HISTOIRE DE LA GAUCHE COMMUNISTE
1912 - 1919
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Première Partie
Introduction | 1 - 5 | 6 - 10 | 11 - 15 | 16 - 20 | 21 - 24 | 25 - 29
Seconde Partie
1 - 10 | 11 - 20 | 21 - 30 | 31 - 40 | 41 - 50 | 51 - 56
La ligne historique de la gauche communiste des origines à la fin 1919 en Italie
21 - Le XVe Congrès socialiste: Rome, 1 - 5 septembre 1918
22 - Les jeunes socialistes pendant la guerre
23 - La grande révolte prolétarienne de l'après-guerre: les épisodes de Naples
24 - L'explosion de l'«après-guerre italien»
Source
La ligne historique de la gauche communiste des origines à la fin 1919 en Italie
21 - Le XVe Congrès socialiste: Rome, 1 - 5 septembre 1918
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La bourgeoisie italienne était encore en train de jouer son sort sur le front et dans les honteuses joutes entre futurs vainqueurs, dans l'éventualité où les choses tourneraient à son avantage. Elle faisait au Parti socialiste l'honneur de croire que, si elle l'avait provoqué, il aurait su faire naître un Caporetto d'un autre ordre. Elle avait peur de nous, et pour freiner la colère révolutionnaire elle comptait, comme aujourd'hui, plus sur l'illusion démocratique que sur les coups de bâton. Elle permit la convocation à Rome du Congrès du Parti, qu'elle avait interdit en 1917. Après l'arrestation et la mobilisation de nombre de nos militants, nos rangs s'étaient raréfiés et étaient sérieusement éprouvés, et nos adversaires comptaient sur l'action de la droite parlementaire et syndicale pour mettre de l'eau dans notre vin. Mais, en Italie, tout le monde en avait assez de la guerre, même la droite du Parti, qui pensait que, si la guerre ne finissait pas, même les pierres seraient passées du côté de l'extrême gauche, sa bête noire.
Le Congrès déçut tout le monde. 365 sections y étaient représentées. Le Parti était solide, justement grâce à sa dure lutte contre la guerre, et le débat fut animé grâce à la contribution de divers militants prolétariens du Nord et du Sud, aussi rudes et expéditifs que mécontents - avec mille raisons! - des manuvres de la droite parlementaire et confédérale, et indignés aussi bien par Turati défendant le caractère «sacré» de l'indépendance nationale que par les subtils «distinguos» intellectuels de Graziadei.
Repossi, vieux militant de gauche, tint le discours le plus résolu en faveur de Lénine et de la dictature du prolétariat (significativement, les droitiers avaient évité de faire la moindre allusion à la révolution bolchevique, qui suscitait l'enthousiasme des congressistes), et pour la mise en accusation du roi et du gouvernement: «Trêve de modération, concluait-il. Classe contre classe: d'un côté la bourgeoisie, toute ensemble, contre nous; de l'autre nous seuls, contre le monde entier: voilà la tâche des socialistes.»
La thèse de l'extrême gauche fut développée par Salvatori, qui avait été à Bologne en 1915 et à Florence en 1917. Il déplora qu'il n'y ait pas eu de rupture ouverte du Parti dès le début de la guerre et que celui-ci se soit installé dans la formule: «ni adhérer, ni saboter»: «Vous - dit-il en s'adressant aux droitiers - vous auriez dû adhérer à la guerre; nous, nous aurions dû la saboter dès le début.» C'est lui qui prépara avec Trozzi la motion d'extrême gauche. Encore une fois, ce qui y prédominait était la question de la politique du moment. Non seulement on y désavouait le Groupe parlementaire, mais on déplorait même la faiblesse de la Direction du Parti. La discussion fut déviée par un tumultueux incident: Modigliani se leva pour dire que si une telle motion était votée, tous les députés présenteraient leur démission. Alors Trozzi eut la faiblesse de retirer sa signature et ce n'est qu'après de longs débats que Lo Sardo, homme habile mais qui ne fut jamais très rigoureux, rédigea une formule atténuée que même Modigliani accepta.
Mise aux voix, la motion Salvatori en recueillit 14 015, la motion centriste de Tiraboschi 2 507 et celle de Modigliani 2 505. La motion victorieuse dit ceci:
«Le XVe Congrès du Parti socialiste italien:
Nous avons rapporté la motion ainsi atténuée pour montrer comment, encore une fois, l'affirmation de principes valides et toujours soulignés par la gauche ne se traduisait pas ici par une coupure nette et radicale dans la pratique, et comment le scrupule de l'unité amenait à une régularisation de fait, sinon de principe, du passé. Il suffira de quelques mois pour que le Groupe parlementaire recommence à n'en faire qu'à sa tête, et pour que la Direction laisse courir.
Le fait est que le Congrès avait éludé les questions de fond pour se concentrer sur une joute d'accusations et de contre-accusations concernant des actes individuels. Un an auparavant, quand on avait parlé pour la première fois de Congrès, l'extrême gauche avait demandé que le débat fût exhaustif et qu'on n'évitât pas les discussions «théoriques» qu'on craignait tant par peur de conflits susceptibles de compromettre l'unité du Parti. C'était précisément sur le terrain de la pratique que le débat sur l'action à développer dans le pays et sur les méthodes à suivre dans les rapports internationaux se dessinait, et étant donné le désaccord pratique sur ce qu'on appelait «aller à droite ou aller à gauche», la meilleure manière de l'envenimer était de le laisser en suspens «en confiant la solution au hasard, à Messieurs les Evénements » (Pour une discussion exhaustive dans l'«Avanti!» du 13.10.1917; voir dans la seconde partie les textes 32 et 34).
Dans les faits, la nouvelle Direction sortie du Congrès de Rome ne pourra pas ne pas se perpétuer, précisément du fait de l'absence d'éclaircissement sur les questions de fond et donc de redressement administratif, des hésitations et des errements du passé, pour la plus grande honte des «praticiens», des «concrétistes» et des «contingentistes», aussi bien que des partisans de l'unité à tout prix.
On dit que ce qu'on devait appeler plus tard le maximalisme naquit lors de ce Congrès. Les plus acharnés auraient été Gennari et Bombacci: le plus grand mérite des «assises» de Rome reviendrait au vrai révolutionnaire Salvatori, qui ne mérite certes pas qu'on l'accuse d'avoir tenu le maximalisme sur les fonts baptismaux. L'ordre du jour sur la situation nationale et internationale de Gennari affirmait que, sous le socialisme, le concept de patrie était dépassé, et que, dans l'action pratique, on devait hâter la paix et canaliser le mouvement général vers le programme maximum, celui de l'expropriation de la bourgeoisie. Ce n'est que plus tard que l'on put soumettre des phrases de ce genre à un meilleur crible, à la lumière du marxisme, lorsque le «maximalisme» révéla la pauvreté de son contenu et de son appréciation de l'après-guerre.
Cependant, la guerre approchait de sa fin, avec la victoire - tant glorifiée par la bourgeoisie italienne - de la bataille de Vittorio Veneto et l'entrée des troupes dans les campagnes et les villes «libérées». Mais les problèmes tant attendus «de l'après-guerre» se dressaient à présent dans toute leur dureté.
22 - Les jeunes socialistes pendant la guerre
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Avant de passer à l'après-guerre, il est utile de revenir brièvement sur les vicissitudes du mouvement de la Jeunesse socialiste, dont nous avons rappelé le remarquable appui à l'aile gauche révolutionnaire du Parti jusqu'à la veille du conflit de 1914-18.
Dès août 1914, la Fédération de la jeunesse avait accueilli l'éclatement du conflit européen en prenant la même position résolue contre la trahison social-nationaliste que la gauche du Parti, position que nous avons illustrée par des références à des articles fondamentaux de l'«Avanti!». Elle n'échappa malheureusement pas à une légère crise lorsque Mussolini, en octobre 1914, accomplit sa honteuse défection.
Le journal l'«Avanguardia» était alors dirigé par Lido Gaiani, qui suivit malheureusement le futur duce, ce qui ne manqua pas de provoquer un certain désarroi dans les rangs de l'organisation. Une conférence du Comité national fut réunie d'urgence à Bologne le 25 octobre, c'est-à-dire peu de temps après le fameux article qui marquait la volte-face mussolinienne. Il y fut voté un ordre du jour résolu qui mettait fin à toute hésitation interventionniste, en présence du transfuge Gaiani. Peu de jours après, celui-ci devait passer avec armes et bagages du côté des traîtres, sans pour autant être suivi ne serait-ce que par une infime minorité des jeunes. Il édita une feuille de chou dissidente, à laquelle il donna le titre du fameux éditorial du premier numéro du «Popolo d'Italia», (Audacia), en embrassant impudemment la thèse de l'intervention immédiate. Voici le texte de l'ordre du jour voté à Bologne, tel que le rapporta l'«Avanguardia» du 8/11/1914, n° 361:
«Le Comité national des jeunes socialistes italiens, discutant de l'actuelle situation politique internationale et de l'attitude prise à l'égard de l'«Avanguardia»,
estime que le mouvement des jeunes doit continuer à s'inspirer de la même orientation d'aversion idéologique et pratique à l'égard de toute guerre. Les très graves et très vastes événements actuels, et précisément l'échec de l'action des socialistes dans les Etats belligérants, enseignent en effet que toute concession des socialistes aux factions du militarisme étatique conduit seulement à entraîner le prolétariat dans la duperie sanguinaire des guerres fratricides. Conséquence fatale de la structure économique et sociale profonde du capitalisme moderne, dont le socialisme est l'antithèse théorique et agissante, ces guerres sont entièrement soustraites au contrôle et à l'influence du prolétariat dans leur motivation, dans leur initiative et dans leur déroulement, et constituent le monopole unilatéral des Etats modernes, même démocratiques. Il décide que la Fédération de la jeunesse doit développer son action politique en accord avec le Parti socialiste italien et avec toutes les organisations du prolétariat, en faisant appel en cas de guerre aux masses ouvrières pour qu'elles développent l'opposition la plus tranchante. Il désapprouve l'attitude face à la guerre de l'«Avanguardia» qui a porté des jugements manifestement partiels et prématurés sur certains socialistes étrangers, a fait preuve de sympathie sentimentale pour une des parties belligérantes et a fait des proposition belliqueuses inopportunes en des circonstances particulières du conflit, sortant de la saine conception socialiste des faits [
]».
Après cette décision, l'orientation de l'«Avanguardia» fut complètement redressée, et le journal prit position pour la ligne la plus radicale en matière d'action contre la guerre. Il y eut une très importante confirmation de ce redressement au Congrès de la Fédération de la jeunesse tenu à Reggio Emilia les 10 et 11 mai 1915, c'est-à-dire à la veille de l'intervention de l'Italie dans la guerre. La motion proposée au vote, très importante parce qu'elle contenait le principe défaitiste de la grève générale en cas de guerre, fut ensuite défendue par les délégués de l'extrême gauche et de la Fédération de la jeunesse elle-même à la Conférence du 16 mai 1915 des organismes du Parti à Bologne. 107 délégués étaient présents, représentant 305 sections avec environ 10 000 membres. Sur le rapport du Comité central et du journal fut approuvé l'ordre du jour suivant:
«Le Congrès, ayant constaté que le Comité central et la direction de l'«Avanguardia», après le rappel à l'ordre de la Conférence nationale tenue à Bologne le 25 octobre 1914, ont suivi une ligne de conduite adaptée aux aspirations du mouvement des jeunes, en approuve l'action et passe à l'ordre du jour.»
Sur l'action contre la guerre, l'ordre du jour suivant fut approuvé à une large majorité:
«Les jeunes socialistes italiens affirment qu'il est nécessaire de rendre toujours plus sensible en ce moment l'opposition entre bourgeoisie et prolétariat. Ils croient et espèrent que la grève générale en cas de guerre sera le signe vraiment efficace de cette opposition, et donnent mandat aux représentants qui se rendront à la conférence nationale de Bologne pour défendre leurs convictions et leur volonté d'affirmer au prix de tous les sacrifices l'intention de sauver les idéaux et les intérêts de la classe des travailleurs.»
Le journal prit une orientation de gauche aussitôt après que le Parti eut repoussé la proposition de grève générale, et un article que nous donnons en appendice, d'octobre 1916, développa les mêmes idées, la même direction que celle que l'extrême gauche affirma avec force à la conférence de Rome de février 1917. En prévision des manifestations du 1er mai 1917, la Fédération de la jeunesse se tourna vers le Parti pour obtenir que la manifestation elle-même s'inspirât de directives plus nettes et plus énergiques que celles dont s'était contentée la majorité lors de la conférence de février avec la vague formule: «conformer l'action ultérieure du Parti à l'action développée jusqu'ici.» Dans un article postérieur, de juillet 1917, intitulé «Encore plus de l'avant», l'organe des jeunes affirma résolument qu'après la guerre l'Internationale socialiste devait être scindée en deux, et que les anciens chefs, qui avaient trahi en 1914, devaient être repoussés au-delà du véritable abyme qui séparait les marxistes révolutionnaires de tous les transfuges dans le camp social-patriote (voir les textes 29 et 31).
Des informations plus détaillées sur les prises de position des jeunes dans la période cruciale de février-juin 1917 se trouvent dans le «Mémoire au Parti socialiste» de la Fédération de la jeunesse socialiste italienne, déjà cité, daté du 24.5.1917, à Rome, et signé par le secrétaire de l'époque, Nicola Cilla, un élément de gauche. C'est une vive critique des organes dirigeants du Parti, qui n'ont pas tenu la promesse de prendre sérieusement en considération l'ordre du jour présenté par la gauche à la conférence de février, et qui, dans les conférences d'avril et de mai à Milan, ont eu une attitude fondamentalement pacifiste et gradualiste. Deux propositions d'additifs - ou mieux d'éclaircissement - de la Fédération de la jeunesse à l'ordre du jour de la gauche à la conférence de Rome y sont rapportées.
La première demande d'
«imposer à la Confédération générale du travail une orientation nettement classiste; dans toutes les occasions adéquates (événements importants, procès politiques, crises parlementaires, provocations internationales, etc.) proclamer la grève générale et convoquer des meetings, en s'affirmant pour ce seul programme: «la paix, non la victoire»; tenir mobilisées et prêtes les forces prolétariennes, et, au cas où elles se mettraient en mouvement en dehors de notre initiative, intervenir en les éclairant et en les défendant face à la réaction bourgeoise.»
La seconde invite:
«le Comité central à se tenir davantage en harmonie avec le mouvement de la jeunesse socialiste internationale, pour s'accorder au sujet de mouvements futurs éventuels, et pour maintenir en éveil et vivante cette union internationale qui est une grande partie de notre force.»
Du même fascicule il ressort qu'en vue de la conférence déjà mentionnée des 9-10 avril à Milan, la Fédération de la jeunesse avait envoyé à la Direction l'appel suivant:
«Considérant qu'il serait de mauvaise politique et irréaliste de ne pas tenir compte du mécontentement populaire qui est la conséquence fatale de la guerre, ou de se fier à une vague formule du genre «conformer l'action ultérieure du Parti à l'action développée jusqu'ici»; considérant que le mécontentement populaire actuel risque d'être exploité comme planche de salut de l'interventionnisme pseudo-démocratique et républicain afin de l'orienter vers une action insurrectionnelle non socialiste, voire anti socialiste, qui conduirait l'Italie à la réalisation d'un programme essentiellement républicain-bourgeois; la Fédération émet le vu que la direction du Parti, s'inspirant des événements de Russie et d'Amérique et de l'état d'esprit créé par la guerre, adopte une ligne de conduite qui dirige, coordonne et unifie l'esprit et l'action du prolétariat italien.»
Les 23-24/9/1917, la Fédération de la jeunesse socialiste italienne réussit à tenir un nouveau congrès à Florence, avec plus de 150 délégués représentant 300 sections avec environ 9 000 inscrits. Pour ce qui est de l'orientation politique, le congrès exprima son accord avec la circulaire de la fraction intransigeante révolutionnaire, qui s'était constituée pour réagir à l'orientation centriste trop faible de la direction, tout en soutenant cette dernière contre la menace social-patriotique d'une défection du Groupe parlementaire.
De l'ordre du jour sur l'Internationale, nous rapportons la partie la plus remarquable:
«Le Congrès de la jeunesse socialiste italienne,
considérant que les événements historiques de Russie confirment brillamment la rationalité des principes de la lutte de classe que nous propageons, salue fraternellement la Russie révolutionnaire et voit dans son triomphe le triomphe des idées révolutionnaires;
considérant que, de même que la révolution russe ne peut vaincre de façon pleinement socialiste [nous sommes à un mois environ de la révolution d'octobre, NdR] que par la lutte contre le gouvernement bourgeois et contre le social-patriotisme, de même dans tous les autres pays la tactique révolutionnaire ne peut triompher que par la lutte la plus âpre contre le social-patriotisme;
décide qu'une des tâches de la Jeunesse socialiste est d'uvrer au sein du mouvement prolétarien en attisant la lutte révolutionnaire pour le triomphe de nos principes.»
Durant ce congrès on déplora également vivement l'attitude incertaine du parti adulte et sa tentative de créer de fausses unanimités, en rappelant qu'à la conférence de Rome de février 1917 on avait voulu trouver un accord entre deux ordres du jour qui semblaient comparables, mais qui «étaient, au contraire, séparés par une opposition inconciliable.» Lazzari lui-même voulut répondre aux critiques en revendiquant le respect du concept de patrie. Cependant le vote donna plus de 7 000 voix pour l'orientation de gauche, contre 700 pour les groupes de la région de Reggio, qui toléraient la position falote du secrétaire du Parti.
Dans la période suivante, toujours en 1917, l'organe de la Fédération de la jeunesse se montra très sensible aux nouvelles de la révolution russe et à la victoire d'Octobre. Une série de notes intitulées Tandis que Lénine triomphe, La lumière vient de l'Orient et d'autres, soulignent avec assurance et promptitude l'accord complet entre l'uvre des bolcheviks et les préceptes fondamentaux du marxisme: on notera surtout l'article fondamental de février 1918, Les enseignements de la nouvelle histoire. La Fédération commença même à agiter de manière toujours plus nette le problème de la création d'une nouvelle Internationale, comme on peut le déduire, parmi de nombreux autres textes, d'un article de mai 1918 intitulé L'orientation marxiste de la nouvelle Internationale. Malgré les mutilations de la censure de guerre, cet article exposait clairement la question de la conquête révolutionnaire du pouvoir, de la condamnation de la démocratie parlementaire, et de la centralisation de l'action communiste.
Jusqu'à la fin de la guerre, malgré la rotation vertigineuse parmi les dirigeants et dans la rédaction de l'«Avanguardia», rotation due aux incessants appels sous les armes des militants les plus jeunes, le mouvement des jeunes s'orienta par des manifestations explicites vers la future bataille entre l'aile gauche du Parti socialiste et les forces résiduelles encore nichées dans ses rangs, et dont il fallait se débarrasser. Nous laissons la parole, pour le confirmer, aux pages reproduites par nous dans la seconde partie pour la période 1917-1918.
23 - La grande révolte prolétarienne de l'après-guerre: les épisodes de Naples
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Suivant la logique de notre exposé nous devrions trouver maintenant la critique des premières manifestations du Parti socialiste et de sa direction après la fin de la guerre (4 novembre 1918) et la présentation des prises de positions simultanées de l'aile révolutionnaire extrême.
Nous considérons toutefois utile de nous arrêter auparavant sur une série d'événements qui se prêtent à préciser au mieux les rapports entre le mouvement syndical ouvrier et le mouvement politique socialiste. Problème qui n'a pas seulement une grande importance, y compris aujourd'hui, d'un point de vue doctrinal, mais aussi sur le plan de l'action pratique, alors que les premières années d'après-guerre, en Italie (1919-1922), vivaient une lutte historique vibrante, et dont les enseignements ne peuvent être oubliés en dépit des échecs et surtout à cause de la très grave dégénérescence du mouvement italien et international qui suivit.
Sortant des souffrances de la guerre, la classe ouvrière fut vite assaillie par la crise économique aiguë provenant de la démobilisation des travailleurs en livrée militaire qui retournaient sur le marché du travail. La lutte économique syndicale, pour laquelle le prolétariat italien avait de puissantes traditions, se ralluma sans délai. Cette rapidité ne serait pas explicable si l'on ne tenait pas compte de la vive opposition que tout le prolétariat avait menée contre la guerre, de manière plus énergique que son Parti, dont nous avons mis en lumière les incertitudes et les hésitations, et de sa décision d'en faire payer les conséquences à la classe dominante, avec un élan dépassant les simples revendications de concessions économiques à valeur immédiate. En fait, c'était toute la classe travailleuse qui sentait que se posait le problème, une fois dissipé le fantasme belliciste, de transformer totalement le sous-sol social. Les masses se trouvaient de fait sur le terrain sur lequel, au milieu d'infinies difficultés, avait su les porter l'aile la plus décidée de son organisation politique. Leur mouvement fut spontané, repris d'un bout à l'autre du pays, et toutes les couches de la bourgeoisie tremblaient de ce début de l'avancée prolétarienne.
Si, au lieu de la seule histoire du courant de la gauche, on devait faire l'histoire de la lutte de classe en Italie dans l'immédiat après-guerre, le cadre à dépeindre serait immense, tant les mouvements furent vastes, nombreux, les conquêtes et le mouvement des forces en lutte impatients et fréquents, la reprise des luttes suivant immédiatement chaque pause. On ne criait pas seulement dans chaque épisode de lutte même restreint et local, ou, comme on dit aujourd'hui, sectoriel: «Du pain», ou: «Justice sociale», mais: «A bas la guerre et mort à la bourgeoisie qui l'a voulue».
Nous pouvons commenter ces positions sur le plan historique en nous servant d'un livre à l'objectif restreint, intitulé «Naples entre l'après-guerre et le fascisme», de R. Colapietra (Editions Feltrinelli, Milan 1962), qui n'a pas d'autre intérêt que d'avoir puisé dans un matériel qui épouse notre thèse.
L'auteur a surtout suivi la collection des journaux napolitains de l'époque - de toutes nuances politiques - et entre autres de l'hebdomadaire socialiste «Il Soviet» qui fut l'organe de la Fraction communiste abstentionniste du parti, organisée dans de nombreuses régions d'Italie. L'hebdomadaire sortit immédiatement après la fin de la guerre, précisément le 22 décembre 1918. Le vieil hebdomadaire de la Fédération était, nous avons eu l'occasion de nous y référer, «Il Socialista»; mais nous étions, lors d'une réunion, à la recherche d'un titre exprimant mieux l'expression de l'adhésion de tout le mouvement napolitain aux thèses de la tendance révolutionnaire, quand parmi les applaudissements de tous un camarade (qui quitta ensuite la fraction) s'exclama: «Comment hésiter?: «Il Soviet»!».
Nous avons déjà parlé, précédemment à l'histoire des événements du temps de la guerre, du mouvement socialiste à Naples, et des vives luttes en son sein contre les graves problèmes posés par le courant ultra-opportuniste des partisans des blocs, les «bloccardi», et par les pro-maçons. Ceux-ci avaient été battus au Congrès d'Ancône en 1914, mais, comme nous l'avons expliqué, le bloc auquel participaient les sortants du parti avait bruyamment vaincu aux élections communales contre le «faisceau» des clérico-modérés. Nous ne parlerons pas ici de la division, au sein de la fraction «socialiste» du bloc, entre les interventionnistes et quelques rares neutralistes. Le livre dont nous parlons en fait mention, et cite en note un article de «Il Soviet» paru dans le premier numéro que nous reproduisons:
«On laisse croire que le socialisme se résume à la bonne administration d'une commune ou d'une région, à la solution à donner aux mille problèmes concrets, à la défense de l'honnêteté mesurée à l'aune du code bourgeois et de la lutte contre les voleurs. Cette manie des questions morales [ici l'historien raffiné d'aujourd'hui ajoute un sic, montrant sa stupeur devant le fait que toute question de morale ne peut être envisagée qu'en fonction de son irréprochabilité!] conduit à valider la méthode de la collaboration avec les bourgeois honnêtes, comme s'ils n'étaient pas d'authentiques exploiteurs du prolétariat Un trait caractéristique de la situation à Naples à toujours été celui-ci: alors qu'ailleurs les opportunistes n'ont jamais fait mystère de leurs positions, ici, la compromission la plus éhontée s'accompagne d'une mise en scène révolutionnaire alliée à l'exubérance du tempérament et du geste Le bloc napolitain est donc pour nous un épisode instructif.»
Et de fait le sabbat opportuniste, à Naples, avant-guerre, servit à la lutte conduite jusqu'en 1914 pour remettre le parti socialiste sur des positions de classe, évitant la totale ruine lorsque la deuxième Internationale fut dissoute dans le social-chauvinisme. Les exemples de cette période, vieille de 45 ans, peuvent servir à se garder des petits bouffons qui réapparaissent régulièrement, du type «fausse gauche», tandis que la juste position sur la question syndicale, dans cette période de fervente activité que fut celle de l'Italie de 1919, sert toujours aujourd'hui pour la liquidation de certaines déviations du marxisme, de même que la juste voie fut alors trouvée en se réappropriant le résultat des luttes précédentes, contre le syndicalisme anti-parti et «immédiatiste».
Dans la chronologie historique dont nous nous servons comme témoignage documentaire, on peut noter que l'auteur, manifestement de type «centriste» et «anti-gauche», bien que faisant place aux références critiques d'alors (et ultérieures) au mouvement de «Il Soviet» et de la gauche (que certains imbéciles aiment appeler napolitaine), c'est-à-dire la rendant incapable de sortir de la théorie abstraite pour se rapprocher des masses en mouvement, reconnaît toutefois que le mouvement de 1919 donna vie à «un net éclaircissement des questions syndicales», et le définit comme son uvre exclusive. Il rappelle que la salle de rédaction de «Il Soviet» était située dans la Chambre du travail (plus exactement à la Fédération de la métallurgie, jouxtant la Chambre confédérale bâtie sur les ruines de la «Chambre du travail» syndicaliste et bloccarde), et il passe en revue les ligues de métiers et leurs organisateurs, qui se trouvaient au sein du fort groupe politique de «Il Soviet». L'acceptation de la juste tactique syndicale en Italie dans les rangs révolutionnaires fut donc naturelle, tactique identique à celle des russes et de Lénine (avec lequel il n'y avait pas alors de liens) selon laquelle on devait travailler dans la Confédération et non la scinder, même si elle était dirigée par les réformistes et si la partie technique des grèves était prise en main par les Buozzi et Colombino, contre lesquels le parti se battait chaque jour.
Le narrateur ne manque pas, c'est vrai, de faire peser sur le groupe de «Il Soviet» la responsabilité de la défaite des mémorables grèves de la métallurgie du printemps 1919 sans voir que la tradition de ces 50 journées de lutte acharnée reste une page glorieuse et une confirmation de tout ce que la gauche communiste soutenait quant à la nécessité de la scission du parti et à la formation du parti communiste pour lequel elle lutta jusqu'à Livourne en 1921.
Mais c'est à nous de citer les références à la vaste activité que le groupe de «Il Soviet», pendant qu'il se postait à l'avant-garde du parti révolutionnaire, conduisait depuis le premier jour sur le terrain de la lutte économique prolétarienne. Colapietra fait une critique des méthodes de la gauche, disant justement que, d'un côté, celle-ci tendait à préparer un parti sévèrement sélectionné qui fasse de l'avant-garde l'état-major de la révolution, et objectant, d'autre part, qu'elle ne clarifiait pas la méthode pour faire la révolution. C'est vrai: encore aujourd'hui, nous admettons ne pas avoir une recette pour la réaliser, ni pour construire un tel parti; il est juste de dire que la révolution est un résultat de la crise du régime capitaliste et que «l'important est que ce résultat ne se présente pas devant un parti non préparé.» Il est exact que le parti n'était pas préparé dans le premier après-guerre, et qu'il avait franchement disparu ou agissait dans un sens contre-révolutionnaire dans le second après-guerre. Si cela prouve que les gauches étaient des imbéciles, nous préférons accepter cet adjectif plutôt que de nous mettre, nous aussi, à la recherche de recettes (il est de la plus haute importance de reconnaître ses propres erreurs) pour rattraper le succès qui nous a tourné le dos.
Monsieur Colapietra voudra bien nous excuser si nous le prenons en tant que source de témoignages historiques et si nous le laissons désormais à son travail de critique. Nous lui devons d'autres remerciements pour une autre citation, toujours dans le même numéro de «Il Soviet». Elle établit la justesse de notre position face à Bombacci défendant une assemblée constituante, position à laquelle les bolcheviks avaient déjà donné justice. Voici le passage:
«La révolution socialiste se réalisera quand le pouvoir politique sera dans les mains des travailleurs, non seulement parce que les travailleurs constituent la majorité, mais parce que la minorité bourgeoise se verra retirer toute ingérence dans la formation des organes du pouvoir.»
Le texte narre ensuite la tenue d'une vaste convention méridionale dans laquelle Bombacci intervint. Les camarades de «Il Soviet» présentèrent (29 décembre 1918) un ordre du jour - sur lequel nous reviendrons - pour l'abstention absolue lors des luttes électorales; celui-ci, malgré ceux qui appuyaient Bombacci, fut voté à l'unanimité moins la seule section d'Avellino. Suivit une série d'articles dans «Il Soviet» avec les titres L'ambiguïté et l'insidiosité du réformisme; L'illusion électoraliste; L'inutilité du Parlement. Le 17 mars 1919 la section de Naples prit une courageuse décision pour un congrès du parti en délibérant sur l'abstention dans la lutte électorale afin de consacrer toutes ses forces à la propagande. Notre texte dit que la formule était faible mais en donne une explication bienveillante. Il était prévisible que la nouvelle pratique abstentionniste soulève les objections d'anarchisme, de syndicalisme, d'économisme. Il y avait une polémique dans le périodique confédéral ultra-droitier «Battaglie sindicali», et comme d'habitude la Confédération essayait d'écraser le parti. Mais le groupe de «Il Soviet», s'il était pour l'abstention, était pour la politisation et pour le renforcement du parti. Voici une nouvelle et utile citation:
«On ne peut abattre le pouvoir bourgeois sans abattre ses organes, parmi lesquels, en tout premier, l'assemblée législative. Entre la conquête révolutionnaire du pouvoir de la part du prolétariat, au moyen de son organe politique, qui est le parti socialiste, et la fonction électorale, il y a une rigoureuse antithèse: l'une exclut l'autre.»
Nous ne sommes pas au centre de l'histoire de la fraction abstentionniste, mais ce que nous voulons pour l'instant montrer c'est que les gauches et les abstentionnistes étaient en première ligne de la lutte syndicale sur la meilleure ligne marxiste et «léniniste». Relevons un seul autre fait sur la question des élections: le congrès régional socialiste du 20 avril 1919, qui souleva l'attention de toute la presse bourgeoise (et se montra complaisante, selon notre brave chroniqueur): 274 pour la motion abstentionniste, 81 pour l'ordre du jour pur et simple, 58 abstentions.
Il est intéressant que notre auteur lie l'hostilité de «Il Soviet» envers les économistes (ou syndicalistes réformistes) de «Battaglie sindacali» aux dissensions, déjà claires alors, d'avec l'«Ordine nuovo» de Turin (nous avons rappelé et rappellerons encore le «salut» très réservé de «Il Soviet» à la sortie de l'«Ordine nuovo» et l'avertissement contre la manie des «problèmes concrets», antique Circé du pire réformisme). Mais voici une autre bonne citation:
«Le soviétisme n'est pas un méli-mélo de syndicats [dit «Il Soviet» du 15 avril 1919]. Dans la période révolutionnaire, et dans la conception communiste, le syndicat a sa part, qui est tout autre que prééminente; mais le caractère de l'organisation est politique Le développement de la révolution rejette la vision de l'ouvriérisme réformiste et du syndicalisme. Et confie à l'action politique de la classe ouvrière la praxis de la révolution.»
En ce temps peu nombreux en Italie étaient ceux qui avaient compris ce qu'étaient les soviets russes; ils les confondaient avec une nouvelle formule miraculeuse d'organisation, retombant dans la vieille erreur existant encore aujourd'hui dans certains journaux immédiatistes et consistant à croire que la lutte de classe est un fait économique et non politique.
Nous ne voulons pas ici faire la démonstration, par une série de faits provenant de la chronique historique et de témoignages certes utiles venant d'autres auteurs, de la validité d'une thèse dialectique que nulle formulation théorique ne pourrait rendre digeste: le parti plus révolutionnaire que le syndicat. Le parti politique plus proche de la classe que les syndicats. Le parti véritable organe de la dictature du prolétariat et non le syndicat, ou d'autres organismes économiques, et pas plus les soviets, qui peuvent devenir la proie des opportunistes petit-bourgeois, et dont il faudrait alors nier le pouvoir (Lénine). Scission du parti socialiste traditionnel pour former le parti communiste apte à la dictature. Et - en toute cohérence - travail dans les syndicats en toute situation comme premier devoir du parti. Pas de postulat indiquant la nécessité de scinder les syndicats, mais travail dans ceux qui sont dominés par les réformistes et les traîtres. Participation active aux grèves, en parlant chaque jour aux masses de politique, de prise du pouvoir, de dictature, de destruction du parlementarisme bourgeois. En cela, Lénine n'était pas en opposition avec nous, mais il voulait nous faire travailler dans le Parlement pour amener la ruine du Parlement. Nous avons dit à Lénine que nous ne le comprenions pas: si cela venait du fait que nous étions des crétins, que vienne expliquer cette tactique non celui qui l'a comprise mais celui qui l'a appliquée et réalisée, et nous lui montrerons alors un Parlement en lambeaux!
Suivons nos propres sources pour montrer que la relation dialectique entre les propositions et les thèses établies jadis cheminent bien ensemble, et collent à la perfection avec ces messieurs les faits. Toutefois nous placerons encore une citation de «Il Soviet» sur le thème, pardonnez-nous, de la pure politique. Un camarade, maintenant doyen mais toujours à nos côtés, écrivit alors ce qui suit, et ceci montre depuis quelle époque nous détestons cordialement le plus fétide impérialisme, celui des Etats-Unis. La presse de 1919 soufflait déjà le feu sur la rivalité entre l'Italie et la Yougoslavie, comme du reste dans ce plus récent après-guerre avec les «communistes» pro-russes actuellement en phase d'amour avec Belgrade. Voici le passage:
«La question Adriatique n'existe pas, sinon à travers un conflit d'appétits entre la bourgeoisie italienne et yougoslave Pour nous la question nationale n'a aucune signification et aucune importance Le prolétariat ne doit pas s'intéresser à cet individu [le Président américain Wilson] sinon en tant qu'authentique représentant de la plus authentique bourgeoisie, un adversaire à combattre et un adversaire dangereux.»
Paroles qui peuvent sonner comme une claque sur le visage des demi-jeunes ou demi-vieux qui, lors du second après-guerre, idolâtrèrent puis vitupérèrent la capitaliste Amérique et peu à peu fraternisent dignement avec elle par un baiser entre les deux K [Kennedy et Kroutchev, NdR], prestement transmis par Telstar ou par la «ligne directe».
Mais venons-en aux grandes grèves. Lors d'une première épreuve de force des métallurgistes du 18 janvier au 2 mars, les industriels avaient dû capituler en donnant quelques avantages matériels aux ouvriers napolitains très mal payés. Relevons-en les épisodes politiques. Le 23 janvier, une grande assemblée tenue au théâtre San Ferdinando commémora les morts prolétariens de la guerre. Les orateurs de «Il Soviet» proposèrent un vote pour la république socialiste et la dictature du prolétariat. La foule acclama et s'affronta à la police en sortant. A Torre Anunziata éclata la grève générale; à Naples un meeting de protestation réunit 15 000 métallurgistes. La presse bourgeoise jeta son poison; les patrons organisèrent le lock-out le 10 mars, mais le 11, après un meeting colossal sur la vieille place de Santo Agnello, Buozzi alla voir le préfet et le lock-out fut annulé.
En mai 1919, une nouvelle grève colossale de 40 000 métallurgistes commença à l'ILVA de Pozzuoli, avec les objectifs habituels: salaire minimum, règlement interne, retrait des licenciements. Buozzi vint le 19 mai, et il se fit siffler par la foule. Il repartit pour Rome et signa un compromis avec l'ILVA. Le 29 mai nouvel immense meeting à Santo Agnello. Sur proposition de «Il Soviet» le compromis Buozzi fut repoussé. Le 2 juin, les métallurgistes, par quatre meetings, votèrent la grève générale, mais la Chambre du travail la suspendit, car l'ILVA se dit prête à négocier. Lors du vote sur la poursuite de la grève on dénombra seulement une cinquantaine de vote contre sur 13 000 votes!
Le 12 juin, dans une situation défavorable due à la crise de l'industrie qui manquait de charbon et de minerai de fer, après 45 jours de lutte à l'ILVA, 36 dans toute la métallurgie et 6 de grève générale, et après que, comme d'habitude, les députés opportunistes soient apparus dans les meetings, sous les sifflets, pour offrir leur médiation, Buozzi dut mouiller de nombreuses chemises pour rendre l'accord moins ruineux. Les journaux bourgeois purent ironiser sur les trois millions de journées de travail perdues (non payées, NdT), mais les ouvriers ne se sentirent pas battus, car dans leur majorité ils furent convaincus que la lutte devait devenir générale et politique. Il y eut des mouvements et des désordres à Naples et dans les villes environnantes (comme dans toute l'Italie) contre la vie chère pendant le mois de juillet. Le mouvement fut violent mais désordonné, et les opportunistes tentèrent de le prendre en main. Le 13 juillet ils tentèrent de contrôler la Chambre du travail mais ils furent battus par 436 voix contre 5 687 aux socialistes. Notre chroniqueur trouve vain le commentaire de «Il Soviet»: «La solution de la très grave crise économique présente ne peut être donnée par les institutions politiques actuelles mais seulement par la classe travailleuse moyennant la prise du pouvoir politique.» Cela serait du délire abstentionniste! Entre autres événements, la grève en soutien de la Russie des 20 et 21 juillet 1919 n'eut pas un grand succès en Italie, ni dans le reste de l'Europe. Il n'est pas étrange que nous, gauches, en ayons déduit que le prolétariat avait besoin d'un organe de direction bien plus mûr: ce qui voulait dire demander la scission du parti socialiste.
Entre autres événements également, on se dirigea vers le Congrès de Bologne d'octobre 1919, que nous traiterons en profondeur. Le congrès régional de Naples se tint le 14 septembre. Les abstentionnistes vainquirent, mais notre auteur se complaît à dire qu'il y eut une forte opposition (sans donner de chiffres) et il recherche avec zèle à démontrer que dans «Il Soviet» on ne parlait pas de scission mais d'abstentionnisme. Nous prouverons que ce n'est pas vrai (Lénine le savait par sa lecture du journal) mais avant cela nous ne pouvons pas ne pas nous arrêter sur le texte indiquant que cette forte opposition, qui se déclarait «électoraliste», bien que se battant contre «Il Soviet», avait accepté de «proposer l'incompatibilité d'appartenance au parti de ceux qui niaient l'usage de la violence et la dictature prolétarienne.» Comme nous le prouverons pour d'autres questions, la fraction abstentionniste donna à Bologne une importance plus grande que celle de la tactique abstentionniste à la scission du parti; mais les fameux «maximalistes électoralistes» ne voulaient pas l'entendre de cette oreille (l'«Ordine Nuovo» inclus).
Une des thèses préférées du rassembleur de ces textes est que le groupe de «Il Soviet» ne fit qu'accumuler d'énormes erreurs tactiques, mais que ses textes montraient une vision historique juste et puissante. Les imbéciles peuvent donc avoir une vision prophétique du devenir historique? Si c'est le cas nous avons trouvé une autre bonne raison pour nous retrouver heureux parmi les imbéciles.
Nous nous servirons d'une autre citation. Le 4 janvier 1920, à brève distance des élections générales et de l'apparition sur la scène politique du nouveau parti populaire (d'abord catholique ou clérical, puis démocrate-chrétien), «Il Soviet» écrivit:
«Il est possible que le pouvoir passe aux mains d'un vaste parti formé d'un agrégat social-réformiste formé des restes du parti radical, du socialisme autonome, du parti populaire - qui constitue un nouveau parti démocratique à mille lieues du programme antédiluvien d'une restauration théocratique - et d'une partie des forces encadrées actuellement par notre propre parti. Ils constituent l'adversaire de demain.»
Le texte de la chronique attribue un sens historique élevé aux auteurs de «Il Soviet» et relèvent que l'allusion à «une partie de notre parti» se réfère au groupe de l'«Ordine Nuovo»: mais le rapprochement que nous tentions d'établir n'est pas celui que réalise le texte. Le jugement que nous faisions il y a 43 ans sur le parti catholique n'était-il pas prophétique de la honte de 1963, de la politique d'«ouverture à gauche» dans lequel convergent démocrates-chrétiens, socialistes réformistes et partis dégénérés du mouvement communiste du premier après-guerre?
Le chroniqueur rapporte cependant en quoi nous critiquions l'«Ordine Nuovo»:
«Soutenir que les conseils ouvriers, avant la chute de la bourgeoisie, sont déjà des organes non seulement de la lutte politique mais aussi de la préparation économico-technique du système communiste, est un pur et simple retour au gradualisme socialiste. Celui-ci, qu'il s'appelle réformisme ou syndicalisme, est défini par la fausse position indiquant que le prolétariat pourrait s'émanciper en gagnant du terrain dans les rapports économiques alors que l'ennemi détient encore, avec son État, le pouvoir politique.»
D'autre part:
«On ne peut voir que jusqu'à un certain point les germes des soviets dans les Commissions internes d'entreprises. Ou mieux, nous pensons que si celles-ci sont destinées à devenir des conseils d'entreprise chargés de fonctions techniques et de discipline durant et après la socialisation de l'entreprise, le Soviet politique citadin quant à lui pourra être élu là où ce sera le plus facile et sans doute lors de réunions peu différentes de celles des sièges électoraux actuels.»
Ces passages sont cités à propos de la polémique avec Misiano. Celui-ci ne s'intéressait à ce cas que dans la mesure où, revenant d'Allemagne, il avait apporté la nouvelle de la scission entre parti communiste et parti communiste ouvrier, et la condamnation par Lénine de ce dernier, qui ne voulait ni des élections au Parlement, ni du travail dans les syndicats «jaunes». Nous, de la gauche, avons clarifié le fait que ces deux positions n'avaient pas le même poids, et que le KAPD se trompait sur la question syndicale et se plaçait sur cette question en opposition avec les principes marxistes. Il n'est pas juste de dire que Misiano et Lénine nous plaçaient sur la même ligne, nous gauche italienne, et les kaapédistes et tribunistes hollandais. Ici notre narrateur est efficace. Misiano énonca ce qui (à son dire) était un postulat fondamental: «la tactique varie suivant les contingences des situations particulières». Et «Il Soviet» bondit: «Telle a été l'erreur de la Deuxième Internationale, mais ce ne doit pas être celle de la Troisième. Pour les communistes, principes et tactique forment un tout.»
Aujourd'hui [en 1963], il n'est pas difficile de faire le bilan. La Troisième Internationale a eu la fin de la Deuxième. Cela n'épuise pas la question de la tactique et des principes, question que nous avons souvent développée. Le parti doit imprégner ses militants tant des thèses de principe que de celles de la tactique, et ni l'une ni l'autre ne doivent être laissées à l'improviste sous le prétexte d'un nouveau tournant.
Nous aurons beaucoup à dire sur la Russie, l'Allemagne et la Troisième Internationale, mais pour l'instant revenons-en à Naples sur quelques autres épisodes qui éclairent la dynamique de l'action syndicale communiste. Prenons acte d'un autre compliment sur la solidité de la vision historique de la gauche par cette citation: «En Italie la tradition parlementaire est solidement établie, depuis longtemps, et enracinée dans la conscience et les habitudes du prolétariat lui-même, à la différence de la Russie où il a été possible de convoquer les élections pour la Constituante, et dissoudre ensuite celle-ci par la force. Ici la préparation est plus complexe et sera bien plus longue.» C'était un rapport à Moscou, et il manquait une bonne raison que nous ne pouvions indiquer en 1920: même vingt ans de Mussolini n'ont pas éradiqué le vice puant de l'électoralisme
De nouveaux mouvements syndicaux eurent lieu au début de 1920. Le 24 mars le sang coula lors de l'expulsion des usines Miani et Silvestri qui étaient occupées par les ouvriers ayant déployé le drapeau rouge. Par un vil stratagème, après avoir laissé passer les parlementaires avec un sauf-conduit et une civière avec un blessé grave, les carabiniers firent irruption et jetèrent dehors les rebelles entre des cordons de soldats derrière lesquels hurlaient les femmes prolétariennes. Le soir on frémit d'indignation à la Chambre du travail. Notre chroniqueur se moque d'un ordre du jour des gauches, jeunes et adultes, qu'il qualifie de doctrinaire et inopportun parce qu'il disait: «Nous présageons prochaine la conquête des instruments de production de la part du prolétariat à travers la conquête de sa dictature politique et le système soviétiste.» Mais la leçon du fait tragique n'était-elle pas celle-ci: l'illusion de pouvoir prendre l'usine sans avoir pris, pour le briser, l'État des carabiniers et des soldats au service de la tyrannie patronale?
Le véritable événement de cette soirée fut tout autre, et il termine bien notre étude sur la manière dont le parti agit dans les syndicats. La masse des milliers de travailleurs hurlait: grève générale! On objecta que n'étaient présents ni les membres du Conseil général de la ligue ni ceux de la commission exécutive. Et alors? avons-nous répondu. Les militants révolutionnaires ne sont-ils pas membres du parti socialiste? Ne sommes-nous pas ici des ouvriers de toutes les catégories et de toutes les usines? Nous avons décidé la grève et réparti les piquets de grève.
Le matin suivant, bien que de manière non complètement réglementaire (par rapport aux directions syndicales), Naples ne travaillait plus!
Est-ce du doctrinarisme ou la manière pratique de combattre en posant le parti à sa place: à la tête du prolétariat?
Trente années s'étant passées, à l'endroit même où nous avions été de piquet, nous avons demandé à un ouvrier ferroviaire: vous faites grève aujourd'hui? Celui-ci leva les bras: nous attendons les décisions, dit-il. Phrase digne du temps du fascisme, et du fait que le fascisme, avec la «nouvelle renaissance» des renégats, s'était consolidé au pouvoir.
24 - L'explosion de l'«après-guerre italien»
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Une fois fermée ce que nous pouvons appeler non une digression mais une utile anticipation, venons-en à la question de l'après-guerre en Italie.
L'armistice avec l'Autriche fut signé à la date «fatidique» du 4 novembre 1918 et les hostilités cessèrent sur le front italien.
Évidemment, les harnachements de la guerre restèrent encore de longs mois en vigueur, et parmi ceux-ci la censure politico-militaire sur la presse. Toutefois le mouvement de la classe ouvrière et son parti socialiste, qui avait déjà dû s'occuper selon ses possibilités des problèmes de l'après-guerre et des fameux problèmes de la paix, entra dans une activité fiévreuse, mais avec de lourdes incertitudes et contradictions. Notre courant, celui de l'extrême gauche du parti, avait une vision nette et claire des tâches de l'heure (que l'on pense à ce qu'il a été dit sur le Congrès de Rome de février 1917) et les avait développées et opposées à toutes les positions banales qui voulaient voir dans cette date seulement celle d'une grande joie et d'une grande fête. Le chemin du prolétariat fut semé de fêtes de ce genre, jusqu'à la chute du fascisme et jusqu'à la présente situation de ruine et de honte du prolétariat italien.
Certes les places des villes trépidèrent ces premiers jours de novembre, non pas tant pour chanter des louanges à la victoire nationale bourgeoise, mais parce que nous prolétaires et socialistes descendions sur ces places illuminées pour crier au visage des fauteurs et bénéficiaires de guerre que l'heure des comptes avait sonnée.
La droite nationaliste et bourgeoise sentait notre haine et avait peur de nous, et elle faisait taire pour un moment son insolence. Deux forces ennemies, deux armées de classe se mesuraient dans une guerre sociale que tous sentaient venir. Pour les révolutionnaires qui n'étaient pas d'opérette, il ne s'agissait pas de jubiler et de railler l'adversaire, mais de l'étudier correctement et de bien jauger les coups à lui porter afin de le laisser définitivement au sol, comme il le faisait de son côté à notre égard.
Nous ne voulons pas exposer le lourd calendrier des événements, mais la première date que nous ayons sous les yeux est celle d'un mouvement du camp ennemi et d'une solide riposte de notre part, riposte que nous allons suivre pendant tout son cours. Une critique qui n'est ni posthume ni facile, à tant d'années de distance, mais que nous suivrons comme nous l'avons formulée alors, dans le vif des événements.
13 novembre 1918. Les anti socialistes, c'est-à-dire les fauteurs de l'intervention et de la guerre, qui avaient tremblé à une époque devant la perspective de la défaite, et qui maintenant ne pouvaient pas renoncer à l'exploitation de la victoire, organisèrent une campagne contre certaines administrations locales de couleur socialiste, comme les communes de Milan et de Bologne. Le lecteur qui a suivi notre récit, sommaire mais sûr, se rappellera que ces communes étaient aux mains de la droite du parti, que celle-ci n'avait pas péché par excès d'anti bellicisme et que nous l'avions à plusieurs reprises harponnée pour son indulgence d'abord, sa main tendue à la bourgeoisie ensuite, main destinée à adoucir ses blessures de guerre et surtout l'exaspération des blessures que sa guerre avait portée dans les chaires prolétariennes.
Mais la bourgeoisie dominante et politicarde, surtout lorsqu'elle part en campagne en faveur d'une démocratie mondiale, ne sait pas ce qu'est la gratitude et aurait volontiers broyé ses ingénus serviteurs. Elle couvait déjà ses incursions, ses expéditions punitives contre la presse, contre les organismes et les bureaux d'organisations rouges, et nous étions peu alors à dire que le seul remède à sa soif de destruction n'était pas l'invocation de la démocratie mais la préparation par nous d'expéditions punitives et d'incursions en armes pour la jeter au sol: et non pas pour venger six cent mille prolétaires massacrés pendant la guerre, mais pour sauver les générations et l'humanité futures d'autres guerres capitalistes. La révolution est un moyen sérieux; la vengeance une fin imbécile.
Nous citons un manifeste, lancé après les manifestations contre les interventionnistes, qui avait «provoqué» la campagne contre les communes socialistes. Naturellement il fut facile à la presse jaune, dès ces premières manifestations, de commencer à dénoncer nos provocations. En fait, quand les masses qui protestaient rencontrèrent les jeunes patriotes qui exhibaient leurs citations de guerre, et parfois quelques médailles, ceux-ci furent accueillis par des sifflets et des grimaces, et quelques bonnes gifles calleuses trouvèrent les visages des vrais ou faux héros. La stupide histoire de qui avait commencé la provocation débuta: elle n'est toujours pas finie. La tactique en cette matière est claire: il vaut mieux être le provocateur que le provoqué.
Le manifeste fut signé par Caldara du syndicat de Milan, Mariani pour la Chambre du Travail, Interlenghi pour la section socialiste, d'Aragona pour la Confédération, Turati et d'autres pour le Groupe parlementaire. Le bref prologue faisait appel aux formes de lutte civiles (c'est-à-dire à celles qui reniaient la guerre civile, que l'on devait être soucieux de substituer à la guerre militaire); il invitait «au sérieux, à la conscience et à la force organisée», hors de toute «violence inutile», et, alors qu'il saluait les premiers symptômes du développement des «germes jetés en un demi-siècle par les maîtres du socialisme», il retentissait des thèmes de la propagande de l'entente parlant de l'écroulement en Europe des «survivances impériales, féodales, autoritaires et réactionnaires.»
Les simples signatures justifiaient notre critique de base, faite avant, durant et après la guerre. C'est le parti, et le parti seul, qui doit conduire ces actes de lutte politique: les députés et les bonzes confédéraux ne doivent pas donner mais recevoir des consignes d'action.
Dans quelques documents ultérieurs que nous verrons de suite, on tenta de classer les revendications entre «minimales» et «maximales», ne sachant pas dire lesquelles étaient «immédiates». On trouva des formules qui se voulaient être de principe mais étaient impropres comme: «à qui travaille, le fruit intégral de son travail»; d'autres de caractère contingent de la période d'après-guerre telles que: restauration de toutes les libertés, abolition de la censure, amnistie; d'autres pacifistes telles que: désarmement total et permanent, auto-décision du peuple, retrait des expéditions contre la Russie, suppression des barrières douanières; d'autres économiques très vagues comme le contrôle ouvrier dans les usines, la terre et les travaux publics confiés à des coopératives; enfin d'autres de politique interne confuse: abolition de tout pouvoir arbitraire à la direction suprême de l'État (la monarchie?), suffrage universel, etc. Nous ne dressons pas une liste ordonnée et faisons grâce des huit heures, de l'impôt progressif, de la confiscation des profits de guerre.
On ne pensa pas à une formule simple: à la guerre suit un affrontement entre les forces politiques bourgeoises et prolétariennes - et de cette confrontation sortira la lutte violente, en notre faveur si elle est bien organisée, sans oublier que la seule défense est l'offensive. La confusion sur ces questions vint du désir de concilier les formules plaisant au bon révolutionnaire de parti (on n'en manquait pas à Milan), au député et à l'organisateur de droite. La première entrave aux pieds du prolétariat italien était la fausse unité du parti, qui se vantait de son opposition totale à la guerre récente et à la concorde nationale.
Les manifestations de la Confédération du travail précédèrent celles, toujours sur un terrain hybride, du parti. La Confédération réunit son conseil de direction le 30 novembre. Ni le parti ni ses organes ne furent invités. Son petit chef, avant de se réclamer de la lutte de classe et du socialisme international, réclama la réalisation des promesses faites par la classe dominante au prolétariat pour le décider au grave sacrifice, et donc que la lutte de classe se réduisit à un affermage du sang prolétarien, ce que du reste la «nation» avait affirmé être son droit sacré, et gratis. De là on invitait le prolétariat à être vigilant et à faire pression pour obtenir un programme de réformes immédiates. La liste n'était pas différente de celle de Milan: il n'y était donc pas question de révolution mais de réformes radicales et immédiates.
En tête il y en a une bien bonne: Convocation de la Constituante!! Puis vient la fameuse abolition de tout pouvoir arbitraire, c'est-à-dire la question institutionnelle de la république; mais le terme de république était traître: socialiste ou bourgeoise?
À l'énumération désordonnée que nous avons d'abord indiquée s'ajoute un alinéa vraiment brillant. Nous avons récemment défini cette revendication social-réformiste de 1919 à l'égal de celle fasciste-hitlérienne de 1922 et 1933, et kroutchévienne de 1962. Écoutez et ravissez-vous:
«Transfert du pouvoir délibératif du parlement aux corps consultatifs syndicaux, dûment transformés, pour la partie technique des lois sociales et des règlements qui y sont relatifs.»
En queue on trouve les vieilles frusques du programme minimum d'avant-guerre: école laïque pour le prolétariat. Aujourd'hui, en 1963, après 45 années, nous faisons avec l'ouverture à gauche un fameux pas en avant: école de la démocratie catholique pour le prolétariat!
Nous voyons ici les partis progressistes peu à peu au travail. Et la Constituante a déjà bénéficié d'un ordre civil moderne, n'est-ce pas miraculeux!
Il semble que le manifeste que nous allons examiner soit sorti le 7 novembre, c'est-à-dire avant le texte que nous venons d'examiner. Mais il n'a été rendu public que le 7 décembre, soit bien après. Celui-ci émane de la Direction du PSI qui se joint à la Confédération du travail, au Groupe parlementaire et à la Ligue des coopératives! La conclusion est vraiment déconcertante: «La liberté est le présupposé d'un après-guerre qui ne soit pas fait exclusivement [?] d'exploitation de la part de la classe patronale. Ceux qui ont exploité la guerre veulent exploiter la paix et tentent d'accaparer la domination de l'État » En fait, ils essayaient d'avoir ce qu'ils avaient déjà: «Vous, travailleurs, ne pouvez rester les mains liées. Ayez un programme immédiat, que votre organisation a par avance préparé. Debout donc! La guerre est finie. Reprenons le travail.»
Bien. Le parti jette de la poudre aux yeux en suivant les autres organisations. Il n'en dit pas moins que le «fruit du travail» doit avoir une nouvelle destination, comme indiqué précédemment.
C'est seulement dans l'«Avanti!» du 14 décembre 1918 qu'il y a un bref compte rendu de la réunion de la Direction du parti du 7 au 11. On doit tenir compte qu'existait encore la censure et l'on a la trace de 11 paragraphes censurés. Une partie notable de la discussion se réfère aux rapports internationaux. La partie regardant les rapports avec les partis de la Deuxième Internationale, comme le parti français, entaché des plus graves trahisons, et avec le Bureau International de Bruxelles, disqualifié depuis longtemps par les socialistes révolutionnaires non seulement de Russie mais d'Italie, n'est pas satisfaisante. En revanche l'opposition résolue à l'annexion par l'Italie de territoires de l'empire ex-autrichien de nationalité slave, ainsi que le compte rendu des contacts avec les socialistes de cette région, pour l'organisation d'une protestation commune contre les effets du tristement célèbre pacte secret de Londres sur le partage de l'Empire austro-hongrois en cas de victoire, est remarquable. Dans ce début d'après-guerre le parti italien refusa de telles annexions, réclamées par les nationalistes extrémistes qui rejoignirent le fascisme. Mais il ne se passera pas beaucoup de temps avant que ne soit prononcée la phrase célèbre de Filippo Turati lors de la préparation de la position à prendre en vue du prochain congrès de la Paix, qui repoussait la «paix des couillons». C'était un premier symptôme de la fracture dans le parti, dans lequel la Direction eut une position de faiblesse lors des premiers votes portant sur la reconstruction de l'Internationale, à quelques mois du premier Congrès de la Troisième Internationale à Moscou, reconstruction qui avait déjà été annoncée par Lénine dans ses thèses d'avril 1917.
L'ordre du jour politique avait la même faiblesse. Il semble que son seul objectif ait été d'adopter le programme «d'action politique immédiate» pour faire siennes les revendications, revendications pour lesquelles le parti s'était laissé précéder par les autres organisations. En préambule on introduisit la requête de République socialiste et de Dictature prolétarienne en précisant, de manière peu heureuse, les «buts» en quatre points, desquels on passa de suite aux quatre autres du programme immédiat, ou minimum comme il l'était vraiment. C'était la première voix officielle du «maximalisme», tant exalté, paroles peu heureuses que nous aussi avons utilisées, dans un premier temps, dans la mesure où on considérait être à un tournant historique au sein duquel la lutte avait pour objet les conquêtes maximum, c'est-à-dire la prise révolutionnaire du pouvoir, laissant de côté les conquêtes minimum qui pouvaient s'obtenir aussi du pouvoir bourgeois traditionnel avant sa chute.
Voici ce document:
«La Direction, délibérant d'un programme d'action immédiat, constate avant tout que les éléments responsables de la présente situation cherchent à refaire leur réputation perdue en prenant dans le patrimoine des revendications prolétariennes quelques-unes des revendications les plus connues, qui ne sont plus suffisantes aujourd'hui pour satisfaire les aspirations ardentes du prolétariat durement touché par les maux de la guerre et aspirant à l'émancipation sociale de sa propre classe, et à répondre au devoir de solidarité avec les socialistes de Russie et d'Allemagne;
déclare que le parti socialiste, prompt à soutenir les revendications que les circonstances imposeront et qui seront réclamées par les organisations prolétariennes, se propose comme premier objectif l'institution de la République Socialiste et de la Dictature du prolétariat avec les buts suivants:
1 - Socialisation des moyens de production et d'échange (terres, mines, industrie, chemins de fer, flotte marchande) avec gestion directe par les paysans, ouvriers, mineurs, ouvriers ferroviaires et marins;
2 - Distribution des produits réalisée exclusivement par la collectivité au moyen des organisations coopératives et communales;
3 - Abolition de la conscription militaire et désarmement universel à la suite de l'union de toutes les Républiques prolétariennes dans l'Internationale Socialiste;
4 - Municipalisation des habitations civiles et des services hospitaliers; transformation de la bureaucratie, confiée à la gestion directe des employés».
Et voici le programme immédiat:
«1 - Démobilisation immédiate de l'armée;
2 - Retrait immédiat des soldats du territoire de la Russie révolutionnaire;
3 - Droit aux libertés civiles fondamentales;
4 - Amnistie de tous les condamnés pour faits politiques ou militaires.»
Nous ne commenterons pas les quatre points minimalistes, mais ceux indiqués comme «buts» de la dictature prolétarienne.
Dans le premier la «socialisation», qui est posée de manière correcte dans le temps, soit après la conquête du pouvoir, est présentée de manière non marxiste mais corporatiste et «immédiatiste», c'est-à-dire comme remise de la gestion des moyens de production à la catégorie économique concernée, poussant la farce jusqu'à spécifier ouvriers ferroviaires et marins. Marx avait vainement mis en garde durant des décennies, et cela concernait même les travailleurs de la terre, contre le danger de chantage d'une partie de la société sur la société tout entière.
Dans le second point on fait appel, pour la réalisation de la distribution, aux organisations déjà existantes et qui sont aux mains des plus vulgaires réformistes. Nous verrons plus loin la distinction entre programme économique immédiat et final de la dictature; pour l'heure la confusion des idées est totale quant à la succession dans le temps des programmes. Dans le programme maximum, c'est la doctrine qui doit en premier lieu être sauvée, et il va de soi que, dans un pays complètement sous domination bourgeoise, le but de la dictature en matière de distribution des biens est l'abolition du mercantilisme et du monétarisme. Toutefois cette mesure contingente pourrait être admise à condition d'établir le contrôle suprême du parti et des conseils politiques (soviets) - desquels, comme nous le montrerons, rien ou presque n'avait encore été compris.
Le troisième point comportait le problème de la conquête internationale du pouvoir, étant entendu que la conquête devait se réaliser dans tous les pays pour pouvoir passer en plein à la socialisation économique. Cependant, dans la succession des phases, l'armement militaire du prolétariat précède le désarmement universel.
Le quatrième point est d'un radicalisme certain sur la question de la propriété immobilière urbaine (question peu facile), mais infantile en ce qui concerne la réforme de la bureaucratie: la dictature des gens en col dur et culotte de cuir, peste de l'époque bourgeoise!
Le parti, dirigé officiellement par les révolutionnaires, parla bien tard, et de plus il parla mollement et faussement.
Source: Traduit de «Editions Il Programma Comunista» - 1964