre vaine, impossible, irréalisable toute résistance bourgeoise. Et ce sera aux travailleurs de choisir le moment. Il serait certes plus commode pour la classe dominante que la révolte se fasse à court terme et à date fixe. Mais précisément parce que la chose serait commode pour la bourgeoisie, le prolétariat l'évitera. Donc, le Premier Mai ne sera pas la date de la révolution, mais seulement une autre manifestation pacifique destinée à intensifier et à élargir dans les couches toujours plus profondes du prolétariat la conscience de la maturation de son destin…»

Au printemps 1919 la précipitation de la crise économique conduisit par la force des choses le prolétariat sur un autre terrain de luttes. Le prix des biens de première nécessité, de la nourriture aux vêtements, augmentait de manière vertigineuse et insoutenable pour les plus démunis, pendant que l'on ressentait l'impossibilité de suivre l'effondrement de la valeur d'achat de l'argent par des augmentations de salaires toujours plus dérisoires.

De violents mouvements éclatèrent, dans les principales villes, qui prirent le nom de «mouvement contre la vie chère». Des foules menaçantes devant les magasins et les marchés imposèrent la diminution des prix. Les commerçants terrorisés subirent la fixation des prix par les Chambres du Travail ou, par peur du pire, apportèrent leurs marchandises aux sièges des organisations ouvrières qui accomplissaient des distributions sommaires. Les journaux bourgeois et bien-pensants parlèrent de saccages, de rapines et autres, mais le fait essentiel est que ce mouvement n'avait pas d'issue du fait du rapide épuisement des réserves. Les incidents, souvent graves, ne manquèrent pas, ainsi que les heurts avec la police, qui avait l'ordre de rétablir l'ordre et la liberté du commerce mais finit par laisser courir.

Il en sortit des comités inspirés par l'idée de défense du consommateur qui ne pouvaient rien avoir de révolutionnaire même s'il y eut des cas de violence apparemment «expropriatrice». On prétendait que toutes les couches de la population avaient intérêt à un retour illusoire au «bon marché» et il s'en fit tout un tintouin. Les révolutionnaires ne pouvaient que blâmer cette forme d'action absurde, et ils le firent en affrontant l'impopularité. Nous trouvons dans «Il Soviet» du 29 juin un bon article d'un de nos valeureux camarades qui sera reproduit intégralement. On y dénonce courageusement l'hypocrisie des fauteurs de guerre et de la Confédération patronale qui entrent en lutte contre la vie chère parce que… les patrons ont intérêt à ce que les ouvriers mangent à prix réduit. On y démontre la vanité de vouloir obscurcir la conscience des antagonismes de classe qu'on ne peut supprimer, et on stigmatise la Confédération du travail qui se fait l'écho de l'appel des patrons. Et encore une fois on condamne l'envahissement par la confédération d'un terrain qui est de la compétence du Parti.

Après avoir mis en évidence que le renchérissement des prix, particulièrement pour les biens alimentaires, était inévitable en régime capitaliste, et spécialement après les guerres, l'article conclut: «Quand nous aurons démontré que les coûts élevés sont indissolublement liés à tout le système capitaliste de production et d'échange, il sera facile de conclure que c'est seulement avec l'élimination de ce système que l'on aura un remède efficace aux maux qui travaillent l'humanité.»

De fin mai à début juin se déroula une grande grève des cardeurs de laine. Toutes les catégories ouvrières entrèrent en lutte. Les femmes se distinguèrent particulièrement, la police procéda à des arrestations de masse, la troupe fut appelée contre les chômeurs. L'agitation se développa chez les gaziers, les travailleurs de l'hôtellerie, les conducteurs de tramway et les cheminots. Les 8 et 9 juin se déroula à Naples la grève de solidarité, que nous avons décrite, avec les métallurgistes.

Le 10 juin le mouvement contre la vie chère explosa à La Spezia. La foule assiégea le marché et lors des heurts avec la police il y a deux morts et 25 blessés. Suivit une grève générale très violente qui fit accourir comme pacificateurs les députés et chefs confédéraux, accueillis par la foule, comme toujours à l'époque, aux cris de «pompiers!». Le 12 se déroulèrent des mouvements analogues à Gênes et à Turin où, durant la grève générale, la Maison du Peuple fut assaillie par la police et les groupes fascistes. Le 16 juin éclata la grève des métallurgistes de Dalmine où ceux-ci occupèrent les usines. C'est alors que Mussolini fit son fameux discours. L'habile politicard s'affirma favorable aux revendications ouvrières, approuva la grève, fit l'apologie d'un mouvement syndical lié au parti fasciste. Seul un «expert» du mouvement ouvrier pouvait être utile à la bourgeoisie afin de conjurer la menace rouge et établir sa propre dictature.

Le discours illustre le nouveau syndicalisme noir et développe le programme de San Sepolcro du 23 mars. Non seulement celui-ci vaut bien celui de la Confédération réformiste, mais il revendique des points qui seront ceux des faux courants de gauche, comme celui de l'«Ordine Nuovo»: suffrage universel, suppression du Sénat, constituante (éventuellement républicaine), journée de huit heures, participation des ouvriers à la gestion des usines, impôt progressif ayant le caractère d'expropriation des richesses, et la célèbre phrase démagogique: «Que les riches payent!»

Il y eut plus: Mussolini devança alors la débauche de la politique opportuniste avec son ignorance rhétorique et sa légèreté intrigante mortifère. Il déclara se moquer des étiquettes et définitions idéologiques. Les fascistes n'étaient ni socialistes, ni anti-socialistes et suivant les moments ils se déclaraient prêts à se porter sur le terrain «de la collaboration de classe, de la lutte de classe et de l'expropriation de classe». Ils étaient, comme le dit leur Duce, des «problémistes», et leur parti était un antiparti qui n'avait pas de principes fixes et pour norme seulement l'action du moment. En 1919 Mussolini ne pouvait pas encore démentir les polémiques qu'il avait menées contre le révisionnisme local et international caractérisé par la formule de Bernstein: «le but n'est rien, le mouvement est tout.» Les chefs dégénérés du faux parti communiste contemporain, qui ont comme seul motif d'orgueil le fait d'avoir tué le fascisme et son chef, ne voient pas qu'ils ont grandi à son école. Quand, après la seconde guerre, nous en avons trouvé quelques-uns autour de nous et que nous avons eu le malheur d'échanger quelques répliques avec eux, la phrase avec laquelle ils ont tourné les épaules à toujours été la même: «Il n'est pas encore temps de ramener les questions de principes devant les masses!» De nombreuses années après que nos voies aient divergé, ils en étaient arrivés à tenir le même langage que Mussolini à Dalmine: principes, buts, solutions générales de la lutte sociale, nous n'en parlons plus et les laissons aux «dogmatiques». Ils sont, comme Benito voulait l'être, des «problèmistes» - et des problèmes «concrets» comme le voulait Gramsci, étant donné que sa thèse était la suivante: nous vous laissons les abstractions, quant à nous, notre «problématique» couvre chaque matin le champ clos ou se conduit la basse agitation des fauteurs de réformes de structure de la société bourgeoise, ce qui sortant de la bouche d'un Turati aurait provoqué des vomissements. Nous faisons allusion, on le comprendra, au petit parti qui a pour duce Palmiro [Togliatti]. Quant à l'autre chef célèbre, Nenni, il ne lui a pas fallu faire un si long tour pour en venir à Mussolini: il quitta le parti avec lui en 1914 pour se joindre aux faisceaux interventionnistes de combat. Ce fut un champion de la cohérence.

Tous ces gens, comme Benito Mussolini, Palmiro Togliatti et Pietro Nenni, ne pourraient pas naviguer même s'ils avaient une boussole. Ils ont en commun de ne se lier les mains par aucun acte de foi, parce qu'au cours de leur vie ils ont rénové cent fois la doctrine suivant leurs besoins, mettant toujours la voile sous le vent.

Problèmistes: nous donnons à Benito le brevet de ce terme qui définit tous les malotrus et les charlatans d'aujourd'hui. Une autre preuve de ce que la méthode fasciste a vaincu en profondeur lors de la Seconde Guerre mondiale, la fin tragique de Mussolini et Hitler n'étant qu'un fait superficiel. Les leçons de l'histoire sont toujours dialectiques car «Graecia capta ferum victorem coepit», c'est-à-dire: la culture de la Grèce vaincue a subjugué et guidé le belliqueux vainqueur romain.

On n'aurait pas pu détruire Benito sans faire fi des principes, c'est votre excuse obscène. Mais, avec votre ignoble tactique du front antifasciste, le résultat c'est que c'est vous que Benito a subjugué et humilié! Le principe socialiste a été jeté dans la fange, le «problèmisme» que Benito a enseigné a triomphé en vous comme dans le monde bourgeois dont vous êtes désormais une partie bien digne.

En juillet 1919 la violence de l'agitation contre la vie chère, dont nous résumerons les phases, atteint un degré extrême. Il y avait entre autres un projet de grève internationale fixé au 20 juillet pour arrêter les opérations militaires contre la Russie et la Hongrie.

L'incertitude de la situation dans la bataille prolétarienne et les dangers qui résultaient des directives indécises de tant de comités de lutte contre la vie chère - qui fit parler dans certaines villes de journée de gouvernement prolétarien, alors que dans d'autres villes la foule mettait en déroute des bataillons entiers de carabiniers, et que l'État envoyait l'aviation en renfort de la police - rendit nécessaire une nouvelle réunion de la Direction du parti.

La discussion ne clarifia pas grand chose, comme on le voit dans la résolution votée sur proposition de Gennari et dans laquelle:

La Direction reconnaissant «justifiée l'accentuation de l'ire populaire contre tous les affameurs et les spéculateurs», citant en exemple «les camarades et travailleurs organisés qui ont guidé et discipliné en les coordonnant les agitations… les transformant de simples et aveugles exaspérations en actions ordonnées et plus efficaces, plus conscientes des graves problèmes d'alimentation du peuple», invite le parti à éclairer les masses sur les causes et les remèdes de la situation actuelle, à refuser «toute forme de collaboration» dans des comités mixtes, et à constituer «des conseils de travailleurs formés seulement de représentants directs du Parti, des organisations économiques et de la Ligue prolétarienne des mutilés» pour «discipliner et coordonner les mouvements contre la cherté de la vie… Leur action sera menée uniquement sur le terrain de la lutte de classe, et affirmera la détermination de ce qu'une prochaine lutte finale du prolétariat le porte à la conquête du pouvoir économique, et que celui-ci, sur la base de la dictature, sera entièrement confié aux organisations de la classe travailleuse.»

On décida aussi de convoquer au plus vite le conseil national du Parti avec l'intervention des délégués de la Fédération. Celui-ci se réunit le 13 juillet.

Les délégués de la gauche prirent une vive part aux discussions sur tous les arguments. Concernant la grève internationale, ils soutinrent que l'on devait la soutenir à outrance pour obtenir que les forces de l'Entente se retirent réellement du front russe et de Hongrie, faute de quoi on appuyait l'action réactionnaire déchaînée des Roumains. La Direction opposa qu'il n'était pas possible d'obtenir l'accord tant des socialistes français qu'anglais, qui avaient accepté de participer à la grève non par solidarité avec les républiques soviétistes mais sur la base d'une vague formule bourgeoise de non-intervention dans les affaires d'autres pays. La position de la gauche peut être déduite de cet extrait de «Il Soviet» du 13 juillet à Bologne:

«Les camarades ont pu déduire par la lecture de l'«Avanti!» le développement des discussions à la Réunion socialiste de Bologne à laquelle les sections de la région de Naples ont été représentées.

De nombreux côtés la décision de la Direction de faire une grève purement démonstrative limitée à 48 heures a été vivement discutée. On a par contre seulement survolé les questions de l'organisation internationale dont nous avons amplement débattu dans les numéros précédents, et les buts que donnent à celles-ci les socialistes anglais et français.

La réunion de Bologne, qui n'avait pas de pouvoir délibératif, une fois examinée la situation politique, conclut unanimement pour l'application disciplinée des modalités établies par la Direction du Parti.

Il ne reste aujourd'hui rien d'autre à faire que de travailler pour que la grève réussisse complètement et que la démonstration de force soit puissante.

Le prolétariat socialiste italien réaffirmera sa force et sa foi en s'abstenant de travailler le 20 et le 21 en signe de solidarité avec les républiques soviétiques communistes des Soviets de Russie, de Hongrie et de tous les autres pays où le communisme a triomphé, contre la politique d'agression militaire, de sabotage et de blocus économique des gouvernements bourgeois.

Nous n'avons pas besoin de rappeler aux camarades qu'ils doivent accomplir tous leurs devoirs pour la pleine réussite du mouvement, et pour l'instant se conformer avec la plus stricte discipline aux décisions des organes dirigeants du Parti.»

La grève n'eut pas un succès complet en Europe, surtout à cause du sabotage du parti et de la confédération française. En Italie il y eut aussi la très grave défection du Syndicat des cheminots. On peut tirer le bilan du louable Manifeste de la Direction du Parti lancé le 22 juillet à peine terminé le mouvement, adressé «aux camarades des gouvernements communistes de Russie et de Hongrie»:

«Au lendemain des manifestations prolétariennes de solidarité pleine et complète avec vos Républiques communistes, nous sentons le besoin de réaffirmer et d'expliquer ce que les masses travailleuses ont voulu signifier en ces jours, et vous envoyer, par notre intermédiaire, le salut ému de tout le Prolétariat d'Italie.

La grève générale des 20 et 21 courant ne devait pas, pour nous, avoir d'autre signification que celle de solidarité avec vous, camarades, qui par l'instrument de la dictature prolétarienne traduisez en acte notre Idéal de rédemption humaine. Nous voulons que cela constitue un avertissement, une menace envers la bourgeoisie qui tourne ses armes contre vous, ou par un blocus inhumain tente de vous affamer, ou organise, incite, encourage, protège les menées contre-révolutionnaires dans vos pays. En somme, contre les bourgeoisies qui, de toutes les façons, agissent au mépris de leurs propres lois internationales et interviennent dans d'autres pays pour suffoquer violemment la volonté des peuples. Cela n'a pas été le début de notre bataille. Ce devait tout au plus en être le préambule. Ce devait, en somme, exprimer l'âme de nos foules qui ont l'intention de manifester toute l'admiration qu'elles ont pour votre travail, toute leur solidarité et leur intention de suivre le sillon que vous avez ouvert et tracé, et, dans le même temps, veulent s'interposer entre vous et l'arme posée sur votre poitrine par la bourgeoisie capitaliste exploiteuse internationale. C'était l'objectif proposé: c'est pour cela que nous tissons des liens avec les prolétaires des autres pays.

Malgré toutes les manœuvres, les insinuations, les mensonges, les intimidations du gouvernement et de la bourgeoisie; malgré la mobilisation de toutes les forces gouvernementales et capitalistes qui agirent comme si elles devaient soutenir le heurt suprême avec les énergies prolétariennes; malgré la faiblesse coupable de quelques dirigeants d'une catégorie de travailleurs des services publics; malgré l'inexplicable et inexcusable défection de la CGT française - défection annoncée et diffusée par le gouvernement au dernier moment, alors que le prolétariat français était pour la mobilisation et l'action –, malgré tout cela, le prolétariat italien des usines et des campagnes répondit dans l'union et de manière compacte à notre appel: la vie économique et civique fut suspendue dans toute l'Italie. La bourgeoisie, pleine de crainte, trembla devant la voix puissante, la menace de notre prolétariat.

Le prolétariat d'Italie sent désormais que ses luttes ne sont qu'un aspect, qu'une fraction des luttes qui se déroulent dans chaque coin du monde; que celles-ci doivent se coordonner et se diriger vers un but unique, celui de la révolution mondiale pour la destruction de la domination capitaliste et pour l'instauration de la dictature prolétarienne. Il ne juge pas de la nécessité et du résultat de ses batailles dans le strict cadre national mais à la lumière des nécessités de la révolution prolétarienne mondiale. Il est convaincu que n'existent dans le monde que deux seules races irréconciliables: celle des exploités et celle des exploiteurs. Il se sent, pour cela, toujours plus strictement lié, solidaire du prolétariat du monde entier, il voit chaque jour s'approfondir l'abîme qui le sépare de la bourgeoisie de son propre pays comme de la bourgeoisie internationale. Il est plus et mieux convaincu chaque jour de la nécessité et de l'urgence de s'apprêter pour les ultimes batailles afin d'écraser, d'anéantir le système d'exploitation capitaliste bourgeois.

Le souffrant prolétariat d'Italie, exaspéré par les mille blessures, par les deuils, par les douleurs, par les misères, par la honte causée par le monstrueux fouet de la guerre, n'entend pas, ne veut pas être enseveli avec la bourgeoisie dans l'écroulement économique et moral que celle-ci prépare aveuglément. Il sait que, en régime bourgeois, sa paix est toujours précaire, toujours menacée; qu'il se prépare de nouveaux et plus sanguinaires massacres; que les conflits économiques, la féroce lutte impérialiste de concurrence industrielle, de tarifs douaniers, d'accaparement de matières premières aggravera toujours plus - le rendant incurable - le marasme, la paralysie économique qui envahit déjà tout le monde bourgeois et qui sera fatale, mortelle pour des pays économiquement faibles et pauvres comme le nôtre. Il veut et aspire à l'égalité et à la paix entre tous les peuples: paix civile et paix économique. Il déclare par contre la guerre sans quartier à tous les exploiteurs, à tous les oppresseurs. Il réunit toute son énergie, toutes ses forces pour la sauvegarde de l'Humanité, sauvegarde qui ne peut se réaliser que dans l'ordre nouveau: par la conquête révolutionnaire du pouvoir politique de la part du Prolétariat, par la substitution de sa dictature à celle de la bourgeoisie, par le travail de reconstruction économique socialiste.

Tout ceci, camarades des Gouvernements communistes de Russie et de Hongrie, le Prolétariat d'Italie vous le dit et en prend l'engagement solennel. Le Parti socialiste Italien s'en rend garant, lui dont les vœux vont à vous et convergent vers la victoire finale du Socialisme International.»

Les débats sur l'agitation contre la vie chère ne furent pas moins vifs, lors de la réunion du 13 juillet, et là aussi la gauche s'opposa vivement non seulement à la droite réformiste mais aussi aux multiples positions désordonnées des fameux «maximalistes». Pendant que le parti était entièrement dominé par les projets d'une campagne électorale triomphale, auxquels les forces de la droite ouvertement contre-révolutionnaire avaient bien sûr donné un soutien décisif, le centre maximaliste parlait d'ordres à donner au mouvement révolutionnaire comme d'une chose qui pouvait s'effectuer d'un moment à l'autre. Et de divers côtés retentissait la phrase démagogique et peu heureuse de «grève expropriatrice». L'«Avanti!» rapporta de manière non conforme l'intervention du représentant de Naples sur ce point, et on relève une lettre de rectification de «Il Soviet» du 20 juillet:

«Cher «Avanti!»,
Le compte rendu de ce que nous avons brièvement dit à Bologne mérite un éclaircissement. Nous voulions indiquer le danger contenu dans la formule «grève expropriatrice» trop synthétique et inexacte, en rappelant que l'acte et le fait révolutionnaire revêtent un caractère politique et consistent dans le passage violent du pouvoir de la bourgeoisie au prolétariat.

La grève n'est que la mesure tactique indispensable pour la mobilisation dans ce but des forces prolétariennes.

Le passage du régime économique capitaliste au régime économique communiste ne commence qu'immédiatement après par la réalisation d'une série de mesures selon lesquelles les nouveaux organismes politiques procèdent graduellement à l'expropriation économique.

Dans ce sens on ne doit pas parler de révolution politique mais d'évolution économique, même si c'est à un rythme accéléré, qui s'effectue après avoir brisé les freins que les vieilles institutions politiques posent au développement des formes de production.

Il en est ainsi dans le langage marxiste et dans le développement des révolutions communistes auxquelles nous assistons.

Le concept d'expropriation simultanée à l'insurrection et effectuée suivant les caprices d'individus ou de groupes, implicite dans la phrase de «grève expropriatrice», est un concept anarchoïde qui n'a rien de révolutionnaire.

Merci et salutations.»

De ce que nous rappelons émergeait d'un côté la position nettement contre-révolutionnaire de la droite, très forte dans le Groupe parlementaire et chez les cadres de la Confédération du travail, et de l'autre le peu de clarté des positions de la Direction du parti et de sa majorité qui, cependant, s'était déclarée, avant que la guerre ne finisse, solidaire de la grande révolution bolchevique, et adepte d'une action d'attaque contre le régime bourgeois en Italie.

La tâche de la gauche communiste fut de lutter contre les deux dangers, c'est-à-dire l'action de torpillage ouvert que conduisaient les réformistes parlementaires et confédéraux et le désordre de programme et de méthode des maximalistes. Les deux périls s'ajoutaient pour n'en former qu'un: que la phase objective d'élan prolétarien vers la lutte finale ne se termine avant qu'un parti capable de diriger la révolution italienne ne se soit formé, en se libérant de ces deux graves déficiences et hésitations et en rompant pour toujours avec le courant social-démocrate que les bolcheviks, en Russie, avaient su battre avant la victoire finale d'octobre 1917.

Nous cherchons ici à suivre parallèlement la pression de classe des travailleurs et la lutte entre les orientations divergentes au sein de leurs organisations et dans le parti. La fertilité, la chaleur et l'ardeur de la situation transpirent des chiffres statistiques sur les mouvements syndicaux.

La Confédération du travail, qui avait toujours rassemblé la majorité des travailleurs organisés, eut le maximum d'adhérents en 1911 avec un chiffre de 384 000. Il y eut ensuite une légère baisse, accentuée en 1916, jusqu'à 234 000. Et en 1918, dernière année de guerre, les adhérents furent 201 000. L'élan de l'après-guerre fut tel qu'on arriva à un chiffre de 1 159 000, et pendant le flamboyant 1920 on arriva au maximum de 2 150 000. La descente commença dès 1921 où les adhérents ne furent plus que 1 076 000. En 1922, année de naissance du fascisme, le chiffre tomba à 400 000, restant à ce niveau médiocre jusqu'en 1925, après quoi les organisations de classe furent pratiquement détruites.

Quant aux grèves dans l'industrie, de 27 en 1880 elles sautèrent à 810 en 1913, et les grévistes de 22 000 à 384 700. L'année de l'éclatement de la guerre il y eut seulement 539 grèves et 132 100 grévistes, chiffres qui baissèrent constamment jusqu'à la fin de la guerre. Et l'on arrive au formidable chiffre du 1919 rouge: 1 663 grèves et 1 049 000 grévistes. En 1920, la situation était encore fiévreuse: 1 881 grèves et 1 268 000 grévistes, bien que les journées de grève chutent de 18 888 000 à 16 398 000.

Ensuite l'intensité de la lutte baissa: en 1921, 1 045 grèves, 645 000 participants, 7 773 000 journées. En 1922 les chiffres montrent une position de défense: seulement 552 grèves et 443 000 grévistes, mais toujours 6 586 000 journées: durée moyenne de chaque lutte de 12 à 15 jours. Ensuite les chiffres baissent fortement.

La part des travailleurs agricoles dans ces luttes fut impressionnante. En 1908, 286 grèves avec 173 000 grévistes. En 1918 (guerre) seulement 10 avec 657 participants. Mais en 1919 on eut 208 grèves avec 505 000 grévistes. En 1920 on eut le maximum avec 208 grèves mais 1 046 000 grévistes, soit plus des trois quarts des effectifs; le rapport fut encore plus fort pour les journées de grève. (12)

À partir de 1921 les chiffres baissèrent; cette année un peu plus d'un dixième des grèves et grévistes furent d'origine agricole: il est connu que l'action des fascistes commença dans les campagnes (avec ce bref exposé nous ne voulons pas dire que le fascisme fut la seule cause du recul prolétarien; la principale cause ce furent les néfastes opportunistes).

Dans une situation aussi objectivement favorable les erreurs et les fautes du mouvement organisé et du parti furent très graves.

Nous allons montrer que, dès les premiers signes, la Gauche les dénonça et anticipa la prévision de leurs effets délétères.

Pendant qu'en juillet 1919 la Direction et le Conseil national du parti discutaient des difficiles problèmes tactiques et que prédominait une grande confusion sur les perspectives, on peut tenir une chronique des mouvements par le dépouillement de l'«Avanti!».

3 juillet: à Forli la foule assaille les commerces et transporte les marchandises réquisitionnées à la Chambre du Travail. Le «Conseil des ouvriers réunis» reçoit la clef des boutiques par les négociants.

4 juillet: à Imola les policiers tirent à vue sur la foule; 4 morts.

5 juillet: grève générale à Florence: réquisitions comme ci-dessus. «À midi la masse ouvrière est maîtresse de la ville». Constitution de «Soviet d'approvisionnement» en Emilie, Romagne, Marche, Toscane. À Prato et Pistoia grève générale.

6 juillet: «L'insurrection contre les affameurs s'étend dans toute l'Italie.» La grève générale paralyse Florence, où des groupes de «commissaires rouges» font rouvrir les boutiques; les soldats et les carabiniers patrouillent en ville et tirent sur la foule; deux morts et de nombreux blessés. La nuit du 6, les organisations politiques et syndicales suspendent la grève. À Empoli le ravitaillement est dirigé par un comité populaire; à Sienne les ouvriers organisés de la Chambre du Travail procèdent à la réquisition de denrées alimentaires auprès des usines.

À Palerme, grève générale proclamée par les métallurgistes; réquisition de nombreux négoces; arrestations en masse de la part de la police qui «rétablit l'ordre».

À Brescia grève générale et réquisitions; la cavalerie et les carabiniers tirent sur la foule. Fermentation à Ancône.

7 juillet. Malgré la suspension de la grève l'agitation continue à Florence; les carabiniers attaquent (2 morts, 8 blessés, 200 arrestations; avec les précédentes, celles-ci se montent à près de 700). À Milan la foule réclame la diminution des prix de l'alimentation de 50 pour cent; après de premiers heurts sporadiques sur les marchés de quartier, des boutiques sont prises d'assaut et les rideaux de fer baissés sont arrachés. Des membres du PS et de la Chambre du travail interviennent pour «calmer» les manifestants; quelques commerçants affichent un écriteau indiquant: «marchandises à la disposition de la Chambre du Travail.»

8 juillet: à Gênes, tumultes et affrontements avec les forces de l'ordre: 1 mort et de nombreux blessés. À Naples les ouvriers proclament la grève, qui s'étend aux autres catégories. Un cortège qui se dirige vers le centre ville est attaqué par des charges massives de la police.

9 juillet: à Brescia l'agitation atteint des sommets. La foule rassemblée devant la Chambre du Travail demande la libération des détenus. Un escadron de carabiniers tire sur la foule qui réagit et les contraint à fuir. Intervient alors un contingent de soldats, et dans la soirée arrivent les chasseurs alpins armés de mitrailleuses. Des avions survolent la ville qui est pratiquement en état de siège.

6-10 juillet: à Barletta le Conseil des Travailleurs assure ouvertement la réquisition et la répartition des biens alimentaires: l'«Avanti!» parle de «deux jours de gouvernement socialiste.» Dans la soirée du 10, la citadelle est assiégée et finalement soumise.

9 juillet: 4 morts et de nombreux blessés parmi les ouvriers à Tarente.

10 juillet: arrestations en masse à Foggia.

13 juillet: affrontements à Luchera (8 morts et 30 blessés dans la foule) et à Rio Marina sur l'île d'Elbe (1 mort et de nombreux blessés). Une partie du Syndicat des cheminots [SFI] rejette la décision du comité central de la SFI de révoquer l'ordre de grève pour la journée de solidarité internationale.

20-21 juillet: pleine réussite de la grève générale de solidarité avec les républiques soviétiques de Russie et de Hongrie malgré la défection d'une partie des cheminots (employés, etc.); sévère condamnation de la non-participation à la grève de la CGT française.

28 juillet: grève des métallos à Milan qui s'étend le sixième jour aux sidérurgistes et devient générale le 9 août en Lombardie, Ligurie et Emilie en plus des villes de Toscane.

28 - Les graves divergences d'orientation dans le Parti
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Pour donner une idée de la manière dont le heurt entre les positions opposées devenait toujours plus âpre au sein du parti socialiste, alors que la dynamique de la lutte prolétarienne était particulièrement intense, nous allons nous référer à un communiqué du secrétariat de la Confédération du Travail, en date du 17 juin, qui fut étrangement diffusé sans commentaires dans l'«Avanti!».

Le texte justifiait les «explosions irréfrénables» des masses indignées par les privations mais passait tout de suite à la dénonciation - sous la juste raison de la nécessité pour le mouvement d'avoir une direction unique et commune à toutes les villes - du travail de groupes «sécessionnistes» mal définis qui affirmeraient assumer la responsabilité des actions locales extrémistes, et qui se poseraient ainsi en opposition aux buts du parti et des organisations syndicales unitaires. Il n'était pas précisé qui étaient ces «organisations sécessionnistes intentionnelles [?]» qui étaient accusées d'être «très faiblement suivies par les masses organisées», avec pour seul argument l'expédient que la représentation des «masses» était toujours réalisée par les forces de la droite.

On fit hypocritement allusion aux liens internationaux qui étaient en train d'être discutés, à Paris, pour la défense des républiques soviétiques (nous savons que par la suite les organisations françaises trahirent), et là aussi il est étrange que l'«Avanti!» ne protestât pas contre ces allégations sous les seuls prétextes de la discipline et de l'unité. L'article concluait sur la nécessité de «déjouer toute tentative d'abus de la part des organismes sécessionnistes.»

Qui étaient les sécessionnistes? Du point de vue syndical, les sécessionnistes étaient les anarcho-syndicalistes de l'Union syndicale italienne, sortis de la Fédération avant-guerre et séparés par la guerre en deux tronçons: celui des interventionnistes, dit de Parme, et celui de gauche, dit de Bologne. Il s'agissait d'une sécession effectuée depuis des années ainsi que de forces déjà en dehors de l'unité confédérale. On faisait aussi allusion au Syndicat des cheminots, n'adhérant pas lui non plus à la Confédération, et il est vrai qu'il avait été peu actif pendant les grèves de juillet, et qu'il n'avait pas eu une attitude combattive dans les mouvements de rue, mais il est aussi vrai qu'il fut conquis plus tard par les tendances de gauche.

L'allusion prenait pour cible l'extrême gauche du parti, qui était très active au sein des organisations syndicales. Nous étions face à une première attaque des ultra-droitiers, qui abhorraient avec raison la gauche puisque celle-ci voulait les jeter hors du parti. Ils commencèrent à dire que l'abstentionnisme électoral n'était qu'un retour aux positions anarchistes et syndicalistes d'avant-guerre et attribuèrent à la nouvelle gauche marxiste la tactique de la scission dans les syndicats, que celle-ci n'avait jamais proposée, de la même manière qu'elle ne s'alliait pas aux anarchistes qui diffamaient alors dans toute l'Europe la dictature prolétarienne à la fois dans son application en Russie et dans son principe. Les pompiers confédéraux ignoraient également notre position sur la formation du parti de la dictature, qui devait balayer les sociaux-démocrates avec le maximum d'énergie avant l'heure de l'affrontement suprême.

Il est vrai que, dans le parti, il existait parmi les «maximalistes» des éléments extrémistes qui se montraient favorables à une entente avec les groupes anarchistes et syndicalistes-révolutionnaires dans les mouvements de rue. Cela n'avait rien de pernicieux dans l'action, mais avait les pires conséquences sur le terrain des principes et du programme politique, substituant à la vision historique de la lutte en Europe pour la révolution prolétarienne une banale position de rébellion petite-bourgeoise héritant d'un localisme stérile et d'une apologie creuse de la violence individuelle. Nous avons déjà montré dans ces pages comment la vision marxiste de l'authentique gauche, qui se confrontait fréquemment par la polémique, y compris avec les bons anarchistes, était loin de cette position. Il suffira de rappeler notre condamnation des agitations informes contre la vie chère, notre position sur le Premier Mai et notre mise au point sur le fameux slogan de Bombacci sur la «grève expropriatrice» pendant cette période.

Il faut cependant donner acte à la direction de l'«Avanti!» d'avoir à ce moment réagi aux manœuvres de la droite parlementaire du parti. Celle-ci ébauchait déjà, en 1919, une tactique de trahison qui était au fond la même que celle que nous verrons réaliser ensuite par le Parti communiste quand, malheureusement, commencera l'irréparable processus de dégénérescence, seulement cinq à six ans après sa formation.

On voyait s'avancer le mouvement de Mussolini et on prévoyait qu'il tenterait de prendre la direction de l'État. Francesco Ciccoti, appartenant autrefois à la gauche intransigeante, défendit une «voie nouvelle» que le parti aurait dû prendre par l'intermédiaire d'une alliance parlementaire avec les partis de Nitti et Giolitti et avec le nouveau parti catholique, qui avaient tous été «contre la guerre».

Le numéro du 26 juillet de l'«Avanti!» avait une tonalité peut-être naïve, mais louable par son indignation, dans un article intitulé «Notre voie immuable». Il suffit de citer la première réplique: combien de «voies nouvelles», depuis que le prolétariat s'est organisé en parti, ses amis lui ont tour à tour conseillé!

En fait, peu avant son expulsion au Congrès de Reggio Emilia en 1912, Bonomi avait écrit un livre: «Les voies nouvelles vers le socialisme». Après un demi-siècle les traîtres d'aujourd'hui n'impriment-ils pas la revue «Voie Nouvelle»? L'article de 1919 explique qu'il s'agit, comme toujours, de l'ignoble impasse habituelle qui conduit à la ruine, et que le parti prolétarien ne s'en est sorti que lorsqu'il a su, dans la tempête, rester solidement sur la «vieille voie» de la lutte de classe. L'article rappelait avec justesse les étapes du transformisme de la sordide bourgeoisie italienne, dont l'incorrigible rêve est encore aujourd'hui de s'«ouvrir vers les socialistes», avec des ressources bien plus pernicieuses que la dictature proclamée, et stigmatise le confusionnisme avec lequel «La Stampa» de Frassati avait applaudi Ciccoti. Cette formule était le précurseur de formules modernes plus honteuses: les Comités de Libération de 1945 ou le centre-gauche des élections de 1963!

Le directeur de l'«Avanti!» de l'époque était parmi ceux qui n'ont jamais compris que la tactique électorale et parlementaire a des conséquences inexorables auxquelles il est vain de vouloir se soustraire et qui historiquement sont immuables.

De ce que nous venons de voir on peut noter les points cardinaux de la politique de la tendance de gauche: la lutte mise en route contre l'aile réformiste du groupe parlementaire et la direction confédérale se développa jusqu'à sa conséquence logique de demande de division du parti qui ne pouvait plus tolérer en son sein des éléments opposés à la perspective révolutionnaire. La question des élections fut posée dès les premiers numéro de «Il Soviet». Par exemple dans le numéro 27 du 29 juin 1919 le premier article fut «Ou élections ou révolution.» S'ensuivit la revendication d'un congrès national pour décider de ce point vital. L'article partait de phrases de Lénine, citées dans «La Riscossa» de Trieste et largement censurées. Lénine établissait qu'il «fallait en finir avec le parlementarisme bourgeois» et rappelait que l'utilisation de l'action parlementaire par les socialistes se faisait «dans un but de propagande, tant que la lutte se développe par nécessité au sein de l'ordre bourgeois.»

Pour «Il Soviet», appeler le prolétariat aux urnes signifiait donc proclamer que la lutte devait se développer «nécéssairement au sein de l'ordre bourgeois», et contredisait donc toute préparation révolutionnaire pour la prise du pouvoir dans sa forme dictatoriale et soviétiste.

Les maximalistes avaient l'habitude de répondre: la révolution sera mûre lorsqu'on n'aura plus le temps d'aller jusqu'aux élections! «Il Soviet», abhorrant toute légèreté gauchisante, répondit (et il s'agissait d'une prophétie facile!):

«Pendant que la bourgeoisie se prépare à juguler les républiques soviétiques… chers amis du concret, nous arrivons aux élections! Et pendant que le sacrifice et l'honneur de sauver la révolution restent en totalité aux prolétaires russes et hongrois qui versent sans regrets leur propre sang, qui ont confiance en nous, nous allons conduire au Parlement une centaine de députés, héros de la pacifique lutte électorale, dans le joyeux oubli de toute dignité et de toute foi que donne l'orgie du bulletin de vote. Réussirons-nous à le conjurer?»

Dans le même numéro on indiquait les nombreuses adhésions aux positions abstentionnistes de sections et fédérations des jeunes, dont celle obtenue lors du congrès d'Emilie-Romagne.

On s'entendit rapidement sur la nécessité d'organiser la fraction à l'échelle nationale. «Il Soviet» du 13 juillet indiqua la tenue d'une première réunion de camarades venus de toute l'Italie à Bologne, et de la première rédaction d'un programme «qui sera présenté au prochain Congrès pour le substituer à celui de Gênes de 1892.» On indique aussi que la Direction se réclame déjà de ce programme.

Dans la seconde partie nous donnerons le texte complet du programme de la fraction. Nous en citons un passage: «Lorsque la période historique de la lutte révolutionnaire entre prolétariat et bourgeoisie est ouverte, le but du parti prolétarien est d'abattre par la violence la domination de la bourgeoisie et d'organiser le prolétariat en classe dominante. À partir de ce moment l'envoi de représentants du Parti dans des organismes représentatifs du système bourgeois devient incompatible avec ce but…»

Dans ce texte on explique clairement la participation des communistes aux syndicats ouvriers ainsi que le travail de formation des Soviets et des comités de vigilance au développement du heurt révolutionnaire.

Après cette première exposition des positions bien nettes et organiques des communistes abstentionnistes, et après avoir donné un aperçu de leurs rapports avec la fraction maximaliste favorable à la méthode électorale, il est temps de donner un aperçu sur le groupe qui était en train de se former à Turin autour de l'hebdomadaire «Ordine Nuovo» et qui, comme l'admettent même les historiens d'aujourd'hui qui lui sont favorables, commit l'erreur de ne pas comprendre à temps qu'il fallait se donner une organisation nationale.

Nous reviendrons largement sur la méthode proposée par l'«Ordine Nuovo» afin de distinguer l'apport de ce groupe et de celui de «Il Soviet» dans la formation du Parti communiste à Livourne en janvier 1921.

Les deux méthodes se distinguent nettement l'une de l'autre sur les questions de théorie comme sur les questions de principe, notamment ceux de la création du parti, donnant lieu à d'utiles leçons sur la méthode de fondation du parti basée sur la «convergence» de «forces» politiques qui apparaissent analogues mais en fait ne le sont pas.

Nous citons ci-dessous le texte du «salut» avec lequel «Il Soviet» du 15 juin 1919 annonça la sortie du journal turinois, car il s'y reflétait l'importance des doutes qui s'élevaient dès le début, bien que ce soit sous la forme la plus cordiale:

«L'«Ordine Nuovo» est un nouvel hebdomadaire des camarades de Turin sorti le 1er juin et auquel nous envoyons nos vœux fervents.

Le but de cette nouvelle publication, dont le secrétaire est Antonio Gramsci, sera principalement, si nous avons bien compris, l'étude des réalisations générales concrètes imminentes de l'Ordre socialiste.

Lourd et grandiose but qui reçoit nos applaudissements, avec une seule observation, qui ne constitue pas une réserve.

L'imminence de la période de mise en pratique du Programme socialiste ne doit pas être considérée sans tenir compte de la barrière qui nous en sépare nettement dans le temps, et sans la détermination d'une condition préalable, c'est-à-dire la conquête de tout le pouvoir politique par la classe travailleuse, problème qui précède l'autre et sur le processus duquel il y a encore tant de problèmes à résoudre et définir.

L'étude concrète des réalisations socialistes vitales pourrait les entraîner loin de l'oxygène qui les alimentent, celui de la dictature du prolétariat, pour les considérer compatibles avec les institutions actuelles, les faisant glisser vers le réformisme.

Le maximalisme voit sous une lumière parfaitement réaliste le cours complexe de la transformation de l'économie capitaliste en économie communiste, et il le pose aussi sur une base concrète et réelle, celle de la révolution politique, refusant d'avoir, avant la victoire ce celle-ci, d'autre but concret que celui d'y préparer les masses prolétariennes.

C'est un danger possible que nous avons voulu montrer du doigt plus par… scrupule d'orthodoxie que par peur que les camarades de l'«Ordine Nuovo» y tombent

Août et septembre 1919 furent marqués par des grèves aussi étendues que celles des mois précédents.

Signalons les imposantes grèves des ouvriers du textile (30 000 à Comascofra les 30.07 et 1.08), des typographes et des marins. Et surtout la grève des métallos de Lombardie, d'Emilie et de Ligurie qui se poursuivit compacte du 9 août au 27 septembre (signature de l'accord de Rome sur le salaire minimum), et donna lieu à des manifestations de solidarité d'une rare puissance, entraînant dans la lutte 200 000 autres ouvriers d'industrie.

Pendant cette période la direction de la grève n'eut ni incertitude ni hésitation. Les communiqués avaient la saveur de bulletins de guerre (aux grévistes, aux non-grévistes, aux travailleurs des autres catégories, à la population; organisation de ravitaillement pour les grévistes; meetings et cortèges de solidarité). On ressentait les premiers symptômes de positions qui se concrétisèrent les années suivantes. À Milan, le 6 septembre, le «comité des métallurgistes… déclara que la classe ouvrière était disposée et prête… à assumer la gestion de l'industrie non plus dans le sens du profit patronal et individuel mais pour le bien-être du pays et de la collectivité.»

Un épisode d'attaque des cercles socialistes et syndicaux par les gardes blanches eut lieu à Trieste le 4 août. Carabiniers, arditi et policiers assaillirent et dévastèrent les bureaux des organisations ouvrières, procédant à 420 arrestations et blessant 20 personnes. La grève générale fut déclarée.

À la mi-septembre eut lieu une grande grève victorieuse des travailleurs de la terre, dans les provinces de Pavie et Novare, pour les huit heures et un nouveau contrat de fermage.

Cette phase fut le prologue du congrès socialiste de Bologne et constitua une période de vives polémiques dans tout le parti. Nous ne pouvons pas rapporter les innombrables articles de l'«Avanti!» et de «Il Soviet».

Le quotidien du parti du 21 août 1919 rapporta un débat dans un article intitulé: Préparation révolutionnaire ou préparation électorale? À cet article, écrit par un camarade de la fraction abstentionniste, répondit pour le journal Luigi Salvatori. Précisément parce qu'il s'agit d'un élément incontestablement révolutionnaire, bien que partisan de l'électoralisme, il est intéressant de donner un aperçu sur les arguments qu'il opposa. Salvatori, qui était un homme loyal et dépourvu de démagogie, fut un des meilleurs témoins de ce que les abstentionnistes n'étaient pas des barricadiers extrémistes, des hystériques violents et convulsifs, mais étaient des révolutionnaires qui suivaient le cours de l'histoire de manière satisfaisante et comprenaient le déterminisme. Salvatori se dit plus volontariste: il est certain que nous ne l'avons jamais été. La volonté ne peut pas faire les révolutions et le parti ne peut les créer, il peut ou doit les favoriser, par son action consciente, en bloquant à temps les fausses directions dans lesquelles l'opportunisme tire la généreuse foule et force prolétarienne. La solution que l'histoire offrait et que le parti laissa fuir, de par sa déplorable absence de maturité théorique marxiste, était de barrer la route aux manœuvres ennemies, ennemis qui savaient qu'en ouvrant la voie des urnes on conjurait le heurt avec la masse révolutionnaire. Si le prolétariat, se libérant des illusions démocratiques, avait brûlé derrière lui le vaisseau parlementaire, la lutte se serait terminée bien autrement. Le parti révolutionnaire avait le devoir de tenter cette voie grandiose, en se mettant en travers de l'autre. Mais le parti n'était pas révolutionnaire.

L'auteur développa ce concept:
«
Même si le fait de rester sans représentants, au lieu d'être un avantage - comme nous le croyons, soutenus par une longue expérience - est un danger, ce danger n'en serait pas moins comparable à celui de compromettre ou même de seulement retarder la préparation révolutionnaire du prolétariat à la conquête de sa propre dictature» (voir seconde partie, texte 56).

Le commentateur dit:
«
Ce n'est pas que nous voulions éloigner la révolution (en cette matière nous avons des concepts plus simples, plus casse-cou, plus volontaristes [sic] que ceux froidement et rigidement théoriques de l'auteur de l'article), mais si la révolution, étant une chose [il aurait été plus juste de dire fait] et non une volonté, se trouvait encore à l'état potentiel, sans avoir encore abouti à sa phase dynamique… serait-il propre à la sereine objectivité marxiste de lancer le parti dans le négativisme électoral?»

Analyser la personnalité des révolutionnaires et des marxistes est stupide. Nous qui sommes aujourd'hui dans la salle d'étude de l'histoire et d'évaluation des mouvements collectifs, peu nous importe d'accepter le qualificatif de froids et de renoncer à celui de casse-cou. Le parlementarisme a ajouté à une révolution manquée quarante années de dévastations infâmes.

La faute du maximalisme électoraliste est lourde, même si, par objectivité marxiste, nous l'avons fait parler par la bouche de l'un de ses plus loyaux partisans.

Notes:
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  1. Voir pour «Il Soviet» de 1918-1919 voir les textes 38-54. [back]
  2. Voir N. Cilla, «Effets économiques du fascisme», Bibliothèque du Comité syndical du PC d'I, Milan, 1925. [back]

Source: Traduit de «Editions Il Programma Comunista» - 1964

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